• APPROCHE ET PRATIQUE
  • [ URBS + ]
  • [ VERDUN ]
  • [ OSU ]
  • CONTACT
Menu

Wellington | Fabrique urbaine

3516, rue Gertrude
Verdun, Québec H4G 1R3
514-761-1810
L'urbanisme en pratique

Your Custom Text Here

Wellington | Fabrique urbaine

  • APPROCHE ET PRATIQUE
  • [ URBS + ]
  • [ VERDUN ]
  • [ OSU ]
  • CONTACT

[ URBS + ]

URBS+ : Abréviation d’urbanisme, mais quand même un peu plus. Une revue hebdomadaire d’ouvrages et d’œuvres avec comme point commun un intérêt pour l’univers urbain, qui est aussi l’univers ultime de l’être humain.

La référence urbaine pour le Québec

June 6, 2024 John Voisine
IMG_2454.jpeg IMG_2455.jpeg IMG_2456.jpeg IMG_2457.jpeg

Dictionnaire politique de la scène municipale québécoise. Sous la direction de Sandra Breux et Anne Mévellec, Presses de l’Université Laval (PUL), 2024, 501 pages.

Une série sur les municipalités et la politique municipale au Québec [5 de 5]

Je vais commencer immédiatement par exprimer le premier (ce n’est pas comme s’il y en a des dizaines!) d’entre mes regrets concernant cet ouvrage essentiel de Mesdames Sandra Breux et Anne Mévellec : à ma connaissance, il n’y a pas de version anglaise. Évidemment, je suis facétieux en disant cela. Mais dans un autre sens, je crois vraiment que pour que l’ouvrage puisse atteindre une forme plus achevée, il aurait fallu qu’il soit bilingue. Qui sait, cela aurait-il même inspiré une forme d’émulation chez nos collègues hors province? J’étais surpris après la lecture de chaque vedette d’être talonné par la volonté de lire, dans un format comparable, un article similaire sur les réalités municipales dans une autre province canadienne ou dans un état américain.

La gestion du palier municipal et régional dans cette province est juste assez différente, juste assez dans l’univers du « uncanny valley » pour rendre les parallèles avec les autres provinces, pour ne rien dire des états américains, bizarrement complexe et rempli de contingences, toujours dans les tournants où l’on s’y attend le moins. Bien entendu, la réalité sur le terrain est tel que, comme l’exprime un des auteurs des préfaces, on aimerait au minimum avoir un ouvrage comparable pour l’Ontario, puisque les deux provinces ont des environnements urbains, des secteurs économiques et de développement qui peuvent aisément s’assimiler l’un à l’autre. De plus, il fait peu de doute que le milieu municipal au Québec gagnerait à pouvoir évaluer plus facilement nos deux systèmes de gouvernance et de gestion locale. Mais évidemment, si un ouvrage similaire existait pour la scène municipale ontarienne, il serait en anglais, une langue plus maitrisée chez les locuteurs francophones du Québec que l’inverse, tristement.

Toujours est-il, je ne voudrais pas prendre plus de place pour pleurer ce que nous n’avons pas, au lieu de célébrer, comme nous devrions le faire justement, le travail colossal et quasi héroïque qui nous permet de profiter avec enthousiasme de ce dictionnaire. En ayant eu la clairvoyance d’envisager que le système municipal dans la province se prête bien à une recension basée sur des mots-clés, on peut aisément faire en quelques entrées le tour qu’une question. Et surtout, en ayant la capacité de rassembler en un seul ouvrage la contribution de plusieurs dizaines d’auteurs spécialistes, le lecteur se retrouve avec une collection alphabétisée d’articles riches, concis et standardisés sur des concepts contemporains de la scène municipale au Québec.

Sur les trace du Dictionnaire politique…

Le format « dictionnaire » de l’ouvrage permet une entrée en matière instantanée et concise, agréable d’utilisation pour le praticien, le chercheur ou l’étudiant. Comme dans un dictionnaire, chaque vedette bénéficie, il va sans dire, d’une définition de quelques paragraphes pour ensuite aborder les enjeux, un historique ou une illustration de l’évolution de la notion discutée, c’est selon. En portant ainsi le texte au-delà de la définition attendu de tout dictionnaire, on donne la chance aux différents spécialistes de creuser un aspect qui va plus loin que la définition stricte. Chaque entrée est toutefois rigoureusement formatée de manière à être concise et d’aller à l’essentiel. Cela ne veut toutefois pas dire que le lecteur est laissé sur sa faim. Les auteurs ont bien au contraire été rigoureux dans les références à même le texte et la bibliographie de l’ensemble de l’ouvrage est des plus exhaustive. De plus, chaque vedette se termine par une section bibliographie spécifique, « Pour aller plus loin » et une dernière partie des plus utile intitulée « Liens avec d’autres articles ». C’est en fait à partir de ces sections que j’ai souvent parcouru un ensemble de vedettes. On en finit une et immédiatement, cette section de liens plus ou moins longue nous conduit à nous intéresser à d’autres notions adjacentes. C’est ainsi qu’on peut faire le tour d’une question. Je dirais même que la grande force du volume, au-delà de l’excellence même des entrées prise individuellement, est cette capacité intégrée à chacune d’elles de porter le lecteur curieux et soucieux de faire le tour d’une question vers toutes les notions connexes pouvant lui être utile.

Je me suis souvent plaint dans ces pages que les ouvrages récents, même ceux de presses universitaires comme PUL, manquent d’un index ou lorsqu’il y en a un, que sa construction soit quelconque. On ne peut pas tout avoir; comme avec un triangle d’optimisation, en choisir deux c’est nécessairement en exclure un. Dans ce cas, on a un index habilement structuré, à partir de notions complémentaires aux entrées-vedettes (comme Arvida, qui se trouve dans la vedette Villes de compagnie), mais pas de pagination. Sur un autre plan, les auteurs sont identifiés par leurs affiliations, mais impossible de savoir à quelles vedettes ils sont contributeur, à moins de les passer systématiquement en revue. Maintenant, cela dit, c’est un ouvrage qu’on voudra toujours garder à portée de mains et on espère de futures éditions, selon l’évolution de la matière.

Tags Dictionnaire politique de la scène municipale québécoise, Sandra Breux, Anne Mévellec, Études urbaines, Administration municipale, Série municipalité

"Que cela aussi serve le bien"

May 28, 2024 John Voisine
IMG_2424.jpeg IMG_2426.jpeg IMG_2425.jpeg

Ce qu’il reste de moi. Monique Proulx, Boréal, 2015, 430 pages.

Série fiction — À tous les deux mois

Il n’y a pas un personnage dans ce roman construit en petite fresque qui ne m’a pas donné un bon moment à être légèrement déstabilisé ou confondu, et cela est franchement un des meilleurs arguments pour en faire une des lectures presque incontournables de la littérature montréalaise contemporaine. Combien rares sont les auteurs en mesure de conduire une histoire et des personnages contemporains le moindrement complexes sans tomber dans la rigidité didactique? Avec la diversité des possibilités et des conditions envisageables dans une ville comme Montréal, il y a toujours la crainte de tomber sur un auteur qui utilise une formule de provocation convenue, des situations chocs ou esthétiquement conflictuelle afin d’épicer une histoire, une trame narrative ou des personnages autrement bancals. C’est donc avec un réel bonheur que les chapitres de ce qui est quand même une histoire à la fois inattendue, tout en s’ancrant dans ce qu’une ville peut offrir de vies banales teintées par l’exceptionnel de quêtes uniques, que les chapitres donc offrent des espaces d’exploration et de découverte des personnages, d’approfondissement de ces quêtes. Bien entendu, personne ne vit en vase clos et chacun est marqué, influencé et relancé par ce contact avec les autres, même (et même surtout) les personnages qui pensaient que par la vertu de l’absolu de cette quête, ils seraient immunisés des apports externes.

