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Wellington | Fabrique urbaine

3516, rue Gertrude
Verdun, Québec H4G 1R3
514-761-1810
L'urbanisme en pratique

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Wellington | Fabrique urbaine

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URBS+ : Abréviation d’urbanisme, mais quand même un peu plus. Une revue hebdomadaire d’ouvrages et d’œuvres avec comme point commun un intérêt pour l’univers urbain, qui est aussi l’univers ultime de l’être humain.

An Island on the Land

June 5, 2025 John Voisine
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Southern California—An Island on the Land. Carey McWilliams, Inlandia Books, 1946 (1973), 387 pages. Lu en format PDF dans Apple Books.

Bien entendu, en s’engageant dans un ouvrage comme celui d’un auteur sans frontière comme Carey McWilliams, on est certain d’avoir une bonne dose d’histoire et de récits sur cette terre aguichante et rêvée que représente pour la plupart d’entre nous la Californie du Sud. C’est sur ce territoire qu’on trouve Los Angeles, Berkeley, Hollywood, San Jose, les montagnes, le meilleur de la côte pacifique, le désert et des terroirs si fertiles qu’avec une source d’eau, tout peut pousser. L’histoire que nous offre McWilliams de sa terre adoptive (il est né au Colorado) n’en est pas une, pour autant, qui repose uniquement sur les forces naturelles et irréductibles de l’environnement de la Californie du Sud. On ne se le cachera pas, avant que cette partie du monde soit connue pour autres choses, c’est surtout grâce à ses ressources « naturelles », comme l’agriculture de masse (oranges, citrons, Sunkist) et à son climat, que cette « île sur la terre » a fait sa réputation. Son environnement et ce climat unique, qui se traduit par une météo sans faille propices à l’émergence d’un tourisme du bien-être et à la création d’une « riviera » du sud-ouest américain. Sur une note moins festive, ce climat est aussi à la racine de l’apparition de plusieurs groupes sectaires millénaristes et de la mouvance mauve du nouvel âge. McWilliams était un observateur attentif lors de cette émergence, en terme de chronologie et de localisation et nous en fait une chronique parfaite.

Déjà qu’avec le titre, la notion que ce territoire possède les caractéristiques d’un lieu isolé tout en étant on the land, connecté au reste du continent, nous est parfaitement communiqué. McWilliams, chapitre après chapitre (c’est quand même 380 pages d’une typographie compacte) met la table pour nous préparer à être confortable dans cette position de témoin des comportements les plus vils, de ceux que l’isolement et l’impunité engendre, et aussi de ceux que seul un public à la fois captif (dans l’insularité) et préalablement sélectionné (par le boosterism sud-californien) peut produire. À différent degré, tout est une question de promotion sur ce territoire, et qui dit promotion dit à la fois exagération (de bonne guerre) et mensonges (pour cacher le prix de cette guerre). Chaque chapitre lève le voile et nous permet de voir et comprendre ce prix, qui tomba de manière impitoyable sur les populations locales indigènes et de manière différente, mais tout aussi écrasante, sur la population immigrante asiatique. Dans les circonstances, le génie du boosterism sud-californien a été de laisser croire qu’on avait tous une chance face à l’adversité d’un territoire où tout était à faire.

EN COMMENÇANT PAR LES AUTOCHTONES, si bien « assimilés » par les missions franciscaines qu’au moment de faire les bilans, ils purent facilement être reformatés dans de belles petites cases folkloriques pour ensuite efficacement les exhiber à des fins touristiques. Même les personnes qui avaient consacré leur existence à changer les choses, comme Helen Hunt Jackson, agirent (comment pouvait-il en être autrement?) de manière très « 19e siècle », c’est-à-dire sans réciprocité de la part des communautés visées par l’aide. En finale, on se retrouve avec une opération qui s’avère une source d’enrichissement personnelle et de propagande jovialiste pour touristes et migrants. Avec le temps, dans le Sud californien, ce sont souvent les mêmes. D’ailleurs, le taux de migration interne, des États du centre et de l’Ouest américain est si important qu’on dira que « NYC is the melting pot for the people of Europe, and LA, the melting pot for the people of the United States ».

Le tourisme est justement au cœur de la croissance économique et démographique de cette partie sud de la Californie. Tous les promoteurs, durant cette période (1890-1930) semblent s’être donné rendez-vous et avoir convergé sur cette partie du monde pour en faire la promotion comme l’ultime paradis terrestre, et ceci autant sur le plan matériel que spirituel. L’auteur fait un excellent travail en démontrant comment cette island on the land qu’est le Sud californien a su exploiter tous les leviers de son exceptionnalisme et convaincre tout un chacun que son rêve, peu importe sa teneur, allait trouver sa réalisation sur terre (et au-delà), si on voulait juste acheter un morceau de la banlieue de Los Angeles. Le fait qu’au plus fort de la vague d’immigration et de tourisme, LA vivait aussi l’âge d’or de son réseau de Little Red Cars, coordonnés qu’ils étaient avec ces nouvelles banlieues, est un des facteurs qui a contribué, le temps d’une génération, cette image d’abondance harmonieuse pour tous. McWilliams était au cœur de cette convergence exceptionnelle, puisqu’il est arrivé à LA en 1922. Par inclinaison personnelle et professionnelle, il a commencé immédiatement à parcourir autant l’avant que l’arrière-scène de sa nouvelle existence californienne et en a extrait des chroniques remplies de cette perspective incisive, sans jamais se dérobé de la vérité. Cet ouvrage est la compilation de presque trente ans de ce travail d’un observateur empathique pour cette réalité émergente, à la fois irrésistible et glauque, qui est maintenant aussi la nôtre.

Tags Southern California, Carey McWilliams, Série LA, Histoire urbaine, Los Angeles

Le second souffle

August 8, 2024 John Voisine
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The Exploding Metropolis. William H. Whyte (Editor), foreword by Sam Bass Warner, Jr., University of California Press, 1993 (1957-58), 193 pages.

