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Wellington | Fabrique urbaine

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L'urbanisme en pratique

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URBS+ : Abréviation d’urbanisme, mais quand même un peu plus. Une revue hebdomadaire d’ouvrages et d’œuvres avec comme point commun un intérêt pour l’univers urbain, qui est aussi l’univers ultime de l’être humain.

Blanc, bleu et rouge

July 30, 2024 John Voisine
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Les Aurores montréales. Monique Proulx, Les Éditions du Boréal, collection spéciale à tirage limité “les incontournables”, réédition 2023 (1996), 243 pages.

Série fiction — À tous les deux mois

C’est après avoir été charmé par Ce qui reste de moi que j’ai souhaité aller voir du côté de ce recueil de nouvelles qui fut, lors de sa parution en 1996, un tournant dans la carrière de l’auteure. Plusieurs signes semblent concourir pour donner cette impression, ne serait-ce qu’il soit réimprimé dans une collection spéciale de douze titres « incontournables », pour souligné les soixante ans de l’éditeur. Comme on peut le voir sur les photos, le livre lui-même est d’une facture magnifique, même si je suis déçu pour l’auteure qu’il soit maintenant impossible de se le procurer en format poche. Rares sont les gens, même parmi les fans finis, qui envisagent de débourser presque trente dollars pour ce genre littéraire (ou n’importe quel autre, à vrai dire). Sans une édition de poche courante, un auteur et son livre n’existent essentiellement plus.

Toujours est-il, Ce qui reste de moi fut un beau coup de foudre et je voulais un peu poursuivre dans cette veine avec ses nouvelles. De plus, comment résister à un titre aussi enchanteur et évocateur que Les Aurores montréales? La date de publication (1996) aurait pu et aurait même dû me donner certains indices sur les effluves, comme ce sous-courant légèrement amer qui allait potentiellement teinter certaines nouvelles. Mais l’enthousiasme de replonger dans l’écriture montréalaise de Monique Proulx prenait le dessus. Ce fut globalement une belle expérience littéraire, où justement cette fluidité dans la maitrise de la voix des personnages et l’évocation du contexte qui les enserrent l’emporte sur toute autre considération. La plupart du temps, mais pas toujours. Il est clair que la fin des années 1980 et la première moitié des années 1995 furent une époque bizarre, une « drôle de période » qui culmine avec le point d’orgue du deuxième référendum, en octobre 1995. Le soir du revers, le premier ministre de la province fait des remarques indignes et incompréhensibles, pour un homme de sa stature. Après cette deuxième défaite référendaire, plusieurs nationalistes ont fermé leurs cœurs et leurs intellects à toute possibilité d’avancement de la cause en dehors du cercle décroissant des Québécois de souche. Il est peu probable que ce durcissement idéologique, qui a toutes les caractéristiques d’une dégénérescence, donne éventuellement des résultats fertiles et positifs.

Et il y a les artistes, comme l’auteure, qui ont réussi à faire passer dans leurs créativités une partie de leurs frustrations face à ce revers historique. Dans le cas des auteures de génie, comme c’est le cas ici avec ce recueil de Madame Proulx, la vaste majorité des passages où cette blessure est évoquée, cela s’accomplit dans la subtilité, l’ironie et un humour qui facilite la sublimation de la défaite. Ceux qui auront vécu et connu l’expérience de vivre à Montréal durant cette période y retrouveront plusieurs situations, contexte de vie et personnages qui étaient à leurs summums et ne manqueront pas de lire le recueil avec ce sourire caractéristique. Les autres seront transportés, le temps d’une lecture épisodique, dans une ville familière, mais d’un autre temps.

Tags Les Aurores montréales, Monique Proulx, Nouvelles, Montréal, Série fiction

"Que cela aussi serve le bien"

May 28, 2024 John Voisine
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Ce qu’il reste de moi. Monique Proulx, Boréal, 2015, 430 pages.

