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Wellington | Fabrique urbaine

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Verdun, Québec H4G 1R3
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L'urbanisme en pratique

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URBS+ : Abréviation d’urbanisme, mais quand même un peu plus. Une revue hebdomadaire d’ouvrages et d’œuvres avec comme point commun un intérêt pour l’univers urbain, qui est aussi l’univers ultime de l’être humain.

An Island on the Land

June 5, 2025 John Voisine
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Southern California—An Island on the Land. Carey McWilliams, Inlandia Books, 1946 (1973), 387 pages. Lu en format PDF dans Apple Books.

Bien entendu, en s’engageant dans un ouvrage comme celui d’un auteur sans frontière comme Carey McWilliams, on est certain d’avoir une bonne dose d’histoire et de récits sur cette terre aguichante et rêvée que représente pour la plupart d’entre nous la Californie du Sud. C’est sur ce territoire qu’on trouve Los Angeles, Berkeley, Hollywood, San Jose, les montagnes, le meilleur de la côte pacifique, le désert et des terroirs si fertiles qu’avec une source d’eau, tout peut pousser. L’histoire que nous offre McWilliams de sa terre adoptive (il est né au Colorado) n’en est pas une, pour autant, qui repose uniquement sur les forces naturelles et irréductibles de l’environnement de la Californie du Sud. On ne se le cachera pas, avant que cette partie du monde soit connue pour autres choses, c’est surtout grâce à ses ressources « naturelles », comme l’agriculture de masse (oranges, citrons, Sunkist) et à son climat, que cette « île sur la terre » a fait sa réputation. Son environnement et ce climat unique, qui se traduit par une météo sans faille propices à l’émergence d’un tourisme du bien-être et à la création d’une « riviera » du sud-ouest américain. Sur une note moins festive, ce climat est aussi à la racine de l’apparition de plusieurs groupes sectaires millénaristes et de la mouvance mauve du nouvel âge. McWilliams était un observateur attentif lors de cette émergence, en terme de chronologie et de localisation et nous en fait une chronique parfaite.

Déjà qu’avec le titre, la notion que ce territoire possède les caractéristiques d’un lieu isolé tout en étant on the land, connecté au reste du continent, nous est parfaitement communiqué. McWilliams, chapitre après chapitre (c’est quand même 380 pages d’une typographie compacte) met la table pour nous préparer à être confortable dans cette position de témoin des comportements les plus vils, de ceux que l’isolement et l’impunité engendre, et aussi de ceux que seul un public à la fois captif (dans l’insularité) et préalablement sélectionné (par le boosterism sud-californien) peut produire. À différent degré, tout est une question de promotion sur ce territoire, et qui dit promotion dit à la fois exagération (de bonne guerre) et mensonges (pour cacher le prix de cette guerre). Chaque chapitre lève le voile et nous permet de voir et comprendre ce prix, qui tomba de manière impitoyable sur les populations locales indigènes et de manière différente, mais tout aussi écrasante, sur la population immigrante asiatique. Dans les circonstances, le génie du boosterism sud-californien a été de laisser croire qu’on avait tous une chance face à l’adversité d’un territoire où tout était à faire.

EN COMMENÇANT PAR LES AUTOCHTONES, si bien « assimilés » par les missions franciscaines qu’au moment de faire les bilans, ils purent facilement être reformatés dans de belles petites cases folkloriques pour ensuite efficacement les exhiber à des fins touristiques. Même les personnes qui avaient consacré leur existence à changer les choses, comme Helen Hunt Jackson, agirent (comment pouvait-il en être autrement?) de manière très « 19e siècle », c’est-à-dire sans réciprocité de la part des communautés visées par l’aide. En finale, on se retrouve avec une opération qui s’avère une source d’enrichissement personnelle et de propagande jovialiste pour touristes et migrants. Avec le temps, dans le Sud californien, ce sont souvent les mêmes. D’ailleurs, le taux de migration interne, des États du centre et de l’Ouest américain est si important qu’on dira que « NYC is the melting pot for the people of Europe, and LA, the melting pot for the people of the United States ».

