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Wellington | Fabrique urbaine

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Verdun, Québec H4G 1R3
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L'urbanisme en pratique

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URBS+ : Abréviation d’urbanisme, mais quand même un peu plus. Une revue hebdomadaire d’ouvrages et d’œuvres avec comme point commun un intérêt pour l’univers urbain, qui est aussi l’univers ultime de l’être humain.

Se donner

July 11, 2024 John Voisine
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The Organization man. William H. Whyte, foreword by Joseph Nocera, University of Pennsylvania Press, 1956 (2002), 429 pages.

Cette chronique fait partie d’une série sur l’auteur urbain William H. Whyte (1917-1999)

This book is about the organization man. C’est avec cette phrase simple et affirmative, caractéristique des écrits de William H. Whyte, que débute ce livre qui, avec le néologisme composé « organization man », inventé par l’auteur, finira par définir un genre, une époque et certainement les hommes de cette classe. Ils se porteront en étendard d’une génération et au-delà, comme l’avant-garde d’un nouveau type, à la fois bien distinctif, mais qui, par définition, se fond dans le groupe pour devenir un composite quasi anonyme. Le « organization man » que nous rencontrons ici pour la première fois est celui qui nous semble maintenant si trompeusement familier, grâce à des œuvres contemporaines comme The Man in the Gray Flannel Suit (cité dans The Organization Man); ou torturé par une existence en demi-teinte, on le retrouve dans Revolutionary Road et bien sûr, on retourne à cette riche veine dans une série qui nous est contemporaine, comme Mad Men [1], pour ne nommer que ceux qui nous seront familiers. Que le type persiste en tant que représentation d’une époque, même soixante ans après son installation dans l’imaginaire de nos sociétés américaines en dit beaucoup sur sa capacité pérenne à modeler nos environnements, autant métaphorique que physique.

Pourtant, ce que nous croyons être cette familiarité est probablement ce qui masque encore si bien le véritable propos que voulait nous livrer Holly Whyte. Oui, l’homme de l’organisation, comme nous l’appellerons ici, était clairement un genre nouveau de travailleur. Ni tout à fait un col blanc professionnel, certainement pas un homme de plancher (un col bleu) sur la chaine de production, mais pas vraiment un leader et encore moins un capitaine d’industrie. Il ne jouait plus en tous points le rôle de simple « chemise blanche » du travailleur de bureau en entreprise d’avant la Deuxième Guerre. Ces hommes, qui avaient combattu en tant que soldats ou officiers juniors dans cette guerre aux contours moraux sans ambiguïté ou qui venaient juste d’atteindre l’âge adulte à sa sortie, étaient maintenant engagés dans une autre forme de conscription collective. Mais durant cette nouvelle décennie d’après-guerre, on allait plutôt s’attaquer à fournir aux nouveaux consommateurs issus de ce conflit un maximum de biens, les meilleurs services et la fine pointe des innovations techniques et scientifiques. Tout ça dans une société aux vertus saines et solides, incontestables.

Cet esprit de corps dans la mission et la fidélité dans l’enthousiasme envers « l’organisation » sont véritablement des caractéristiques de cette classe.

Sur les traces de The Organization Man

Dans une société qui se voulait pourtant dynamique et capitaliste, ce choc des saines vertus collectives, qui se construisaient grâce à un dévouement coopératif qui mettait en veilleuse les nuances individuelles, est au cœur des tensions irrépressibles diagnostiquées par l’auteur. Non seulement l’homme de l’organisation est-il prêt à étouffer une partie de sa personnalité pour le bien du groupe et à donner son temps et le meilleur de lui-même à la tâche, mais surtout, à garder pour lui ce qui le rend distinctif (d’où la caricature de l’uniforme gris—The Gray Flannel Suit), mais encore, on l’aura convaincu de le faire avec enthousiasme et zèle. Holly White démontre qu’une suite d’instruments ont été détournés de leur utilité première (dans le domaine des analyses psychologiques) pour servir à choisir de la masse des hommes, ceux qui se mouleront au service de l’organisation. Surtout, il brosse le tableau des conséquences de cet état de fait, en ce qui a trait aux possibilités d’avancement scientifique fondamental, autant dans les sciences techniques que des connaissances humaines. En sélectionnant pour la conformité à l’adaptabilité organisationnelle, lorsque c’est le contraire qui devrait être la norme, ont se trouve à augmenter dramatiquement les risques de stagnation. L’auteur cite deux cas, en forme de contre-exemple : General Electric et Bell Labs. Il faut donc souligner que Whyte ne cherche pas seulement à faire le portrait de cette situation troublante, mais que l’ouvrage constitue surtout un appel à dépasser ce confort rassurant et trompeusement harmonieux de « groupthink » des milieux organisationnels.

En plus du portrait de l’homme de l’organisation dans son milieu « naturel », les derniers chapitres, regroupés dans la partie VII—The New Suburbia: Organization Man at Home, vaut à lui seul le détour. L’auteur montre comment ces premières « package communities » (dans le cas présent, la récente banlieue de Park Forest), ont vite évoluées, en symbiose avec les besoins et les aspirations de cette nouvelle classe de la classe moyenne, essentiellement composés de familles nucléaires blanches (papa au travail, maman à la maison, souvent une voiture, très rarement deux, mais avec un enfant au minimum). Ce sont des communautés qui se voulaient « classless », mais surtout pas « colorblind », allant jusqu’à faire de la piscine communautaire un club privé, pour ne pas avoir à accueillir les jeunes noirs de la ville de Chicago, toute proche.

Malgré les presque 70 ans écoulés depuis la parution de l’ouvrage, toujours un propos terriblement pertinent.


[1] Les hommes représentés dans la série Mad Men ne sont pas exactement des « Organization Men », surtout parce qu’ils bénéficient d’une capacité de « self-actualization » dont l’homme moyen dans une organisation, même durant l’époque de gloire de « l’Organization Man », ne peut que rêver.

Tags The Organization Man, Sociologie du travail, Psychologie organisationnelle, Suburbia, Série William H. Whyte

Visionaire urbain

June 27, 2024 John Voisine
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American Urbanist—How William H. Whyte’s Unconventional Wisdom Reshaped Public Life. Richard K. Rein, Island Press, 2022, 335 pages.

Cette chronique fait partie d’une série sur l’auteur urbain William H. Whyte (1917-1999)

Avant de commencer cette série sur l’œuvre de William H. (Holly) Whyte, je pense qu’on se devait de regarder un peu la vie de ce personnage qui a, avec Jane Jacobs, ranimé la flamme vitale de la passion pour les villes, pour l’urbanité, dans les vertus de la densité, que ce soit des gens, des activités, du cadre bâti même. C’est un parti, et beaucoup ne le partageront jamais ou (pire) n’auront jamais la chance de le développer. Mais, pour ce que j’aime croire être la vaste majorité des gens, il n’existe rien de plus porteur que le « hustle and bustle » d’un centre urbain qui joue pleinement son rôle de centre de l’univers économique, social et culturel de l’activité humaine.

Il ne fait aucun doute que de nos jours, les références à l’opus de Jane Jacobs, The Death and Life of Great American Cities (1961), et même certain de ses ouvrages plus back catalogue, comme The Economy of Cities (1969), mais que j’affectionne particulièrement, sont beaucoup plus courante que ceux à The Exploding Metropolis (qui comporte pourtant un chapitre écrit par Jacobs) ou The Last Landscape (1968) ou même The Social Life of Small Urban Places (1980) de Whyte. Ce sont tous là des ouvrages qui, seuls, auraient parfaitement servi à faire la réputation d’un auteur. Mais il semble assez transparent, à la lecture de cette biographie écrite par Monsieur Richard K. Rein, que la vie et l’œuvre de Holly Whyte à, d’un côté, grandement bénéficié par cet éclectisme et simultanément, a été légèrement handicapé par ce vacillement thématique. Ses ouvrages ont souvent abordé des thèmes légèrement à côté de l’air du temps, sous un angle trop spécialisé pour être populaire, mais aussi trop pratique dans leurs refus des montages théoriques abscons, donc rejeté par les milieux académiques d’accréditation (mais heureusement, pas par les praticiens qui le découvrent ailleurs).

