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Wellington | Fabrique urbaine

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Verdun, Québec H4G 1R3
514-761-1810
L'urbanisme en pratique

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Wellington | Fabrique urbaine

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URBS+ : Abréviation d’urbanisme, mais quand même un peu plus. Une revue hebdomadaire d’ouvrages et d’œuvres avec comme point commun un intérêt pour l’univers urbain, qui est aussi l’univers ultime de l’être humain.

Se donner

July 11, 2024 John Voisine
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The Organization man. William H. Whyte, foreword by Joseph Nocera, University of Pennsylvania Press, 1956 (2002), 429 pages.

Cette chronique fait partie d’une série sur l’auteur urbain William H. Whyte (1917-1999)

This book is about the organization man. C’est avec cette phrase simple et affirmative, caractéristique des écrits de William H. Whyte, que débute ce livre qui, avec le néologisme composé « organization man », inventé par l’auteur, finira par définir un genre, une époque et certainement les hommes de cette classe. Ils se porteront en étendard d’une génération et au-delà, comme l’avant-garde d’un nouveau type, à la fois bien distinctif, mais qui, par définition, se fond dans le groupe pour devenir un composite quasi anonyme. Le « organization man » que nous rencontrons ici pour la première fois est celui qui nous semble maintenant si trompeusement familier, grâce à des œuvres contemporaines comme The Man in the Gray Flannel Suit (cité dans The Organization Man); ou torturé par une existence en demi-teinte, on le retrouve dans Revolutionary Road et bien sûr, on retourne à cette riche veine dans une série qui nous est contemporaine, comme Mad Men [1], pour ne nommer que ceux qui nous seront familiers. Que le type persiste en tant que représentation d’une époque, même soixante ans après son installation dans l’imaginaire de nos sociétés américaines en dit beaucoup sur sa capacité pérenne à modeler nos environnements, autant métaphorique que physique.

Pourtant, ce que nous croyons être cette familiarité est probablement ce qui masque encore si bien le véritable propos que voulait nous livrer Holly Whyte. Oui, l’homme de l’organisation, comme nous l’appellerons ici, était clairement un genre nouveau de travailleur. Ni tout à fait un col blanc professionnel, certainement pas un homme de plancher (un col bleu) sur la chaine de production, mais pas vraiment un leader et encore moins un capitaine d’industrie. Il ne jouait plus en tous points le rôle de simple « chemise blanche » du travailleur de bureau en entreprise d’avant la Deuxième Guerre. Ces hommes, qui avaient combattu en tant que soldats ou officiers juniors dans cette guerre aux contours moraux sans ambiguïté ou qui venaient juste d’atteindre l’âge adulte à sa sortie, étaient maintenant engagés dans une autre forme de conscription collective. Mais durant cette nouvelle décennie d’après-guerre, on allait plutôt s’attaquer à fournir aux nouveaux consommateurs issus de ce conflit un maximum de biens, les meilleurs services et la fine pointe des innovations techniques et scientifiques. Tout ça dans une société aux vertus saines et solides, incontestables.

Cet esprit de corps dans la mission et la fidélité dans l’enthousiasme envers « l’organisation » sont véritablement des caractéristiques de cette classe.

Sur les traces de The Organization Man

Dans une société qui se voulait pourtant dynamique et capitaliste, ce choc des saines vertus collectives, qui se construisaient grâce à un dévouement coopératif qui mettait en veilleuse les nuances individuelles, est au cœur des tensions irrépressibles diagnostiquées par l’auteur. Non seulement l’homme de l’organisation est-il prêt à étouffer une partie de sa personnalité pour le bien du groupe et à donner son temps et le meilleur de lui-même à la tâche, mais surtout, à garder pour lui ce qui le rend distinctif (d’où la caricature de l’uniforme gris—The Gray Flannel Suit), mais encore, on l’aura convaincu de le faire avec enthousiasme et zèle. Holly White démontre qu’une suite d’instruments ont été détournés de leur utilité première (dans le domaine des analyses psychologiques) pour servir à choisir de la masse des hommes, ceux qui se mouleront au service de l’organisation. Surtout, il brosse le tableau des conséquences de cet état de fait, en ce qui a trait aux possibilités d’avancement scientifique fondamental, autant dans les sciences techniques que des connaissances humaines. En sélectionnant pour la conformité à l’adaptabilité organisationnelle, lorsque c’est le contraire qui devrait être la norme, ont se trouve à augmenter dramatiquement les risques de stagnation. L’auteur cite deux cas, en forme de contre-exemple : General Electric et Bell Labs. Il faut donc souligner que Whyte ne cherche pas seulement à faire le portrait de cette situation troublante, mais que l’ouvrage constitue surtout un appel à dépasser ce confort rassurant et trompeusement harmonieux de « groupthink » des milieux organisationnels.