Le tourisme est justement au cœur de la croissance économique et démographique de cette partie sud de la Californie. Tous les promoteurs, durant cette période (1890-1930) semblent s’être donné rendez-vous et avoir convergé sur cette partie du monde pour en faire la promotion comme l’ultime paradis terrestre, et ceci autant sur le plan matériel que spirituel. L’auteur fait un excellent travail en démontrant comment cette island on the land qu’est le Sud californien a su exploiter tous les leviers de son exceptionnalisme et convaincre tout un chacun que son rêve, peu importe sa teneur, allait trouver sa réalisation sur terre (et au-delà), si on voulait juste acheter un morceau de la banlieue de Los Angeles. Le fait qu’au plus fort de la vague d’immigration et de tourisme, LA vivait aussi l’âge d’or de son réseau de Little Red Cars, coordonnés qu’ils étaient avec ces nouvelles banlieues, est un des facteurs qui a contribué, le temps d’une génération, cette image d’abondance harmonieuse pour tous. McWilliams était au cœur de cette convergence exceptionnelle, puisqu’il est arrivé à LA en 1922. Par inclinaison personnelle et professionnelle, il a commencé immédiatement à parcourir autant l’avant que l’arrière-scène de sa nouvelle existence californienne et en a extrait des chroniques remplies de cette perspective incisive, sans jamais se dérobé de la vérité. Cet ouvrage est la compilation de presque trente ans de ce travail d’un observateur empathique pour cette réalité émergente, à la fois irrésistible et glauque, qui est maintenant aussi la nôtre.

Tags Southern California, Carey McWilliams, Série LA, Histoire urbaine, Los Angeles

L.A. et l'écologie des temps modernes

April 24, 2025 John Voisine
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Ecology of Fear—Los Angeles and the Imagination of Disaster. Mike Davis, Verso—New Left Books, 1998-2022, 541 pages. [E-book lu sur plateforme Apple Books]

Une chose est garantie en entreprenant la lecture d’un livre de Mike Davis : on va en avoir beaucoup plus que le client en réclamait ou que le titre pouvait laisser entendre. Dans Ecology of Fear, on n’échappe pas à ce constat, puisqu’on nous conduit dans un écosystème riche et diversifié, tant sur le plan naturel qu’humain. On pourrait même ici faire un rapprochement entre l’abondance de ce qu’il est possible de voir émerger dans cet écosystème fabuleux de la Californie du Sud, où il faut presque se demander parfois ce qui ne pourra pas y croitre et se multiplier et les extrêmes de ce milieu, qui rend toute cette abondance possible. Ce climat, qui, en apparence, est d’une stabilité telle qu’il invite, chez les gens qui le vivent, des rêves fous d’éternité, contient, comme nous le révèle magistralement et de long en large l’auteur, une part d’ombre apocalyptique. Celle-ci est presque, en parallèle et malgré la contradiction inhérente, un mécanisme d’autodestruction qui lui sert à la fois de purgation et de régénération. Et si cette stabilité climatique des dernières générations n’avait été qu’illusion, tel un songe d’une nuit d’été sur une plage de Malibu? Plusieurs signes laissent croire que la viabilité de maintenir une population aussi urbaine et étendue dans une cuve encerclée de montagnes, d’un océan et d’un désert juste au-delà ne pourra se faire qu’à un coût exorbitant. Davis écrivait cet ouvrage 25 ans avant notre époque des extrêmes, comme les feux poussés par des vents furieux, les Santa Anas [1], que Los Angeles a expérimenté cet automne et cet hiver. Mais ce qu’on doit savoir ici est que ce vent, tout comme la plupart des autres phénomènes naturels bien connus par les gens de LA, est récurrent. Il se produit chaque année et fait partie du cycle naturel qui permet l’existence climatique du bassin de Los Angeles, tel que les gens qui le vivent l’apprécient. Cet ensemble aux bénédictions mitigées se trouve aussi à être, ironiquement, un moteur de créativité pour ceux qui le recherchent. Mais c’est justement cette attractivité, son importance dans la balance des considérations pour la viabilité à long terme de l’économie de la ville et de la région, qui fait que les signes de détresse, sur le plan climatique et même géologique (sismique), ont pu si longtemps être ignorés ou étouffés.