De plus, comment comprendre, à moins de lire cette biographie, qu’il est parfaitement cohérent que l’homme qui a produit The Organization Man (1956), qui décrit l’engrenage corporatif, soit aussi celui derrière The Exploding Metropolis (1958), qui expose l’engrenage toxique de l’étalement urbain, le même qui proposera des solutions pérennes pour la conservation des milieux naturels dans The Last Landscape et le même qui, dans The Social Life of Small Urban Places, développera une méthodologie simple et pratique pour comprendre les comportements humains sur rues et dans les places? Toujours le même homme.

Sur les traces de American Urbanist

Lorsque l’on aborde les questions de vitalité urbaine, de transformation ou de création d’environnement urbain activé par la présence humaine sur rue, le nom qui vient le plus spontanément à l’esprit, autant du public que des spécialistes, est encore celui de Jane Jacobs. Et elle reconnaissait sa dette, écrivant dans la préface à une nouvelle édition (1992) de son livre que « [o]ther authors and researchers—notably William H. Whyte—were also exposing the unworkability and joylessness of anti-city visions. » On apprend aussi dans cette biographie que ce dernier a tiré les ficelles pour qu’elle reçoive une bourse substantielle pour écrire son opus de 1961.

Mais même si leurs causes ont toujours été communes, leurs façons de pratiquer étaient le plus souvent en contraste. Par son milieu familial, ses études (à Princeton) et le moment de son entrée dans l’âge adulte, juste à temps pour participer (en tant que Marine dans le théâtre Pacifique, dans une unité de renseignement), Whyte fut certainement marqué comme un des membres de cette élite issue de la très grande solidarité engendrée par cette époque exceptionnelle. Mais contrairement à la vaste majorité de son groupe générationnel, il a démontré une capacité de lecture et de questionnement des tendances fortes de sa cohorte et de sa classe. On pense au mensonge de l’alignement entre les intérêts des entreprises manufacturières et industrielles et ceux des individus. Ou encore, comment le retranchement en banlieue (par voies autoroutières), autant pour le résidentiel, le commercial et l’entreprise, était présenté comme la solution aux maux de la ville; finalement la pire fraude jamais perpétrée par une population sur elle-même.

Malgré tout, et comme l’illustre cette biographie, Holly Whyte avait, par sa place dans le système, accès à un réseau de gens au portefeuille bien garnis et porteurs de causes auxquels sa contribution fut des plus innovatrices, comme la Ford Foundation et dans le domaine de la conservation, l’argent d’un certain Laurance Rockefeller. Avec tout ça, j’allais oublier de mentionner que sa carrière a été lancée par la revue Fortune, où il a travaillé pendant plus d’une décennie, de 1946 à 1958. Comme on l’entendait à une autre époque, le journalisme mène à tout, à condition de s’en sortir.

Il est vraiment heureux que Holly Whyte s’en soit bien sorti, et nous gagnerons tous à nous familiariser avec son œuvre. Cette biographie nous donne de bons repères pour se faire.

Tags American Urbanist, Richard K. Rein, Biography, Série William H. Whyte, Urbanité

On Juneteenth

June 19, 2024 John Voisine
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On Juneteenth. Annette Gordon-Reed, W.W. Norton & Company, 2021, 152 page. [E-book lu sur plateforme Kindle]

Série essai historique — A tous les deux mois

Le 19 juin (1865) marque le moment qui mettait fin à l’esclavage dans l’ancien État confédéré du Texas, et plus généralement dans tous les anciens États confédérés du sud des États-Unis. Plus spécifiquement, c’est une proclamation (General Order No. 3) du général unioniste Gordon Granger, stationné dans la ville portuaire de Galveston, sur la côte est du Texas, qui vient finalement donner la capacité aux autorités militaires et civiles fédérales de mettre en vigueur la proclamation d’émancipation qui avait été émise plus de deux ans plus tôt par le président Abraham Lincoln, le 1e janvier 1863. La guerre de Sécession était elle-même finie depuis le 9 avril 1865, plus de deux mois plus tôt. Le président Lincoln sera assassiné à peine cinq jours plus tard, le 14 avril 1865.

On Juneteenth, le bref, profond et sensible ouvrage de madame Annette Gordon-Reed [1] ne se veut pas tellement un historique de ces évènements dramatiques, mais plutôt une réflexion personnelle et familiale sur le sens de ce jour. De plus, depuis la signature, par le président Joe Biden en 2021, de la loi votée à l’unanimité par le sénat et la quasi-unanimité de la chambre, c’est aussi une fête nationale (significativement, la dernière introduction d’une fête nationale aux États-Unis remontait à 1983, avec Martin Luther King Jr. Day). L’auteure est née et a passée ses années formatrices au Texas, durant les décennies 1960 et 1970, dans une ville qui avait alors pas plus de 5000 habitants, mais qui en compte désormais plus de 85 000. Lorsqu’elle est née en 1958, les écoles dans l’État étaient encore ségréguées, malgré la décision Brown vs Board of Education de 1954. L’auteure nous fait un portrait très personnel de ce Texas sous l’emprise de l’arbitraire extrajuridique et des lois Jim Crow, où l’histoire et le quotidien des uns, la majorité blanche, ne connaissaient presque aucun parallèle avec celui des minorités à la fois noires et de la diversité hispanique native et immigrante de l’État.

Tout se joue dans la façon d’emmener la narration de cette histoire. La méthodologie déployée par l’auteure à la force nécessaire pour nous faire sentir tout la violence et l’ordinaire tragique de vies où l’exploitation est une réalité intégrée, de jure et de facto, dans le quotidien de toute une population désigné (les concitoyens noirs). Mais du même coup, l’auteure ne manque pas d’expliquer comment se fait l’appartenance profonde au territoire patrimonial et identitaire de cette même population.

Sur les traces de On Juneteenth…

C’est en quelque sorte cette tension unique à porter qui se manifeste à tout moment de l’existence des citoyens noirs de l’État du Texas et que madame Gordon-Reed nous permet de mieux saisir. Elle est de plus particulièrement bien placée pour être porteuse de ce délicat message, ayant été l’auteure d’une nouvelle biographie de Thomas Jefferson qui est venu une fois pour toutes établir sa paternité des enfants d’une femme de son entourage rendu en esclavage, Sally Hemings. Cette relation de parenté, elle ne l’a pas faite en utilisant une méthodologie à base d’ADN (même si ses travaux ont été par la suite confirmés par de tels tests), mais plutôt simplement en utilisant une méthodologie de recherche historique et juridique traditionnelle. Surtout, en donnant une voix pleine et entière à la documentation historique et aux témoignages des personnes rendues en esclavage du vivant de Jefferson. Les historiens/biographes ainsi que les descendants de l’auteur de la Déclaration d’indépendance américaine avaient simplement choisi d’ignorer, lorsque possible ou de discrédité, lorsque la réalité ne pouvait être ignorée, tout les témoignages et documents qui pointaient vers cette paternité. Cette faculté d’ignorance volontaire et cette façon de discréditées agressivement les témoignages contemporains étaient rendu plus facile du fait que ceux-ci émanaient de personnes ayant directement vécue les conséquences du système esclavagiste, basé sur les nuances de couleurs de la peau (noir) qui caractérisait l’esclavagisme américain (d’autres systèmes existent).