Série fiction — À tous les deux mois

Il n’y a pas un personnage dans ce roman construit en petite fresque qui ne m’a pas donné un bon moment à être légèrement déstabilisé ou confondu, et cela est franchement un des meilleurs arguments pour en faire une des lectures presque incontournables de la littérature montréalaise contemporaine. Combien rares sont les auteurs en mesure de conduire une histoire et des personnages contemporains le moindrement complexes sans tomber dans la rigidité didactique? Avec la diversité des possibilités et des conditions envisageables dans une ville comme Montréal, il y a toujours la crainte de tomber sur un auteur qui utilise une formule de provocation convenue, des situations chocs ou esthétiquement conflictuelle afin d’épicer une histoire, une trame narrative ou des personnages autrement bancals. C’est donc avec un réel bonheur que les chapitres de ce qui est quand même une histoire à la fois inattendue, tout en s’ancrant dans ce qu’une ville peut offrir de vies banales teintées par l’exceptionnel de quêtes uniques, que les chapitres donc offrent des espaces d’exploration et de découverte des personnages, d’approfondissement de ces quêtes. Bien entendu, personne ne vit en vase clos et chacun est marqué, influencé et relancé par ce contact avec les autres, même (et même surtout) les personnages qui pensaient que par la vertu de l’absolu de cette quête, ils seraient immunisés des apports externes.

Mais ce ne sont pas seulement les personnages eux-mêmes qui défient l’expectation de l’ordinaire de manières toujours originales. Comme je le disais au début, le lecteur doit aussi souvent lui-même, d’une certaine façon, rendre les armes et baisser ses défenses face aux situations confondantes, si possible dans le meilleur sens de ce terme, dans lequel les personnages sont emmenés à évoluer, tout naturellement. Dans un monde où l’identité se veut de plus en plus une source de limitation, le plus souvent imposée par des conventions extérieures, il était rafraichissant de lire ce roman où, comme dans le monde urbain réel qui est notre quotidien, l’identité de tout un chacun ne fait qu’inconfortablement et piètrement, si on s’y attarde trop, contenir une pâle représentation de la multitude que nous sommes tous. Ce que nous offre ici Monique Proulx c’est un tour de force d’une grande beauté : ce pouvoir quasi magique de marier et faire traverser au lecteur le temps, les époques et les contextes en insufflant à chacun la majesté et la dignité propre à sa condition humaine.

Tags Ce qu'il reste de moi, Monique Proulx, Montréal, Histoire, Série fiction, Nouvelles

"Les coulisses de la ville"

April 11, 2024 John Voisine
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Ruelles. Ariel Tarr et Florence Sara G. Ferraris, La courte échelle—Parfum d’encre, 2024, 255 pages.

Je ne conserve aucune nostalgie des quelques ruelles que j’ai connue durant mon enfance. C’était généralement des endroits d’une propreté douteuse, asphaltée, rugueuse, étouffante et qui n’offraient que peu d’éléments positifs et une tonne de composantes rébarbatives. C’était bien révolu le temps des « colonies » d’enfants dans les quartiers. Ce n’était plus l’époque où nos amis habitaient tous autour d’un unique bloc urbain, alors rares étaient les raisons pour se retrouver dans une même ruelle vide, grise, sans point focal naturel. De plus, les endroits naturalisés ne l’étaient pas de façon invitante (beaucoup d’herbe à poux ou d’autres verdures irritantes).

En rétrospective, et avec le rafraichissement historique et sociologique que donne la lecture de Ruelles, c’était l’époque où la Ville poussait les propriétaires à se débarrasser de leurs hangars (« la dentelle des ruelles », peut-être, mais surtout, comme le soulignent les auteures, source majeure d’incendies) et la plupart d’entre eux n’étaient que trop heureux de le faire. Il faudra beaucoup de temps et surtout un changement de garde démographique avant que l’aménagement de ces cours, nouvellement dégagées par la disparition des hangars, puisse faire son chemin dans les pratiques d’habitation. Longtemps, lorsque les gens parlaient de se « réapproprier » leurs ruelles, c’était surtout pour confortablement aménager une place à leurs voitures. Bref, dans les années 1980-90, on commençait à peine ce qui deviendra la vague de revitalisation/gentrification tranquille qui fera de certaines de ces ruelles des milieux de vie pour leurs riverains. Mais pour réussir cette métamorphose, ce n’est pas seulement les cours privées qu’il faudra transformer, mais toutes nos façons et raisons de donner de la valeur à l’espace central, la ruelle elle-même.