Cette chronique fait partie d’une série sur l’auteur urbain William H. Whyte (1917-1999)

Sur les cinq auteurs donc les textes sont rassemblés pour former les propos de cet ouvrage, seuls deux noms nous sont encore bien connus, soit celui de Jane Jacobs, bien entendu et, dans une moindre mesure, celui de William H. Whyte, qui est aussi l’éditeur de cette collection. La publication originale est parue en 1957, soit juste avant le déploiement, avec l’argent du gouvernement fédéral américain, du réseau des « interstates ». Une fois complété à l’échelle nationale, après 15 ou 20 ans, selon les endroits, ce réseau allait finir par traverser et relier tous les états continentaux des États-Unis. Bien entendu, ces autoroutes devaient aboutir, et encore grâce à l’argent du fédéral (90 % des coûts) et au contrôle des départements de transport des États [1], cela se faisait au détriment des pourtours et des centres urbains. Au moment de la réédition de l’ouvrage, en 1993, le réseau autoroutier national (et même international, puisqu’il traverse les frontières de tous les États-nations des Amériques) était essentiellement complété. Mais il est remarquable que seul deux des auteurs (Holly Whyte et Jane Jacobs, justement) pouvaient entrevoir l’irréversible poindre à l’horizon. Nous vivons tous maintenant sous le soleil cuisant de cette tragédie quotidienne.

L’édition 1993 contient aussi un avant-propos de Sam Bass Warner Jr, un nom qui sera peut-être reconnu par ceux qui auront eu la chance d’être en contact avec son ouvrage sur les « streetcar suburbs » et comment ceux-ci ont aidé dans le développement de Boston. Sa perspective fraiche, écrite avec plus de trente ans de recul sur la publication originale, lui donnera l’opportunité de faire des remarques essentielles. Comme sur la « crise du logement » et le fait qu’en ce domaine, il était même alors notoire qu’autant l’entreprise privée que l’initiative personnelle étaient des échecs, et que laissé à eux-mêmes, ne pourront jamais répondre à la demande. Est-ce la raison que même dans un ouvrage écrit à presque 70 ans de nous, dans le chapitre Are Cities un-American?, le propos de Whyte est occupé par les questions d’insuffisances de logis, de sa piètre qualité et d’un manque dans la diversité du parc de logements offert aux ménages urbains de 1957? Plus généralement, il s’interroge sur la dégradation des standards de design qui faisait que les nouveaux ensembles d’habitation ne semblaient plus miser sur les forces inhérentes à la ville, soit sa densité et sa capacité à rapprocher les gens et services, en intégrant ceux-ci à même les bâtiments.

Sur les traces de The Exploding Metropolis

Cette concentration (pour ne pas dire cette densité) des emplois, des services et des attractions, n’est-ce pas là le milieu parfait pour élever une famille, vivre une vie de bohème ou poursuivre une existence bien remplie sans les encombrements et l’ancrage matériel dépensier généré par une vie en deuxième, troisième ou même quatrième couronne? Surtout depuis qu’il est nécessaire d’assumer soi-même tous ses déplacements, l’accessibilité aux emplois et aux services étant entièrement privatisée via l’automobile? Dans les circonstances, n’est-il pas logique qu’un ménage avec ou sans enfants puisse souhaiter bénéficier de l’autonomie d’une existence urbaine centrale, dans un environnement où tout est accessible à pied, en transport actif ou en commun? En 1957, Whyte expose ces questions dans le premier chapitre et arrive à cette conclusion, mais qui, semble-t-il, doit toujours être réaffirmé : la ville est gagnante lorsqu’elle mise sur ce qui fait sa force, la raison de son existence, soit sa capacité à rassembler une pluralité d’intérêt dans un lieu géographique relativement concentré. Dans ce livre dont il est l’éditeur, William H. Whyte réussit, avec un questionnement toujours pertinent pour notre vingt-et-unième siècle, à faire passer ce point essentiel. Il est de plus appuyé brillamment dans cette tâche par Jane Jacob, dans son chapitre, Downtown Is for People. Elle nous rappelle que tuer l’énergie frénétique de la rue équivaut à éteindre la ville, qu’il faut que les gens puissent vivre, travailler, commercer et produire en ville et que l’attention experte sur l’efficacité des fonctions (circulation, zonage, usages, etc.) de la ville et la volonté de « clarifier » et « d’ordonner » celles-ci est certainement ce qui nous aveugle sur les besoins des véritables moteurs de la ville, c’est-à-dire les gens.

Les auteurs de l’ouvrage contemplaient la ville qui avait été rêvé au début des années 1930, avec une place généreuse à l’automobile et en constataient déjà les périls. Autant les trois autres auteurs parlent des pathologies qui affectaient les espaces métropolitains, autant cette lecture relève plus, pour nous maintenant, de l’épistémologie. Ai-je besoin de dire que cela ne nous couvre pas de gloire? Le chapitre 2 est presque un plaidoyer pour une meilleure accommodation de l’automobile et le chapitre 4, sur les « slums », est entièrement encapsulé par les orbières de son temps.

On prend connaissance de ce livre pour extraire le meilleur des analyses simples et claires de William H. Whyte, de Jane Jacobs et, comme si besoin il y avait, du travail colossal encore nécessaire.


[1] Trop heureux partout de faire du même coup du « slum clearance » et du « Urban Renewal » qui était tout sauf;

Tags The Exploding Metropolis, William H. Whyte, Histoire urbaine, Métropole, Série William H. Whyte

"Les coulisses de la ville"

April 11, 2024 John Voisine
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Ruelles. Ariel Tarr et Florence Sara G. Ferraris, La courte échelle—Parfum d’encre, 2024, 255 pages.

Je ne conserve aucune nostalgie des quelques ruelles que j’ai connue durant mon enfance. C’était généralement des endroits d’une propreté douteuse, asphaltée, rugueuse, étouffante et qui n’offraient que peu d’éléments positifs et une tonne de composantes rébarbatives. C’était bien révolu le temps des « colonies » d’enfants dans les quartiers. Ce n’était plus l’époque où nos amis habitaient tous autour d’un unique bloc urbain, alors rares étaient les raisons pour se retrouver dans une même ruelle vide, grise, sans point focal naturel. De plus, les endroits naturalisés ne l’étaient pas de façon invitante (beaucoup d’herbe à poux ou d’autres verdures irritantes).