Selon la règle juridique qui voulait que « [African Americans] had no rights which the White Man was bound to respect », la personne noire n’avait ni parole ou récit à fournir à l’histoire qui devait ou pouvait, de manière crédible, être intégrée dans l’histoire « officielle ». Il est certain que cette histoire, lorsqu’on y intègre les versions minoritaires, montre le système de gouvernance, le système légal, les comportements et les agissements de la majorité blanche sous un jour des plus haineux, ce qui n’aide en rien son intégration dans la narration officielle. Ce n’est pas un hasard si au Texas, on dit toujours « Remember Goliad » ou « Remember the Alamo », mais dès qu’il est question d’expliquer pourquoi l’État demandait d’être indépendant ou faire la lumière sur le rôle de l’esclavage et de la résistance violente à toute expression universaliste des droits civiques et politiques, la majorité blanche répond : « don’t dwell on the past ».

En ce 19 juin 2024, Juneteenth, on prend un moment pour embrasser, apprendre, diffuser et accepter toute notre histoire et pourquoi pas, lire ce livre essentiel.


[1] On trouve sur ce site une entrevue avec l’auteure qui en vaut le détour.

Tags On Juneteenth, Annette Gordon-Reed, Texas, Galveston, Esclavage, Série essais historique

La référence urbaine pour le Québec

June 6, 2024 John Voisine
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Dictionnaire politique de la scène municipale québécoise. Sous la direction de Sandra Breux et Anne Mévellec, Presses de l’Université Laval (PUL), 2024, 501 pages.

Une série sur les municipalités et la politique municipale au Québec [5 de 5]

Je vais commencer immédiatement par exprimer le premier (ce n’est pas comme s’il y en a des dizaines!) d’entre mes regrets concernant cet ouvrage essentiel de Mesdames Sandra Breux et Anne Mévellec : à ma connaissance, il n’y a pas de version anglaise. Évidemment, je suis facétieux en disant cela. Mais dans un autre sens, je crois vraiment que pour que l’ouvrage puisse atteindre une forme plus achevée, il aurait fallu qu’il soit bilingue. Qui sait, cela aurait-il même inspiré une forme d’émulation chez nos collègues hors province? J’étais surpris après la lecture de chaque vedette d’être talonné par la volonté de lire, dans un format comparable, un article similaire sur les réalités municipales dans une autre province canadienne ou dans un état américain.

La gestion du palier municipal et régional dans cette province est juste assez différente, juste assez dans l’univers du « uncanny valley » pour rendre les parallèles avec les autres provinces, pour ne rien dire des états américains, bizarrement complexe et rempli de contingences, toujours dans les tournants où l’on s’y attend le moins. Bien entendu, la réalité sur le terrain est tel que, comme l’exprime un des auteurs des préfaces, on aimerait au minimum avoir un ouvrage comparable pour l’Ontario, puisque les deux provinces ont des environnements urbains, des secteurs économiques et de développement qui peuvent aisément s’assimiler l’un à l’autre. De plus, il fait peu de doute que le milieu municipal au Québec gagnerait à pouvoir évaluer plus facilement nos deux systèmes de gouvernance et de gestion locale. Mais évidemment, si un ouvrage similaire existait pour la scène municipale ontarienne, il serait en anglais, une langue plus maitrisée chez les locuteurs francophones du Québec que l’inverse, tristement.

Toujours est-il, je ne voudrais pas prendre plus de place pour pleurer ce que nous n’avons pas, au lieu de célébrer, comme nous devrions le faire justement, le travail colossal et quasi héroïque qui nous permet de profiter avec enthousiasme de ce dictionnaire. En ayant eu la clairvoyance d’envisager que le système municipal dans la province se prête bien à une recension basée sur des mots-clés, on peut aisément faire en quelques entrées le tour qu’une question. Et surtout, en ayant la capacité de rassembler en un seul ouvrage la contribution de plusieurs dizaines d’auteurs spécialistes, le lecteur se retrouve avec une collection alphabétisée d’articles riches, concis et standardisés sur des concepts contemporains de la scène municipale au Québec.

Sur les trace du Dictionnaire politique…

Le format « dictionnaire » de l’ouvrage permet une entrée en matière instantanée et concise, agréable d’utilisation pour le praticien, le chercheur ou l’étudiant. Comme dans un dictionnaire, chaque vedette bénéficie, il va sans dire, d’une définition de quelques paragraphes pour ensuite aborder les enjeux, un historique ou une illustration de l’évolution de la notion discutée, c’est selon. En portant ainsi le texte au-delà de la définition attendu de tout dictionnaire, on donne la chance aux différents spécialistes de creuser un aspect qui va plus loin que la définition stricte. Chaque entrée est toutefois rigoureusement formatée de manière à être concise et d’aller à l’essentiel. Cela ne veut toutefois pas dire que le lecteur est laissé sur sa faim. Les auteurs ont bien au contraire été rigoureux dans les références à même le texte et la bibliographie de l’ensemble de l’ouvrage est des plus exhaustive. De plus, chaque vedette se termine par une section bibliographie spécifique, « Pour aller plus loin » et une dernière partie des plus utile intitulée « Liens avec d’autres articles ». C’est en fait à partir de ces sections que j’ai souvent parcouru un ensemble de vedettes. On en finit une et immédiatement, cette section de liens plus ou moins longue nous conduit à nous intéresser à d’autres notions adjacentes. C’est ainsi qu’on peut faire le tour d’une question. Je dirais même que la grande force du volume, au-delà de l’excellence même des entrées prise individuellement, est cette capacité intégrée à chacune d’elles de porter le lecteur curieux et soucieux de faire le tour d’une question vers toutes les notions connexes pouvant lui être utile.

Je me suis souvent plaint dans ces pages que les ouvrages récents, même ceux de presses universitaires comme PUL, manquent d’un index ou lorsqu’il y en a un, que sa construction soit quelconque. On ne peut pas tout avoir; comme avec un triangle d’optimisation, en choisir deux c’est nécessairement en exclure un. Dans ce cas, on a un index habilement structuré, à partir de notions complémentaires aux entrées-vedettes (comme Arvida, qui se trouve dans la vedette Villes de compagnie), mais pas de pagination. Sur un autre plan, les auteurs sont identifiés par leurs affiliations, mais impossible de savoir à quelles vedettes ils sont contributeur, à moins de les passer systématiquement en revue. Maintenant, cela dit, c’est un ouvrage qu’on voudra toujours garder à portée de mains et on espère de futures éditions, selon l’évolution de la matière.

Tags Dictionnaire politique de la scène municipale québécoise, Sandra Breux, Anne Mévellec, Études urbaines, Administration municipale, Série municipalité

"Que cela aussi serve le bien"

May 28, 2024 John Voisine
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Ce qu’il reste de moi. Monique Proulx, Boréal, 2015, 430 pages.

Série fiction — À tous les deux mois

Il n’y a pas un personnage dans ce roman construit en petite fresque qui ne m’a pas donné un bon moment à être légèrement déstabilisé ou confondu, et cela est franchement un des meilleurs arguments pour en faire une des lectures presque incontournables de la littérature montréalaise contemporaine. Combien rares sont les auteurs en mesure de conduire une histoire et des personnages contemporains le moindrement complexes sans tomber dans la rigidité didactique? Avec la diversité des possibilités et des conditions envisageables dans une ville comme Montréal, il y a toujours la crainte de tomber sur un auteur qui utilise une formule de provocation convenue, des situations chocs ou esthétiquement conflictuelle afin d’épicer une histoire, une trame narrative ou des personnages autrement bancals. C’est donc avec un réel bonheur que les chapitres de ce qui est quand même une histoire à la fois inattendue, tout en s’ancrant dans ce qu’une ville peut offrir de vies banales teintées par l’exceptionnel de quêtes uniques, que les chapitres donc offrent des espaces d’exploration et de découverte des personnages, d’approfondissement de ces quêtes. Bien entendu, personne ne vit en vase clos et chacun est marqué, influencé et relancé par ce contact avec les autres, même (et même surtout) les personnages qui pensaient que par la vertu de l’absolu de cette quête, ils seraient immunisés des apports externes.