Les auteures, Mesdames Ariel Tarr et Florence Sara G. Ferraris, font d’ailleurs un excellent travail de nous faire suivre le cheminement, parfois assez pénible, qui a conduit certains groupes de riverains à mettre les ruelles au « centre », physiquement et métaphoriquement, des îlots urbains dans les quartiers centraux (et aussi dans quelques anciennes « banlieues », comme Ville-Émard, Côte-Saint-Luc et Verdun). Les auteures exposent bien les façons et approches variées entre les différents arrondissements, qui sont au cœur des résultats disparates. Où certains vont appuyer tous les efforts, petits et grands, d’autres apporteront leurs soutiens qu’aux interventions « lourdes » et systématiques, avec des aménagements qui transforment la ruelle de stationnement en exemple de résilience urbaine naturalisé. C’est dans l’arrondissement du Sud-Ouest où l’on trouve ces approches « intensive », souvent identifié comme modèles bleu-vert.

Sur les traces de Ruelles…

Dans les arrondissements centraux, on semble accepter souvent une approche moins systématique, où seule la mobilisation d’une poignée de riverains peut apporter des résultats tangibles. Les deux démarches ont certainement leurs validités en contexte. Mais dans la plupart des cas, on a envie de dire, comme le laisse entendre l’expression, qu’il ne faudrait pas que le mieux devienne l’ennemi du bien. Dans cette veine, les auteures nous rappellent le cas de la ruelle Demers, dans la prolongation de la rue du même nom dans la partie sud-est du Mile-End. Un documentaire iconique de l’ONF, Les fleurs c’est pour Rosemont (1969) présente l’histoire de 5 jeunes architectes fraichement sorties de l’école et qui tentent de faire œuvre positive dans ce coin isolé et à l’époque encore très « populaire », du Plateau. Le choc des cultures qui s’en suit est presque insoutenable, mais beaucoup de choses peuvent être comprises si l’on sait que cette ruelle est maintenant un des joyaux des ruelles vertes du quartier.

Ruelles est autant une source d’inspiration, pour qui aimerait se laisser emporter par le rêve d’un environnement urbain revalorisé qu’un guide « how-to », qu’un livre d’histoires racontées à la première personne de gens pour qui les ruelles ont offert un réconfort, des opportunités, des ami(e)s-voisins, même parfois une nouvelle carrière. À propos, les auteures nous proposent de nombreux portraits, dont celui de Léa Philippe, celle qui a eu l’idée de lancer le Festival des arts de ruelle.

Que ce livre-guide sur les ruelles des quartiers de Montréal puisse exister maintenant est bien le reflet de la renaissance heureuse qu’a connu cette typologie particulièrement montréalaise (1). Et après une longue période de dormance qui correspond à ces années d’une lente transition fonctionnelle et souvent aussi morphologique, même les gens pour qui ces nouvelles typologies d’espaces semi-publics n’évoquent rien de nostalgique sauront y trouver leurs comptes. Qui sait, certains pourront de plus se donner le goût de participer à la création d’un 3e lieu près de chez eux. Ce qui est certain, c’est que nous avons maintenant ce merveilleux petit guide pour aller à la découverte des ruelles. Dix parcours originaux, à travers presque tous les quartiers de la ville, ont été montés par les auteures et même Verdun, pourtant pas réputés pour ses ruelles, à trouver les faveurs d’un parcours; autant d’occasions de parcourir ces sentiers à peine dissimulés. Un bel été de parcours urbain en perspective, dans ces « coulisses de la ville ».