SOYONS RASSURÉS, il ne s’agit pas d’une conspiration. Mais, comme l’argumente l’auteur, les élites locales et régionales impliquées dans la promotion (le boosterism) des activités économique et culturelle de la région ont eu beau jeu de baigner de soleil et d’envelopper d’une température idéale toute histoire qui pouvait contredire cette image idéalisée. On trouvait toujours moyen, jusqu’à récemment, de repousser plus loin le rêve, de vite-vite tourner le regarder vers un nouvel horizon à développer sous un ciel radieux. C’est de cette manière que les cycles naturels cataclysmiques pouvaient être balayés sous le tapis de la prospérité, généralisé, mais curieusement stratifié, selon le pedigree familial ou ethnique. Un corollaire de cette stratification se manifeste dans la façon d’occuper l’espace urbain. Plus spécifiquement, comment la règlementation sur l’occupation des bâtiments et les incendies est manipulée (ou simplement négligée) pour perpétuer un cycle de vétusté dans les zones abandonnées. En contrepartie, dans les zones envisagées comme potentiellement utiles au développement, comment cette même règlementation devient l’instrument pour faire table rase et repartir le développement dans le sens voulu par ces élites.

Personnellement, le chapitre que je ne pouvais lâcher portait plutôt sur les univers fictifs, pour la plupart dystopiques et futuristes, ayant comme point focal LA ou la Californie du Sud. Dans le chapitre The Literary Destruction of Los Angeles, Davis nous parle des plus de 138 romans et films qui, tous à leurs manières, voit Los Angeles comme une mégalopole mure pour un moment de righteous wrath. La capacité extraordinaire de Los Angeles d’attirée a elle ce mélange de gens de tous les horizons et de toutes les couches socioéconomique de la société, qui travail tous à leurs manières à la réalisation de leurs rêves, en fait un lieu de contraste. Ironiquement, cela semble inspirer les fantasmes les plus immondes, surtout chez qui le succès ne peut que se mesurer autrement que par l’aplanissement des différences. Mike Davis nous fait l’histoire de cette littérature et cinéma, à la fois dystopique, raciste, apocalyptique, écocatastrophique, néo-fasciste/nazi et survivaliste. Une anthologie, un witches brew de toxicités créatrices des fantasmes de l’homme blanc frustré devant un monde qu’il ne contrôle plus.

Le climat et les forces naturelles demeurent ce qu’elles sont en Californie du Sud. La lecture de cet ouvrage de Mike Davis nous donne abondamment de quoi réfléchir sur notre capacité à manipuler à notre avantage, mais pour encore combien de temps, cet environnement urbain et naturel.



[1] Comme je l’avais indiqué aussi il y a quelques semaines (Approche et pratique — 2025-01-10), il y a ce court texte de Joan Didion sur les Santa Anas (1969), qui parle justement de leurs côtés irrépressibles.

Tags Ecology of Fear, Mike Davis, Changements climatiques, Los Angeles, Southern California, Urban sociology, Série LA

La machine

March 21, 2024 John Voisine
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Urban Fortunes—The Political Economy of Place—With a New Preface—20th Anniversary Edition. John R. Logan & Harvey L. Molotch, University of California Press, 2007, 383 pages.

Cette chronique est un bonus dans notre série sur la ville de Los Angeles.

On imagine aisément que dans chaque ville, village, zone rurale, province ou pays, existent des groupes d’intérêts pour qui l’essor économique et un développement sans contraintes sont des impératifs de premier plan. Les chambres de commerce, sociétés de développement et autres clubs de croissance font leur travail en essayant de mousser les atouts locaux et régionaux auprès des entrepreneurs, producteurs et investisseurs potentiels sensibles à cette offre avantageuse. Dans le même sillage, le pouvoir politique de tous les paliers de gouvernement voit de façon positive le contrôle d’une région qui est reconnue en tant qu’engin de croissance et de prospérité pour ses commettants. Il peut donc parfois se développer une symbiose, qui peut vite devenir malsaine, entre l’élite politique et les groupes que les auteurs de l’ouvrage, par exemple, appellent la « machine de croissance » (The Growth Machine), dans toutes ses incarnations. Ainsi, la machine peut par défaut s’imposer comme seul interlocuteur écouté et entendu dans une conversation sur les options de développement et d’aménagement d’un territoire. La force de cette machine, ainsi que le démontrent les auteurs, est dans son habileté à monopoliser le message afin de le guider dans le sens de ses intérêts. Elle réussira même le plus souvent à les faire passer comme universel. Avec ce type de discours, une autre des forces rhétoriques de la growth machine est sa capacité à convaincre que la croissance est nécessairement synonyme de progrès économique et social pour les personnes défavorisées. Ou comme le veut l’aphorisme bien connu de la croissance, a rising tide lifts all boats.