Mais ce ne sont pas seulement les personnages eux-mêmes qui défient l’expectation de l’ordinaire de manières toujours originales. Comme je le disais au début, le lecteur doit aussi souvent lui-même, d’une certaine façon, rendre les armes et baisser ses défenses face aux situations confondantes, si possible dans le meilleur sens de ce terme, dans lequel les personnages sont emmenés à évoluer, tout naturellement. Dans un monde où l’identité se veut de plus en plus une source de limitation, le plus souvent imposée par des conventions extérieures, il était rafraichissant de lire ce roman où, comme dans le monde urbain réel qui est notre quotidien, l’identité de tout un chacun ne fait qu’inconfortablement et piètrement, si on s’y attarde trop, contenir une pâle représentation de la multitude que nous sommes tous. Ce que nous offre ici Monique Proulx c’est un tour de force d’une grande beauté : ce pouvoir quasi magique de marier et faire traverser au lecteur le temps, les époques et les contextes en insufflant à chacun la majesté et la dignité propre à sa condition humaine.

Tags Ce qu'il reste de moi, Monique Proulx, Montréal, Histoire, Série fiction, Nouvelles

Une histoire difficile

May 23, 2024 John Voisine
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Unité, autonomie, démocratie — Une histoire de l’Union des municipalités du Québec. Harold Bérubé, Les Éditions du Boréal, 2019, 384 pages. Lu sur plateforme PrêtNumérique.

Une série sur les municipalités et la politique municipale au Québec [4 de 5]

On comprend parfaitement que les « créatures » de la province, ses cités, villes, villages et autres entités rurales et locales ont cherché à se doter d’un minimum de « pouvoir dans le nombre » en se regroupant en « Union ». Québec avait beau les avoir légiféré en tant que corporations limitées d’utilités publiques, une fois en place, celles-ci n’allaient pas simplement se contenter de cette existence zombie, jamais tout à fait réalisé. En formant l’Union des municipalités de la province de Québec en 1919 (on bannira province dans les années 1970), un an après l’institution d’un ministère des affaires municipales, les membres (principalement les grandes et moyennes agglomérations urbanisées de la province) réussissent enfin à présenter un front d’intérêt commun à Québec. Si rien d’autre, c’est certainement un petit miracle que sur une période de plus de 100 ans, et qui se continue à ce jour, l’UMQ puisse catalyser au sein d’une même structure, toujours plus effective, les forces et l’expression de la diversité des territoires urbains de la province.

Ce que cette histoire officielle de l’UMQ, commandé à l’historien des affaires urbaines bien connu, Monsieur Harold Bérubé, démontre c’est que la tâche première de l’Union, la représentation des intérêts de ses membres auprès des gouvernements successifs à Québec, est la plus difficile et celle qui offre, ironiquement, le moins de gains tangibles. Je mets ici un peu de mon « spin » sur cette histoire, mais il faut bien comprendre qu’il n’y a pas vraiment un moment où l’UMQ sort triomphante et satisfait de sa relation par rapport à Québec. Celle-ci semble, selon les époques, vaciller entre une indifférence bienveillante, un paternalisme facile ou, dans le pire des cas, d’un mépris à peine voilé, comme à l’époque du gouvernement de Maurice Duplessis. Chaque période apporte ses défis sur le plan urbain et social, mais le dialogue que l’Union entretien avec Québec n’apparaît pas en mesure de faire évoluer progressivement la vision de celle-ci par rapport à ses « créatures ».

Avant la fin de la Deuxième Guerre, c’était en partie à cause d’un trop fort copinage avec le parti au pouvoir (Libéral). Ensuite, bien au contraire, l’Union doit faire face à l’hostilité franche du gouvernement Duplessis (qui trouvait plutôt sa base dans les milieux ruraux, de la colonisation et les villages). L’Union était donc confrontée à un gouvernement qui s’entêtait à faire une gestion corporatiste et refermé des affaires de l’État, tandis que ses membres devaient s’adapter à la modernité de l’après-guerre.

Sur les traces d’Unité, autonomie, démocratie…

On aurait pu croire alors que les années 1960 avec la Révolution tranquille apportée par « l’équipe du tonnerre » allaient permettre à l’UMQ d’avoir une meilleure écoute à Québec, mais c’est plutôt à ce moment qu’un déphasage s’installe. Le gouvernement provincial travail à moderniser l’État québécois, mais le monde municipal ne trouve pas à danser sur ce nouveau rythme, à tel point même que l’Union finira par remettre au gouvernement Lesage le rapport qu’ils avaient remis à la Commission Tremblay en… 1954! La Révolution tranquille se fera donc avec les municipalités sur le bord du chemin, bien plus en tant que spectateurs de la parade qu’en tant que participants. Et encore une fois, le manque d’emprise de l’Union sur les avancés historiques de cette décennie est assez déconcertant.

La décennie 1970 et le début des années 1980 introduisent des changements colossaux dans le monde municipal et encore, cela laisse à peine à l’Union le temps de souffler. La Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles est passé (1978) et ensuite la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (1979), ce qui conduit, entre autres choses, à la création des municipalités régionales de comté (MRC), l’introduction des schémas d’aménagement et l’obligation pour les municipalités de confectionner des plans d’urbanisme conforme. L’UMQ a été spectateur de ces transformations, et non partie prenante. Même lorsque le gouvernement semble vouloir aller dans le sens des doléances municipales, on assiste plutôt, comme au début des années 1990, à du délestage, c’est-à-dire un transfert de responsabilités, mais sans moyens financiers ou organisationnels. Le tournant du siècle est aussi traumatique, avec les fusions municipales forcées et leurs jours meilleurs qui ne se sont jamais vraiment avérés.

Il ne faut pas oublier que les trois premiers mots du titre de l’ouvrage — Unité, autonomie, démocratie — jouent un grand rôle dans l’histoire et servent en quelque sortent de miroir pour juger des avancées de l’organisation. Jusqu’à demain se tiennent justement les assises annuelles de l’UMQ, et il n’y a aucun doute que les membres en retirent une valeur ajoutée qui va bien au-delà du pouvoir dans le nombre. L’unité dans la diversité est certainement une caractéristique qui permet un travail positif, l’autonomie dans la responsabilité évolue constamment et la démocratie municipale est plus que jamais une réalité. En tout et pour tout, je suis heureux que cette histoire de l’UMQ existe, puisqu’elle nous accorde la possibilité de développer cette perspective essentielle.

Tags Unité autonomie démocratie, Harold Bérubé, Politique municipale, UMQ, Série municipalité

Revisiter ses a priori

May 12, 2024 John Voisine
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Le BAEQ revisité—Un nouveau regard sur la première expérience de développement régional au Québec. Sous la direction de Bruno Jean, Presses de l’Université Laval, 2016, 215 pages.

Une série sur les municipalités et la politique municipale au Québec [3 de 5]

Je suis le premier à l’admettre, durant notre formation d’urbaniste a ce qui s’appelait à l’époque l’Institut d’urbanisme de la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, je ne suis pas certain d’avoir jamais entendu parler des travaux du Bureau d’aménagement de l’est du Québec (BAEQ — 1963-1966), cette organisation privée qui semble avoir été une étape fondamentale dans la maitrise de la planification à l’échelle régionale au Québec. Ou si nous en avons discuté, cela devait être pour mentionner la proposition de fermeture de dizaine de villages gaspésien et la fermeture effective d’une douzaine d’entre eux. Probablement à cause de la proximité dans le temps, on l’assimile souvent avec l’expropriation des habitants dans le cadre de la création du Parc national de Forillon, même si les deux évènements n’ont aucune parenté, ni dans la démarche ni dans la manière.