(1) Comme le rappellent les auteures, c’est une typologie urbaine qui se retrouve dans plusieurs anciennes colonies britanniques, mais dans l’ouvrage on parle de son expression montréalaise.

Tags Ruelles, Ariel Tarr, Florence Sara G. Ferraris, Montréal, Histoire urbaine

Ne peut se résoudre qu'en voiture

May 4, 2023 John Voisine
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Le transport collectif à l’épreuve de la banlieue du grand Montréal. Gérard Beaudet, Presses de l’Université Laval, 2021, 216 pages.

Cette chronique est la dernière de notre série Trans&Transit [9/9]

On ne sera pas surpris que ce dernier livre de Monsieur Gérard Beaudet* soit un incontournable pour comprendre l’histoire, le contexte et les contraintes des transports collectifs comme moyen d’accessibilité à l’échelle du grand Montréal. Plus spécifiquement, l’auteur visite et examine quelques-uns des projets « novateurs » TOD mis de l’avant par la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) comme milieu d’accueil du développement futur de la métropole. Les pôles proposés ont-ils la capacité et les moyens de croître en tant que noyaux urbains et pivots de mobilités en transport collectif et actif ? Le PMAD de la CMM vise à canaliser 60 % de la croissance des ménages dans les aires TOD et 35 % des déplacements en période de pointe du matin par transport collectif d’ici 2031. Il semble raisonnable de penser que le premier objectif sera atteint, mais le deuxième laisse dubitatif, surtout lorsque l’on sait qu’il est d’à peine 25,8 % maintenant (1).

Ainsi, il y a cette stratégie de canalisation de la croissance qui compte sur les vertus des TOD pour opérer une transformation fondamentale dans les modalités d’accessibilités à l’échelle de la CMM. Mais comme le démontre Gérard Beaudet, l’héritage de la structure métropolitaine, entièrement capturé par la logique automobile, se liguer contre cette possibilité. Ce n’est pas tellement que l’occupation du territoire métropolitain se soit étalée et dispersée au point d’être irréconciliable avec une desserte en transport collectif, même s’il y a beaucoup de cela. Plutôt, en regardant le modèle proposé avec Horizon 2000 en 1967, on remarque une structure métropolitaine très similaire à ce qui existe aujourd’hui. Mais cela devait être, en l’an 2000, pour une région de 7M d’habitants.

La différence, fondamentale, est dans l’absence de densité (on est loin du 7M) et de concentration urbaine des activités. La consommation en territoire est la même, mais pour un bassin de population presque 2x moindre. L’explication : le triomphe du tout à auto et son corollaire, l’autoroute. Le résultat est qu’en 2023, l’Indice d’accessibilité au transport collectif (2) démontre qu’une fois sorti de l’île de Montréal, le niveau « Très peu d’options de transport en commun » devient vite la norme.

Sur les traces de Le transport collectif à l’épreuve…

Pour réaliser un environnement TOD qui fonctionne, c’est à dire qui agit en tant que vecteur d’accessibilité des destinations désirées en transport collectif et actif, il faut que ces derniers soient de nature « structurant ». Et même si, comme le signale l’auteur, ce dernier qualificatif est approprié « comme une incantation » pour tout nouvel équipement de transport collectif ou extension de réseau, c’est une occurrence assez exceptionnelle lorsqu’une ligne de transport collectif est véritablement structurante pour son environnement urbain. Cela est attribuable au fait qu’il doit y avoir une imbrication assez intime entre les usages, la densité de population et la densité des activités pour que cet effet structurant se matérialise. On parlera aussi souvent des trois D des TOD : Density, Diversity, and Design. Mais, comme le demande l’auteur, qu’en est-il des autres 3D, comme l’accès aux destinations, la distance, réelle ou perçue, pour se rendre à destination (first/last mile problem) et la gestion de la demande (le TDM) ? Et que dire de l’offre phénoménale en stationnement, qui se fait presque plus abondante dans les TOD (sous prétexte de faciliter l’usage des transports collectifs, justement) ? La vérité est que ces développements constituent plutôt de l’Auto-Oriented transit (un « transit » qui dessert une population captive de l’automobile).