Mais ce ne sont pas seulement les personnages eux-mêmes qui défient l’expectation de l’ordinaire de manières toujours originales. Comme je le disais au début, le lecteur doit aussi souvent lui-même, d’une certaine façon, rendre les armes et baisser ses défenses face aux situations confondantes, si possible dans le meilleur sens de ce terme, dans lequel les personnages sont emmenés à évoluer, tout naturellement. Dans un monde où l’identité se veut de plus en plus une source de limitation, le plus souvent imposée par des conventions extérieures, il était rafraichissant de lire ce roman où, comme dans le monde urbain réel qui est notre quotidien, l’identité de tout un chacun ne fait qu’inconfortablement et piètrement, si on s’y attarde trop, contenir une pâle représentation de la multitude que nous sommes tous. Ce que nous offre ici Monique Proulx c’est un tour de force d’une grande beauté : ce pouvoir quasi magique de marier et faire traverser au lecteur le temps, les époques et les contextes en insufflant à chacun la majesté et la dignité propre à sa condition humaine.

Tags Ce qu'il reste de moi, Monique Proulx, Montréal, Histoire, Série fiction, Nouvelles

Une histoire difficile

May 23, 2024 John Voisine
IMG_2402.jpeg IMG_2405.jpeg IMG_2404.jpeg IMG_2401.jpeg

Unité, autonomie, démocratie — Une histoire de l’Union des municipalités du Québec. Harold Bérubé, Les Éditions du Boréal, 2019, 384 pages. Lu sur plateforme PrêtNumérique.

Une série sur les municipalités et la politique municipale au Québec [4 de 5]

On comprend parfaitement que les « créatures » de la province, ses cités, villes, villages et autres entités rurales et locales ont cherché à se doter d’un minimum de « pouvoir dans le nombre » en se regroupant en « Union ». Québec avait beau les avoir légiféré en tant que corporations limitées d’utilités publiques, une fois en place, celles-ci n’allaient pas simplement se contenter de cette existence zombie, jamais tout à fait réalisé. En formant l’Union des municipalités de la province de Québec en 1919 (on bannira province dans les années 1970), un an après l’institution d’un ministère des affaires municipales, les membres (principalement les grandes et moyennes agglomérations urbanisées de la province) réussissent enfin à présenter un front d’intérêt commun à Québec. Si rien d’autre, c’est certainement un petit miracle que sur une période de plus de 100 ans, et qui se continue à ce jour, l’UMQ puisse catalyser au sein d’une même structure, toujours plus effective, les forces et l’expression de la diversité des territoires urbains de la province.

Ce que cette histoire officielle de l’UMQ, commandé à l’historien des affaires urbaines bien connu, Monsieur Harold Bérubé, démontre c’est que la tâche première de l’Union, la représentation des intérêts de ses membres auprès des gouvernements successifs à Québec, est la plus difficile et celle qui offre, ironiquement, le moins de gains tangibles. Je mets ici un peu de mon « spin » sur cette histoire, mais il faut bien comprendre qu’il n’y a pas vraiment un moment où l’UMQ sort triomphante et satisfait de sa relation par rapport à Québec. Celle-ci semble, selon les époques, vaciller entre une indifférence bienveillante, un paternalisme facile ou, dans le pire des cas, d’un mépris à peine voilé, comme à l’époque du gouvernement de Maurice Duplessis. Chaque période apporte ses défis sur le plan urbain et social, mais le dialogue que l’Union entretien avec Québec n’apparaît pas en mesure de faire évoluer progressivement la vision de celle-ci par rapport à ses « créatures ».

Avant la fin de la Deuxième Guerre, c’était en partie à cause d’un trop fort copinage avec le parti au pouvoir (Libéral). Ensuite, bien au contraire, l’Union doit faire face à l’hostilité franche du gouvernement Duplessis (qui trouvait plutôt sa base dans les milieux ruraux, de la colonisation et les villages). L’Union était donc confrontée à un gouvernement qui s’entêtait à faire une gestion corporatiste et refermé des affaires de l’État, tandis que ses membres devaient s’adapter à la modernité de l’après-guerre.

Sur les traces d’Unité, autonomie, démocratie…

On aurait pu croire alors que les années 1960 avec la Révolution tranquille apportée par « l’équipe du tonnerre » allaient permettre à l’UMQ d’avoir une meilleure écoute à Québec, mais c’est plutôt à ce moment qu’un déphasage s’installe. Le gouvernement provincial travail à moderniser l’État québécois, mais le monde municipal ne trouve pas à danser sur ce nouveau rythme, à tel point même que l’Union finira par remettre au gouvernement Lesage le rapport qu’ils avaient remis à la Commission Tremblay en… 1954! La Révolution tranquille se fera donc avec les municipalités sur le bord du chemin, bien plus en tant que spectateurs de la parade qu’en tant que participants. Et encore une fois, le manque d’emprise de l’Union sur les avancés historiques de cette décennie est assez déconcertant.

La décennie 1970 et le début des années 1980 introduisent des changements colossaux dans le monde municipal et encore, cela laisse à peine à l’Union le temps de souffler. La Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles est passé (1978) et ensuite la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (1979), ce qui conduit, entre autres choses, à la création des municipalités régionales de comté (MRC), l’introduction des schémas d’aménagement et l’obligation pour les municipalités de confectionner des plans d’urbanisme conforme. L’UMQ a été spectateur de ces transformations, et non partie prenante. Même lorsque le gouvernement semble vouloir aller dans le sens des doléances municipales, on assiste plutôt, comme au début des années 1990, à du délestage, c’est-à-dire un transfert de responsabilités, mais sans moyens financiers ou organisationnels. Le tournant du siècle est aussi traumatique, avec les fusions municipales forcées et leurs jours meilleurs qui ne se sont jamais vraiment avérés.

Il ne faut pas oublier que les trois premiers mots du titre de l’ouvrage — Unité, autonomie, démocratie — jouent un grand rôle dans l’histoire et servent en quelque sortent de miroir pour juger des avancées de l’organisation. Jusqu’à demain se tiennent justement les assises annuelles de l’UMQ, et il n’y a aucun doute que les membres en retirent une valeur ajoutée qui va bien au-delà du pouvoir dans le nombre. L’unité dans la diversité est certainement une caractéristique qui permet un travail positif, l’autonomie dans la responsabilité évolue constamment et la démocratie municipale est plus que jamais une réalité. En tout et pour tout, je suis heureux que cette histoire de l’UMQ existe, puisqu’elle nous accorde la possibilité de développer cette perspective essentielle.

Tags Unité autonomie démocratie, Harold Bérubé, Politique municipale, UMQ, Série municipalité

Revisiter ses a priori

May 12, 2024 John Voisine
IMG_2249.jpeg IMG_2250.jpeg IMG_2252.jpeg IMG_2248.jpeg

Le BAEQ revisité—Un nouveau regard sur la première expérience de développement régional au Québec. Sous la direction de Bruno Jean, Presses de l’Université Laval, 2016, 215 pages.

Une série sur les municipalités et la politique municipale au Québec [3 de 5]

Je suis le premier à l’admettre, durant notre formation d’urbaniste a ce qui s’appelait à l’époque l’Institut d’urbanisme de la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, je ne suis pas certain d’avoir jamais entendu parler des travaux du Bureau d’aménagement de l’est du Québec (BAEQ — 1963-1966), cette organisation privée qui semble avoir été une étape fondamentale dans la maitrise de la planification à l’échelle régionale au Québec. Ou si nous en avons discuté, cela devait être pour mentionner la proposition de fermeture de dizaine de villages gaspésien et la fermeture effective d’une douzaine d’entre eux. Probablement à cause de la proximité dans le temps, on l’assimile souvent avec l’expropriation des habitants dans le cadre de la création du Parc national de Forillon, même si les deux évènements n’ont aucune parenté, ni dans la démarche ni dans la manière.