En rétrospective, et avec le rafraichissement historique et sociologique que donne la lecture de Ruelles, c’était l’époque où la Ville poussait les propriétaires à se débarrasser de leurs hangars (« la dentelle des ruelles », peut-être, mais surtout, comme le soulignent les auteures, source majeure d’incendies) et la plupart d’entre eux n’étaient que trop heureux de le faire. Il faudra beaucoup de temps et surtout un changement de garde démographique avant que l’aménagement de ces cours, nouvellement dégagées par la disparition des hangars, puisse faire son chemin dans les pratiques d’habitation. Longtemps, lorsque les gens parlaient de se « réapproprier » leurs ruelles, c’était surtout pour confortablement aménager une place à leurs voitures. Bref, dans les années 1980-90, on commençait à peine ce qui deviendra la vague de revitalisation/gentrification tranquille qui fera de certaines de ces ruelles des milieux de vie pour leurs riverains. Mais pour réussir cette métamorphose, ce n’est pas seulement les cours privées qu’il faudra transformer, mais toutes nos façons et raisons de donner de la valeur à l’espace central, la ruelle elle-même.

Les auteures, Mesdames Ariel Tarr et Florence Sara G. Ferraris, font d’ailleurs un excellent travail de nous faire suivre le cheminement, parfois assez pénible, qui a conduit certains groupes de riverains à mettre les ruelles au « centre », physiquement et métaphoriquement, des îlots urbains dans les quartiers centraux (et aussi dans quelques anciennes « banlieues », comme Ville-Émard, Côte-Saint-Luc et Verdun). Les auteures exposent bien les façons et approches variées entre les différents arrondissements, qui sont au cœur des résultats disparates. Où certains vont appuyer tous les efforts, petits et grands, d’autres apporteront leurs soutiens qu’aux interventions « lourdes » et systématiques, avec des aménagements qui transforment la ruelle de stationnement en exemple de résilience urbaine naturalisé. C’est dans l’arrondissement du Sud-Ouest où l’on trouve ces approches « intensive », souvent identifié comme modèles bleu-vert.

Sur les traces de Ruelles…

Dans les arrondissements centraux, on semble accepter souvent une approche moins systématique, où seule la mobilisation d’une poignée de riverains peut apporter des résultats tangibles. Les deux démarches ont certainement leurs validités en contexte. Mais dans la plupart des cas, on a envie de dire, comme le laisse entendre l’expression, qu’il ne faudrait pas que le mieux devienne l’ennemi du bien. Dans cette veine, les auteures nous rappellent le cas de la ruelle Demers, dans la prolongation de la rue du même nom dans la partie sud-est du Mile-End. Un documentaire iconique de l’ONF, Les fleurs c’est pour Rosemont (1969) présente l’histoire de 5 jeunes architectes fraichement sorties de l’école et qui tentent de faire œuvre positive dans ce coin isolé et à l’époque encore très « populaire », du Plateau. Le choc des cultures qui s’en suit est presque insoutenable, mais beaucoup de choses peuvent être comprises si l’on sait que cette ruelle est maintenant un des joyaux des ruelles vertes du quartier.

Ruelles est autant une source d’inspiration, pour qui aimerait se laisser emporter par le rêve d’un environnement urbain revalorisé qu’un guide « how-to », qu’un livre d’histoires racontées à la première personne de gens pour qui les ruelles ont offert un réconfort, des opportunités, des ami(e)s-voisins, même parfois une nouvelle carrière. À propos, les auteures nous proposent de nombreux portraits, dont celui de Léa Philippe, celle qui a eu l’idée de lancer le Festival des arts de ruelle.

Que ce livre-guide sur les ruelles des quartiers de Montréal puisse exister maintenant est bien le reflet de la renaissance heureuse qu’a connu cette typologie particulièrement montréalaise (1). Et après une longue période de dormance qui correspond à ces années d’une lente transition fonctionnelle et souvent aussi morphologique, même les gens pour qui ces nouvelles typologies d’espaces semi-publics n’évoquent rien de nostalgique sauront y trouver leurs comptes. Qui sait, certains pourront de plus se donner le goût de participer à la création d’un 3e lieu près de chez eux. Ce qui est certain, c’est que nous avons maintenant ce merveilleux petit guide pour aller à la découverte des ruelles. Dix parcours originaux, à travers presque tous les quartiers de la ville, ont été montés par les auteures et même Verdun, pourtant pas réputés pour ses ruelles, à trouver les faveurs d’un parcours; autant d’occasions de parcourir ces sentiers à peine dissimulés. Un bel été de parcours urbain en perspective, dans ces « coulisses de la ville ».



(1) Comme le rappellent les auteures, c’est une typologie urbaine qui se retrouve dans plusieurs anciennes colonies britanniques, mais dans l’ouvrage on parle de son expression montréalaise.

Tags Ruelles, Ariel Tarr, Florence Sara G. Ferraris, Montréal, Histoire urbaine

Amsterdam!

August 10, 2023 John Voisine
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In the City of Bikes—The Story of the Amsterdam Cyclist. Pete Jordan, Harper Collins, 2013, 448 pages. [ebook lu sur plateforme Kindle]

Cette chronique est la quatrième de notre série Le vélo et la ville [4/5]

Regarder avec les yeux de l’amour est un moyen infaillible de voir les choses sous leurs plus beaux jours. Monsieur Pete Jordan, l’auteur de ce livre, apporte certainement ce regard fait de gourmandise, de perspicacité, d’une tendresse amusée, même incrédule par moment, mais toujours, bien sûr, amoureux dans la description de sa nouvelle belle au quotidien, sa ville d’Amsterdam. Ce n’est pas la première fois pourtant qu’un visiteur de la ville et des Pays-Bas en général nous en raconte l’histoire et nous fait partager cette atmosphère à la fois chaotique et par moment anarchiste qui ne se vit nulle part ailleurs de façon aussi totale. On aura compris que l’on parle ici de la présence omniprésente et presque sans partage de la bicyclette, pas seulement comme moyen de transport, mais beaucoup plus comme d’une manière d’être et de vivre dans la ville.