L’axe argumentatif de la growth machine est d’autant plus puissant qu’il s’efface derrière une thèse englobante et « naturelle » qui le présente comme un bien en lui-même, sans autre besoin de justification. L’acceptation de ses vertus est si répandue qu’en essayant de pointer certaines failles dans son discours, on se trouve vite à plutôt devoir motiver les raisons de cette contestation. Ainsi, au lieu de susciter un questionnement opportun sur les mécanismes de mise en place et les bénéfices de la croissance, on est contraint d’expliquer le fait d’interroger l’idée même que le modèle de croissance proposé soit un apport positif net à la communauté d’accueil. Est-il vraiment si déraisonnable de demander qui a quoi? comment? à quel prix?, et surtout, en fin de compte, qui paye? En d’autres termes, de s’interroger sur la répartition légitime de la nouvelle richesse créée?

Sur les trace de Urban Fortunes

La réédition du livre était pour fêter ses 20 ans de parution, en 2007; nous sommes donc maintenant en 2024, à presque 40 ans de la date de publication d’origine et pourtant, il m’appert que le propos n’a rien perdu de son actualité et de sa pertinence. En fait, je suis même un peu contrarié que des concepts de base, comme la valeur de transaction (exchange value) et la valeur d’usage (use value), sur lesquelles repose l’essentiel de l’argumentaire des auteurs, ne fassent pas plus partie de nos enseignements en urbanisme. Il est clair que plusieurs des préceptes fournis par l’ouvrage trouvent leurs places quand vient le temps de décrypter un environnement urbain. Malheureusement, faute de gens (économistes, urbanistes, et ironiquement, aussi des entrepreneurs!) qui pourraient percer l’ubiquité du discours consensuel de la « growth machine », il existe toujours un aveuglement sur les opportunités laissées en friche par rapport à la richesse et qui tiendrait compte de la participation des gens en place. Une des rares figures contemporaines en urbanisme qui argumente en ce sens est curieusement un conservateur de tempérament, Chuck Marohn de Strong Towns.

En plus d’être, à moyen et long terme, un net négatif (les subventions, contributions et autres allègements fiscaux et de taxes finissent rarement par avoir un résultat positif), cette redistribution se concentre dans la poche de ceux qui possède déjà, pas ceux pour qui cette contribution viendrait changer la donnent. Il est difficile d’argumenter que cette stratégie, ces concessions sans véritable risque partagé rendu aux intérêts de la growth machine, entrainent des investissements frais dans l’économie locale.

Je pense que nos sociétés sont mûres pour une meilleure connaissance des manières de générer une expansion économique locale. Ce n’est pourtant nul autre que Jane Jacobs, dans The Economy of Cities [1], qui avait apporté la réponse la plus crédible. Cet ouvrage est trop peu lu et connu, selon moi. Mais le but des auteurs n’est pas de donner des instructions sur la construction d’une économie locale, mais plutôt de démontrer que les intérêts de la growth machine se concentrent en silo sur des valeurs purement transactionnelles, au détriment d’autres, comme l’usage. Un environnement urbain solide et pérenne est composé d’un complément équilibré des deux.

Rien de mieux que de s’ouvrir les yeux sur une situation qu’on avait un peu perdue de vue. Une lecture nécessaire qui choc juste là où il le faut, pour redémarrer le système.



[1] Jane Jacobs était d’ailleurs particulièrement fier de son travail sur cette question, comme elle en témoigne dans cette entrevue.

Tags Urban Fortunes, John R. Logan, Harvey L. Molotch, Sociologie urbaine, Politique urbaine, Série LA

Quarkz & Quirks L.A.

January 25, 2024 John Voisine
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City of Quartz—Excavating the Future in Los Angeles. Mike Davis, Verso Books, 1990 (2018), 512 pages.

