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Wellington | Fabrique urbaine

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Verdun, Québec H4G 1R3
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L'urbanisme en pratique

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URBS+ : Abréviation d’urbanisme, mais quand même un peu plus. Une revue hebdomadaire d’ouvrages et d’œuvres avec comme point commun un intérêt pour l’univers urbain, qui est aussi l’univers ultime de l’être humain.

De cols mousseux à coeurs malades

June 10, 2025 John Voisine
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Les Coeurs tigrés. Yves Morin, Hamac classique (Septentrion), 2011, 446 page. Lu une copie empruntée à la bibliothèque d’arrondissement.

Série Fiction

Je dois admettre être un peu nerveux et appréhensif avant de m’engager dans un roman « historique ». Plus la gimmick qui structure le récit est élaborée, plus mon aversion envers la moindre facilité narrative ou faux-fuyant de la part de l’auteur m’aurait immédiatement fait arrêter la charade. Ici, nous avons deux histoires imbriquées et juxtaposées, comme dans une trame miroir qui se déroule dans la même ville (Québec), dans le même hôpital (l’Hôtel-Dieu de Québec), géré par le même ordre religieux (les Augustines) et qui implique la même crise médicale autour du même produit (la bière), avec au centre de l’intrigue la même cause et le tout, à 300 ans d’intervalle (1665-1965). De plus, que penser du fait que l’auteur, Yves Morin (il est décédé en juin 2024), soit aussi un ancien cardiologue au même hôpital et un ancien doyen de la faculté de médecine de l’Université Laval? Sans préjudice, mais pas exactement le chemin qui conduit à la production littéraire. Cela ne s’invente pas, mais il est aussi le « héros » de son histoire romancée, puisque c’est lui-même (et son équipe) qui, au milieu des années 1960, a fait la description canonique de cette maladie cardiaque, a fini par en trouver la cause et a mis en place le protocole de traitement. C’est surtout le genre de maladie dont il faut assurer la suppression de la cause. Même après avoir compris le comportement cyclique des cas observés à Québec, on n’avait qu’une partie très fragmentaire de la réponse. Les vecteurs d’introduction de la maladie divergeaient au point d’en faire, il y a trois cents ans, une simple occurrence naturelle et, lors de la résurgence de la maladie en 1965, un geste proche de l’acte criminel.

Assez exceptionnellement, j’étais malgré tout favorablement disposé à m’engager dans ce roman, puisqu’il nous avait été recommandé par un conférencier sur l’histoire de la production de la bière dans la province. Il avait évoqué l’histoire de la fameuse brasserie Boswell-Dow, qui, après presque 180 ans, a périclité de manière assez dramatique. Tout le monde connait, sans vraiment connaitre, les causes de cet effondrement. Nous laissant un peu sur notre faim, le conférencier nous avait toutefois promis que ce roman, écrit par le cardiologue qui avait été aux premières loges, saurait combler notre curiosité tout en passant un bon moment de lecture. Ma seule frustration maintenant est de ne pas avoir commencé sa lecture le soir même de la conférence! [1]

IL NE FAUT PAS DANSER AUTOUR DES MOTS ICI. Il s’agit bien de comportements criminels volontaires ayant entrainé la mort d’une vingtaine d’hommes, pour la plupart des débardeurs ou des hommes de métier du port de Québec, gros consommateur de bière (jusqu’à six litres par jour), il est vrai, mais autrement innocent dans cette affaire. Ce comportement provient de petits « gestionnaires de profit » d’une brasserie qui cherchait à s’accrocher à ses marges dans un environnement social et concurrentiel en pleine évolution. Que dire des organismes gouvernementaux, autant provinciaux que fédéraux, chargés de protéger le public? Une autre histoire, subtilement présentée dans ce roman, où la convergence des intérêts n’a pas joué en faveur du citoyen.

Mais le lecteur attentif se demandera maintenant comment ce qui ressemble à un adjuvant moderne a pu trouver sa pareille dans un environnement « ancien régime », du temps des héroïques sœurs augustines et de l’intendant Talon avec sa fameuse bière pour quérir les colons des maux de l’eau-de-vie.