Le manque de mémoire et de connaissance par rapport au BAEQ, ses travaux pionniers pour le Québec, ainsi qu’un certain aveuglement à l’égard des outils du « développement régional » est sans doute un des grands contrastes entre nous, les urbanistes, et ce que l’on appelle les « aménagistes ». Même nos écoles sont différentes : les aménagistes émanant essentiellement de l’école supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional (ÉSAD) de l’Université Laval (UL), à Québec. « Développement régional », c’est dans leur nom! Et comme on l’apprend dans cette compilation de textes sous la direction de Bruno Jean, la proximité avec le milieu académique et intellectuel de l’UL est un facteur fondamental dans la sensibilisation à cette notion pour les aménagistes. Comme je l’ai découvert en y faisant ma formation de premier cycle en architecture et ensuite en travaillant quelques années sur le campus, Québec comme ville et le noyau de l’UL comme centre intellectuel sont vraiment la capitale de l’est de la province et même de tout l’est du pays qui se reconnait une affinité avec la spécificité francophone.

Cela conduit à cette perspective, qui n’existe que faiblement dans une métropole comme Montréal. Parfois, rien ne remplace la proximité physique dans l’analyse territoriale. Toujours est-il, paru pour souligner (en 2016) les cinquante ans de la publication des rapports d’études du BAEQ, cet ouvrage rassemble des textes d’intervenants de la première heure impliqués dans les travaux de l’organisation, des participants de l’époque et dans un deuxième temps, de chercheurs qui examinent avec le bénéfice du recul les résultats qui sont sortis de cette expérience unique de planification.

Sur les traces du BAEQ revisité…

Après la lecture de l’ouvrage, on se rend compte qu’il est quelque peu injuste que l’expérience du BAEQ soit réduite à celle de la fermeture des villages. Un long métrage de cinéma-réalité, Les smattes (1971) fait encore écho à cette expérience. Trente ans plus tard, le même réalisateur revient cette fois avec un documentaire, le Grand Dérangement de Saint-Paulin Dalidaire (merci appropriation). Les textes apportent évidemment plusieurs perspectives sur cette manœuvre aux conséquences dévastatrices pour les populations concernées. Le simple fait qu’une telle solution ne fut plus jamais proposée et encore moins appliquée en dit gros sur son impotence. Mais il n’en demeure pas moins que de comprendre la logique qui a conduit à cette proposition et son implantation est essentielle et mériterait d’être mieux transmise dans la profession.

Mais le BAEQ, c’est tellement plus que les fermetures! Dans un mandat qui s’est étalé sur à peine trois (3) ans, ce petit bureau ad hoc fait de sociologues, d’économistes, de gens en droit et dans le domaine naissant du travail social, ont complété un exercice qui ne sera reproduit (et même là sur une échelle beaucoup plus petite et de manière rigide), qu’avec les schémas d’aménagement (et plus tard encore, de développement) qu’au début des années 1980. À travers le recueil de textes et de témoignages colligés dans l’ouvrage, on peut clairement voir le travail du BAEQ avec les populations locales comme un jalon unique vers l’avancement de la province dans une prise en charge de son avenir en contexte de révolution tranquille. Le personnel clé qui se succède dans le BAEQ prendra les commandes d’une fonction publique québécoise qui se modernise et se professionnalise, faisant de la boîte une sorte d’incubateur pour celle-ci. Au-delà de l’accord fédéral-provincial de 1968 qui résulte des propositions contenues dans les rapports du BAEQ livrés en 1966, ce que tous les auteurs semblent reconnaitre est que face à des conditions adverses, un minimum de concertation permet de parcourir beaucoup de chemin. En plus d’ouvrir les canaux de communication et d’avoir en place un réseau solidaire, informé des enjeux mutuels, motivé à collaborer dans une mission commune et capable de mobiliser sa collectivité dans ce sens, ce travail est probablement la seule voie pour un développement durable en région. L’équipe du BAEQ a été pionnière dans ce domaine. Ce livre est cette histoire, qui mérite d’être mieux comprise et assimilée.

Tags Le BAEQ revisité, Bruno Jean, Aménagement, Sociologie, Histoire du Québec, Série municipalité

George Orwell à Verdun

May 1, 2024 John Voisine

Carte postale — Collection Pierre Monette — BAnQ

La mairesse de l’arrondissement de Verdun, Madame Marie-Andrée Mauger, présidait hier soir (mardi) à une assemblée publique « d’information et d’échange » sur le sort que l’arrondissement réserve finalement au Natatorium, le bâtiment Art déco inauguré à l’été 1940 et qui est l’incarnation et le phare du site. Sans ce bâtiment spécifique, restauré et agrandi afin de tenir compte de l’évolution de notre société en quatre-vingts ans, il faut dire que le lieu perd substantiellement de son sens, autant dans la continuité historique que dans sa charge symbolique pour la collectivité verdunoise.

Le bâtiment photographié à partir du boulevard LaSalle, dans toute sa fonctionnalité simple et affirmée (on remarque les lampadaires du toit-terrasse) — 25 mars 1957 — Fonds d’archives de l’arrondissement de Verdun — Montréal, toute une histoire!

Mais en plus de Madame la Mairesse, des conseillers et d’un trio de fonctionnaires sélectionné pour expliquer au public (1) les « choix difficiles », il y avait aussi, bien en évidence, une autre figure. Curieusement, il ne fut pas introduit par le présentateur/facilitateur, qui a pourtant vaillamment conduit cette soirée.

Une journée d’été au Natatorium de Verdun. On remarque les gens qui profitent des bassins, mais aussi ceux qui profitent de la vue, sur le toit-terrasse — 1948 — Fonds d’archives de l’arrondissement de Verdun — Montréal, toute une histoire

Même si ce personnage voulait passer inaperçu, on parle quand même d’une grande figure du monde de la littérature, du journalisme et de la pensée politique du 20e siècle. Il est vrai qu’il avait une présence quelque peu fantomatique, mais comment pourrait-il en être autrement? Il a écrit des récits d’aventures à partir de ses propres exploits (durant l’horrible guerre civile (1936-39) dans la péninsule ibérique), des romans allégoriques, des récits de politique-fiction ou d’anticipation, selon l’époque ou le point de vue où l’on se situe. Il a fait du journalisme-réalité et a aussi écrit sur l’utilisation politique de la langue (anglaise). Mais hier soir, ce personnage était visiblement flatté et présent pour recevoir les honneurs que lui réservait la petite politique municipale de Verdun. Oui, George Orwell était dans la salle du conseil et ne pouvait faire autrement que d’admirer le travail de « novlangue » employé par l’administration de la mairesse Mauger.

Encore une fois, presque autant de monde sur le toit qu’autour des bassins — 23 juin 1913 — Fonds Conrad Poirier — BAnQ — Montréal, toute une histoire

Une des nouveautés terrifiantes dans le monde totalitaire de son plus célèbre roman, 1984, est la manipulation toujours plus sophistiquée de la langue afin d’obscurcir et de détourner les gens de la réalité avérée. Les intentions véritables sont encadrées par un vocabulaire servant à faire de l’ombre, au lieu de servir à éclairer le projet collectif proposé. L’ironie est que l’on utilise même souvent les mots qui mettent en valeurs le meilleur des aspirations contraires afin de mieux faire diversion sur la banalité médiocre et sans vision de ce qui est avancé comme « avenir radieux ».

Durant « les Olympiades de natation ». Foule autour du bassin de plongeons et sur le toit-terrasse, évidemment ! — 1966 — Fonds d’archives de l’arrondissement de Verdun — Montréal, toute une histoire

Ces techniques indignes d’une démocratie municipale ouverte et transparente étaient pleinement déployées hier soir lors de cette soirée « d’information et d’échange ». Madame la mairesse Mauger a commencé par dire, pour ajouté à la confusion, que le site demeure, quand le but de la soirée n’avait jamais été de parler du site, la discussion ayant toujours porté sur le bâtiment. Elle en a parlé en disant que c’était « le bâtiment que l’on traverse et où l’on va se changer et prendre sa douche ». Ah ben, si c’est juste ça, pourquoi tout le flafla? Si c’est vraiment juste un banal bâtiment utilitaire pour passer, se changer et prendre sa douche, pourquoi même nous avoir convoqués? Évidemment, c’est tout le contraire. En plus d’être le bâtiment-phare du site, distinctif et unique dans son contexte, c’est aussi le lieu où les gens pouvaient, jusqu’au début des années 1980, aller passer leur été sur le toit-terrasse, s’y restaurer en se délectant de la brise, du fleuve et des baigneurs (2) dans les deux grands bassins au sol. En termes de taille, seule la piscine extérieure de l’ile Sainte-Hélène viendra l’éclipser, à partir de 1953.