La grande force de l’auteur est justement de ne rien tenir pour acquis; chaque comportement des citoyens de la ville et du pays est autant d’occasions pour lui de raconter une tranche de la relation symbiotique qu’entretient le citoyen néerlandais (mais surtout amsterdamois) avec sa bicyclette. Cela vient du fait que les vélos hollandais ont leurs propres caractéristiques et qu’ils sont utilisés par tous, à la manière dont les citoyens d’Amsterdam ont de se transporter (et souvent d’en transporter d’autres et de multiples choses) sur leurs vélos (de tous les genres) dans les rues de leur ville. Les vélos d’Amsterdam ont aussi cette façon d’être partout et pour tout présent en même temps (que les observateurs étrangers comparent même à de vastes troupeaux d’éléphants!) Il faut dire que ce livre n’est pas seulement le fruit de quelques semaines passées à regarder la vie d’Amsterdam. Il est plutôt le produit courageux, lucide et amoureux d’une personne qui s’est sorti de son San Francisco natal pour aller étudier dans cette ville sans pareil et qu’il a par la suite partagé avec sa conjointe (originaire du Mississippi!). Leur enfant est né et grandi à Amsterdam. De son côté, elle est devenue mécanicienne de vélo pour ensuite reprendre le commerce de bicyclettes sous leur logement.

Sur les traces de In the City of Bikes

On comprendra ainsi que l’implication de l’auteur va bien au-delà du visiteur de passage, passionné, mais détaché. Lui et sa famille ont fini par intégrer le rythme de sa ville adoptive, avec toutefois l’avantage, de notre point de vue, de constamment porter le regard de celui qui ne prend rien de ce qu’il voit «naturellement». Et puisque ce qu’il raconte s’écrit toujours manifestement avec la douceur et l’intelligence bienveillante d’une attention sympathique, l’authenticité du propos transparait à chaque chapitre.

Un des grands avantages de l’ouvrage est d’être le véhicule parfait pour répondre à la question qui nous tenaille tous dans les milieux urbanistiques, c’est-à-dire savoir si le modèle qui a délivré au vélo à Amsterdam une part modale substantielle, ce modèle donc, est-il reproductible ailleurs? Pour être clair, l’auteur lui-même ne cherche pas à répondre à cette question, mais bien malgré lui, nous apporte plusieurs éléments d’explications. En nous dressant le portrait d’une relation plus que centenaire avec la ville, le pays et sa petite reine, on comprendra rapidement que la symbiose entre la bicyclette et le néerlandais moyen, ou de façon encore plus viscérale même avec le citoyen d’Amsterdam, dépasse de beaucoup la fonction utilitaire, pratique ou de simple modus operandi du quotidien. Combien de villes européennes avaient ouvert une école de bicyclette en 1897?* Combien d’autres villes européennes accueillaient les visiteurs allemands après la Seconde Guerre en leur répondant (après toute demande banale) : Eerst mijn fiets terug! (?)**. Dire qu’un poisson à une préférence culturelle pour l’eau est un peu passer à côté de la nature de la bête. Aujourd’hui, affirmer que les Néerlandais ont certainement un pays très plat, avec un climat et de l’infrastructure cyclable en abondance, parfaitement calibré pour son usage est de la même façon passer à côté de la nature de la bête unique (même dans son pays) qu’est le/la cycliste amsterdamois-e.

Il demeure après cette lecture le plaisir de mieux comprendre la nature de cette ville et de ce pays si exceptionnel et privilégié dans sa relation avec la beauté à deux roues. Nous pouvons simplement espérer un jour avoir notre propre histoire autrement riche avec elle!


*Et depuis plus d’un siècle, une piscine, le Zuiderbad. Ou la page Wikipedia (en néerlandais seulement).

**Il y a même une page Wikipedia pour ceux qui peuvent lire le néerlandais, mais ils sont probablement aussi ceux qui ont le moins besoin de cette page!

Tags In the City of Bikes, Pete Jordan, Amsterdam, Vélo, Histoire urbaine

Toujours de l'espoir

July 20, 2023 John Voisine
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Bike Boom—The Unexpected Resurgence of Cycling. Carlton Reid, Island Press, 2017, 272 pages [ebook lu sur support Adobe Digital Editions]

Cette chronique est la deuxième de notre série Le vélo et la ville [2/5]

Si l’on veut voir le bon côté des choses, on peut toujours se dire que nous sommes présentement dans une ère de mini-boomettes-bicyclettes. C’est-à-dire que, du moins si nous avons la chance de vivre dans un arrondissement de la ville de Montréal, autant du côté des autorités municipales que dans la population en général, il y a un enthousiasme pour tout ce qui tourne autour du vélo et des infrastructures qui en facilite une utilisation régulière, banale et quotidienne, que ce soit sur rue ou en site propre. Il était temps, dirions-nous. Enfin, il semble entendu qu’une rue sécurisée pour les cyclistes et les piétons l’est pour tous. Mais le cafouillage aux intersections, la confusion persistante sur les flux et les priorités demeure toujours la règle à Montréal. La prise de conscience sur la nécessité d’évoluer le design, sur le fait de concevoir de manière à contraindre (ralentir) la circulation pour infléchir les comportements commence à faire son chemin. Il est même permis de penser que le réflexe sera bientôt naturel lors de toutes modifications à la voie publique. Nous avons les voies cyclables intégrées à la trame urbaine, il est temps d’universaliser son corollaire, l’intersection protégée.

La pièce manquante mais pourtant essentielle du réseau cyclable urbain à Montréal

Mais pour le moment, le constat le plus réaliste que nous pouvons faire est que nous n’en sommes pas rendus à ce niveau de conscientisation. Aucun problème à implanter un Réseau express vélo (REV), mais rendu à l’intersection, les cyclistes (et les piétons, pour dire vrai) sont laissés à naviguer sans le bénéfice d’une infrastructure protégée conçu pour eux. C’est pourtant exactement à l’endroit où cela serait le plus bénéfique en termes de sécurité et de fluidité, paradoxalement. Il est bon de voir qu’avec le temps, le discours est passé de la « ségrégation » des usages à un autre qui vise plutôt « l’intégration » de ceux-ci. Encore une fois, il faut embrasser le paradoxe d’une intégration des usages multiples dans la voie publique afin de maîtriser (par le design) ce ballet urbain (pour paraphraser) au bénéfice de tous. De cette cohésion nouvelle, c’est les activités de la ville contemporaine qui en sortiront gagnantes.