Rendu à ce stade, il vous faudra me faire confiance quand je vous dis que l’auteur a simplement eu la plume heureuse qui lui aura permis de faire de ce roman, à la fois un thriller historique, un thriller médical, un thriller scientifique et, comme pour toutes les meilleures œuvres littéraires, bien plus que la somme de ces genres! Toutes les réponses se dévoilent au moment opportun dans ce récit rythmé par des personnages bien de leur temps. Chacun, à sa manière, en appliquant « l’intelligence de son époque », en arrive à aider leurs prochains, autant sur le plan médical que humain. L’auteur réussit parfaitement son pari [2] de faire se côtoyer deux réalités historiques parallèles, mais en communication, sans la moindre condescendance envers les consœurs et confrères d’une époque maintenant révolue. Nos réalités font que les coupables ne seront jamais châtiés, mais la recherche sincère et authentique de la vérité en son temps est sa propre rédemption.


[1] J’ai l’impression de vendre la mèche ici, mais, pour ceux qui aimeraient aller plus loin, l’exposition permanente à l’îlot du Palais à Québec à une section intitulé Ici, on brassait la bière ! qui porte justement sur cette histoire. En plus, on peut y entendre le témoignage du docteur Yves Morin ! Pas encore vue, mais j’ai bien l’intention d’y passer un agréable moment cet été.

[2] La mort emporte bien des choses. Le site Web sur lequel le docteur Yves Morin avait mis en ligne la documentation qu’il avait constituée afin d’écrire son roman devait encore être accessible jusqu’à son décès, l’an passé. Un échange de courriel avec l’éditeur s’est avéré sans issue, comme c’est souvent le cas pour les ouvrages en « back catalog » comme celui-ci. Mais grâce à la magie du WayBack Machine, on peut récupérer l’essentiel du matériel. On cherche pour lescoeurstigres.ca.

Tags Les coeurs tigrés, Yves Morin, Québec, Histoire populaire et urbaine, Série fiction, Histoire du Québec, Brasserie Dow

Il était une fois des gens heureux

April 10, 2025 John Voisine
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Les Plouffe [1]. Roger Lemelin, Édition Stanké, 2008 [1948], 448 pages.

« Il était une fois des gens heureux… » est la chanson-titre de la bande originale du film (BOF), chantée par Nicole Croisille. Paroles et musique de Stéphane Venne. Mais c’est l’interprétation de Nicole Martin qui demeure canonique.

On ne pourra faire autrement, surtout si la lecture de ce roman se fait après le premier de Roger Lemelin, Au pied de la Pente douce, qui se déroule dans le même quartier de Québec et le même univers familial et temporel, que de comparer entre les deux. Et certainement, cette comparaison emmènera un soupir de soulagement, même si la lecture ne se fait pas sans ressentir de nombreuses crispations devant plusieurs scènes et échanges entre les personnages. Le patriarche des Plouffe, Théophile, ainsi que le curé de la paroisse, Folbèche, sont dépeints dans toutes leurs rigidités aveugle et avilissante. Il y a par contre des scènes du roman qui ont atteint un statut quasi mythique, comme celle au Château Frontenac, entre Ovide Plouffe (interprété dans les films par Gabriel Arcand, au meilleur de sa force réservée d’acteur) et Rita Toulouse (interprétée dans les films par Anne Létourneau, incarnation sans pareil du charme d’une autre époque). Ou encore celle de la procession contre la conscription, qui s’étend et serpente entre les quartiers de la basse-ville et les hauteurs de la basilique-cathédrale et qui signalera le point d’orgue de ce mouvement. Mais, bien entendu, si nous avons l’impression de reconnaitre ces scènes emblématiques avant même de les lire, c’est parce que nous avons souvenir, pour plusieurs, d’avoir littéralement vu ces scènes dans le film [1] réalisé par Gilles Carle, qui l’avait d’ailleurs scénarisé en proche collaboration avec l’auteur.

L’une des particularités de l’œuvre Les Plouffe, et même ce qui fut marquant à son époque, était sa capacité à s’intégrer et à prendre la forme du média ayant le plus d’impact lors de la translation. Ces personnages, à saveur prononcée de « quartier populaire urbain », avec leurs caractéristiques si distinctement « ouvrières », apportent une fraîcheur dans l’univers renfermé et frileux de la littérature canadienne-française de 1948, au moment de paraitre. Passant de personnages de roman (un peu rigides) à l’incarnation d’une certaine classe, enfin visible à la faveur de leurs infiltrations dans le monde de la radio et immédiatement après, en inventant presque le genre, en téléroman à la télévision de Radio-Canada (autant les émissions de radio que de télé s’intitulaient La famille Plouffe). Et lorsque tous ces rôles et situations avaient été pressés pour tout ce qu’ils avaient à donner et commençaient même à reculer dans les mémoires, la Révolution tranquille et autres changements temporels et contextuels aidants, Les Plouffe connurent un dernier hourra, grâce au film sorti en 1981. Trois ans plus tard, en 1984, une suite, Le crime d’Ovide Plouffe, basé cette fois sur un scénario original de Roger Lemelin (et non un livre), qu’il calque sur un fait réel survenu en 1949, permet de conclure l’histoire, dans toute sa finalité tragique.