Monsieur Beaudet met à « l’épreuve du terrain » une vingtaine des cent cinquante-neuf (159) aires TOD de la CMM. Le mieux que l’on trouve à en dire est qu’elles sont « fortement contrastées » entre elles, mais ce contraste n’aura pas permis de dégager de formules gagnantes montréalaises. Bien au contraire, elles ne font que masquer par quelques victoires à la Pyrrhus les déficiences chroniques, morphologiques et structurelles des transports collectifs à cette échelle du territoire métropolitain.

Ce qu’il faut comprendre de cette lecture est que la tâche d’imbriquer de façon symbiotique une forme urbaine à une infrastructure de transport collectif demande un engagement actif de toutes les parties. De plus, c’est un engagement qui doit viser des objectifs et implanter un design urbain qui est presque « contre nature » par rapport à la morphologie habituellement de banlieue. Il n’y a malheureusement rien de « contre nature » dans les aires TOD de la CMM.


* Avec une préface bien cadrée d’un enseignant de qui je garde le meilleur des souvenirs, le professeur Paul Lewis, maintenant à la retraite.

(1) On trouve cette statistique sur la page Web de l’Observatoire du Grand Montréal (CMM), onglet Transport—> Modes de déplacement — Enquête OD—> Part modale du TC — pointe AM (%).

(2) On trouve cette information sur la page Web de l’Observatoire du Grand Montréal (CMM), onglet Transport—> Indice de la mobilité durable—> Indice d’accessibilité au transport collectif.

Tags Le transport collectif, Gérard Beaudet, Montréal, Banlieues, Transport collectif

Plus propre

October 11, 2021 John Voisine
Nettoyer Montréal Nettoyer Montréal Nettoyer Montréal Nettoyer Montréal Nettoyer Montréal

Nettoyer Montréal—Les campagnes de moralité publique, 1940-1954. Mathieu Lapointe, Éditions du Septentrion, 2014, 395 pages.

Pour les Montréalais (de cœur, de résidence et d’amour !) de ma génération, si l’on connaît quelque chose du Montréal des années 1940-50, c’est surtout pour sa réputation (que l’on imagine un peu surfaite) de « swing city » musicale, de « ville ouverte » aux jeux et à l’alcool, de cité accueillante et tolérante de tous les « vices commercialisés ». Additionnez le tout d’un certain « je ne sais quoi » d’exotique et risqué (sorte de « Paris » nord-américain, à rabais), lieu par excellence d’une « marchandise » féminine facile, et le portrait est complet. Dans le meilleur des cas, cela donne des histoires comme celles racontées dans un roman de Mordecai Richler ou dans les mémoires spécifiques à cette période de Bill Weintraub, City Unique. Les locaux et les gens de passage profitaient pleinement des agréments de la métropole canadienne. Tellement que, plus de 60 ans après que nos quartiers et nos mœurs politiques municipales s’en soient extirpés, ces caractéristiques illicites viennent trop facilement à l’esprit d’un néophyte à la nostalgie déplacée.

Dans l’extraordinaire travail d’histoire qu’est Nettoyer Montréal, on apprendra que l’on n’avait pas absolument tort d’être marqué par cette caractérisation de Montréal comme d’une cité au centre du commerce des plaisirs illicites et de la tolérance du vice. L’auteur, qui semble s’être fait une spécialité du thème de la corruption municipale, nous brosse ici un portrait magistral de cette histoire, autant sur le plan intellectuel que sur le plan matériel ; le portrait d’une métropole tenaillée par un « underworld » criminalisé, agissant avec la complicité tranquille des édiles municipaux et d’une police « autonome ». C’est aussi (surtout même) l’histoire fascinante d’une génération montante de la classe moyenne « canadienne-française » qui commençait à se définir de façon moderne et qui était de plus en plus inconfortable de constater son exploitation et ses humiliations en continu dans cet univers urbain qu’elle souhaitait maintenant mieux maîtriser, contrôler et forgé selon ses idéaux.