Quelques « Life Guard » bien fier de leur métier ! — 23 juin 1943 — Fonds Conrad Poirier — BAnQ — Montréal, toute une histoire

Maintenant, en avançant les deux scénarios qui ont été étudiés, la mairesse a présenté le choix comme étant celui entre la restauration ou la reconstruction. Blanc bonnet/Bonnet blanc donc? Reconstruction est un de ces mots orwelliens d’une merveilleuse ambiguïté lorsqu’on veut, par exemple, obscurcir la réalité d’une proposition de démolition. Vers la fin de sa présentation initiale, la mairesse Mauger s’est d’ailleurs échappée en disant qu’elle n’était pas « une partisane de la démolition ». Finalement, c’est alors cela que les mots cousus de double entendre tentait de dissimuler. Pourquoi ne pas avoir respecté les citoyens et le dire simplement, right from the top?

Révolution tranquille à Verdun ! Quelques baigneuses qui prennent la pose sur le tremplin du Natatorium — 26 août 1965 — Fonds d’archives de l’arrondissement de Verdun — Montréal, toute une histoire

La mairesse finit par dire que c’est une « conversation » qu’elle entreprend avec « humilité ». Une façon de démontrer cette humilité proclamée aurait certainement été d’utiliser des mots et un vocabulaire qui identifie clairement et ouvertement les intentions du « scénario » retenu. Une démolition n’a rien de la reconstruction. Pourquoi avoir pris ses commettants pour des valises? Même le quotidien numérique La Presse+ intitule ce matin son article sur la question « Le Natatorium de Verdun sera démoli ». Voilà, c’est dit (3).


(1) La soirée était aussi diffusée en direct sur la chaine YouTube de l’arrondissement. On peut la voir avec intérêt ici.

(2) Comme on peut le constater dans ce délicieux vox pop d’une époque maintenant révolue.

(3) Mais pour finir en beauté et avec le sourire, malgré tout, voici une belle page de « trivia » du Natatorium. Ou pour mieux comprendre la fierté civique engendrée par ce qui est vite devenue une institution pour la « Cité de Verdun », on lira cet article paru dans le quotidien The Gazette du 21 juillet 1951, Popular Open Air Pool Pays Verdun Dividends : More than 6,000 cool off in this outdoor pool on hot summer days.

Tags Natatorium de Verdun, Démolition du patrimoine, Arrondissement de Verdun, George Orwell à Verdun, Novlangue

Québec urbain

April 18, 2024 John Voisine
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Un Québec urbain en mutation. Gérard Beaudet, Éditions MultiMondes, 2023, 325 pages.

Une série sur les municipalités et la politique municipale au Québec [2 de 5].

Ce dernier livre de Monsieur Gérard Beaudet rend un grand service au domaine de l’urbanisme au Québec. Il est à la fois généraliste et fouillé lorsque le propos l’exige. On pourrait dire de même de la plupart des ouvrages de l’auteur publié au cours des dernières années. Nous en avons revu quelques-uns dans nos pages, en commençant par le duo essentiel pour qui veut se donner une idée de l’évolution urbaine dans la grande région de Montréal : Banlieue, dites-vous? La suburbanisation dans la région métropolitaine de Montréal (2021) et son compagnon, Le transport collectif à l’épreuve de la banlieue du grand Montréal (2022). Ces ouvrages sont uniques sur ces questions, mais il est impensable de les mettre entre les mains du novice et s’imaginer qu’ils resteront sur le dessus de leurs tables de chevet jusqu’à la dernière page. Cela n’est en rien lié à la qualité de l’écriture ou de l’argument, c’est simplement dans la nature de ces sujets. On sait aussi que l’auteur n’hésite pas à se lancer dans des propos qui ont un certain mordant. Le fameux Le pays réel sacrifié : la mise en tutelle de l’urbanisme au Québec (2000, en collaboration avec Paul Lewis, Jean Décarie et Daniel Gill) ou dans un plus récemment, Les dessous du printemps étudiant. La relation trouble des Québécois à l’histoire, à l’éducation et au territoire (2013) en sont des exemples. Mais toujours, à moins d’avoir un engagement profond envers ces questions, il ne sera pas facile d’évangéliser autour de soi. J’allais oublier, mais un autre de ses ouvrages, commenté sur cette page et qui porte un regard original sur le monde municipal, L’innovation municipale — Sortir des sentiers battus (2019, écrit avec Richard Shearmur) mérite le détour. Cela dit, encore une fois, par la nature du sujet, le réservoir des converties sera souvent assez restreint.

Mais avec Un Québec Urbain en mutation, on se retrouve devant ce rare objet : un ouvrage écrit par un spécialiste, mais qui peut facilement se partager et profiter à tous. Par son propos, emmené de façon souple et engageante, le livre est une source de prise de conscience, et de connaissance, dans le domaine. Il ouvrira la porte à de multiples discussions, pourra servir à former une base fertile et mutuelle, à travers presque tous les moments de l’histoire urbaine de la province, de la ville à la campagne en passant inévitablement par les banlieues.

Sur les traces de Un Québec en mutation

On s’en doute bien, il y a des circonstances uniques dans le développement de nos « cités et villes », nos campagnes et nos banlieues. Pourtant, il semble que presque partout, elles ont résulté en de vagues paysages qui, trop souvent, ne sont que banalité de lieu et d’expériences. Malgré ses professions d’unicité, cela nous rappelle douloureusement que notre urbanité codifiée ne fait que reproduire les pires schémas nord-américaine.

Expliquer pourquoi et comment, malgré un cheminement assez particulier dans le domaine du contrôle (mais surtout du laissez-faire) urbanistique, peut impliquer des justifications contextuelles pas toujours faciles et ceci, en dépit d’une maîtrise « professionnelle » des questions urbaine. Ou peut-être chercherons-nous à nous mettre tous sur une même page lors de discussions plus poussées, pour mieux comprendre notre passé et envisager notre futur. C’est durant ces moments, et bien d’autres similaires, que cet ouvrage de Gérard Beaudet (1) sera d’un bon service.

Par exemple, on comprend bien tous de manière abstraite que le niveau municipal est important pour une saine vie politique et civique. Mais qui sait que Lord Durham n’en pensait pas moins? Ainsi, dans son fameux rapport sur les rébellions de 1837-38, il écrivait que : « l’on peut considérer comme une des causes principales de l’insurrection […] l’absence totale d’institutions municipales qui donneraient au peuple une certaine autorité sur les affaires régionales ». En effet, qui l’eût cru, les gens aiment avoir un mot à dire, ou du moins sentir qu’ils pourront le dire et être minimalement entendu dans les affaires qui les concernent de près, comme dans leurs quartiers et sur leurs rues. Malheureusement, ces dernières années, on est passé d’un régime où le bulldozer n’était jamais loin d’aplatir son quartier, surtout si l’on était pauvre dans un quartier oublié, à un régime de gouvernance où plus rien qui profiterait à la collectivité ne peut se construire. L’exception sacrée : les réseaux autoroutiers et les routes sous le contrôle du ministère des Transports (2). Et pour faire bonne figure, les centres commerciaux à la jonction des bretelles d’autoroutes. Aussi, jamais trop d’espace, de fluidité ou de « sécurité » pour les automobiles.