Le manque de mémoire et de connaissance par rapport au BAEQ, ses travaux pionniers pour le Québec, ainsi qu’un certain aveuglement à l’égard des outils du « développement régional » est sans doute un des grands contrastes entre nous, les urbanistes, et ce que l’on appelle les « aménagistes ». Même nos écoles sont différentes : les aménagistes émanant essentiellement de l’école supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional (ÉSAD) de l’Université Laval (UL), à Québec. « Développement régional », c’est dans leur nom! Et comme on l’apprend dans cette compilation de textes sous la direction de Bruno Jean, la proximité avec le milieu académique et intellectuel de l’UL est un facteur fondamental dans la sensibilisation à cette notion pour les aménagistes. Comme je l’ai découvert en y faisant ma formation de premier cycle en architecture et ensuite en travaillant quelques années sur le campus, Québec comme ville et le noyau de l’UL comme centre intellectuel sont vraiment la capitale de l’est de la province et même de tout l’est du pays qui se reconnait une affinité avec la spécificité francophone.

Cela conduit à cette perspective, qui n’existe que faiblement dans une métropole comme Montréal. Parfois, rien ne remplace la proximité physique dans l’analyse territoriale. Toujours est-il, paru pour souligner (en 2016) les cinquante ans de la publication des rapports d’études du BAEQ, cet ouvrage rassemble des textes d’intervenants de la première heure impliqués dans les travaux de l’organisation, des participants de l’époque et dans un deuxième temps, de chercheurs qui examinent avec le bénéfice du recul les résultats qui sont sortis de cette expérience unique de planification.

Sur les traces du BAEQ revisité…

Après la lecture de l’ouvrage, on se rend compte qu’il est quelque peu injuste que l’expérience du BAEQ soit réduite à celle de la fermeture des villages. Un long métrage de cinéma-réalité, Les smattes (1971) fait encore écho à cette expérience. Trente ans plus tard, le même réalisateur revient cette fois avec un documentaire, le Grand Dérangement de Saint-Paulin Dalidaire (merci appropriation). Les textes apportent évidemment plusieurs perspectives sur cette manœuvre aux conséquences dévastatrices pour les populations concernées. Le simple fait qu’une telle solution ne fut plus jamais proposée et encore moins appliquée en dit gros sur son impotence. Mais il n’en demeure pas moins que de comprendre la logique qui a conduit à cette proposition et son implantation est essentielle et mériterait d’être mieux transmise dans la profession.

Mais le BAEQ, c’est tellement plus que les fermetures! Dans un mandat qui s’est étalé sur à peine trois (3) ans, ce petit bureau ad hoc fait de sociologues, d’économistes, de gens en droit et dans le domaine naissant du travail social, ont complété un exercice qui ne sera reproduit (et même là sur une échelle beaucoup plus petite et de manière rigide), qu’avec les schémas d’aménagement (et plus tard encore, de développement) qu’au début des années 1980. À travers le recueil de textes et de témoignages colligés dans l’ouvrage, on peut clairement voir le travail du BAEQ avec les populations locales comme un jalon unique vers l’avancement de la province dans une prise en charge de son avenir en contexte de révolution tranquille. Le personnel clé qui se succède dans le BAEQ prendra les commandes d’une fonction publique québécoise qui se modernise et se professionnalise, faisant de la boîte une sorte d’incubateur pour celle-ci. Au-delà de l’accord fédéral-provincial de 1968 qui résulte des propositions contenues dans les rapports du BAEQ livrés en 1966, ce que tous les auteurs semblent reconnaitre est que face à des conditions adverses, un minimum de concertation permet de parcourir beaucoup de chemin. En plus d’ouvrir les canaux de communication et d’avoir en place un réseau solidaire, informé des enjeux mutuels, motivé à collaborer dans une mission commune et capable de mobiliser sa collectivité dans ce sens, ce travail est probablement la seule voie pour un développement durable en région. L’équipe du BAEQ a été pionnière dans ce domaine. Ce livre est cette histoire, qui mérite d’être mieux comprise et assimilée.

Tags Le BAEQ revisité, Bruno Jean, Aménagement, Sociologie, Histoire du Québec, Série municipalité

George Orwell à Verdun

May 1, 2024 John Voisine

Carte postale — Collection Pierre Monette — BAnQ

La mairesse de l’arrondissement de Verdun, Madame Marie-Andrée Mauger, présidait hier soir (mardi) à une assemblée publique « d’information et d’échange » sur le sort que l’arrondissement réserve finalement au Natatorium, le bâtiment Art déco inauguré à l’été 1940 et qui est l’incarnation et le phare du site. Sans ce bâtiment spécifique, restauré et agrandi afin de tenir compte de l’évolution de notre société en quatre-vingts ans, il faut dire que le lieu perd substantiellement de son sens, autant dans la continuité historique que dans sa charge symbolique pour la collectivité verdunoise.

Le bâtiment photographié à partir du boulevard LaSalle, dans toute sa fonctionnalité simple et affirmée (on remarque les lampadaires du toit-terrasse) — 25 mars 1957 — Fonds d’archives de l’arrondissement de Verdun — Montréal, toute une histoire!

Mais en plus de Madame la Mairesse, des conseillers et d’un trio de fonctionnaires sélectionné pour expliquer au public (1) les « choix difficiles », il y avait aussi, bien en évidence, une autre figure. Curieusement, il ne fut pas introduit par le présentateur/facilitateur, qui a pourtant vaillamment conduit cette soirée.

Une journée d’été au Natatorium de Verdun. On remarque les gens qui profitent des bassins, mais aussi ceux qui profitent de la vue, sur le toit-terrasse — 1948 — Fonds d’archives de l’arrondissement de Verdun — Montréal, toute une histoire

Même si ce personnage voulait passer inaperçu, on parle quand même d’une grande figure du monde de la littérature, du journalisme et de la pensée politique du 20e siècle. Il est vrai qu’il avait une présence quelque peu fantomatique, mais comment pourrait-il en être autrement? Il a écrit des récits d’aventures à partir de ses propres exploits (durant l’horrible guerre civile (1936-39) dans la péninsule ibérique), des romans allégoriques, des récits de politique-fiction ou d’anticipation, selon l’époque ou le point de vue où l’on se situe. Il a fait du journalisme-réalité et a aussi écrit sur l’utilisation politique de la langue (anglaise). Mais hier soir, ce personnage était visiblement flatté et présent pour recevoir les honneurs que lui réservait la petite politique municipale de Verdun. Oui, George Orwell était dans la salle du conseil et ne pouvait faire autrement que d’admirer le travail de « novlangue » employé par l’administration de la mairesse Mauger.

Encore une fois, presque autant de monde sur le toit qu’autour des bassins — 23 juin 1913 — Fonds Conrad Poirier — BAnQ — Montréal, toute une histoire

Une des nouveautés terrifiantes dans le monde totalitaire de son plus célèbre roman, 1984, est la manipulation toujours plus sophistiquée de la langue afin d’obscurcir et de détourner les gens de la réalité avérée. Les intentions véritables sont encadrées par un vocabulaire servant à faire de l’ombre, au lieu de servir à éclairer le projet collectif proposé. L’ironie est que l’on utilise même souvent les mots qui mettent en valeurs le meilleur des aspirations contraires afin de mieux faire diversion sur la banalité médiocre et sans vision de ce qui est avancé comme « avenir radieux ».

