Los Angeles—The Architecture of Four Ecologies. With a New Foreword by Joe Day and Introduction by Anthony Vidler. Reyner Banham, University of California Press, (1971), 2009, 238 pages.
Cette chronique est la troisième d’une série de quatre (4) sur la ville de Los Angeles [3/4]
Pour se permettre d’écrire sur Los Angeles, Reyner Banham, cet historien et critique de l’architecture, né et éduqué en Angleterre, s’est contraint (sans y être forcé) à passer à travers un processus d’acculturation complet. On pourrait même dire, pour utiliser une expression de l’époque, avec de belles connotations négatives, que Reyner Banham went native. Mais comment aller native dans une ville moderne comme Los Angeles?
Parfois, en changeant de lieux, il faut modifier nos habitudes (certains diront, pince-sans-rire, de paradigme d’appropriation), si on est pour intégrer nos nouvelles circonstances et s’épanouir dans celle-ci. Pendant ma jeune vie adulte, je n’ai jamais eu besoin d’un permis de conduire (même si j’avais appris à conduire). Les choses ont changé lors d’un séjour de plusieurs années à Québec. C’était un triste constat, mais dans cette petite ville (1), patrimoine mondial, il est difficile d’évoluer autrement que derrière le volant d’une voiture (2). En désespoir de modernité, durant les 30 dernières années du 20e siècle, les édiles de Québec ont enthousiasment détruits leurs atouts uniques en Amérique, ceci à coups de dizaines de kilomètres d’autoroutes urbaines (3). Où Los Angeles a construit un modèle attractif, Québec s’est appauvri et banalisé.
Mais retournons à Banham, qui affirme, dès la première page du premier chapitre (In the Rear-view Mirror) de son livre : « So, like generations of English intellectuals who taught themselves Italian in order to read Dante in the original, I learned to drive in order to read Los Angeles in the original ». Lors de la publication de l’ouvrage en 1971, une des critiques récurrentes était précisément qu’il s’était « oublié » dans la ville, qu’il n’y avait pas appliqué une grille de lecture sérieuse. Comme s’il pressentait cette critique, il vient ainsi exprimer que non, pour lire et appréhender un objet d’étude, il faut l’accepter en ses propres termes, comprendre sa façon et sa manière d’être en contexte, l’apprivoiser dans sa langue. En se plaçant derrière le volant, en machine à travers LA, sur ses boulevards et par ses accélérateurs de temps et de distances que sont ses freeways, avec son paysage urbain dans l’dash et la ville in the rear-view mirror, Banham utilisait la langue de ses interlocuteurs pour comprendre le contexte matériel et symbolique de son objet d’étude urbaine et architectural. En se faisant, il veut démontrer que cette étude se situe dans une longue lignée d’effort intellectuel pour en arriver à une lecture fouillée et original du phénomène urbain qu’est LA.
Sur les traces de LA—The Architecture of Four Ecologies
Dans The Architecture of Four Ecologies, Reyner Banham délivre sur cette promesse de lecture originale, fouillée et sensible. Le découpage qu’il fait, en quatre systèmes « écologique », à la fois complémentaire et distinct, est en lui-même une grille de décodage fertile, qui permet de maitriser une géographie et une urbanité qui autrement, à cause de leur vaste échelle, n’offrirait que de vague point de fuite, difficile à saisir. Simplement par les titres de ce découpage, il est possible de s’imprégner des phénomènes évoqués : Ecology I: Surfurbia (où ‘Give me a beach, something to eat, and a couple of broads, and I can get along without material things’—prend tout son sens), Ecology II: Foothills (où l’on peut presque compatir avec la misère des riches), Ecology III: the Plains of Id (Hello Dingbats et où LA se rapproche le plus de la ‘Anywhereville’/Nowherecity qui rend dingue ses critiques) et Ecology IV: Autopia (où l’on apprend à aimer les freeways, ou l’on n’apprend rien).
À chacune de ces « écologies », Banham y associe une typologie et une histoire architecturale. Toujours dans le même ordre : Architecture I : Exotic Pioneers (où l’on découvre l’influence de l’environnement et de l’isolement géographique sur l’architecture), Architecture II : Fantastic (où Jack-in-the-Box, Disneyland, ‘a little garnish’, ‘Doing your own thing’ et ‘Home is where the (do-it-yourself) heart is’ nous réservent de belles leçons d’architecture), Architecture III : The Exiles (où Frank Gehry nous fait la leçon du cube type LA) et Architecture IV : The Style that Nearly (où le chapitre entier est en lui-même un des meilleurs textes qui existe sur les fameux Case Study Houses).
Les quatre chapitres se terminent toujours avec une discussion historique et une mise en contexte contemporaine de ces « écologies » urbaines. Ainsi on retrouve, dans le même ordre, The Transportation Palimpsest (où en quelques pages les réseaux de transport et leurs logiques dans LA sont rendu plus compréhensif que dans plusieurs volumes entiers sur la question), The Art of the Enclave (où les ‘East Coast town-planning snobs’ en prennent plein la gueule), A Note on Downtown… (où l’on sympathise avec une cause perdue) et An Ecology for Architecture (où les ‘East Coast town-planning snobs’ sont encore confondus).
Il est difficile de savoir, plus de 50 ans après la parution de l’ouvrage (4), ce qu’il reste concrètement de ce regard sans mettre les pieds sur place, mais c’est certainement un des plus sensible et informé jamais porté sur une ville. Los Angeles comme elle méritait d’être présentée.