Cette réalité est la nôtre. Il faut admettre que malgré nos cadres législatif tardivement adopté et implanté (par rapport aux autres entités comparables), nous en sommes essentiellement au même point bas que nos pairs nord-américains. Pour retracer cette histoire et enclencher une discussion sur des bases solides, on s’offre et on partage ce livre (3).



(1) Je ne peux pas passer sous silence, étant donné la nature de l’ouvrage, le manque d’un index. Pourquoi affliger le lecteur ainsi?

(2) J’oubliais le “et de la Mobilité durable” mais encore, qui y pense?

(3) Encore une fois, le livre est ce qu’il y a de mieux dans ce type qui combine l’histoire et l’analyse avec un point de vue. C’est pourquoi il était surprenant d’y rencontrer certaines erreurs évidentes, comme lorsqu’il est dit à la page 81 que la « Standard State Zoning Enabling Act (SZEA), une loi fédérale […] » américaine; bien entendu, c’était plutôt une loi modèle proposée en 1922 par le Département du commerce américain aux États du pays afin de permettre à leurs villes de moderniser leurs gestions. La vaste majorité des états de l’époque ont adopté une version du Enabling Act, mais la plupart de leurs villes se sont contentées d’adopter une forme de zonage, souvent de nature raciste et ségrégationniste dans l’application, à défaut de pouvoir l’être dans le texte. Autrement, les « convenants », de nature privée, ne se gênaient pas pour l’être.    

Nous avons abordé ces questions, entre autres en parlant du livre de Monsieur Richard Rothstein, The Color of Law.

Tags Gérard Beaudet, Urbanisation, Province de Québec, Rénovation urbaine, Un Québec urbain en mutation, Série municipalité

"Les coulisses de la ville"

April 11, 2024 John Voisine
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Ruelles. Ariel Tarr et Florence Sara G. Ferraris, La courte échelle—Parfum d’encre, 2024, 255 pages.

Je ne conserve aucune nostalgie des quelques ruelles que j’ai connue durant mon enfance. C’était généralement des endroits d’une propreté douteuse, asphaltée, rugueuse, étouffante et qui n’offraient que peu d’éléments positifs et une tonne de composantes rébarbatives. C’était bien révolu le temps des « colonies » d’enfants dans les quartiers. Ce n’était plus l’époque où nos amis habitaient tous autour d’un unique bloc urbain, alors rares étaient les raisons pour se retrouver dans une même ruelle vide, grise, sans point focal naturel. De plus, les endroits naturalisés ne l’étaient pas de façon invitante (beaucoup d’herbe à poux ou d’autres verdures irritantes).

En rétrospective, et avec le rafraichissement historique et sociologique que donne la lecture de Ruelles, c’était l’époque où la Ville poussait les propriétaires à se débarrasser de leurs hangars (« la dentelle des ruelles », peut-être, mais surtout, comme le soulignent les auteures, source majeure d’incendies) et la plupart d’entre eux n’étaient que trop heureux de le faire. Il faudra beaucoup de temps et surtout un changement de garde démographique avant que l’aménagement de ces cours, nouvellement dégagées par la disparition des hangars, puisse faire son chemin dans les pratiques d’habitation. Longtemps, lorsque les gens parlaient de se « réapproprier » leurs ruelles, c’était surtout pour confortablement aménager une place à leurs voitures. Bref, dans les années 1980-90, on commençait à peine ce qui deviendra la vague de revitalisation/gentrification tranquille qui fera de certaines de ces ruelles des milieux de vie pour leurs riverains. Mais pour réussir cette métamorphose, ce n’est pas seulement les cours privées qu’il faudra transformer, mais toutes nos façons et raisons de donner de la valeur à l’espace central, la ruelle elle-même.

Les auteures, Mesdames Ariel Tarr et Florence Sara G. Ferraris, font d’ailleurs un excellent travail de nous faire suivre le cheminement, parfois assez pénible, qui a conduit certains groupes de riverains à mettre les ruelles au « centre », physiquement et métaphoriquement, des îlots urbains dans les quartiers centraux (et aussi dans quelques anciennes « banlieues », comme Ville-Émard, Côte-Saint-Luc et Verdun). Les auteures exposent bien les façons et approches variées entre les différents arrondissements, qui sont au cœur des résultats disparates. Où certains vont appuyer tous les efforts, petits et grands, d’autres apporteront leurs soutiens qu’aux interventions « lourdes » et systématiques, avec des aménagements qui transforment la ruelle de stationnement en exemple de résilience urbaine naturalisé. C’est dans l’arrondissement du Sud-Ouest où l’on trouve ces approches « intensive », souvent identifié comme modèles bleu-vert.

Sur les traces de Ruelles…

Dans les arrondissements centraux, on semble accepter souvent une approche moins systématique, où seule la mobilisation d’une poignée de riverains peut apporter des résultats tangibles. Les deux démarches ont certainement leurs validités en contexte. Mais dans la plupart des cas, on a envie de dire, comme le laisse entendre l’expression, qu’il ne faudrait pas que le mieux devienne l’ennemi du bien. Dans cette veine, les auteures nous rappellent le cas de la ruelle Demers, dans la prolongation de la rue du même nom dans la partie sud-est du Mile-End. Un documentaire iconique de l’ONF, Les fleurs c’est pour Rosemont (1969) présente l’histoire de 5 jeunes architectes fraichement sorties de l’école et qui tentent de faire œuvre positive dans ce coin isolé et à l’époque encore très « populaire », du Plateau. Le choc des cultures qui s’en suit est presque insoutenable, mais beaucoup de choses peuvent être comprises si l’on sait que cette ruelle est maintenant un des joyaux des ruelles vertes du quartier.

Ruelles est autant une source d’inspiration, pour qui aimerait se laisser emporter par le rêve d’un environnement urbain revalorisé qu’un guide « how-to », qu’un livre d’histoires racontées à la première personne de gens pour qui les ruelles ont offert un réconfort, des opportunités, des ami(e)s-voisins, même parfois une nouvelle carrière. À propos, les auteures nous proposent de nombreux portraits, dont celui de Léa Philippe, celle qui a eu l’idée de lancer le Festival des arts de ruelle.

Que ce livre-guide sur les ruelles des quartiers de Montréal puisse exister maintenant est bien le reflet de la renaissance heureuse qu’a connu cette typologie particulièrement montréalaise (1). Et après une longue période de dormance qui correspond à ces années d’une lente transition fonctionnelle et souvent aussi morphologique, même les gens pour qui ces nouvelles typologies d’espaces semi-publics n’évoquent rien de nostalgique sauront y trouver leurs comptes. Qui sait, certains pourront de plus se donner le goût de participer à la création d’un 3e lieu près de chez eux. Ce qui est certain, c’est que nous avons maintenant ce merveilleux petit guide pour aller à la découverte des ruelles. Dix parcours originaux, à travers presque tous les quartiers de la ville, ont été montés par les auteures et même Verdun, pourtant pas réputés pour ses ruelles, à trouver les faveurs d’un parcours; autant d’occasions de parcourir ces sentiers à peine dissimulés. Un bel été de parcours urbain en perspective, dans ces « coulisses de la ville ».



(1) Comme le rappellent les auteures, c’est une typologie urbaine qui se retrouve dans plusieurs anciennes colonies britanniques, mais dans l’ouvrage on parle de son expression montréalaise.

Tags Ruelles, Ariel Tarr, Florence Sara G. Ferraris, Montréal, Histoire urbaine

Abolir l'ère des créatures

April 4, 2024 John Voisine
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Libérer les villes—Pour une réforme du monde municipal. Maxime Pedneaud-Jobin, Les Éditions XYZ, Collection Réparation, 2023, 137 pages. Lu sur plateforme iBooks.