Durant « les Olympiades de natation ». Foule autour du bassin de plongeons et sur le toit-terrasse, évidemment ! — 1966 — Fonds d’archives de l’arrondissement de Verdun — Montréal, toute une histoire

Ces techniques indignes d’une démocratie municipale ouverte et transparente étaient pleinement déployées hier soir lors de cette soirée « d’information et d’échange ». Madame la mairesse Mauger a commencé par dire, pour ajouté à la confusion, que le site demeure, quand le but de la soirée n’avait jamais été de parler du site, la discussion ayant toujours porté sur le bâtiment. Elle en a parlé en disant que c’était « le bâtiment que l’on traverse et où l’on va se changer et prendre sa douche ». Ah ben, si c’est juste ça, pourquoi tout le flafla? Si c’est vraiment juste un banal bâtiment utilitaire pour passer, se changer et prendre sa douche, pourquoi même nous avoir convoqués? Évidemment, c’est tout le contraire. En plus d’être le bâtiment-phare du site, distinctif et unique dans son contexte, c’est aussi le lieu où les gens pouvaient, jusqu’au début des années 1980, aller passer leur été sur le toit-terrasse, s’y restaurer en se délectant de la brise, du fleuve et des baigneurs (2) dans les deux grands bassins au sol. En termes de taille, seule la piscine extérieure de l’ile Sainte-Hélène viendra l’éclipser, à partir de 1953.

Quelques « Life Guard » bien fier de leur métier ! — 23 juin 1943 — Fonds Conrad Poirier — BAnQ — Montréal, toute une histoire

Maintenant, en avançant les deux scénarios qui ont été étudiés, la mairesse a présenté le choix comme étant celui entre la restauration ou la reconstruction. Blanc bonnet/Bonnet blanc donc? Reconstruction est un de ces mots orwelliens d’une merveilleuse ambiguïté lorsqu’on veut, par exemple, obscurcir la réalité d’une proposition de démolition. Vers la fin de sa présentation initiale, la mairesse Mauger s’est d’ailleurs échappée en disant qu’elle n’était pas « une partisane de la démolition ». Finalement, c’est alors cela que les mots cousus de double entendre tentait de dissimuler. Pourquoi ne pas avoir respecté les citoyens et le dire simplement, right from the top?

Révolution tranquille à Verdun ! Quelques baigneuses qui prennent la pose sur le tremplin du Natatorium — 26 août 1965 — Fonds d’archives de l’arrondissement de Verdun — Montréal, toute une histoire

La mairesse finit par dire que c’est une « conversation » qu’elle entreprend avec « humilité ». Une façon de démontrer cette humilité proclamée aurait certainement été d’utiliser des mots et un vocabulaire qui identifie clairement et ouvertement les intentions du « scénario » retenu. Une démolition n’a rien de la reconstruction. Pourquoi avoir pris ses commettants pour des valises? Même le quotidien numérique La Presse+ intitule ce matin son article sur la question « Le Natatorium de Verdun sera démoli ». Voilà, c’est dit (3).


(1) La soirée était aussi diffusée en direct sur la chaine YouTube de l’arrondissement. On peut la voir avec intérêt ici.

(2) Comme on peut le constater dans ce délicieux vox pop d’une époque maintenant révolue.

(3) Mais pour finir en beauté et avec le sourire, malgré tout, voici une belle page de « trivia » du Natatorium. Ou pour mieux comprendre la fierté civique engendrée par ce qui est vite devenue une institution pour la « Cité de Verdun », on lira cet article paru dans le quotidien The Gazette du 21 juillet 1951, Popular Open Air Pool Pays Verdun Dividends : More than 6,000 cool off in this outdoor pool on hot summer days.

Tags Natatorium de Verdun, Démolition du patrimoine, Arrondissement de Verdun, George Orwell à Verdun, Novlangue

Québec urbain

April 18, 2024 John Voisine
IMG_2231.jpeg IMG_2233.jpeg IMG_2235.jpeg IMG_2236.jpeg

Un Québec urbain en mutation. Gérard Beaudet, Éditions MultiMondes, 2023, 325 pages.

Une série sur les municipalités et la politique municipale au Québec [2 de 5].

Ce dernier livre de Monsieur Gérard Beaudet rend un grand service au domaine de l’urbanisme au Québec. Il est à la fois généraliste et fouillé lorsque le propos l’exige. On pourrait dire de même de la plupart des ouvrages de l’auteur publié au cours des dernières années. Nous en avons revu quelques-uns dans nos pages, en commençant par le duo essentiel pour qui veut se donner une idée de l’évolution urbaine dans la grande région de Montréal : Banlieue, dites-vous? La suburbanisation dans la région métropolitaine de Montréal (2021) et son compagnon, Le transport collectif à l’épreuve de la banlieue du grand Montréal (2022). Ces ouvrages sont uniques sur ces questions, mais il est impensable de les mettre entre les mains du novice et s’imaginer qu’ils resteront sur le dessus de leurs tables de chevet jusqu’à la dernière page. Cela n’est en rien lié à la qualité de l’écriture ou de l’argument, c’est simplement dans la nature de ces sujets. On sait aussi que l’auteur n’hésite pas à se lancer dans des propos qui ont un certain mordant. Le fameux Le pays réel sacrifié : la mise en tutelle de l’urbanisme au Québec (2000, en collaboration avec Paul Lewis, Jean Décarie et Daniel Gill) ou dans un plus récemment, Les dessous du printemps étudiant. La relation trouble des Québécois à l’histoire, à l’éducation et au territoire (2013) en sont des exemples. Mais toujours, à moins d’avoir un engagement profond envers ces questions, il ne sera pas facile d’évangéliser autour de soi. J’allais oublier, mais un autre de ses ouvrages, commenté sur cette page et qui porte un regard original sur le monde municipal, L’innovation municipale — Sortir des sentiers battus (2019, écrit avec Richard Shearmur) mérite le détour. Cela dit, encore une fois, par la nature du sujet, le réservoir des converties sera souvent assez restreint.

Mais avec Un Québec Urbain en mutation, on se retrouve devant ce rare objet : un ouvrage écrit par un spécialiste, mais qui peut facilement se partager et profiter à tous. Par son propos, emmené de façon souple et engageante, le livre est une source de prise de conscience, et de connaissance, dans le domaine. Il ouvrira la porte à de multiples discussions, pourra servir à former une base fertile et mutuelle, à travers presque tous les moments de l’histoire urbaine de la province, de la ville à la campagne en passant inévitablement par les banlieues.

Sur les traces de Un Québec en mutation

On s’en doute bien, il y a des circonstances uniques dans le développement de nos « cités et villes », nos campagnes et nos banlieues. Pourtant, il semble que presque partout, elles ont résulté en de vagues paysages qui, trop souvent, ne sont que banalité de lieu et d’expériences. Malgré ses professions d’unicité, cela nous rappelle douloureusement que notre urbanité codifiée ne fait que reproduire les pires schémas nord-américaine.

Expliquer pourquoi et comment, malgré un cheminement assez particulier dans le domaine du contrôle (mais surtout du laissez-faire) urbanistique, peut impliquer des justifications contextuelles pas toujours faciles et ceci, en dépit d’une maîtrise « professionnelle » des questions urbaine. Ou peut-être chercherons-nous à nous mettre tous sur une même page lors de discussions plus poussées, pour mieux comprendre notre passé et envisager notre futur. C’est durant ces moments, et bien d’autres similaires, que cet ouvrage de Gérard Beaudet (1) sera d’un bon service.

Par exemple, on comprend bien tous de manière abstraite que le niveau municipal est important pour une saine vie politique et civique. Mais qui sait que Lord Durham n’en pensait pas moins? Ainsi, dans son fameux rapport sur les rébellions de 1837-38, il écrivait que : « l’on peut considérer comme une des causes principales de l’insurrection […] l’absence totale d’institutions municipales qui donneraient au peuple une certaine autorité sur les affaires régionales ». En effet, qui l’eût cru, les gens aiment avoir un mot à dire, ou du moins sentir qu’ils pourront le dire et être minimalement entendu dans les affaires qui les concernent de près, comme dans leurs quartiers et sur leurs rues. Malheureusement, ces dernières années, on est passé d’un régime où le bulldozer n’était jamais loin d’aplatir son quartier, surtout si l’on était pauvre dans un quartier oublié, à un régime de gouvernance où plus rien qui profiterait à la collectivité ne peut se construire. L’exception sacrée : les réseaux autoroutiers et les routes sous le contrôle du ministère des Transports (2). Et pour faire bonne figure, les centres commerciaux à la jonction des bretelles d’autoroutes. Aussi, jamais trop d’espace, de fluidité ou de « sécurité » pour les automobiles.