Sur les traces de Bike Boom

Pour autant, si nous persistons en ce sens, avec de plus en plus de voies cyclables dédiées et intégrées aux rues et artères urbaines, avec des intersections dûment protégées et aménagées de façon appropriée, assisterons-nous à un «changement de paradigme», une évolution vers un pourcentage substantiel (45 %!) accaparé par le vélo? En lisant la page Web de la Ville de Montréal consacré au REV, on constate que leur objectif est de porter celui-ci à 15 % d’ici 2027 (il était de 5 % au centre de l’île en 2021). L’auteur de ce livre (d’ailleurs le même que la semaine dernière, le thème étant pour lui comme une suite logique) nous apprend qu’aux Pays-Bas, la part modale du vélo était de 26 % en 2016 (elle réside maintenant autour de 36 %), mais que s’il faut en croire les chiffres historiques, ce pourcentage est moins de la moitié de ce qu’il était dans les années 1920; aucun doute, l’emprise de l’automobile y était embryonnaire à l’époque. Mais il est aussi facile d’imaginer que même si l’emprise de l’automobile était assez restreinte à Montréal dans les mêmes années, il n’y a probablement jamais eu de contexte où le vélo constituait une part appréciable des déplacements annualisés.

Cela nous ramène sur le champ conceptuel principal abordé par l’auteur, soit l’apport de la «culturel» dans l’évolution de la part modale des différents moyens de transport. Carlton Reid fait principalement le contraste entre l’Angleterre, les Pays-Bas et le « basket case » que représente les États-Unis quand vient le temps d’évaluer la fraction vélo du cocktail transport. Bien entendu, nous vivons ici à Montréal de façon quasi unique les après-chocs du Great American Bike Boom que furent les années 1970-1974, avec la création d’organismes de pression comme Vélo Québec et un peu plus tard, le Monde à bicyclette. L’auteur consacre même une annexe (Vive la Vélorution!) à l’histoire exceptionnelle de Montréal par rapport au vélo et fait un tour du militantisme à bicyclette avec le regretté Bob Silverman.

Ce que ce livre nous rappelle surtout est que la participation dans les transports actifs est autant une question de culture que d’infrastructure. À bon entendeur,…

Tags Bike Boom, Carlton Reid, Vélo, Aménagement cycliste, Histoire urbaine

À l’origine de tout, la bicyclette

July 14, 2023 John Voisine
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Roads Were Not Build for Cars—How cyclists were the first to push for good roads & became pioneers of motoring. Carlton Reid, Island Press, 2015, 360 pages [e-book lu sur support Apple Book]

Cette chronique est la première de notre série Le vélo et la ville [1/5]

Au début du chapitre 14 du livre, essentiel pour qui ne veut rien manquer de l’histoire des routes, et du rôle crucial des cyclistes dans leurs innovations et expansions en Europe et en Amérique, l’auteur cite ce passage d’un autre ouvrage, cette fois de James J. Flink, The Automobile Age : «No preceding technological innovation—not even the internal combustion engine—was as important to the development of the automobile as the bicycle.» Mais ce dernier livre ne vient pas soutenir cette position, puisque le propos porte sur l’émergence de la culture automobile et ne nous informe nullement sur l’imbrication des technologies de la bicyclette et de l’automobile naissante. C’est plutôt l’ouvrage que nous examinons ici, de Monsieur Carlton Reid*, qui vient en quelque sorte combler l’immense fossé d’ignorance et d’oubli, parfois même d’occultation volontaire qui s’est avec le temps creusée entre la petite reine et le motorisé corpulent qui à fini par la tasser presque entièrement sur sa route. Les routes de partout, en Grande-Bretagne, sur le continent et même ici en Amérique sont l’œuvre, du moins jusqu’aux années 1910, de la pression des groupes cyclistes.

Parce que, comme le démontre Monsieur Reid (parfois jusqu’à l’épuisement du lecteur), les routes sur lesquelles l’automobile finira par triompher ainsi que l’engin en lui-même trouvent leurs genèses dans le sillage et l’écosystème manufacturier engendré par la bicyclette. La fin du 19e siècle est l’âge d’or de la bicyclette, non pas comme mode de transport puisque sa pratique se limitait alors aux classes fortunées, aisées ou qui autrement disposaient de loisirs, mais comme instruments d’appropriation de nouvelles frontières territoriales et même d’émancipation, à la fois sociale et politique. La bicyclette elle-même était un outil à la fine pointe de la technologie, autant dans sa construction (assemblage et matériaux) que dans ses mécanismes. De la roue en rayons, au roulement sur coussin d’air, au pédalier avec entrainement par chaine, aux différents types de dérailleurs, la bicyclette concentrait dans sa forme et ses engrenages le meilleur de ces innovations. Ainsi, pour ceux qui allaient bientôt produire les premières voitures, il est clair d’où les transferts technologiques allaient se faire.

Sur les traces de Roads Were Not Build for Cars

Une autre des technologies qui incarne formidablement ce tournant de siècle moderne est la machine à coudre, et tout comme avec la bicyclette, ce sera le type d’entreprise manufacturière qui trouvera facilement à étendre son expertise dans l’automobile. Sans jeux de mots, on voit immédiatement le «fil» conducteur ici : des manufactures de pointe qui font reposer leurs productions sur une machinerie de pointe, parfaitement équipé pour l’assemblage de précision. En fait, on se rend compte que tous les grands de l’automobile, autant du côté américain (Henry Ford, Cadillac [Henry Martyn Leland], Chevrolet [Louis Chevrolet], Dodge [Evans & Dodge Bicycle Company]) qu’européen (Aston Martin, Peugeot [le Grand Bi], Rover [Rover Safety Bicycle]) et plusieurs autres marques qui ont connu leurs heures de gloire, mais qui ne sont plus maintenant qu’un souvenir (Adler, Napier & Sons, Singer Motors) trouvent tous une parenté quasi directe dans la production de pièces ou de bicyclettes entière et parfois, de machines à coudre (comme Dürkopp Adler ou Humber Limited).

Ce livre trace cette histoire, ex-haus-ti-ve-ment. La difficulté ne sera plus de s’en convaincre, mais de le communiquer à autrui, tellement les barrières entre le monde de l’auto et ceux du vélo sont devenues, avec le temps, conceptuellement infranchissables. Qui sait maintenant que la majorité des associations et clubs automobile trouvent leur origine dans des homologues cyclistes? Le transfert des intérêts se fait naturellement, d’autant plus que les mêmes personnes étaient le plus souvent au centre des deux mondes, en commençant dans le vélo de randonnée et la promotion des courses pour se poursuivre dans les mêmes domaines, mais cette fois pour l’automobile. Le rôle du plaisir de la vitesse et de la sensation d’autonomie que procurait le vélo, surtout à partir de l’introduction du Safety, ne peut être sous-estimé; tout ceci n’est que décuplé avec l’automobile.