Le fait que ces « vices commercialisés » s’exposaient avec impunité et nonchalance dans la cité, qu’ils sont la source d’une économie essentiellement illicite d’exploitation et d’une humiliation croissance à l’échelle nationale et continentale, deviendra vite, au sortir du deuxième conflit mondial, l’élément de cristallisation qui militera en faveur d’un « nettoyage ».

Sur les traces de Nettoyer Montréal

Celui qui finira par bénéficier le plus, sur le plan de la politique municipale, est certainement le futur maire pour les 30 prochaines années, à partir de 1954 (avec une éclipse de 1957 à 1960), Jean Drapeau. À cette époque, il était certainement un réformiste, un des membres fondateurs du Comité de moralité publique (CMP), qui demandait la constitution de ce qui deviendra l’enquête Caron, sur le « vice commercialisé ». C’est en fait grâce aux efforts concertés du CMP et d’une série d’articles chocs, sous le plume de l’incomparable Pacifique Roy « Pax » Plante, paru dans le journal Le Devoir (et plus tard transformé en livre tout aussi choc), que la mobilisation atteignit un niveau tel que même le monde prodigieusement hermétique de la classe politique municipale montréalaise a dû finalement autoriser l’enquête.

En fait, lors du début de l’enquête Caron, Montréal se situait dans le sillage de plusieurs grandes villes nord-américaines qui passaient à travers une période de questionnement, d’enquêtes et de réformes (idéalement), suite à la prise de conscience dans le public du phénomène de la criminalité organisée. Au niveau fédéral américain, des enquêtes-chocs comme celle du comité sénatorial Kefauver ou de films (noirs) comme The Captive City (présenté à Montréal par le CMP) contribuent toutes, à leurs façons, à la volonté populaire de « reprendre » le contrôle des affaires municipales d’entre les mains des élites traditionnelles ou des diverses « machines » politiques.

On pourrait croire que les grands partis provinciaux de l’époque, l’Union nationale et le parti libéral, se seraient fait les grands défendeurs de ce mouvement citoyen d’expositions et d’éradication de la corruption et du vice. Mais pour des motifs bien différents, dans le premier cas, pour cause d’un « conservatisme » assimilant ces manifestations illicites à des motifs personnels, essentiellement l’affaire « d’étrangers » de passage dans la métropole et dans l’autre cas, pour cause de proximité aux élites municipales impliquées, leurs résistances quasi actives sur ce front est quelque chose qui mérite sa propre histoire.

Cela dit, dans son champ d’analyse historique, à l’échelle municipale et pour ce portrait tout en nuance d’un combat émanant authentiquement d’une société civile canadienne-française urbaine, en construction de son identité moderne, ce livre est d’une lecture essentielle.

Tags Nettoyer Montréal, Mathieu Lapointe, Montréal, Réforme municipale, Corruption

L'espoir d'un mouvement

August 23, 2021 John Voisine
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A City With a Difference—The Rise and Fall of the Montreal Citizen’s Mouvement. Timothy Lloyd Thomas, Véhicule Press, 1997, 214 pages.

Avec l’approche des élections municipales à travers la province, le 7 novembre prochain, je me suis dit qu’il serait intéressant de parcourir quelques ouvrages portant sur la politique et ses rapports avec le monde municipal. Dans notre système, rares sont les possibilités de transformation urbaine sans une implication active du politique ; peu importe la qualité, l’avant-gardisme et le professionnalisme des plans, politiques et autres documents réglementaires produits par les urbanistes et juristes. On parle souvent des administrations municipales comme étant le niveau de « gouvernement » le plus proche du citoyen ; mais on oublie aussi la réalité que c’est le niveau le plus insulaire et le plus susceptible de devenir captif d’intérêts particuliers. Nous aurons plusieurs occasions de revenir sur ces thèmes au cours des prochaines semaines.