Cette réalité est la nôtre. Il faut admettre que malgré nos cadres législatif tardivement adopté et implanté (par rapport aux autres entités comparables), nous en sommes essentiellement au même point bas que nos pairs nord-américains. Pour retracer cette histoire et enclencher une discussion sur des bases solides, on s’offre et on partage ce livre (3).



(1) Je ne peux pas passer sous silence, étant donné la nature de l’ouvrage, le manque d’un index. Pourquoi affliger le lecteur ainsi?

(2) J’oubliais le “et de la Mobilité durable” mais encore, qui y pense?

(3) Encore une fois, le livre est ce qu’il y a de mieux dans ce type qui combine l’histoire et l’analyse avec un point de vue. C’est pourquoi il était surprenant d’y rencontrer certaines erreurs évidentes, comme lorsqu’il est dit à la page 81 que la « Standard State Zoning Enabling Act (SZEA), une loi fédérale […] » américaine; bien entendu, c’était plutôt une loi modèle proposée en 1922 par le Département du commerce américain aux États du pays afin de permettre à leurs villes de moderniser leurs gestions. La vaste majorité des états de l’époque ont adopté une version du Enabling Act, mais la plupart de leurs villes se sont contentées d’adopter une forme de zonage, souvent de nature raciste et ségrégationniste dans l’application, à défaut de pouvoir l’être dans le texte. Autrement, les « convenants », de nature privée, ne se gênaient pas pour l’être.    

Nous avons abordé ces questions, entre autres en parlant du livre de Monsieur Richard Rothstein, The Color of Law.

Tags Gérard Beaudet, Urbanisation, Province de Québec, Rénovation urbaine, Un Québec urbain en mutation, Série municipalité

"Les coulisses de la ville"

April 11, 2024 John Voisine
IMG_2200.jpeg IMG_2203.jpeg IMG_2202.jpeg IMG_2201.jpeg

Ruelles. Ariel Tarr et Florence Sara G. Ferraris, La courte échelle—Parfum d’encre, 2024, 255 pages.

Je ne conserve aucune nostalgie des quelques ruelles que j’ai connue durant mon enfance. C’était généralement des endroits d’une propreté douteuse, asphaltée, rugueuse, étouffante et qui n’offraient que peu d’éléments positifs et une tonne de composantes rébarbatives. C’était bien révolu le temps des « colonies » d’enfants dans les quartiers. Ce n’était plus l’époque où nos amis habitaient tous autour d’un unique bloc urbain, alors rares étaient les raisons pour se retrouver dans une même ruelle vide, grise, sans point focal naturel. De plus, les endroits naturalisés ne l’étaient pas de façon invitante (beaucoup d’herbe à poux ou d’autres verdures irritantes).

En rétrospective, et avec le rafraichissement historique et sociologique que donne la lecture de Ruelles, c’était l’époque où la Ville poussait les propriétaires à se débarrasser de leurs hangars (« la dentelle des ruelles », peut-être, mais surtout, comme le soulignent les auteures, source majeure d’incendies) et la plupart d’entre eux n’étaient que trop heureux de le faire. Il faudra beaucoup de temps et surtout un changement de garde démographique avant que l’aménagement de ces cours, nouvellement dégagées par la disparition des hangars, puisse faire son chemin dans les pratiques d’habitation. Longtemps, lorsque les gens parlaient de se « réapproprier » leurs ruelles, c’était surtout pour confortablement aménager une place à leurs voitures. Bref, dans les années 1980-90, on commençait à peine ce qui deviendra la vague de revitalisation/gentrification tranquille qui fera de certaines de ces ruelles des milieux de vie pour leurs riverains. Mais pour réussir cette métamorphose, ce n’est pas seulement les cours privées qu’il faudra transformer, mais toutes nos façons et raisons de donner de la valeur à l’espace central, la ruelle elle-même.

Les auteures, Mesdames Ariel Tarr et Florence Sara G. Ferraris, font d’ailleurs un excellent travail de nous faire suivre le cheminement, parfois assez pénible, qui a conduit certains groupes de riverains à mettre les ruelles au « centre », physiquement et métaphoriquement, des îlots urbains dans les quartiers centraux (et aussi dans quelques anciennes « banlieues », comme Ville-Émard, Côte-Saint-Luc et Verdun). Les auteures exposent bien les façons et approches variées entre les différents arrondissements, qui sont au cœur des résultats disparates. Où certains vont appuyer tous les efforts, petits et grands, d’autres apporteront leurs soutiens qu’aux interventions « lourdes » et systématiques, avec des aménagements qui transforment la ruelle de stationnement en exemple de résilience urbaine naturalisé. C’est dans l’arrondissement du Sud-Ouest où l’on trouve ces approches « intensive », souvent identifié comme modèles bleu-vert.

Sur les traces de Ruelles…

Dans les arrondissements centraux, on semble accepter souvent une approche moins systématique, où seule la mobilisation d’une poignée de riverains peut apporter des résultats tangibles. Les deux démarches ont certainement leurs validités en contexte. Mais dans la plupart des cas, on a envie de dire, comme le laisse entendre l’expression, qu’il ne faudrait pas que le mieux devienne l’ennemi du bien. Dans cette veine, les auteures nous rappellent le cas de la ruelle Demers, dans la prolongation de la rue du même nom dans la partie sud-est du Mile-End. Un documentaire iconique de l’ONF, Les fleurs c’est pour Rosemont (1969) présente l’histoire de 5 jeunes architectes fraichement sorties de l’école et qui tentent de faire œuvre positive dans ce coin isolé et à l’époque encore très « populaire », du Plateau. Le choc des cultures qui s’en suit est presque insoutenable, mais beaucoup de choses peuvent être comprises si l’on sait que cette ruelle est maintenant un des joyaux des ruelles vertes du quartier.

Ruelles est autant une source d’inspiration, pour qui aimerait se laisser emporter par le rêve d’un environnement urbain revalorisé qu’un guide « how-to », qu’un livre d’histoires racontées à la première personne de gens pour qui les ruelles ont offert un réconfort, des opportunités, des ami(e)s-voisins, même parfois une nouvelle carrière. À propos, les auteures nous proposent de nombreux portraits, dont celui de Léa Philippe, celle qui a eu l’idée de lancer le Festival des arts de ruelle.

Que ce livre-guide sur les ruelles des quartiers de Montréal puisse exister maintenant est bien le reflet de la renaissance heureuse qu’a connu cette typologie particulièrement montréalaise (1). Et après une longue période de dormance qui correspond à ces années d’une lente transition fonctionnelle et souvent aussi morphologique, même les gens pour qui ces nouvelles typologies d’espaces semi-publics n’évoquent rien de nostalgique sauront y trouver leurs comptes. Qui sait, certains pourront de plus se donner le goût de participer à la création d’un 3e lieu près de chez eux. Ce qui est certain, c’est que nous avons maintenant ce merveilleux petit guide pour aller à la découverte des ruelles. Dix parcours originaux, à travers presque tous les quartiers de la ville, ont été montés par les auteures et même Verdun, pourtant pas réputés pour ses ruelles, à trouver les faveurs d’un parcours; autant d’occasions de parcourir ces sentiers à peine dissimulés. Un bel été de parcours urbain en perspective, dans ces « coulisses de la ville ».