Il n’est plus possible de replonger dans cet univers avec les yeux frais et imprégné de la culture d’un lecteur de l’époque. Malgré tout, Les Plouffe est certainement parmi les œuvres qui se rapprochent le plus de l’expérience d’origine, sans que la barrière temporelle soit infranchissable, au point de rendre la lecture comme celle d’une expérience pénible en pays étranger. En réalité, on y gagne positivement en faisant la connaissance des Plouffe, sous toutes leurs incarnations!



[1] On trouve aussi gratuitement, sur le site de Radio-Canada, cette même édition du roman lu par l’acteur Pierre Curzi, qui à l’époque dans le film interpréta le personnage de Napoléon, un des trois frères (celui du milieu) de la famille Plouffe. C’est une bonne façon de découvrir l’œuvre, autrement et à peu de frais! Bonne écoute!

[2] Pour la petite histoire, plusieurs scènes du film qui, dans l’univers de l’histoire, se déroule dans les rues du quartier Saint-Sauveur, en basse-ville de Québec, ont été filmées dans le quartier Pointe-Saint-Charles (traditionnellement anglophone irlandais) de Montréal. C’est assez évident et ironique lorsqu’on connait les deux quartiers, comme l’illustre ce montage.

Tags Les Plouffe, Roger Lemelin, Série fiction, Quebec City, Quartier Saint-Sauveur

Les raideurs de la Pente

January 14, 2025 John Voisine
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Au pied de la Pente douce. Roger Lemelin, Stanké, collection 10/10, 2009 (Édition de l’Arbre, 1944), 388 pages.

Série fiction — À tous les deux mois

J’eus beaucoup de difficulté à lire et finir Au pied de la Pente douce cet automne. C’était le premier roman de Roger Lemelin. Lorsque l’on parle encore de lui, c’est généralement pour sa série Les Plouffe (qui se déroule dans le même univers). On le mentionne aussi pour avoir été président et éditeur du quotidien La Presse durant les années 1970, jusqu’en 1981. En d’autres termes, ce fut un homme à la carrière autant politique que littéraire, même si celle-ci était autrement plus du côté de la représentation politique que littéraire. C’était aussi à une époque où ce genre de mélange était possible et même relativement courant.

Si je compare maintenant la Pente douce à un roman paru presque simultanément et à l’impact analogue, Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy, le contraste peut être choquant. Ce dernier, par exemple, trouve encore sa place dans tous les syllabus de programme de littérature, du secondaire au cégep et à l’université. Il est facile de se le procurer dans toutes les bonnes librairies, en volume de poche, en édition cadeau ou, sans jeu de mots, en livre d’occasion. Après l’expérience de lecture comparativement pénible que je viens de vivre avec la Pente douce, cet état de fait ne surprend plus.

Je suis pourtant ce ceux qui aurait aimé affirmer que ce premier roman de Lemelin est un classique injustement oublié de la littérature urbaine canadienne-française. À côté de Bonheur d’occasion, il est toutefois vrai que la Pente douce est le premier de ce genre qui fait, dans le roman, une translation de la fameuse « misère » canadienne-française en milieu urbain. Mais, là où mes souvenirs du roman de Gabrielle Roy sont ceux d’une lecture viscérale, qui vient nous chercher là où la douleur se cache, la Pente douce laisse perplexe devant des situations et des dialogues rendus dans une langue et imprégnés d’une culture qui ne s’assimile que péniblement. Étant donné la profusion de noms, prénoms et surnoms utilisés par l’auteur, il est souvent difficile de savoir de qui ou de quoi il est question entre les personnages. À leur décharge, ceux-ci ont toutefois un vrai dialogue intérieur, mais ce qui les fait « tiqué » nous est si étranger qu’il est parfois ardu de suivre la logique du déroulement du récit. Et si l’on ajoute à cela la difficulté de comprendre les enjeux des situations décrites, il est naturel que l’abandon de la lecture, avant la deuxième partie, qui est pourtant plus engageante, devienne la solution la plus courante.