Avec tout ça, nous n’avons pas eu le temps de mentionné les routes! Vous pouvez me croire sur parole quand je vous dis qu’elles ne doivent rien aux automobiles! Mais pourquoi ne pas aussi lire sur les héros cyclistes qui en sont à l’origine, si bien détaillée et exposée dans ce livre? Simplement renversant!



* Ceci est aussi le site Web créé par l’auteur lors de la publication originale de l’ouvrage, en 2014. Il est un peu abandonné maintenant, mais on y trouve encore d’excellents compléments d’information, comme les notes in extenso, par chapitre. L’auteur s’était aussi approprié des outils interactifs sur la plateforme qui s’appelait alors iBooks (d’Apple) afin de créer un livre dynamique. C’était l’époque…

Tags Roads Were Not Build for Cars, Carlton Reid, Automobile, Vélo, Automobiles, Histoire urbaine

Vivement les traditions en habitation!

June 21, 2022 John Voisine
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Montreal: A Rich Tradition in Medium Density housing. David B. Hanna et François Dufaux, CMHC/SCHL External Research Program, 2002, 187 pages

Toute personne ayant parcourue les rues des quartiers centraux de Montréal en se demandant comment sur terre autant de bâtiments résidentiels et commerciaux (sur les coins de rue, principalement), de densité moyenne (duplex, triplex et autres multiplex de trois étages et moins) ont réussit à être bâtie, à produire une si grande diversité de forme et de facture, tout en se conformant à un modèle typologique si lisible et distinctif, se doit immédiatement d’aller cliquer sur le lien du titre de l’ouvrage, de se télécharger le volume de recherche (c’est gratuit!) et de se donner du temps pour aller à la plage de Verdun et lire, les deux pieds dans le sable artificiel, cette étude si unique et nécessaire du professeur (maintenant à la retraite) David B. Hanna.

En effet, comment est-il possible qu’en l’espace d’une pognée de décennies, au tournant du dernier siècle (19e - 20e), la quasi-totalité des quartiers de Montréal et des villes limitrophes soit cadrée par cette typologie résidentielle si distinctive? C’est une histoire qui commence par des unifamiliales attachées, dans les quartiers anciens (rasé par le feu en 1852), pour ensuite passer au duplex (l’essentiel de la période couverte par l’étude), pour ensuite suivre une évolution vers le triplex (qui peuvent aussi prendre la forme de cinqplex ou sixplex) et ainsi permettre, jusqu’à aujourd’hui, cette densité urbaine à échelle humaine qui semble si idéale, même encore pour notre époque.

Même si son étude prend bien soin de pointer vers toutes les avenues qui nécessiteraient des recherches plus poussées, Monsieur Hanna nous fait le montage des éléments qui permettent de comprendre comment et pourquoi le duplex montréalais devient la forme canonique (mais pluriel!) dans le paysage urbain montréalais, entre 1866 et 1880. En suivant la trame historique et la logique économique qui s’y rattache, en suivant la logique constructive propre au contexte montréalais (confluence des traditions française et britannique), l’auteur nous ouvre un chemin qui conduira éventuellement vers le triplex. Même si les paramètres de l’étude ne couvrent pas les années (1900-1935) de gloire du triplex montréalais, nous avons ici tous les morceaux pour nous en construire une idée.

Sur les traces de Montreal: A Rich Tradition

Même si Montréal n’est pas vraiment unique dans sa construction de typologie habitable superposée de deux/trois étages et jusqu’à six logements (voir par exemple les triple decker), il ne fait aucun doute que la manière de faire le plex est assez spécifique à Montréal.

Une variété de courants historiques et économiques ont contribué à cette situation. En premier lieu, la presque symbiose entre des modes de tenure hérités du Régime français (même si le régime seigneurial est aboli en 1854) et une certaine approche de l’investissement immobilier. Ainsi, avec l’afflux d’immigrants internes (des campagnes) et externes (d’Angleterre et d’Irlande) cherchant à gagner leurs vies, le plus souvent de façon précaire, dans une ville qui connaît alors sa première vraie poussée industrielle, il était commode de pouvoir se loger à bon compte, sans devoir en plus assumer des engagements immobiliers à long terme. En même temps, plusieurs propriétaires y voyaient une façon stable et sécuritaire de se faire un supplément de revenu garanti simplement en prévoyant des espaces locatifs à leurs bâtiments. D’autant plus que pour les groupes ethniques majoritaires déjà présents, comme les Canadiens français et les Écossais, ils ne manquaient pas d’inspiration tectonique en provenance des «vieux pays» (Bretagne et d’Écosse, respectivement). Les escaliers et les accès autonomes sur l’extérieur sont sans doute une des caractéristiques qui en font une forme appréciée de leurs habitants, et ceci jusqu’à ce jour.

En terme clair, la typologie du plex a trouvé un terrain fertile en contexte montréalais puisqu’il s’est avéré une bonne affaire pour tous les gens impliqués dans la fourniture de logements. Pour les bâtisseurs, l’échelle moyenne de la construction était bien calibrée sur leurs capacités de prestation de service. Pour les petits propriétaires, ils se retrouvaient avec un investissement stable et sûr, un logis familial et un revenu adéquat. Le locataire y découvrait aussi son parti, en bénéficiant d’un domicile simple et économique, dans un environnement urbain en pleine évolution et avec un mode de tenure qui accommodait son existence parfois précaire.

Cette étude de Monsieur Hanna est la meilleure source pour absorber cette histoire fascinante, aux sources du plex montréalais.


Note : J’ai eu l’occasion de croiser à quelques reprises Monsieur Hanna lors de diverses conférences. Monsieur François Dufaux enseigne toujours à l’école d’architecture de l’Université Laval. Je suis heureux et réconforté de savoir qu’il continue de donner sans compter à ses étudiants, comme il l’avait fait avec moi (un bon dernier). Il est le meilleur des pédagogues et all round, a real mensch.