(1) Comme le rappellent les auteures, c’est une typologie urbaine qui se retrouve dans plusieurs anciennes colonies britanniques, mais dans l’ouvrage on parle de son expression montréalaise.

Tags Ruelles, Ariel Tarr, Florence Sara G. Ferraris, Montréal, Histoire urbaine

Abolir l'ère des créatures

April 4, 2024 John Voisine
IMG_2177.jpeg IMG_2178.jpeg IMG_2179.jpeg IMG_2180.jpeg

Libérer les villes—Pour une réforme du monde municipal. Maxime Pedneaud-Jobin, Les Éditions XYZ, Collection Réparation, 2023, 137 pages. Lu sur plateforme iBooks.

Une série sur les municipalités et la politique municipale au Québec [1 de 5]

On penserait qu’il serait plutôt facile de convaincre des gens comme nous, adjacents au monde municipal, que dans ce pays et cette province, il est temps d’enfin libérer les villes. Ces pauvres « créatures » de la province ne méritent-elle pas qu’on les dote d’un statut concomitant à leurs véritables fonctions de gouvernement, même du palier de gouvernement le plus proche du citoyen? Nos malheureuses cités et villes sont les « oubliés » de la constitution canadienne, laissée aux soins des provinces de les créer, si elles le veulent bien, et des garnir des pouvoirs qu’elles jugent appropriés. Le corollaire est, bien entendu, que les provinces peuvent aussi bien, du jour au lendemain, les dépouiller de ces mêmes pouvoirs. Elles peuvent de plus les dissoudre et effacer jusqu’à leurs existences toponymiques, comme plusieurs ont dû le vivre durant les fusions municipales du début du siècle.

Cette existence par procuration est pourtant une réalité assez universelle dans l’histoire des villes, autant ici, en Amérique du Nord, que dans le reste du monde. Si l’on fait exception de certaines cités-États, de quelques cités franches et de quelques principautés Européenne, toutes les entités urbaine, tous les territoires urbanisés ou « rurbain » doivent leurs existence à un état souverain qui lui est nécessairement, hiérarchiquement ou politiquement, supérieur. Selon les états, ce modèle fonctionne plus ou moins bien. Mais certainement, il donne toujours la possibilité à l’État d’avoir le dernier mot. Bien entendu, aucun État qui souhaite bénéficier d’une prospérité économique, appuyé par une vitalité intellectuelle et culturelle significative, ne va commencer à mettre des bâtons dans les rouages qui font tourner ses principales cités et villes. Il n’est toutefois pas rare de voir des États, qui sont la plupart du temps « provinciaux » dans tout ce que ce mot a de rétrograde, instituer des lois qui contraignent sérieusement les volontés plus progressistes de ses entités municipales. Près de chez nous, Montréal est l’exemple clé, avec un gouvernement provincial qui n’a de cesse de vouloir se faire du capital politique sur son dos, entre autres avec sur la question linguistique ou avec des mesures vexatoires adoptées sous le couvert fourbe de la laïcité (Loi 21). On ne mentionnera même pas la question du transport en commun, c’est trop douloureux. Dans la province voisine, Toronto est aussi la cible d’un gouvernement provincial hostile. Mais pour être honnête, même si ces deux métropoles étaient « libéré », il est difficile de concevoir comment ces dynamiques seraient évacuées.

Sur les traces de Libérez les villes…

Malgré un certain scepticisme qui ne nous quittera jamais vraiment tout au long de la lecture, accordons simplement les honneurs à Monsieur Maxime Pedneaud-Jobin, ancien maire de Gatineau. Il réussi dans cet opuscule à monter un argumentaire des plus convaincant pour cette cause louable de la « libération » des villes.

Il faut toutefois admettre plusieurs obstacles à faire ce type d’argument. L’auteur, en élidant ceux-ci, en essayant de les étouffer dans un silence sans écho, finit par dévaloriser les situations (nombreuses!) où une « libéralisation » serait de bon aloi. Montréal, Québec et même Laval auraient la capacité d’État-nation. Mais l’on ne doit pas oublier qu’il y a à peine 12 ans, Laval était depuis presque 25 ans sous l’emprise d’un maire qui plaidera coupable à des accusations de corruption, complot, fraude et gangstérisme. Montréal a aussi longtemps connu le règne d’un seul homme (sans la corruption, mais avec beaucoup de sclérose!). Combien d’autres administrations fonctionnent sous l’influence de « growth machines » locale ou régionale? En d’autres termes, il semble encore trop facile de faire une « capture » des instances municipales ou de les « détourner » de l’intérêt public. Dans les prochaines années, avec les situations difficiles qui vont surgir dû aux changements climatiques, cela ne va devenir que plus évident.

Cela dit, il est vrai que les villes doivent être libérées, pas vraiment de leurs conditions de « créatures », mais plutôt du cafouillis des lois et règlements qui les gouvernent. Comme le propose l’auteur, l’idée de mettre en place une « charte » des villes n’est pas vilaine et permettrait de constituer une base stable et pérenne. Une partie du travail a été fait par l’UMQ dans un livre blanc. L’auteur mentionne d’ailleurs qu’une des grandes difficultés des administrations municipales est de comprendre la gamme et l’étendue de leurs pouvoirs. Je suis de ceux qui analysent qu’elles en ont beaucoup, mais il n’est pas faux qu’avec la législation actuelle, il n’est pas facile de les cadrer. L’auteur aborde aussi la question des revenues, et sur ce point, je pense que le problème en est un de légitimité. Les municipalités ont de nombreuses sources de revenus potentielles (écofiscalité, loi 39, ententes, etc.), mais il est difficile de légitimer de nouvelles ponctions fiscales quand moins de 40 % des électeurs choisissent de voter aux élections municipales.

Pour le plaisir de la discussion et pour faire une propagande vigoureuse de la cause des villes, un livre à mettre dans toutes les mains.

Tags Libérez les villes, Maxime Pedneaud-Jobin, Administration municipale, Politique urbaine, Participation des citoyens, Série municipalité

À demeure

March 26, 2024 John Voisine
IMG_2147.jpeg IMG_2152.jpeg IMG_2151.jpeg

Que notre joie demeure. Kevin Lambert, Héliotrope, 2022, 381 pages.

Série fiction — À tous les deux mois

Il n’est jamais facile de lire ou de regarder une œuvre de fiction qui se déroule dans un milieu familier. Toutes les failles ou maladresses qui font partie du récit ou des personnages nous apparaissent comme autant de miroirs déformants. C’est à ce moment que l’on se tourne vers son conjoint pour partager notre hilarité ou confusion face à l’histoire, et que l’on constate, oh horreur!, qu’elle est totalement absorbée et transie par ce qui nous paraissait, évidemment, d’un ridicule à détacher la mâchoire.

Dans ce roman, c’est un peu la sensation qui traverse le lecteur le moindrement accoutumé au rouage d’une firme privée de service. Ici, il s’agit d’un important bureau en architecture, mais il est facile d’imaginer toute une gamme de service; le type de clients sollicités et nécessaires à la poursuite et au succès de l’entreprise finit par avoir une influence directe sur les principaux de ces firmes. Il est vrai aussi que l’architecture est particulièrement vulnérable à ce type de déchéance, mais probablement rien de plus (et souvent beaucoup moins) que d’autres firmes similaires (oui, je parle ici de nos amis ingénieurs!), mais il est aussi vrai que tant qu’à se construire une fiction, c’est toujours plus chic et swell du côté architecture.