Cette chronique est la quatrième d’une série de quatre (4) sur la ville de Los Angeles [4/4]

Il est bon d’enfin lire quelque chose sur Los Angeles écrit par ce qu’il y a de plus proche d’un native. De plus, loin d’être un simple observateur/flâneur, Mike Davis a durant toute sa vie adulte participer étroitement dans « l’éveil » des populations les plus vulnérables de la ville. En plus de cette implication étroite, on le connaît parce qu’il avait cette plume capable d’aller cherche le lecteur, même celui qui se réfugie dans le confort de l’indifférence. Je suppose qu’il y a toujours le danger d’amplifier une situation au point de nous faire détourner le regard, mais la grande force de City of Quartz se trouve dans la capacité de Davis (1), à travers les histoires politiques, personnelles, intellectuelles et urbaines qu’il présente au lecteur, de nous mettre en contacte juste assez avec la réalité locale pour nous faire questionner les paramètres complaisants de nos acquis.

Mais avant d’en arriver dans ces chapitres où l’histoire des gens de la ville est recalibrée à partir de cette perspective ancrée dans les impacts réels, l’auteur commence par un chapitre qui a la grande force de nous faire une histoire intellectuelle, artistique, littéraire et cinématographique de Los Angeles. Lorsqu’on comprend le rôle et l’influence sans pareil de la construction imaginaire de cette ville, presque sans commune mesure avec toutes les autres, on ne peut faire autrement que d’être absorbé par ce premier chapitre. J’aurais presque aimé le lire en lui-même comme opuscule indépendant avant de lire tout le reste, et la densité du matériel fait qu’on ne peut faire autrement que d’y retourner. Ainsi, on découvre que c’est le croisement, souvent involontaire et parallèle, de tous ces niveaux de compréhension (mais surtout de non-compréhension et même d’indifférence), qui a fini par produire l’image vague, confuse et embrumée que l’on identifie maintenant comme le L.A. Noir (2). C’est une image qui traverse autant le cinéma que la littérature et qui a bénéficié de plusieurs géniteurs (tous des hommes, c’était l’époque d’avant et juste après la Deuxième Guerre), que l’auteur expose ici avec tous les nuances et détours que cette histoire intellectuelle méritait.

Los Angeles a aussi le pouvoir de suscité des syncrétismes qui se sont révélés particulièrement fertiles dans notre monde contemporain. Avec cette combinaison d’industries aérospatiales et d’aviation, d’industriels fortement capitalisés (la défense) et de science de pointe (Caltech), L.A. s’est retrouvée être la plaque tournante de plusieurs courants nourrie d’ambition qui allait parfois au-delà de la réalité matérielle. Mike Davis fait la synthèse de ces courants de manière assez divertissante.

Sur les traces de City of Quartz

Mais pour revenir à la matérialité, cet ouvrage est un bon moyen d’assister aux origines des groupes d’intérêts comme le NIMBYsm et d’autres formes de résistances hyperlocalisés, aux motivations trompeuses. La Californie, en général et Los Angeles, en particulier, sont le foyer de nombreux courants qui ont comme objectif une limitation sur la capacité de récolter et d’utiliser des fonds publics, surtout les taxes foncières (source de revenus principale des gouvernements locaux). Grâce aux réformes progressistes du début du dernier siècle, la Californie bénéficie de mesures d’initiatives populaires (référendums) qui permettent de contourner le processus législatif (les élus). Ainsi, après être tombées dans l’oubli durant plusieurs décennies, les années 1970 les ont vues ressuscitées, principalement par des mouvements de la droite populiste. Avec cette résurrection, plusieurs mesures restreignant la capacité de taxation des entités locales ont eu gain de cause dans l’urne, comme le fameux Prop 13. Ainsi, une partie de l’ouvrage de Mike Davis nous illustre ce qui arrive quand une métropole comme L.A. continue son développement tout en se refusant les moyens de payer, d’encadrer et de se doter des services essentiels pour que ce développement engendre une croissance profitable à tous, en limitant les externalités. Car l’histoire récente nous l’a si bien montrée, on serait naïf de penser que les leçons ne se généraliseront pas.

La convergence des limitations et contraintes mesquines et populistes dans la capacité de se doter des ressources nécessaires à une croissance résiliente à quelque chose de particulièrement cruel, surtout dans nos environnements urbains. Même si glorieusement d’une gauche radicale, l’auteur est le guide qu’il nous fallait sur ce terrain.