En plus du portrait de l’homme de l’organisation dans son milieu « naturel », les derniers chapitres, regroupés dans la partie VII—The New Suburbia: Organization Man at Home, vaut à lui seul le détour. L’auteur montre comment ces premières « package communities » (dans le cas présent, la récente banlieue de Park Forest), ont vite évoluées, en symbiose avec les besoins et les aspirations de cette nouvelle classe de la classe moyenne, essentiellement composés de familles nucléaires blanches (papa au travail, maman à la maison, souvent une voiture, très rarement deux, mais avec un enfant au minimum). Ce sont des communautés qui se voulaient « classless », mais surtout pas « colorblind », allant jusqu’à faire de la piscine communautaire un club privé, pour ne pas avoir à accueillir les jeunes noirs de la ville de Chicago, toute proche.

Malgré les presque 70 ans écoulés depuis la parution de l’ouvrage, toujours un propos terriblement pertinent.


[1] Les hommes représentés dans la série Mad Men ne sont pas exactement des « Organization Men », surtout parce qu’ils bénéficient d’une capacité de « self-actualization » dont l’homme moyen dans une organisation, même durant l’époque de gloire de « l’Organization Man », ne peut que rêver.

Tags The Organization Man, Sociologie du travail, Psychologie organisationnelle, Suburbia, Série William H. Whyte

La banlieue, amendée

May 5, 2022 John Voisine
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Suburban Nation—The Rise of Sprawl and the Decline of the American Dream. Andres Duany, Elisabeth Plater-Zyberk, and Jeff Speck, North Point Press, 2000, 293 pages.

Sprawl Repair Manual. Galina Tachieva, Island Press, 2010, 304 pages [e-book lu sur plateforme Adobe Digital Edition]

Mon exemplaire de Suburban Nation date de sa parution, en 2000, il y a donc plus de vingt ans. L’édition courante est de 2010, mais le seul élément qui semble avoir changé, si l’on se réfère à la page de l’éditeur, est l’ajout d’une préface. Dans le cas du deuxième livre, la seule édition est toujours la première, de 2010 également, soit immédiatement après la crise (essentiellement immobilière) de 2007-2008. Nous vivons encore bien fermement dans le monde de l’étalement suburbain décrit et fermement décrié dans ces deux ouvrages. Cet étalement, cette forme urbaine sans cadre ni contour, cette banlieue si étendue qu’elle se métamorphose continuellement sans jamais prendre consistance urbaine, est pourtant le substrat sur lequel notre futur urbain devra se construire.

Lorsque l’on réfléchit le moindrement à cette situation, on se rend compte que ceci est probablement une des caractéristiques désirées et même hautement recherchées des ensembles émergeant de l’étalement : ne jamais, d’aucune façon, d’aucune manière, pouvoir constituer ou faire de cette étendue asphaltée autre chose qu’un non-lieu urbanisé; surtout pas une ville.

Dans les dix/vingt ans depuis la parution de ces ouvrages, j’ai parfois cette impression que les fenêtres d’opportunités de la reconstruction ou de la refondation, sur les bases d’une certaine urbanité à même les assises de l’étalement, ont diminuée ou se sont compliquées au point de devenir des mirages; des figures clairement imaginable, mais matériellement illusoire. Le fait que ces deux livres parlent d’un moment à saisir pour reconfigurer nos banlieues, pour le mieux-être de l’humanité et de l’environnement, mais qu’en rétrospective ce moment n’apparaît jamais s’être coalisé, en dit beaucoup sur la réalité des obstacles financiers, structurels, idéologiques et institutionnels (réglementaires) qui se trouvent toujours fermement en travers la route de ceux qui pensent autrement qu’en multiple de cul-de-sac.

Le premier groupe d’auteurs (Duany/Plater-Zyberk/Speck) font partie des membres fondateurs du Congress for the New Urbanism (CNU), ironiquement modelé sur les CIAM. L’auteure du deuxième volume est une partenaire de la firme DPZ et a ainsi activement participé à l’élaboration des concepts et outils proposés dans son manuel.

