Banlieue, dites-vous?—La suburbanisation dans la région métropolitaine de Montréal. Gérard Beaudet, Presses de l’Université Laval, 2021, 490 pages.
Il y a quelques années, pour souligner la parution de la quatrième édition du livre phare de Jean-Claude Marsan sur l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme à Montréal, Montréal en évolution, l’auteur du présent ouvrage, Gérard Beaudet, faisait la revue de ce qui était devenu, contre toute attente, le volume incontournable pour comprendre l’environnement bâti sur l’île de Montréal. Monsieur Beaudet finissait son article en souhaitant que cette édition du livre de Monsieur Marsan puisse servir comme source d’inspiration pour une somme comparable, mais cette fois du type «Grand Montréal en évolution». Finalement, la personne à s’être laissé inspirée par l’appel fût l’auteur lui-même et ainsi, Banlieue, dites-vous? est l’excellent produit de ce qui a dû être cette longue recherche et mûre réflexion. Ce livre mérite une place de choix à côté du premier en tant que volume phare dans la compréhension de Montréal, mais cette fois à l’échelle métropolitaine, par voie de sa suburbanisation.
Mais comment penser qu’un ouvrage avec ce titre puisse être une histoire de l’évolution urbanistique, morphologique et architecturale du Grand Montréal? L’histoire de la construction urbaine du grand Montréal n’est-elle rien d’autre que celle de sa banlieue? En fait, même si la banlieue métropolitaine ne se réduit pas à un stéréotype, il n’y a aucun doute que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, autant la rive-sud que la rive-nord de l’île, toute la « confluence » du grand Montréal, s’est fait moduler sur un schéma caractéristique de la logique « banlieusarde ». Certainement avec un léger vent de villégiature au début du siècle passé, mais foncièrement typique de ce qui a soufflé et finalement balayé l’ensemble du continent nord-américain depuis 1945.
Ce livre vient à la fois identifier et décrire matériellement, dans le contexte de chacune de ces localités d’implantation, ce que l’auteur appelle notre «patchwork suburbain» (cinquième chapitre). Il expliquer de façon convaincante la genèse banale, mais aussi si particulière en contexte nord-américain, du déploiement de la banlieue dans le grand Montréal. Ainsi, le rattachement à la banlieue pavillonnaire américaine est immanquable, mais l’illustration des contrastes par rapport à la production américaine (même canadienne) est clairement dessinée.
Sur les traces de Banlieue, dites-vous?
En fait, les défis et les effets délétères engendrés par le patchwork suburbain dépassent depuis longtemps ceux posés par un étalement qui explose en contexte d’une population qui croît à peine (malgré les prévisions glorieuses d’une autre époque). Le mot banlieue ne définit plus vraiment la relation de ces entités urbaine par rapport à la ville-centre. Il est depuis longtemps possible de vivre une vie complète dans une banlieue montréalaise typique. Avec un bref intermezzo dans une université montréalaise, le reste de sa vie pourrait se dérouler entièrement dans un des royaumes de banlieue de la confluence. Tous les algorithmes urbains du monde des services, du commerce, de la production manufacturière ou industrielle et de la consommation sont optimisés pour une vie en banlieue. Les banlieues montréalaises ont presque atteintes, pour emprunter l’expression d’une autre discipline, leurs escape velocity. La suburbanisation montréalaise repose sur un quadrillage autoroutier universel et par conséquent, rares sont les endroits où une vie sans voiture est imaginable ou autrement souhaité et possible.
Bien entendu, les choses on commencé doucement, de façon presque pittoresque, avec les tramways urbains et certaines lignes de trains (encore en service). Mais cette logique a pris fin avec la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale. Même durant la guerre, les assises étaient posées pour une occupation et une utilisation bien différente du territoire métropolitain.
Dans toute cette histoire, un des aspects qui finit presque par choquer par son ampleur, c’est l’absence quasi totale d’une pensée urbaine ou même d’une urbanité cohérente. Le laissez-faire, autant par manque de capacité (avérée ou perçue), de volonté, ou par complaisance des autorités locales envers les développeurs (souvent les mêmes) serait risible si les conséquences n’étaient pas si souvent irréversibles. L’auteur n’est pas le premier à parler des modalités de fabrication de la banlieue qui se rapproche des chaînes de Ponzi. Prendre conscience de ceci demeure essentiel, même si cette lecture ne rassurera personne.
L’ouvrage de Gérard Beaudet vient synthétiser une histoire, offrir des constats et fournir des analyses indispensables sur la suburbanisation montréalaise à cette échelle qui manquait, celle de la région métropolitaine. Nous en retirons pour notre part une meilleure compréhension des enjeux et des défis émergents.
Note 1 : Full disclosure : J’ai eu la chance d’avoir Monsieur Beaudet pour une session et un cours durant ma formation dans ce qui était alors l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal. Il était un pourvoyeur extraordinaire de cours magistraux et moi un bien piètre étudiant!
Note 2 : La semaine prochaine, deuxième dans notre série de six livres sur la banlieue, cette fois avec Borderland : Origins of the American Suburb, 1820–1939
Note 3 (2022-04-14) : L’ouvrage ne comporte pas d’index ! En d’autres termes, il est très difficile de retrouver ou trouver une information spécifique ou de colliger toute l’information et l’analyse sur un thème donné. (Bien sûr, il y a une version PDF qu’il est possible de rechercher par mot-clé, mais ceci n’est pas la question.) J’ai soulevé ce manquement dans un courriel à la maison d’édition (Presses de l’Université Laval — PUL) ; quelques heures après, je recevais une réponse pour me dire qu’on allait transmettre l’information à l’auteur, dans l’éventualité d’une deuxième édition. Il n’en demeure pas moins que la responsabilité de composer un index appartient à l’éditeur, et que l’absence d’un index, de la part d’un éditeur universitaire dans un ouvrage destiné à un public spécialisé, est particulièrement inexcusable.