Cependant, un des outils dont il ne disposait pas au moment d’écrire son ouvrage, à la fin de la décennie 1980 (il y a plus de 30 ans!) se découvre grâce au travail rendu sur le site Segregated by Design. Maintenant avec une page spécifique sur le cas de Los Angeles. La spécialité du site est la reconstruction (avec à l’appui des photos aériennes animées par un montage vidéo sophistiqué) de la destruction laissée par le passage des autoroutes urbaines. Cette vidéo illustre matériellement les ravages infligés par le Harbor Freeway dans ce qui était le cœur vif de L.A.

Après ce visionnement, comment utiliser encore des mots creux comme « cicatrice » ou « aménagement » urbain en rapport avec ces autoroutes? Excavating the Future in Los Angeles. Vraiment? Un avenir qu’on ne souhaite à personne.


(1) Pour avoir une idée de qui était Mike Davis, il y a ce podcast vidéo réalisé deux années avant son décès en 2022;

(2) C’est aussi le nom d’un jeu vidéo assez connu ; jamais joué, mais j’aimerais bien, ne serait-ce que pour parcourir la ville en 1947 !;

Tags City of Quartz, Mike Davis, Los Angeles, Urban sociology, Southern California, Série LA

Growth Pains

January 4, 2024 John Voisine
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The Reluctant Metropolis—The Politics of Urban Growth in Los Angeles, with a new afterword by the author. William Fulton, The Johns Hopkins University Press, 1997 (2001), 407 pages.

Cette chronique est la deuxième d’une série de quatre (4) sur la ville de Los Angeles [2/4]

Après avoir constaté, avec le premier ouvrage revu, que les quatre-vingts premières années (1850-1930) de Los Angeles sont marquées par la fragmentation, l’ouvrage de cette semaine nous raconte l’histoire plus contemporaine de la métropole de rêve. Pour une bonne partie du 20e siècle, Los Angeles est la métropole d’une croissance qui fait rêver, souvent idéalisée; pas une fiction ni une fantaisie, mais plutôt un réel cadré sous une lumière idyllique.

Il n’y avait plus de limites durant la décennie 1950, on profite des fruits de ce labeur durant la décennie 1960 (tout en commençant, en marges, à réaliser que tout n’est pas rose au pays de la croissance sans limite) et finalement les années 1970 sont celles où, dans plusieurs domaines, on est après tout forcés, presque malgré nous, d’appliquer les freins. Dans le contexte de Los Angeles, cela veut dire un début de questionnement et de résistance face aux « Growth Machines » (1) qui caractérisait le consensus métropolitain de cette immense région du sud de la Californie qu’elle nourrit avec cette croissance.

Mais quand on commence à remettre en question les vertus d’accélérateur et de lubrifiant universel de la machine de croissance urbaine, il faut s’attendre à constater de plus en plus de bris et ruptures d’engrenages. C’est pourquoi les années 1970, avec l’apparition du mouvement slow growth, qui fait des gains dans certaines municipalités phares de la région, comme Santa Monica, auront des répercussions profondes et contradictoires sur l’ensemble de la métropole. Le consensus autour de la croissance est certainement remis en cause, et surtout le consensus autour de qui profite, qui est laissé pour compte et qui est ignoré lorsque l’enveloppe poussée par la « growth machine » fait sa tournée. Cette réalité est éclatée une fois pour toutes, mais puisque rien ne vient remplacer ce qui est aussi une machine à bâtir des consensus, parfois de type « gagnant-gagnant », parfois de type « donnant-donnant », tous les intervenants sont abandonnés à leurs ambitions. Sans le couvert politique ou idéologique de l’intérêt commun, le stress sur le système devient intenable.

Comme le démontre Monsieur William Fulton dans cette histoire urbaine des forces politiques, idéologiques et économiques des trente dernières années à Los Angeles, la perte de consensus autour de la growth machine a le double effet d’en exposer les contradictions et de rendre l’ensemble toujours plus « reluctant » (hésitante, rébarbative) à travailler dans le sens d’un intérêt commun; d’autant plus qu’il devient difficile à identifier.