Sur les traces

La difficulté ne repose pas seulement dans la viabilité ou le réalisme des propositions détaillés dans ces deux livres (même s’il y a parfois un peu de cela, surtout dans le Sprawl Repair Manuel). Les auteurs de Suburban Nation sont aussi les fondateurs et partenaires toujours très actifs de DPZ, une des plus importantes firmes américaines en urbanisme de retissage des environnements urbains et suburbains. En d’autres termes, ils sont parfaitement au courant des défis parfois irréconciliables que représentent ces mandats. Ils admettent bien volontiers que certaines propositions, considérées comme essentielles dans le travail de réconciliation urbaine, n’ont jamais réussi à «passer», comme la reconnexion de rues dans des secteurs adjacents, mais socioéconomiquement différencié. Montréal n’est pas en reste sur ce plan (TMR/Parc-Extension, les municipalités le long du boulevard Cavendish, etc.).

Le Sprawl Repair Manuel est très fidèle à son type; une présentation très pratique et abondamment illustrée de solutions de densification, de diversification et d’urbanité pour tous les types possibles et imaginables de banlieues, de fissure urbaine ou d’étalement, peu importe l’échelle ou le lieu. La méthodologie proposée pour approcher ces défis m’apparaît appropriée, mais l’opportunité de voir s’aligner les acteurs et les conditions pour réaliser les opérations nécessaires relève, dans la majorité des cas, de circonstances quasi miraculeuses. Le manque d’exemples concrets (précédents) en fait foi. L’angle aveugle de l’auteur sur la question du stationnement (sur la nécessité de sa restreinte et de sa tarification, voir Shoup) et la nécessité de coordonner le transport public et les modes actifs est surprenant. De plus, les illustrations indiquent souvent une intensification, sur un lieu donné, de l’ordre de plusieurs centaines ou dizaines de milliers de personnes; peu crédible dans notre contexte démographique ou sans une politique d’immigration généreuse. On se retrouve quand même avec un bon manuel, lorsque ces astres s’aligneront.

Le livre du couple Duany/Plater-Zyberk et leur coauteur, Jeff Speck, est excellent comme outil de réflexion, de diagnostic et manuel de préparation pour le long et difficile travail de réconciliation du tissu urbain et naturel de l’habitat suburbain. Lorsque cet exercice devient possible, Suburban Nation permet de construire une fondation solide pour la réussir.


La semaine prochaine, avant de se lancer dans une série de plus de deux (2) mois sur l’habitation et le logement, un petit détour pour examiner un ouvrage sur une question parallèle et parfois reliée, soit celle du patrimoine et de l’héritage bâti (tel qu’applicable au Québec du moins), L’habitude des ruines—Le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec.

(2022-05-12 : le texte sera publié le lundi 16 mai. Une liste des livres examinés dans la série « habitation et logement », avec leurs dates de publication, est disponible en première page, ici.)

Tags Suburban Nation, Sprawl Repair Manual, Duany Plater-Zyberk Tachieva, Suburbia, Suburb repair

L'utopie ordinaire

April 28, 2022 John Voisine
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Bourgeois Utopias—The Rise and Fall of Suburbia. Robert Fishman, Basic Books (Perseus Books), 1987, 208 pages.

Si la banlieue a connu plusieurs incarnations depuis ses premières manifestations dans l’Angleterre préindustrielle, un des éléments inattendus que ce livre vient mettre en relief est le rôle fondamental joué par le mouvement évangélique (tel que représenté par William Wilberforce et particulièrement la secte de Clapham). On parle ici d’un mouvement qui a réussi, en définissant cet idéal résidentiel autonome pour elle-même et la bourgeoise en général, l’invention et la mise en œuvre de son propre coin de paradis.

En prenant les pourtours de Londres comme toile de fond pittoresque, mais trouvant sa véritable expression dans des cités industrielles comme Manchester ou Liverpool, la périphérie des villas de weekends et de vacances passe rapidement à résidence permanente de la famille bourgeoise. Se produit aussi, fin 18e, début 19e siècle, un glissement idéologique, matériel et même théologique qui insuffle un sens nouveau au noyau familial. Jusqu’alors composée d’un large groupe habitant sous un même toit au cœur de la ville marchande, ce qui incluait le personnel de service, mais surtout les apprenties attachées au maître de maison ou au maître d’œuvre (à la Chippendale), la famille se recentre sur son «coeur», soit les parents, les enfants et plus rarement quelques membres de la belle-famille. On cherchera alors à loger cette famille recentrée loin des tentations et des influences perverses de la ville, surtout afin de préserver et d’offrir un milieu sain pour les plus jeunes et les membres féminins de cette nouvelle famille bourgeoise.