Pour lancer cette série, je voulais nous partir avec ce qui fut, pour moi, l’initiation à la politique municipale, même si c’est seulement au début du deuxième (et dernier) mandat de l’administration du maire Jean Doré et de son Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM—Montreal Citizen’s Mouvement—MCM), que je pouvais, pour une première fois, participer à un vote. La période 1986-1994, soit ceux des deux mandats de l’administration Doré-RCM, en fut une d’espoirs et de changements essentiels, comme l’ouverture de grandes fenêtres sur une pièce sombre et étouffante, après plus d’un quart de siècle de l’administration du maire Jean Drapeau. Même si ce dernier demeure le maire le plus marquant dans l’histoire moderne de Montréal, il n’est pas moins un cas-école de la sclérose et de la capture qui peut si facilement prendre à la gorge les administrations municipales.

En me mettant la main sur ce livre, je voulais colmater mes lacunes sur l’histoire du RCM, ce mouvement/parti qui avait presque réussi, pour un temps, un miracle d’ouverture de l’administration municipale sur une gestion moderne et une prise en compte des intérêts citoyens. Il y a certainement dans l’ouvrage de M. Thomas de quoi combler nos connaissances sur le long cheminement du RCM, mais il faudra chercher ailleurs pour une analyse crédible des raisons du « fall » et de ses suites.

Sur les traces de A City With a Difference

Cet ouvrage de M. Thomas possède plusieurs qualités sur le plan de l’approfondissement de l’épistémologie intellectuelle du mouvement/parti RCM et de sa place sur la grille des partis politiques de cette fin de vingtième siècle. L’auteur nous fait une dissection assez originale de ce que fut le RCM et des déchirements (les fameuses « contradictions ») qui secouent ce type d’organisation ; ils se voient d’abord comme un « mouvement » portant les visées et les aspirations de ses membres, aussi plurielles qu’elles sont nombreuses.

En se calquant sur les travaux du politicologue américain Herbert Kitschelt et ses études (dans The Logics of Party Formation) des partis européens de type « libertarien de gauche » (comme les verts), l’auteur nous offre une grille pour comprendre l’évolution du RCM, de sa fondation, au début des années 1970, à sa prise de pouvoir en 1986 et peu après sa défaite, en 1994, aux mains de Pierre Bourque. Pour ceux qui ont connu ces années, ce sera le temps de retrouver des noms qui ont marqué la scène municipale montréalaise, comme Nick Aux der Maur, Michael Fainstat, Léa Cousineau, Marvin Rotrand et John Gardiner. On aura droit au rappel de quelques dossiers qui ont mis à vif les « contradictions », entre idéologues et pragmatistes, du « mouvement » RCM, et ceci dès son premier mandat ; l’affaire Overdale, la démolition de l’Hôtel Queens et l’agrandissement d’un stationnement (Matrox) dans le parc-nature du Bois-de-Liesse. L’implantation d’une plus grande transparence administrative, et la démocratisation de l’administration municipale, tant souhaitée des militants du RCM, ne seront jamais vraiment abouties. Elles seront même vite renversées après la défaite de 1994.

Pour les férus de mécanique de parti et des logiques internes des mouvements de gauche à saveur libertarienne, ce livre offre une belle histoire des contradictions qu’ils ont eu à confronter. Le fait que le parcourt du RCM se calque à ce modèle (jusqu’à un certain point) démontre le bien-fondé de l’analyse. Même si le parti n’existe plus, et que la coalition d’anglo-franco-libertarien-de-gauche du RCM n’est, depuis longtemps, plus qu’un souvenir, une grande partie de ses principes sont maintenant incarnés par Projet Montréal. Nous y reviendrons.

Tags A City With a Difference, Timothy Lloyd Thomas, Montréal, Élection municipale, Politique municipale

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