Une série sur les municipalités et la politique municipale au Québec [1 de 5]

On penserait qu’il serait plutôt facile de convaincre des gens comme nous, adjacents au monde municipal, que dans ce pays et cette province, il est temps d’enfin libérer les villes. Ces pauvres « créatures » de la province ne méritent-elle pas qu’on les dote d’un statut concomitant à leurs véritables fonctions de gouvernement, même du palier de gouvernement le plus proche du citoyen? Nos malheureuses cités et villes sont les « oubliés » de la constitution canadienne, laissée aux soins des provinces de les créer, si elles le veulent bien, et des garnir des pouvoirs qu’elles jugent appropriés. Le corollaire est, bien entendu, que les provinces peuvent aussi bien, du jour au lendemain, les dépouiller de ces mêmes pouvoirs. Elles peuvent de plus les dissoudre et effacer jusqu’à leurs existences toponymiques, comme plusieurs ont dû le vivre durant les fusions municipales du début du siècle.

Cette existence par procuration est pourtant une réalité assez universelle dans l’histoire des villes, autant ici, en Amérique du Nord, que dans le reste du monde. Si l’on fait exception de certaines cités-États, de quelques cités franches et de quelques principautés Européenne, toutes les entités urbaine, tous les territoires urbanisés ou « rurbain » doivent leurs existence à un état souverain qui lui est nécessairement, hiérarchiquement ou politiquement, supérieur. Selon les états, ce modèle fonctionne plus ou moins bien. Mais certainement, il donne toujours la possibilité à l’État d’avoir le dernier mot. Bien entendu, aucun État qui souhaite bénéficier d’une prospérité économique, appuyé par une vitalité intellectuelle et culturelle significative, ne va commencer à mettre des bâtons dans les rouages qui font tourner ses principales cités et villes. Il n’est toutefois pas rare de voir des États, qui sont la plupart du temps « provinciaux » dans tout ce que ce mot a de rétrograde, instituer des lois qui contraignent sérieusement les volontés plus progressistes de ses entités municipales. Près de chez nous, Montréal est l’exemple clé, avec un gouvernement provincial qui n’a de cesse de vouloir se faire du capital politique sur son dos, entre autres avec sur la question linguistique ou avec des mesures vexatoires adoptées sous le couvert fourbe de la laïcité (Loi 21). On ne mentionnera même pas la question du transport en commun, c’est trop douloureux. Dans la province voisine, Toronto est aussi la cible d’un gouvernement provincial hostile. Mais pour être honnête, même si ces deux métropoles étaient « libéré », il est difficile de concevoir comment ces dynamiques seraient évacuées.

Sur les traces de Libérez les villes…

Malgré un certain scepticisme qui ne nous quittera jamais vraiment tout au long de la lecture, accordons simplement les honneurs à Monsieur Maxime Pedneaud-Jobin, ancien maire de Gatineau. Il réussi dans cet opuscule à monter un argumentaire des plus convaincant pour cette cause louable de la « libération » des villes.

Il faut toutefois admettre plusieurs obstacles à faire ce type d’argument. L’auteur, en élidant ceux-ci, en essayant de les étouffer dans un silence sans écho, finit par dévaloriser les situations (nombreuses!) où une « libéralisation » serait de bon aloi. Montréal, Québec et même Laval auraient la capacité d’État-nation. Mais l’on ne doit pas oublier qu’il y a à peine 12 ans, Laval était depuis presque 25 ans sous l’emprise d’un maire qui plaidera coupable à des accusations de corruption, complot, fraude et gangstérisme. Montréal a aussi longtemps connu le règne d’un seul homme (sans la corruption, mais avec beaucoup de sclérose!). Combien d’autres administrations fonctionnent sous l’influence de « growth machines » locale ou régionale? En d’autres termes, il semble encore trop facile de faire une « capture » des instances municipales ou de les « détourner » de l’intérêt public. Dans les prochaines années, avec les situations difficiles qui vont surgir dû aux changements climatiques, cela ne va devenir que plus évident.

Cela dit, il est vrai que les villes doivent être libérées, pas vraiment de leurs conditions de « créatures », mais plutôt du cafouillis des lois et règlements qui les gouvernent. Comme le propose l’auteur, l’idée de mettre en place une « charte » des villes n’est pas vilaine et permettrait de constituer une base stable et pérenne. Une partie du travail a été fait par l’UMQ dans un livre blanc. L’auteur mentionne d’ailleurs qu’une des grandes difficultés des administrations municipales est de comprendre la gamme et l’étendue de leurs pouvoirs. Je suis de ceux qui analysent qu’elles en ont beaucoup, mais il n’est pas faux qu’avec la législation actuelle, il n’est pas facile de les cadrer. L’auteur aborde aussi la question des revenues, et sur ce point, je pense que le problème en est un de légitimité. Les municipalités ont de nombreuses sources de revenus potentielles (écofiscalité, loi 39, ententes, etc.), mais il est difficile de légitimer de nouvelles ponctions fiscales quand moins de 40 % des électeurs choisissent de voter aux élections municipales.

Pour le plaisir de la discussion et pour faire une propagande vigoureuse de la cause des villes, un livre à mettre dans toutes les mains.

Tags Libérez les villes, Maxime Pedneaud-Jobin, Administration municipale, Politique urbaine, Participation des citoyens, Série municipalité

À demeure

March 26, 2024 John Voisine
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Que notre joie demeure. Kevin Lambert, Héliotrope, 2022, 381 pages.

Série fiction — À tous les deux mois

Il n’est jamais facile de lire ou de regarder une œuvre de fiction qui se déroule dans un milieu familier. Toutes les failles ou maladresses qui font partie du récit ou des personnages nous apparaissent comme autant de miroirs déformants. C’est à ce moment que l’on se tourne vers son conjoint pour partager notre hilarité ou confusion face à l’histoire, et que l’on constate, oh horreur!, qu’elle est totalement absorbée et transie par ce qui nous paraissait, évidemment, d’un ridicule à détacher la mâchoire.

Dans ce roman, c’est un peu la sensation qui traverse le lecteur le moindrement accoutumé au rouage d’une firme privée de service. Ici, il s’agit d’un important bureau en architecture, mais il est facile d’imaginer toute une gamme de service; le type de clients sollicités et nécessaires à la poursuite et au succès de l’entreprise finit par avoir une influence directe sur les principaux de ces firmes. Il est vrai aussi que l’architecture est particulièrement vulnérable à ce type de déchéance, mais probablement rien de plus (et souvent beaucoup moins) que d’autres firmes similaires (oui, je parle ici de nos amis ingénieurs!), mais il est aussi vrai que tant qu’à se construire une fiction, c’est toujours plus chic et swell du côté architecture.

Kevin Lambert a eu l’instinct génial, avec son style et sa manière de construire les scènes de son roman, de donner amplement d’espace pour abandonner sans regret la lecture. Le très long chapitre qui ouvre l’œuvre ne sera jamais achevé sans une volonté affirmée, et ensuite, les épisodes de l’histoire se parcourent avec vigueur, grâce à la phraséologie « leste et immersive », vraiment, de Monsieur Lambert. Le roman est clôturé par un autre chapitre-fleuve, mais rendu là, on accepte le deal. Des noms familiers pour ceux qui connaissent le domaine sont lancés ici et là, comme Paul R. Williams et David Adjaye, en lien avec le deuxième personnage principal, mais aussi Lutyens et Roebling. Plus près de nous, mais malheureusement beaucoup moins connu, Alexander Durnford.

Le point le plus faible de l’œuvre est curieusement son personnage principal, une architecte née et ayant grandi ici, qui à 69 ans est mondialement connue et adulée, une égérie professionnelle de sa génération. Ce personnage stresse les limites de la crédibilité et de la crédulité. L’auteur a tenté d’en faire l’émule d’une vraie architecte, vraie lumière de sa génération (et au-delà), l’iraquienne et britannique Dame Zaha Hadid (1950-2016). Il aurait au moins fallu écrire son nom, quelque part dans ce roman.

Tags Que notre joie demeure, Kevin Lambert, Architecture, Capitalisme, Série fiction
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