Selon cette nouvelle idéologie ayant cours dans la haute bourgeoisie britannique, c’est en faisant construire ces résidences sises dans un pittoresque naturel et isolées des caprices urbains que la femme du foyer allait créer cette oasis de paix pour son homme et sa famille. Ces nouvelles résidences se construisent aussi dans la plus grande fièvre spéculative ; harmonie entre Dieu et l’intérêt pécuniaire. Dans les grandes villes industrielles de la première moitié du 19e siècle, la résidence familiale bourgeoise allait ainsi continuer à s’isoler loin du centre urbain, qui se videra de cette présence pour mieux intensifier sa fonction commerciale. C’est ce modèle qui inspirera les précurseurs américaines comme Frederick Law Olmsted, Andrew Jackson Downing et Catharine Beecher.

Sur les traces de Bourgeois Utopias

Pendant que le processus de suburbanisation se poursuivra vers des formes architecturales et urbaines particulières dans l’Angleterre victorienne et aux États-Unis avec le développement des banlieues pittoresques (Llewellyn Park, Riverside, Illinois) et de tramway (streetcar suburbs), la France connaîtra une concentration de ses élites dans son centre urbain parisien, un processus clairement explicité ici par l’auteur. Encore aujourd’hui, le sens (symbolique, urbanistique et architectural, sociologique et démographique) du mot «banlieue» est très différent dans l’Hexagone. La capitale française en est l’exemple premier et Monsieur Robert Fishman prend soin de décortiquer en quoi la symbiose si unique entre l’État français, le monde de la finance et les grands entrepreneurs en construction de l’époque, durant les dix-sept ans du Baron Haussmann à la préfecture parisienne, va loin pour expliquer cette occupation continue et le maintien du centre urbain comme lieu de prestige, autant à des fins commerciales, financières et surtout dans le cas qui nous concerne, résidentiel.

Tout au long de l’ouvrage, le point particulier que cherche à faire l’auteur est que la banlieue, comme développé aux États-Unis, trouve ses origines dans la banlieue anglaise pré et postindustrielle; cet argument est en contraste avec l’autre classique de la même époque, Crabgrass Frontier, qui au contraire met l’accent sur l’originalité de la banlieue américaine. Les deux démarches font sens et ne s’opposent pas fondamentalement; une lecture attentive apporte surtout des perspectives complémentaires plus que contradictoires.

Un chapitre unique à cet ouvrage est celui sur le développement de Los Angeles, la «suburban metropolis», sans pair et sans pareille, qui avait presque réussi à nous faire croire à son mirage, du moins jusqu’à l’éclatement de ses contradictions dans les années 1960 avec Watts. Le passage d’un étalement presque idyllique (avant le cauchemar du track housing systématique), soutenu par les «Red Cars», au rejet de ce mode pour l’automobile, détruisant ainsi la possibilité d’une centralisée naissante, le tout exacerbé par une spéculation foncière aux intérêts politiques et financiers inextricables, est d’une tristesse assez lourde, surtout à la lumière de ce que nous savons aujourd’hui.

Pour demain, Technoburb, diffusion à la H.G. Wells ou Broadacre City à la F. L. Wright? Je ne sais pas vraiment, mais la semaine prochaine, nous allons voir s’il serait possible d’amender la banlieue existante.


La semaine prochaine (5 mai), un doublet de livres pour fermer cette série sur la banlieue : Suburban Nation—The Rise of Sprawl and the Decline of the American Dream et Sprawl Repair Manual en guise de message d’espoir?

Tags Bourgeois Utopias, Robert Fishman, Suburbia, Urban history, Urban sociology

La face cachée des rêves

April 21, 2022 John Voisine
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Bourgeois Nightmares—Suburbia, 1870-1930. Robert M. Fogelson, Yale University Press, 2005, 264 pages

La question brûlante qui tenaillait les familles et les investisseurs des premières banlieues américaines était à la fois bien simple et complexe dans sa résolution éventuelle : comment assurer la permanence, l’intégrité conceptuelle et physique de ce nouveau coin de paradis résidentiel? Comment en assurer l’usage exclusif résidentiel et préférablement même unifamilial? Comment s’assurer que seules les «bonnes personnes», de caractère et de mœurs inexpugnables, puissent se construire dans ces nouveaux domaines qui poussaient partout sur les côtes est, ouest ou même au centre des États-Unis en cette fin de 19e, début 20e siècle? On parle d’une époque d’avant le zonage, souvent dans un territoire hors de toute gestion municipale. Pour comprendre les solutions apportées à ces questions, parfois surprenantes, moralement dépravées lorsqu’elles ciblaient des personnes, toujours restrictives et contraignantes, rien de mieux que le parcours offert dans ce livre, recherché exhaustivement et exposé clairement par Monsieur Robert M. Fogelson.