Kevin Lambert a eu l’instinct génial, avec son style et sa manière de construire les scènes de son roman, de donner amplement d’espace pour abandonner sans regret la lecture. Le très long chapitre qui ouvre l’œuvre ne sera jamais achevé sans une volonté affirmée, et ensuite, les épisodes de l’histoire se parcourent avec vigueur, grâce à la phraséologie « leste et immersive », vraiment, de Monsieur Lambert. Le roman est clôturé par un autre chapitre-fleuve, mais rendu là, on accepte le deal. Des noms familiers pour ceux qui connaissent le domaine sont lancés ici et là, comme Paul R. Williams et David Adjaye, en lien avec le deuxième personnage principal, mais aussi Lutyens et Roebling. Plus près de nous, mais malheureusement beaucoup moins connu, Alexander Durnford.

Le point le plus faible de l’œuvre est curieusement son personnage principal, une architecte née et ayant grandi ici, qui à 69 ans est mondialement connue et adulée, une égérie professionnelle de sa génération. Ce personnage stresse les limites de la crédibilité et de la crédulité. L’auteur a tenté d’en faire l’émule d’une vraie architecte, vraie lumière de sa génération (et au-delà), l’iraquienne et britannique Dame Zaha Hadid (1950-2016). Il aurait au moins fallu écrire son nom, quelque part dans ce roman.

Tags Que notre joie demeure, Kevin Lambert, Architecture, Capitalisme, Série fiction

La machine

March 21, 2024 John Voisine
IMG_2128.jpeg IMG_2130.jpeg IMG_2131.jpeg IMG_2129.jpeg

Urban Fortunes—The Political Economy of Place—With a New Preface—20th Anniversary Edition. John R. Logan & Harvey L. Molotch, University of California Press, 2007, 383 pages.

Cette chronique est un bonus dans notre série sur la ville de Los Angeles.

On imagine aisément que dans chaque ville, village, zone rurale, province ou pays, existent des groupes d’intérêts pour qui l’essor économique et un développement sans contraintes sont des impératifs de premier plan. Les chambres de commerce, sociétés de développement et autres clubs de croissance font leur travail en essayant de mousser les atouts locaux et régionaux auprès des entrepreneurs, producteurs et investisseurs potentiels sensibles à cette offre avantageuse. Dans le même sillage, le pouvoir politique de tous les paliers de gouvernement voit de façon positive le contrôle d’une région qui est reconnue en tant qu’engin de croissance et de prospérité pour ses commettants. Il peut donc parfois se développer une symbiose, qui peut vite devenir malsaine, entre l’élite politique et les groupes que les auteurs de l’ouvrage, par exemple, appellent la « machine de croissance » (The Growth Machine), dans toutes ses incarnations. Ainsi, la machine peut par défaut s’imposer comme seul interlocuteur écouté et entendu dans une conversation sur les options de développement et d’aménagement d’un territoire. La force de cette machine, ainsi que le démontrent les auteurs, est dans son habileté à monopoliser le message afin de le guider dans le sens de ses intérêts. Elle réussira même le plus souvent à les faire passer comme universel. Avec ce type de discours, une autre des forces rhétoriques de la growth machine est sa capacité à convaincre que la croissance est nécessairement synonyme de progrès économique et social pour les personnes défavorisées. Ou comme le veut l’aphorisme bien connu de la croissance, a rising tide lifts all boats.

L’axe argumentatif de la growth machine est d’autant plus puissant qu’il s’efface derrière une thèse englobante et « naturelle » qui le présente comme un bien en lui-même, sans autre besoin de justification. L’acceptation de ses vertus est si répandue qu’en essayant de pointer certaines failles dans son discours, on se trouve vite à plutôt devoir motiver les raisons de cette contestation. Ainsi, au lieu de susciter un questionnement opportun sur les mécanismes de mise en place et les bénéfices de la croissance, on est contraint d’expliquer le fait d’interroger l’idée même que le modèle de croissance proposé soit un apport positif net à la communauté d’accueil. Est-il vraiment si déraisonnable de demander qui a quoi? comment? à quel prix?, et surtout, en fin de compte, qui paye? En d’autres termes, de s’interroger sur la répartition légitime de la nouvelle richesse créée?

Sur les trace de Urban Fortunes

La réédition du livre était pour fêter ses 20 ans de parution, en 2007; nous sommes donc maintenant en 2024, à presque 40 ans de la date de publication d’origine et pourtant, il m’appert que le propos n’a rien perdu de son actualité et de sa pertinence. En fait, je suis même un peu contrarié que des concepts de base, comme la valeur de transaction (exchange value) et la valeur d’usage (use value), sur lesquelles repose l’essentiel de l’argumentaire des auteurs, ne fassent pas plus partie de nos enseignements en urbanisme. Il est clair que plusieurs des préceptes fournis par l’ouvrage trouvent leurs places quand vient le temps de décrypter un environnement urbain. Malheureusement, faute de gens (économistes, urbanistes, et ironiquement, aussi des entrepreneurs!) qui pourraient percer l’ubiquité du discours consensuel de la « growth machine », il existe toujours un aveuglement sur les opportunités laissées en friche par rapport à la richesse et qui tiendrait compte de la participation des gens en place. Une des rares figures contemporaines en urbanisme qui argumente en ce sens est curieusement un conservateur de tempérament, Chuck Marohn de Strong Towns.

En plus d’être, à moyen et long terme, un net négatif (les subventions, contributions et autres allègements fiscaux et de taxes finissent rarement par avoir un résultat positif), cette redistribution se concentre dans la poche de ceux qui possède déjà, pas ceux pour qui cette contribution viendrait changer la donnent. Il est difficile d’argumenter que cette stratégie, ces concessions sans véritable risque partagé rendu aux intérêts de la growth machine, entrainent des investissements frais dans l’économie locale.

Je pense que nos sociétés sont mûres pour une meilleure connaissance des manières de générer une expansion économique locale. Ce n’est pourtant nul autre que Jane Jacobs, dans The Economy of Cities [1], qui avait apporté la réponse la plus crédible. Cet ouvrage est trop peu lu et connu, selon moi. Mais le but des auteurs n’est pas de donner des instructions sur la construction d’une économie locale, mais plutôt de démontrer que les intérêts de la growth machine se concentrent en silo sur des valeurs purement transactionnelles, au détriment d’autres, comme l’usage. Un environnement urbain solide et pérenne est composé d’un complément équilibré des deux.

Rien de mieux que de s’ouvrir les yeux sur une situation qu’on avait un peu perdue de vue. Une lecture nécessaire qui choc juste là où il le faut, pour redémarrer le système.



[1] Jane Jacobs était d’ailleurs particulièrement fier de son travail sur cette question, comme elle en témoigne dans cette entrevue.

Tags Urban Fortunes, John R. Logan, Harvey L. Molotch, Sociologie urbaine, Politique urbaine, Série LA

Beyond the Veil

February 27, 2024 John Voisine
IMG_2035.jpeg IMG_2036.jpeg IMG_2038.jpeg IMG_2037.jpeg

The Souls of Black Folk. Introduction by Davis Levering Lewis. W. E. B. Du Bois, Modern Library, Centennial Edition, 2003 [1903], 320 pages [lu en format ebook]

Série essais historique — A tous les deux mois

The Souls of the Black Folk est un de ces livres qui marque un « avant » et un « après » dans la vie de celui qui veut bien s’en laisser imprégner. Pour utiliser une expression propre à l’ouvrage, c’est un des rares moments que nous avons de contempler l’existence « beyond the Veil », ce voile invisible qui fait qu’il nous est possible de passer nos vies tout en ignorant, ou dans le pire des cas, en perpétuant ce semblant d’ignorance qui est la porte ouverte à toutes les dégradations. Pour nous porter à l’intérieur de l’univers des ignominies qui se déroule juste de l’autre côté, il y a l’écriture, la voix d’un autre siècle (le livre est sorti en 1903) qui par la résonance juste, équitable et honnête de son propos, retient l’attention du lecteur durant ses quatorze brefs chapitres. Des chapitres qui sont autant de toiles dans la vie de l’auteur, qui raconte cette adversité quotidienne, emprunt de mesquineries, de tricheries, cette brutalité sans répit, qui s’est souvent révélée mortelle. En parcourant ces chapitres, on lit l’urgence dans le propos, qui devait entrainer le lecteur d’alors tout autant que le lecteur contemporain à questionner la nature et l’existence même de son humanité.