Sur les traces de Reluctant Metropolis

Un des éléments qui viendra introduire des distorsions massives dans un système déjà fragile est la victoire référendaire, en 1978, de la proposition 13, bien connu en Californie comme Prop 13 (2). C’est l’incarnation même de l’expression « be careful what you wish for ». En fixant le taux de taxation municipal (commercial et résidentiel) à la valeur de l’immeuble en 1976 (3), on venait couper drastiquement le financement des gouvernements locaux et des entités semi-régionales (L.A. County), qui doivent respecter la même règle. Plusieurs (la vaste majorité) des services sociaux de proximité sont administrés au niveau du county, qui englobe aussi plusieurs gouvernements municipaux. En plus des coupes et de la réduction engendrées dans les services, il s’ensuivit une course vers les sources nouvelles de revenus. Dans ce sillage, des distorsions horribles dans la manière de gérer et surtout de générer la croissance, seule source potentielle de nouveaux revenus. Le taux d’un immobilier existant étant figé, rapportant de moins en moins avec le passage de chaque année, il fallait constamment générer un nouveau parc immobilier, ce qui n’est pas toujours facile. C’est alors que les villes ont jeté leur dévolu sur un outil jusqu’alors peu utilisé : la taxe de vente locale. Mais idéalement, les gens que l’on voulait attirer pour payer cette taxe devaient provenir de l’extérieur de la ville, d’où l’explosion des mégacentres (« big-box retail ») régionaux, générateurs de « sellscape » et autres corridors autoroutiers de la vente. Pour renflouer la trésorerie locale, on allait inciter les gens à venir acheter en masse et ainsi contribuer à la taxe locale. Toute croissance devient parasitaire.

Depuis la mise en place de Prop 13 à la fin des années 1970, la métropole de Los Angeles et sa région, mais aussi tout l’état de Californie, est sans doute subtilement défigurée sur le plan urbain et social par ce régime de taxation. Mais c’est Los Angeles, en raison de sa taille et de sa population, qui de loin en subit les pires contrecoups. Les distorsions que cela engendre dans le paysage de la mégalopole sont malheureusement trop souvent interprétées comme les conséquences « naturelles » ou même désirables par les agglomérations souhaitant atteindre une telle échelle. En cherchant à émuler la croissance « à la Los Angeles », l’on se trouve à importer des déformations particulières au contexte de cette ville. Pour se donner la chance de réfléchir un peu à ces situations difficiles, Reluctant Metropolis est le meilleur des compagnons.


(1) Reprise ici de la notion des Growth Machines telle qu’exposée dans l’ouvrage de John R. Logan et Harvey L. Molotch, Urban Fortunes. Nous y reviendrons au cours des prochaines semaines;

(2) Pour un aperçu de la proposition « from the inside », lire cette page de la Howard Jarvis Taxpayers Association. Pour ma part, je crois enfin avoir trouvé l’ouvrage qui décortique ce mouvement et nous y reviendrons;

(3) L’évaluation municipale est remise à jour en cas de vente, de rénovation majeure sur le bâtiment ou de construction majeure sur le terrain du bâtiment existant;

Tags The Reluctant Metropolis, William Fulton, Los Angeles, Growth Machine, Urban Economy, Série LA

Ville nouvelle

December 7, 2023 John Voisine
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The Fragmented Metropolis—Los Angeles, 1850-1930. Foreword by Robert Fishman. Robert M. Fogelson, University of California Press, 1967 (1993), 361 pages.

Cette chronique est la première d’une série de quatre (4) sur la ville de Los Angeles [1/4]

Los Angeles ne pourra jamais réclamer pour elle-même la tradition fondatrice d’une ville comme Boston ou New York, ou plus proche, d’une ville comme San Francisco. Mais ce qui lui manque dans la durée, elle le rattrape facilement et haut la main en histoire unique et contrastante par rapport à ces villes sœurs, autant celles de la côté est que de sa propre côte. Et ainsi que le montre Monsieur Robert M. Fogelson dans cette grande biographie urbaine, qui était aussi sa thèse de doctorat, la ville de Los Angeles sera toujours en mode boosterism. C’est une posture contagieuse adoptée avec enthousiasme autant par les élites que par les gens qui font de L.A. leur agglomération d’adoption, qui est dès le début la vaste majorité de la population.