En dernier lieu, j’aimerais toutefois faire un appel à la persistance à travers les pages touffues de ce roman, en quelque sorte un pionnier du genre. Le choc du changement et de l’évolution ne peut être absorbé et compris qu’en faisant preuve d’indulgence (la seule manière de comprendre profondément). Il faut se placer en position de vulnérabilité, en lecteur ouvert à ce qui devait, il n’y a pas si longtemps, être un univers assez commun pour enfin mériter sa propre trame. Le fait que l’écart entre cet univers et le nôtre soit un véritable canyon plutôt qu’une « pente douce » ne devrait toutefois pas surprendre. Je n’ai aucun doute que Roger Lemelin, dans ce premier roman écrit à 23 ans, ait évoqué fidèlement une tranche de vie des gens du quartier Saint-Sauveur, en basse-ville de Québec, juste avant le deuxième conflit mondial. C’est à nous maintenant de nous équiper pour cette randonnée, si l’on veut bien s’y plaire.

Tags Au pied de la Pente douce, Roger Lemelin, Série fiction, Québec, Quartier Saint-Sauveur

Blanc, bleu et rouge

July 30, 2024 John Voisine
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Les Aurores montréales. Monique Proulx, Les Éditions du Boréal, collection spéciale à tirage limité “les incontournables”, réédition 2023 (1996), 243 pages.

Série fiction — À tous les deux mois

C’est après avoir été charmé par Ce qui reste de moi que j’ai souhaité aller voir du côté de ce recueil de nouvelles qui fut, lors de sa parution en 1996, un tournant dans la carrière de l’auteure. Plusieurs signes semblent concourir pour donner cette impression, ne serait-ce qu’il soit réimprimé dans une collection spéciale de douze titres « incontournables », pour souligné les soixante ans de l’éditeur. Comme on peut le voir sur les photos, le livre lui-même est d’une facture magnifique, même si je suis déçu pour l’auteure qu’il soit maintenant impossible de se le procurer en format poche. Rares sont les gens, même parmi les fans finis, qui envisagent de débourser presque trente dollars pour ce genre littéraire (ou n’importe quel autre, à vrai dire). Sans une édition de poche courante, un auteur et son livre n’existent essentiellement plus.

Toujours est-il, Ce qui reste de moi fut un beau coup de foudre et je voulais un peu poursuivre dans cette veine avec ses nouvelles. De plus, comment résister à un titre aussi enchanteur et évocateur que Les Aurores montréales? La date de publication (1996) aurait pu et aurait même dû me donner certains indices sur les effluves, comme ce sous-courant légèrement amer qui allait potentiellement teinter certaines nouvelles. Mais l’enthousiasme de replonger dans l’écriture montréalaise de Monique Proulx prenait le dessus. Ce fut globalement une belle expérience littéraire, où justement cette fluidité dans la maitrise de la voix des personnages et l’évocation du contexte qui les enserrent l’emporte sur toute autre considération. La plupart du temps, mais pas toujours. Il est clair que la fin des années 1980 et la première moitié des années 1995 furent une époque bizarre, une « drôle de période » qui culmine avec le point d’orgue du deuxième référendum, en octobre 1995. Le soir du revers, le premier ministre de la province fait des remarques indignes et incompréhensibles, pour un homme de sa stature. Après cette deuxième défaite référendaire, plusieurs nationalistes ont fermé leurs cœurs et leurs intellects à toute possibilité d’avancement de la cause en dehors du cercle décroissant des Québécois de souche. Il est peu probable que ce durcissement idéologique, qui a toutes les caractéristiques d’une dégénérescence, donne éventuellement des résultats fertiles et positifs.

Et il y a les artistes, comme l’auteure, qui ont réussi à faire passer dans leurs créativités une partie de leurs frustrations face à ce revers historique. Dans le cas des auteures de génie, comme c’est le cas ici avec ce recueil de Madame Proulx, la vaste majorité des passages où cette blessure est évoquée, cela s’accomplit dans la subtilité, l’ironie et un humour qui facilite la sublimation de la défaite. Ceux qui auront vécu et connu l’expérience de vivre à Montréal durant cette période y retrouveront plusieurs situations, contexte de vie et personnages qui étaient à leurs summums et ne manqueront pas de lire le recueil avec ce sourire caractéristique. Les autres seront transportés, le temps d’une lecture épisodique, dans une ville familière, mais d’un autre temps.