Paru presque quarante ans après la fin de la guerre de sécession américaine, c’est comme si l’auteur, William Edward Burghardt (W.E.B.) Du Bois nous rend la chronique d’un pays qui s’est enfoncé de manière encore plus inextricable dans ce que l’homme a de plus destructeur et ravageur à faire subir à son prochain, si ce dernier à la moindre nuance de noir sur sa peau. W.E.B. Du Bois est né après cette guerre (1868), dans le Nord. Il n’a donc pas eu à grandir au cœur du Black Belt, qui coïncide aussi avec le cœur des anciens états esclavagistes du Sud et la région qui sera le sujet de ce « car-window sociologist », comme il se qualifie drôlement lui-même. Ce moment dans l’histoire américaine est parfaitement illustré par cette carte, qui permet à W.E.B. Du Bois d’écrire, dans le premier paragraphe du livre : « for the problem of the Twentieth Century is the problem of the color line. »

La zone de la Black Belt au États-Unis selon le recensement de 1900, dix avant avec le début de la Great Migration qui changera tout à partir de 1910; Image Wikipedia.

La définition de ce « color line » est probablement moins évidente et surtout, le voile est devenu à la fois plus opaque et translucide (ce qui permet même à certains d’affirmer qu’il n’existe plus), mais la volonté implacable d’asservissement, d’humiliation et de ségrégation entre les gens et groupes de différentes cultures, de culture polymorphe ou cosmopolite, et de différentes nuances capillaires est encore bien vigoureuse dans nos sociétés modernes. Voilà pourquoi The Souls of the Black Folk nous chante toujours aujourd’hui, cent vingt et un ans après sa parution.

Sur les traces of The Souls of Black Folk

W.E.B. Du Bois finira par obtenir des diplômes de l’université Fisk (un HBCU), à Berlin et de Harvard (son PhD). Un des combats de son existence, qui le conduira même à un vif désaccord avec l’une des plus grandes figures de son époque, Booker T. Washington, portera sur l’importance de faciliter à ceux qui le peuvent (dans les communautés noires) la possibilité de poursuivre des études supérieures dans les arts, les lettres, la philosophe, l’histoire, bref, les arts libéraux. Mais selon Washington, si on était pour offrir la moindre éducation aux jeunes noirs du Sud, elle devait se limiter aux apprentissages pratiques et techniques, puisque l’autonomie et la viabilité économique devaient primer avant tout. Le fait que cinq des quatorze chapitres soient consacrés à discuter plusieurs nuances de cette question en dit beaucoup sur sa centralité pour Du Bois. Ce qu’il cherche à faire entendre au lecteur, c’est qu’en étant noir aux États-Unis, tout sujet de discussion doit être abordé avec « this double consciousness, this sense of always looking at one’s self through the eyes of others, of measuring one’s soul by the tape of a world that looks on in amused contempt and pity. One ever feels his two-ness—an America, a Negro; two souls, two thoughts, two unreconciled strivings; two warring ideals in one dark body, […]. »

Si ces paroles ne sont pas assez pour comprendre l’irréductibilité de la situation pour la population noire des États-Unis, voici ce que le sénateur Benjamin Tillman de Caroline du Sud a dit en apprenant que le président américain avait reçu Booker T. Washington pour un souper à la Maison-Blanche : « The action of President Roosevelt in entertaining that nigger will necessitate our killing a thousand niggers in the South before they will learn their place again. » Ce sénateur parlait ainsi du principal avocat pour une approche « lente » de l’intégration de l’homme noir au sein de la société du Sud, principalement pour éviter un « harsh, white backlash. » Ce « deadening and disastrous effect of a color-prejudice » permet également à Du Boise de mentionner, sans autre explication, les noms de Phillis Wheatley et Sam Hose; deux extrêmes de l’horreur « beyond the Veil ». L’avant-dernier chapitre de l’ouvrage, XIII Of the Coming of John, raconte en quelque sorte cette réconciliation impossible. On lira aussi pour le « discours » du juge à sa table de cuisine. Cela se termine par un lynchage.

En 1935, W.E.B. Du Bois fait paraitre Black Reconstruction, une reconsidération de la douzaine d’années après la fin de la guerre civile américaine. Il faudra attendre les décennies 1980-90, avec Eric Foner en tête, pour que les arguments de l’ouvrage commencent à être pris au sérieux par les historiens et mènent à une relecture de cette période. Nous allons nous intéresser à ce livre lors de la prochaine chronique de non-fiction, le dernier mardi, dans deux mois.

Tags The Souls of Black Folk, W.E.B. Du Bois, Histoire américaine, Sociologie, Civil Rights, Série essais historique

Ça se passe pas à Québec

January 30, 2024 John Voisine
IMG_1936.jpeg IMG_1937.jpeg

Iphigénie en Haute-Ville. François Blais, L’instant même, 2009, 200 pages.

Série fiction — À tous les deux mois

Deux jolis et sympathiques mensonges de romancier viennent ponctuer cette virée dans les profondeurs de nos âmes contemporaines, offert ici par François Blais. De un, il ne s’agit en rien d’un roman à l’eau de rose, comme il l’est écrit sous le titre indéchiffrable (Iphigénie en Haute-Ville) en troisième de couverture. Cette épithète aurait même de quoi choquer les personnages! De deux, ça (leur histoire) ne se passe pas vraiment Québec, même si un message laissé dans une chiotte d’un bar de la Grande Allée sert de catalyseur pour la chronique épistolaire (les « e-mails ») qui composeront l’essentiel du récit. Les deux héros, Iphigénie et Érostrate, s’entrechoquent le temps d’un été dans un des plus vifs échanges de banalités sans lendemain qu’il puisse être donné de lire. Et puisque c’est l’histoire d’un couple qui est destiné à finir mal (dixit le narrateur) et à ne jamais se rencontrer (consciemment), l’énergie de ces jeunes personnages, « authentique à 100 % », ne trouvera finalement d’autre exutoire que celui de leurs propres récits, fait de fiction/réalité. Malgré des tentatives aussi sincères qu’héroïque de la part de l’auteur de rendre saillant les hauts lieux de la vie étudiante à Québec, on peut garantir que personne ne tournera les pages de ce roman pour s’en absorber. L’action du récit, tel qu’il est, se consomme par la suite principalement à Grand-Mère, dans la Mauricie, et même si cette ville finit par s’incarner avec plus de relief pour nos deux héros (et le lecteur, incidemment), encore une fois, nous n’en sommes pas ici au niveau du roman à l’urbanité atmosphérique d’ambiance. Le narrateur de ce récit, à la fois omniscient, intrusif et avec son propre programme qu’il aimerait bien « vendre » au lecteur, nous présente ce monde légèrement déséquilibré par rapport au nôtre. Le monde du roman est un reflet fidèle du nôtre, mais les prénoms à consonance hellénique des personnages lui confèrent juste assez de décalage pour insuffler une tension mythique et vitale aux contes qui servent de véhicule de communication entre nos héros. La mythologie du récit est celle de notre monde contemporain, qui se vit maintenant, sérieusement, mais où existent contes, récits et fables (appelés « fabliau » par nos héros, comme si ces petits récits en vers faisaient encore fureur). Mis bout à bout afin de servir au dialogue entretenu, le temps d’un été, entre nos deux héros, ils sont ce qui donne à ce roman un incontournable frisson narratif.

Tags Iphigénie en Haute-ville, François Blais, Ville de Québec, Grand-Mère, Série fiction, Roman
← Newer Posts Older Posts →

514-761-1810

© 2017-2025 | Wellington | Fabrique urbaine | Urban Workshop inc.