On pourra s’étonner que c’est dans le pays de la suprématie du droit de propriété, une notion si fondamentale qu’elle se trouve enchâssée dans un article de leur constitution, que s’est développé au fil des décennies une armature solide, autant privée (contractuel) que public (zonage) de contraintes et de restrictions robustes à ce droit. Ce livre porte essentiellement sur la période où la prévalence des restrictions venait du côté privé, codifié dans des documents contractuels (Covenants, Conditions & Restrictions, souvent abrégé en CC&R) signés au moment de l’achat du lot. En fait, avant 1942, l’essentiel des domaines de banlieue était simplement des lots de terrains pourvus de rues, d’un aménagement paysager plus ou moins sophistiqué, d’équipement sanitaire plus ou moins élaboré et offerts à la vente. L’heureux acheteur était ensuite responsable du reste, de la conception à la construction de sa nouvelle demeure.

On peut comprendre que ce montage du marché immobilier impliquait des risques assez fabuleux, autant pour le promoteur de l’ensemble des terrains (investissement majeur en amont) que pour l’acheteur (que ce soit une famille ou un investisseur-spéculateur). D’ailleurs, il n’était pas rare pour un développeur de ne pouvoir faire un profit qu’après la vente du dernier tiers des terrains.

Plus loin dans la lecture

On comprendra mieux alors le jeu délicat nécessaire à l’atteinte de ce double objectif : du point de vue du promoteur, maintenir la viabilité des terrains jusqu’à ce que la totalité soit vendue, et du point de vue de l’acheteur, maintenir la réalité matérielle d’une banlieue idyllique. C’est une époque avant les prêts hypothécaires 25-30 ans (il fallait amortir sur 3-5 ans), où l’achat d’un terrain et la construction d’une résidence unifamiliale représentaient un risque considérable, même pour les plus fortunés. C’est ainsi que pour juguler le glissement qui peut s’enclencher si l’une des parties compromet ce fragile équilibre, les clauses restrictives deviennent vite de plus en plus courantes et contraignantes, peu importe le discours culturel prévalant sur le droit de disposer à sa guise de sa propriété.

Loin de faire fuir les acheteurs, les clauses restrictives seront au cœur des campagnes de vente, du plus simple, avec quelques règles se résumant en une page jusqu’au livret réglementaire, avec des restrictions touchantes autant à l’aménagement, à l’architecture, à l’usage et à la «qualité» des acheteurs. À l’exception des wasps, tous les groupes humains et religieux seront, selon l’époque et le lieu, bannis des développements. Mais la pleine immoralité de ces restrictions tombera bien sûr sur les Noirs et les juifs, et dans certaines régions, les catholiques. Toute cette catégorie d’interdits sera prohibée à partir de 1917 par la Cour suprême (Buchanan vs Warley), mais il faudra attendre 1948 pour que la Cour (Shelley vs Kraemer) mette fin à leurs mises en application. Selon la localisation géographique, on pouvait assister à de grandes variations dans le type de restrictions, comme dans le cas de la grande région de Los Angeles avec l’interdiction de la prospection et de l’exploitation pétrolière, ou ailleurs avec l’interdiction d’animaux domestiques (poulets, vaches, chevaux, etc.) ou d’élevage (porcs, chèvres).

Avec le début des règlements de zonage, dans les années 1920 (SZEA et SCPEA), et le passage d’une époque où les subdiviseurs contrôlaient le marché à l’époque des promoteurs immobiliers (d’un J.C. Nichols à un W.J. Levitt), la nature et la variété des contraintes changent, mais demeurent robustes et efficaces, quoique souvent invisibles aux non-initiés.


La semaine prochaine, la série se poursuit avec Bourgeois Utopias.

Tags Bourgeois Nightmares, Robert M. Fogelson, Suburbia, Urban history, Restrictive convenants

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