Demain (mercredi 22 juin), notre série Habitation et logement se poursuit avec Gentriville—Comment des quartiers deviennent inabordables

Tags Montreal: A Rich Tradition, David B. Hanna, François Dufaux, Histoire urbaine, Duplex

Et autant de façon d'habiter

June 20, 2022 John Voisine
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6,000 Years of Housing—Revised and Expanded Edition. Norbert Schoenauer, W.W. Norton & Company, 2000, 502 pages

C’est à la fois la grande qualité et l’éternelle malédiction des volumes qui se veulent la somme d’un domaine particulier : autant de formes traitées, pourtant tellement de choses qui doivent être écartées. En d’autres termes, il est de moins en moins possible, peu importe la sphère de connaissance, d’en faire une synthèse raisonnée. Ce 6,000 Years sur l’habitation sous toutes ses formes, à travers toutes les cultures et les époques du professeur bien connu de l’université McGill, feu Norbert Schoenauer, n’y échappe pas. Mais vingt ans après sa dernière publication, il demeure une des tentatives les plus achevées, dans le domaine de l’histoire du logement jusqu’à l’orée du 21e siècle, afin de parvenir à cette compilation globale.

Dès le début de son enseignement dans les années 1960, Schoenauer se consacre à cette histoire, qui était pourtant à l’époque un peu dans l’angle mort de la recherche historique en architecture. L’histoire de l’architecture n’avait alors pas vraiment de place pour celle de l’habitation humaine, même si elle est essentielle dans ce qu’elle exprime de primaire, de fondamentale sur nos vies individuelle, familiale et collective, à la fois urbaine, rurale, passée et contemporaine. Pourtant, si l’habitation n’était pas monumentale ou se rapportant à un type (château, domaine, palais), autant dire qu’elle n’existait pas. Serait-ce parce que bien souvent, elle est, nécessairement, une architecture sans architectes? En ce sens, Schoenauer est l’un des pionniers (avec Gérard Morisset et Ramsay Traquair) sur la route de cette (re) découverte de l’architecture dans son expression culturelle locale (vernaculaire ou d’inspiration), comme d’un domaine digne de recherches, d’études et d’enseignement. Cela implique d’accepter que bien peu des meilleurs concepts de confort domestique et d’adaptation climatique, d’habitation urbaine ou rurale, ont relevé d’une élite professionnelle; la vaste majorité est le produit, jusqu’à tout récemment, d’une pensée constructive fruit de l’innovation collective de la communauté où elle s’exprime.

Il est en vogue de parler de simplicité, d’élégance dépouillée et de composition architecturale quasi rustique. Mais avant ce discours facile, une variété de formes et d’espaces habitable riche en solutions constructives ont été déployées pour s’abriter. Cette somme est un bon point de départ pour en découvrir l’essentiel.


On poursuit notre série Habitation et logement dès demain (mardi 21 juin) avec Montreal: A Rich Tradition in Medium Density Housing

Tags 6000 Years of Housing, Norbert Schoenauer, Histoire urbaine, Modes d'habiter, Habitation et logement

La banlieue uniformisée

August 16, 2021 John Voisine
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Creeping Conformity—How Canada Became Suburban, 1900-1960. Richard Harris, University of Toronto Press, 2004, 204 pages.

Le titre de l’ouvrage se comprend comme l’affirmation d’un fait, mais le septième et dernier chapitre reprend ce titre, cette fois avec un point d’interrogation ; pour mieux souligner que cette conclusion est loin d’être inévitable ? Il est vrai qu’en commençant la lecture de cette histoire, on en connaît déjà l’aboutissement : le Canada, au début des années 1960, prendra la forme de ses banlieues. Donc, ce qui est intéressant ici, et développé de façon constamment engageante par l’auteur, est le comment et le pourquoi des particularités canadiennes sur la voie de la « conformité banlieusarde ».

L’éloignement relatif du Canada, géographiquement, mais aussi la faible densité de son territoire habité (et les difficultés que cela engendre dans l’atteinte d’une masse critique sur le plan économique), entraîne une certaine friction quand vient le temps de participer, de façon contemporaine, aux grands courants de l’époque, surtout par rapport à ses pays pairs (comme le Royaume-Uni et les États-Unis). Voilà pourquoi, lorsqu’on parle du Canada et du développement des banlieues, on est un peu toujours confronté à des décalages ; des phénomènes qui étaient pleinement manifestes ailleurs ne prendront forme au pays que plusieurs décennies plus tard, et souvent de manière moins intense. Ainsi, au tournant des années 1900, en Angleterre, il était déjà monnaie courante pour les commentateurs populaires de brosser un tableau des banlieues comme un « wasteland » d’uniformité architecturale et de conformité sociale. Mais ici au Canada, ce n’est qu’avec l’apparition, au début des années 1950, des banlieues développées entièrement par de grandes entreprises immobilières intégrées (du lotissement, des services, de la construction, du marketing et du financement), qu’une certaine conformité de classe sociale et économique commencera à se solidifier de façon à engendrer superficiellement la caricature facile qu’on s’en fait.

Une fois lancée, il faut bien admettre que ce système de mise en place deviendra la règle (le rôle du fédéral dans cette cristallisation est fondamental). Mais ce qui est aussi fascinant dans ce livre est de découvrir la diversité et la pluralité du phénomène de la banlieue dans la première moitié du siècle passé. Aux antipodes de la conformité.

Sur les traces de Creeping Conformity

Durant la période des trois premières décennies du dernier siècle, c’est en fait l’opportunisme, dans le sens de « far west », et le laissez-faire des autorités municipales (lorsqu’elles existaient), qui a rendu possible la grande diversité de typologies, d’aménagements et de configurations géométriques des premières « banlieues » canadiennes. Ainsi, plusieurs types de banlieues ont réussi à accommoder des besoins variés, du plus élitiste (Westmount ou Mont-Royal), en passant par les banlieues industrielles (comme Verdun ; pas de danger, l’usine de munition est maintenant intégrée au tissu résidentiel !), les banlieues spécifiquement destinées aux classes moyennes (comme la Cité-Jardin du Tricentenaire) et même les « shacktowns » sans services (qualifié aussi de « unplanned » ; elles étaient chose courante ; d’Halifax à Toronto à Calgary). Pour aboutir aux banlieues qui caractérisent, plus d’un siècle et quart plus tard, nos paysages urbanisés, plusieurs chemins sinueux et souvent insoupçonnés ont été parcourus. Ce livre de Richard Harris est le guide à avoir pour les découvrir.