Tags Les Aurores montréales, Monique Proulx, Nouvelles, Montréal, Série fiction

"Que cela aussi serve le bien"

May 28, 2024 John Voisine
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Ce qu’il reste de moi. Monique Proulx, Boréal, 2015, 430 pages.

Série fiction — À tous les deux mois

Il n’y a pas un personnage dans ce roman construit en petite fresque qui ne m’a pas donné un bon moment à être légèrement déstabilisé ou confondu, et cela est franchement un des meilleurs arguments pour en faire une des lectures presque incontournables de la littérature montréalaise contemporaine. Combien rares sont les auteurs en mesure de conduire une histoire et des personnages contemporains le moindrement complexes sans tomber dans la rigidité didactique? Avec la diversité des possibilités et des conditions envisageables dans une ville comme Montréal, il y a toujours la crainte de tomber sur un auteur qui utilise une formule de provocation convenue, des situations chocs ou esthétiquement conflictuelle afin d’épicer une histoire, une trame narrative ou des personnages autrement bancals. C’est donc avec un réel bonheur que les chapitres de ce qui est quand même une histoire à la fois inattendue, tout en s’ancrant dans ce qu’une ville peut offrir de vies banales teintées par l’exceptionnel de quêtes uniques, que les chapitres donc offrent des espaces d’exploration et de découverte des personnages, d’approfondissement de ces quêtes. Bien entendu, personne ne vit en vase clos et chacun est marqué, influencé et relancé par ce contact avec les autres, même (et même surtout) les personnages qui pensaient que par la vertu de l’absolu de cette quête, ils seraient immunisés des apports externes.

Mais ce ne sont pas seulement les personnages eux-mêmes qui défient l’expectation de l’ordinaire de manières toujours originales. Comme je le disais au début, le lecteur doit aussi souvent lui-même, d’une certaine façon, rendre les armes et baisser ses défenses face aux situations confondantes, si possible dans le meilleur sens de ce terme, dans lequel les personnages sont emmenés à évoluer, tout naturellement. Dans un monde où l’identité se veut de plus en plus une source de limitation, le plus souvent imposée par des conventions extérieures, il était rafraichissant de lire ce roman où, comme dans le monde urbain réel qui est notre quotidien, l’identité de tout un chacun ne fait qu’inconfortablement et piètrement, si on s’y attarde trop, contenir une pâle représentation de la multitude que nous sommes tous. Ce que nous offre ici Monique Proulx c’est un tour de force d’une grande beauté : ce pouvoir quasi magique de marier et faire traverser au lecteur le temps, les époques et les contextes en insufflant à chacun la majesté et la dignité propre à sa condition humaine.

Tags Ce qu'il reste de moi, Monique Proulx, Montréal, Histoire, Série fiction, Nouvelles

À demeure

March 26, 2024 John Voisine
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Que notre joie demeure. Kevin Lambert, Héliotrope, 2022, 381 pages.

Série fiction — À tous les deux mois

Il n’est jamais facile de lire ou de regarder une œuvre de fiction qui se déroule dans un milieu familier. Toutes les failles ou maladresses qui font partie du récit ou des personnages nous apparaissent comme autant de miroirs déformants. C’est à ce moment que l’on se tourne vers son conjoint pour partager notre hilarité ou confusion face à l’histoire, et que l’on constate, oh horreur!, qu’elle est totalement absorbée et transie par ce qui nous paraissait, évidemment, d’un ridicule à détacher la mâchoire.

Dans ce roman, c’est un peu la sensation qui traverse le lecteur le moindrement accoutumé au rouage d’une firme privée de service. Ici, il s’agit d’un important bureau en architecture, mais il est facile d’imaginer toute une gamme de service; le type de clients sollicités et nécessaires à la poursuite et au succès de l’entreprise finit par avoir une influence directe sur les principaux de ces firmes. Il est vrai aussi que l’architecture est particulièrement vulnérable à ce type de déchéance, mais probablement rien de plus (et souvent beaucoup moins) que d’autres firmes similaires (oui, je parle ici de nos amis ingénieurs!), mais il est aussi vrai que tant qu’à se construire une fiction, c’est toujours plus chic et swell du côté architecture.

