L’innovation municipale—Sortir des sentiers battus. Gérard Beaudet et Richard Shearmur, Les Presses de l’Université de Montréal (PUM), 2019, 119 pages. [lu en version PDF sur Books]
À première vue et selon certains préjugés malheureusement bien implanté dans notre culture, il est difficile de trouver deux mots qui se contredisent autant que « innovation » et « municipale ». Pour innover, il faut vouloir aller au-devant des défis, contribuer une idée ou un processus dans un domaine souvent déjà bien implanté et établi dans sa façon de faire. En d’autres termes, avoir le courage et l’audace de proposer, d’entreprendre ou d’implanter des solutions nouvelles. Le monde municipal, pour sa part, est, semble-t-il, aux antipodes de cet esprit entrepreneurial qui cultive l’innovation. Fait de processus éprouvés, de tâches fixes et d’ouvrage avec comme seul critère d’exécution le plus bas coût possible, c’est parfois un parcourt périlleux et rempli d’embûche que l’employé municipal, le fonctionnaire ou le chef de service qui voudrait être le porteur d’une innovation doit franchir avant de la faire implanter.
Ainsi, la grande force de cet ouvrage sera, premièrement, d’effacer tout préjudice que nous pourrions avoir sur la possibilité d’une « innovation municipale » et, deuxièmement, de nous ouvrir les yeux sur l’immense potentiel latent en termes d’innovation à ce niveau de service public et de gouvernance.
Prenant simultanément prétexte des 15 ans des prix Mérite Ovation municipal, décernés annuellement par l’Union des municipalités du Québec (UMQ) et des 100 ans d’existence de cette organisation, la commande avait été donnée aux professeurs et urbanistes bien connus du milieu (chacun à sa façon) Gérard Beaudet et Richard Shearmur de faire un historique/bilan/survol de l’innovation telle qu’elle se conjugue dans le monde municipal. Les auteurs ont aussi servi quelques années sur le jury qui évalue et sélectionne les candidatures gagnantes et récompensent, justement, selon plusieurs catégories, ces innovations issues des municipalités de la province.
En fait, dès le premier des quatre chapitres de l’ouvrage, le lecteur est amené à constater que le monde municipal doit, depuis ses origines et par le fait même de ses fonctions, être à la source de plusieurs innovations, autant sur le plan pratique (dans sa manière de faire ses prestations de services) qu’en réponse aux enjeux fluides qui affectent ses populations au fil des époques.
Sur les traces de L’innovation municipale
En plus de la mise en contexte historique contenu dans le premier chapitre, informative, originale et calquée aux particularités de la province, c’est le deuxième chapitre, consacré à l’innovation en terrain municipal, qui est essentiel et persuasif. Les auteurs y assoient les paramètres nécessaires pour distinguer la notion d’innovation de son association conventionnelle avec le monde entrepreneurial (privé), pour l’accorder et le caractériser dans son acception municipale (le service public). Outre le fait de découler de motifs bien différents qu’en entreprise, la finalité de l’innovation en milieu municipal est toute autre que celle du secteur privé ; pas question ici de se permettre des externalités nuisibles à la collectivité à la suite de l’implantation de l’innovation ! En dernier lieu, même si la recherche du profit ne sera jamais l’impulsion première de l’innovation municipale, cela ne veut pas dire que les contraintes financières (de budget) ne peuvent pas en être à la source. En effet, la plupart des innovations, qu’elles soient entrepreneuriales ou municipales, trouvent racines dans une contrainte à surpasser ou à exploiter.
Les auteurs font aussi une analyse de la distribution des lauréats et de l’évolution du prix Ovation depuis son introduction en 2004. En fait, il est intéressant d’apprendre qu’il a été conçu après qu’un rapport du Conseil de la science et de la technologie du Québec (aboli) en arrivait à la conclusion que l’innovation dans l’univers municipal ne savait pas se reconnaître ; difficile d’encourager l’émulation dans ces circonstances. Sur cette note, il est enfin aisé d’aller sur la page Mérite Ovation Municipale de l’UMQ pour s’informer des projets innovateurs lauréats depuis 2015 (les autres se trouvent dans la revue de l’UMQ, ou le rapport annuel).
Je termine avec quelques découvertes apportées par la lecture du livre. Sur les sociétés distinctes de nos banlieues cossues montréalaises : Des sociétés distinctes—Gouverner les banlieues bourgeoises de Montréal, 1880-1939. Pour en découvrir plus sur les innovations citoyennes en milieu rural, Sainte-Camille, le pari de la convivialité semble intéressant. Et finalement, pour un primer sur le monde de la gouvernance municipal de la province : Introduction à la vie politique municipale québécoise.