Même si cet ouvrage est un excellent point de départ, on ne pourra faire autrement que d’en demander plus, surtout si, comme moi, une appréciation de l’histoire urbaine « canadian » est une source continue de fascination. Il existe justement deux livres, toujours du même auteur, qui permettra d’approfondir autour de la question : Unplanned Suburbs—Toronto’s American Tragedy, 1900 to 1950 et Changing Suburbs—Foundation, Form and Function.

Plus près d’ici maintenant, il est facile de constater que plusieurs des quartiers de Montréal, qui ont souvent été eux-mêmes autrefois des villes à part entière (comme Saint-Louis-du-Mile-End au centre et Maisonneuve dans l’Est, pour ne mentionner qu’eux), on vue leurs zones résidentielles se bâtir collé sur de vastes complexes industriels intégrés dans la trame urbaine. Pour mieux en comprendre sur cette époque charnière, j’ai bien hâte de me mettre la main sur Manufacturing Montreal—The Making of an Industrial landscape, 1850 to 1930.

Un dernier ouvrage que je crois déjà avoir mentionné, mais qu’il est particulièrement à propos de se rappeler qu’il est sur notre liste : Housing the North American City ; souvent cité dans le livre de M. Harris, et cela se comprend bien.

Tags Creeping Conformity, Richard Harris, Histoire urbaine, Géographie, Banlieues

In the USA [and Canada]

February 1, 2021 John Voisine
Zoned in the USA Zoned in the USA Zoned in the USA Zoned in the USA

Zoned in the USA — The Origines and Implications of American Land-Use Regulations. Sonia A. Hirt, Cornell University Press, 256 p. [version Kindle]

Il est parfaitement ordinaire de penser que les structures légales et réglementaires qui régissent nos usages et formes urbaines sont courantes et généralement assez communes, ne serait-ce que dans l’ensemble des systèmes démocratiques occidentaux. C’est pourquoi un livre comme celui de Sonia A. Hirt peut se révéler si essentiel ; il vient nous dépouiller de nos illusions de régularité et de normalité afin d’exposer l’aberration de notre condition urbaine. Au minimum, en ce qui concerne la réalité de leurs applications sur le plan du zonage. Cela n’est pas pour dire que nous serons par la suite aisément en mesure d’apporter les changements qui s’imposent. Mais cela nous enlève un argument de poids, soit celui de la normalité de notre façon de zoner nos espaces urbains, tels qu’ils sont.

En effet, ce livre est autant un historique de la notion de zonage tel qu’inventé et appliqué en Europe (surtout par l’Allemagne et l’Angleterre) qu’une épistémologie de cette notion reprise et adaptée par les réformistes américains de l’époque progressiste. Ce que l’auteure s’attarde longuement à démontrer est justement les mutations assez radicales que les réformistes ont fait subir aux idées véritablement novatrices contenues dans la notion de zonage à l’européenne. Ces mutations se sont révélé si radicales qu’un outil comme le zonage, qui visait avant tout la cohabitation harmonieuse de la diversité des usages urbains, s’est transformé en cet outil ségrégationniste qui a fait de nos villes des agglomérations d’îlots isolés, accessibles principalement par « ponts » autoroutiers. L’auteure démontre aussi que l’Amérique du Nord est unique dans l’application d’un zonage qui codifie l’exclusivité résidentielle, mais surtout unifamiliale. Cette dernière est l’assise sur laquelle reposent les dérives toxiques de l’étalement urbain sur notre continent.

Le zonage tel qu’utilisé ici est donc unique, et ne représente en rien une compréhension raisonnée et généralisée des meilleures pratiques de zonage. Le plus rapidement nous pourrons assimiler cette découverte magistralement exposée dans l’ouvrage de Sonia A. Hirt, le plus vite nous pourrons codifier les possibilités d’un zonage qui intègre autant la pluralité des usages, des formes et de leurs localisations pour en faire de meilleurs ensembles urbains.

Sur les traces de Zoned in the USA

Ce livre fait partie d’une série d’ouvrages que je m’étais acheté afin de mieux comprendre l’histoire et les origines de notre système de zonage. Il est pratiquement impossible d’exercer cette profession sans se questionner sérieusement sur la multitude des effets pervers engendrée par le zonage ; la difficulté systémique d’un exit prochain est dramatique et en contexte de changement climatique, aura un coût économique et humain des plus tragique. En ce domaine, nous avons construit notre propre prison et la clé est depuis longtemps perdue. Dans les semaines suivantes, il sera question de 3-4 ouvrages qui mettent en lumière les limites du zonage basé exclusivement sur l’usage. Nous allons toutefois conclure sur une piste de solution possible.

L’ouvrage de Madame Hirt contient une bonne bibliographie qui m’aura permis de redécouvrir quelques classiques et de faire certaines découvertes. Dans la catégorie des classiques, il faisait plaisir de voir les livres de Spiro Kostof, mais triste qu’il n’en reste qu’un sur le marché, soit l’indispensable The City Shaped. J’avais à l’époque lu ce livre avec son compagnon, The City Assembled. Plus généralement, Kostof était connu pour A History of Architecture—Settings and Rituals, mais lui aussi semble rendu à ses derniers exemplaires. J’ai découvert un livre de Kostof grâce à la bibliographie : America by Design, mais la seule chance de se le procurer maintenant sera probablement dans un marché aux puces au Vermont.

Dans la catégorie des découvertes qui vont probablement mériter une exploration plus poussée, on trouve Bourgeois Nightmares—Suburbia 1870–1912 ; qui offre probablement d’autres pistes sur les origines du zonage exclusif. Les deux prochains livres sont mentionnés pour se rappeler que tout projet urbain est pavé de bonnes intentions. Urban Utopias in the Twentieth Century—Ebenezer Howard, Frank Lloyd Wright, Le Corbusier et Dreaming the Rational City—The Myth of American City Planning. Tout compte fait, il n’est jamais facile d’envisager et de comprendre les effets réels et à long terme des meilleurs plans.

Le dernier livre est mentionné pour son titre, simplement délicieux : Sprawl—A Compact History. Malheureusement, il est de l’école de Chicago, donc l’étalement urbain y est présenté comme naturel et inévitable. Pour ceux et celles qui veulent se confronter aux arguments improbables de cette façon de penser.

Tags Zoned in the USA, Sonia A Hirt, Land-Use, Zonage, Histoire urbaine

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