Kevin Lambert a eu l’instinct génial, avec son style et sa manière de construire les scènes de son roman, de donner amplement d’espace pour abandonner sans regret la lecture. Le très long chapitre qui ouvre l’œuvre ne sera jamais achevé sans une volonté affirmée, et ensuite, les épisodes de l’histoire se parcourent avec vigueur, grâce à la phraséologie « leste et immersive », vraiment, de Monsieur Lambert. Le roman est clôturé par un autre chapitre-fleuve, mais rendu là, on accepte le deal. Des noms familiers pour ceux qui connaissent le domaine sont lancés ici et là, comme Paul R. Williams et David Adjaye, en lien avec le deuxième personnage principal, mais aussi Lutyens et Roebling. Plus près de nous, mais malheureusement beaucoup moins connu, Alexander Durnford.

Le point le plus faible de l’œuvre est curieusement son personnage principal, une architecte née et ayant grandi ici, qui à 69 ans est mondialement connue et adulée, une égérie professionnelle de sa génération. Ce personnage stresse les limites de la crédibilité et de la crédulité. L’auteur a tenté d’en faire l’émule d’une vraie architecte, vraie lumière de sa génération (et au-delà), l’iraquienne et britannique Dame Zaha Hadid (1950-2016). Il aurait au moins fallu écrire son nom, quelque part dans ce roman.

Tags Que notre joie demeure, Kevin Lambert, Architecture, Capitalisme, Série fiction

Ça se passe pas à Québec

January 30, 2024 John Voisine
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Iphigénie en Haute-Ville. François Blais, L’instant même, 2009, 200 pages.

Série fiction — À tous les deux mois

Deux jolis et sympathiques mensonges de romancier viennent ponctuer cette virée dans les profondeurs de nos âmes contemporaines, offert ici par François Blais. De un, il ne s’agit en rien d’un roman à l’eau de rose, comme il l’est écrit sous le titre indéchiffrable (Iphigénie en Haute-Ville) en troisième de couverture. Cette épithète aurait même de quoi choquer les personnages! De deux, ça (leur histoire) ne se passe pas vraiment Québec, même si un message laissé dans une chiotte d’un bar de la Grande Allée sert de catalyseur pour la chronique épistolaire (les « e-mails ») qui composeront l’essentiel du récit. Les deux héros, Iphigénie et Érostrate, s’entrechoquent le temps d’un été dans un des plus vifs échanges de banalités sans lendemain qu’il puisse être donné de lire. Et puisque c’est l’histoire d’un couple qui est destiné à finir mal (dixit le narrateur) et à ne jamais se rencontrer (consciemment), l’énergie de ces jeunes personnages, « authentique à 100 % », ne trouvera finalement d’autre exutoire que celui de leurs propres récits, fait de fiction/réalité. Malgré des tentatives aussi sincères qu’héroïque de la part de l’auteur de rendre saillant les hauts lieux de la vie étudiante à Québec, on peut garantir que personne ne tournera les pages de ce roman pour s’en absorber. L’action du récit, tel qu’il est, se consomme par la suite principalement à Grand-Mère, dans la Mauricie, et même si cette ville finit par s’incarner avec plus de relief pour nos deux héros (et le lecteur, incidemment), encore une fois, nous n’en sommes pas ici au niveau du roman à l’urbanité atmosphérique d’ambiance. Le narrateur de ce récit, à la fois omniscient, intrusif et avec son propre programme qu’il aimerait bien « vendre » au lecteur, nous présente ce monde légèrement déséquilibré par rapport au nôtre. Le monde du roman est un reflet fidèle du nôtre, mais les prénoms à consonance hellénique des personnages lui confèrent juste assez de décalage pour insuffler une tension mythique et vitale aux contes qui servent de véhicule de communication entre nos héros. La mythologie du récit est celle de notre monde contemporain, qui se vit maintenant, sérieusement, mais où existent contes, récits et fables (appelés « fabliau » par nos héros, comme si ces petits récits en vers faisaient encore fureur). Mis bout à bout afin de servir au dialogue entretenu, le temps d’un été, entre nos deux héros, ils sont ce qui donne à ce roman un incontournable frisson narratif.

Tags Iphigénie en Haute-ville, François Blais, Ville de Québec, Grand-Mère, Série fiction, Roman

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