Puisque même si son développement finira par la placer dans une catégorie à part, rien de ses origines n’allait favoriser cette croissance explosive qui entrainera son classement en première position des villes du Sud-ouest et du continent américain. Il fallut beaucoup de temps et d’intrigue politico-financière pour faire de l’agglomération un nœud ferroviaire. San Francisco allait toujours être naturellement connecté par les lignes transcontinentales et régionales, mais chaque ligne reliant Los Angeles devait s’arracher au mérite. Sans accès facile vers un port naturel en eau profonde, contrairement à San Diego, plus au sud, il aura fallu une lutte acharnée avec cette dernière pour que Los Angeles triomphe de cette rivalité. Ceci à une époque où l’accès aux marchés continentaux était uniquement par voies océanique et ferroviaire.

La transformation de L.A. est quelque chose d’unique dans l’histoire de l’urbanité. De simple pueblo sans avantage géographique manifeste, à boomtown fait d’un curieux mélange d’exploitation agricole, pétrolière et pétrochimique, avec une place d’affaire et de commerce, une (faible) base manufacturière et industrielle et à cause de son climat, qui à vue naitre l’industrie cinématographique est suffisant pour garantir sa mention dans les histoires d’amalgame urbain sans pareil. Toutefois, ce qui vol vraiment la vedette est le vaste territoire occupé exclusivement de résidences unifamiliales. En plus, avant même le nouveau siècle, les gens venaient de partout sur le continent, mais surtout du Midwest et du Nord-ouest américain, afin de profiter de la douceur et de l’égalité paradisiaques du climat. La première ville tournée vers le mieux-être des gens de classe moyenne fortunés ou qui avait les moyens de profiter de leurs retraites fut Los Angeles.

Sur les traces de The Fragmented Metropolis

En fait, dès que Los Angeles atteint les caractéristiques politiques et l’envergure structurelle d’une ville, soit au courant des années 1880, les élites de ce qui est rapidement en train de devenir une métropole font la promotion de L.A. comme la place pour venir vivre l’idéal du « rêve américain ». Celui-ci est l’archétype de ce que nous pouvons imaginer aujourd’hui, soit la résidence unifamiliale sur un lot de terrain bien a soi dans un petit développement plus ou moins prestigieux en banlieue de… mais c’est ici que Los Angeles se distingue de toutes les autres grandes agglomérations, puisqu’ici la ville s’identifie et se caractérise par sa banlieue. Il y a un centre-ville, et ce dernier joue un rôle dominant dans les affaires et le commerce, mais contrairement aux villes comparables du Midwest et de la côte Est américaine, ce centre ne devient jamais le lieu de prestige et de concentration de la richesse matérielle et culturelle de la ville. Les gens de Los Angeles retirent le plus de fierté de l’abondance de leurs quartiers résidentiels. Loin d’être une source de prestige et de fierté civique, le centre-ville est le quartier des immigrants qui, ayant été bloqué des alternatives, doivent y élire domicile dans des conditions qui les isolent en les coupant d’une base dans la ville.

Ce qui distingue Los Angeles des autres grandes villes de l’époque est la domination politique et culturelle des « native Americans » (né en sol américain et assimilable culturellement à la majorité blanche du moment). Même l’immigration est dominée par des Américains, surtout des états du centre et de l’Ouest américain. Et contrairement aux autres villes américaines où l’immigration est composée de gens d’Europe du Sud, central et de l’Est, selon les périodes, et cherchant à se construire une nouvelle vie, l’immigration interne qui arrive à L.A. durant cette époque est souvent caractérisée par des gens en milieu ou en fin de carrière et attiré par un morceau « of the simple […] well-rounded life ». Cette population « native » particulière, combinée avec des sources internes d’immigration, une population d’origine mexicaine très marginalisée et une petite population d’origine asiatique, donnera en finale une période totalement dominée par les préoccupations et les priorités de la majorité « native ». Il n’y a aucun doute que si L.A. est toujours la ville qui est l’anti-ville ou la ville-banlieue qui est aussi la métropole du rêve américain, ces premières décennies de fragmentation en sont à la racine.

Tags The Fragmented Metropolis, Robert M. Fogelson, Los Angeles, Metropolis, Urban history, Série LA

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