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Wellington | Fabrique urbaine

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L'urbanisme en pratique

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URBS+ : Abréviation d’urbanisme, mais quand même un peu plus. Une revue hebdomadaire d’ouvrages et d’œuvres avec comme point commun un intérêt pour l’univers urbain, qui est aussi l’univers ultime de l’être humain.

Still Not Getting It

June 1, 2022 John Voisine
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Still Renovating—A History of Canadian Social Housing Policy. Greg Suttor, McGill-Queen’s University Press, 2016, 316 pages

Deuxième (2) de la série Habitation et logement

Il est à la fois salutaire et assez incroyable qu’un livre sur l’histoire des politiques, des programmes et des réalisations en logement social au Canada existe. Bien simplement, le Canada est passé proche de manquer le bateau, puisque comme le souligne l’auteur, ce n’est que de manière assez tardive, et un peu sur le tard, que le gouvernement fédéral a finalement mobilisé ses ressources pour le financement et la production significative de logements sociaux. En comparaison de ses pays pairs, le Canada a pour de nombreuses années après la Deuxième Guerre, démontré un retard assez marqué, qui n’a commencé à se combler qu’au milieu des années 1960. Avant ce moment, les rares programmes se concentrent sur les vétérans et pour le reste, vive le marché! (Appuyé par la Central Mortgage and Housing Corporation—CMHC.)

Mais après la description de ce départ moins que canon, l’auteur nous fait l’histoire de ce qui fut les trente glorieuses du logement social au Canada. Comme pour confirmer ce retard qui caractérise le système canadien, on doit préciser qu’on parle de la période qui va de l’adoption des amendements à la National Housing Act, en 1964 par le gouvernement minoritaire Pearson et prend fin avec la décision de décentralisation et de désinvestissement (devolution and retrenchment) du gouvernement Chrétien, en 1995-96. En termes d’implantation et de réalisation, cette période de 30 ans est superbement canadian, avec ses accommodements et ses incarnations multiples, qui se collaient si étroitement aux mouvances particulières à chaque province. L’Ontario domine (par le volume et une gestion provinciale, avec l’OHC) et le Québec ne veut pas être en reste (création de la SHQ), sans toutefois mobiliser des ressources équivalentes.

Dans cet ouvrage, le lecteur n’a pas à se contenter d’une reddition de recherche basée sur un épluchage d’archives, mais bénéficie plutôt de l’organisation originale et de la présentation claire d’une histoire nécessairement complexe, par un auteur qui a manifestement une connaissance profonde, matérielle et pratique du domaine. Cette histoire est ainsi présentée de façon à s’intégrer dans la trame des mouvements politiques propre au Canada, qui a façonné de manière si particulière la production du logement social au pays.

Sur les trace de Still Renovating

Les dix premières années des trente glorieuses du logement social au Canada est caractérisé par une production de type «grands ensembles» avec une assez forte concentration de gens dans le besoin sur un même site. Mais très vite, dès le début des années 1970, la politique fédérale fait un virage qui privilégie les organismes à but non lucratif et les groupes coopératifs de tout genre (autour d’une cause sociale, d’un groupe d’intérêt ou ethnique, d’une organisation syndicale, etc.) L’enthousiasme pour cette sorte de structure dans la fourniture du logement social, qui devient alors, dans le meilleur des cas, un logement de type mixte, entraîne toutefois une diminution notable dans la clientèle défavorisée en mesure de bénéficier de cette aide. On s’éloigne d’une politique de logement comme d’un droit; c’est plutôt un logement pour qui a les bons contacts au bon moment auprès des organismes fournisseurs. Si l’on exclut de ce calcul la clientèle avec besoins spéciaux (aînés, autochtones, anciens combattants, etc.), l’on se retrouve avec une capacité de production encore plus insignifiante par rapport aux besoins et à la demande. Les crises récurrentes du logement qui caractérisent ce premier quart de 21e siècle en sont la preuve.

Si nous sommes pour reprendre en main cette situation, actualiser une production et une rénovation de logements dignes de la pluralité des besoins, correspondant aux normes contemporaines de développements durables, certaines pistes sont à favoriser. Il faut reprendre la production sans recréer les ghettos de pauvretés qui sont devenues synonymes des logements sociaux passés. Pour s’assurer d’obtenir une mixité des clientèles (âge, revenu, avec/sans emploi) et des besoins desservis (catégories de ménages, statut légal, handicap physique ou mental), il est primordial de rendre ce logement social à la fois indiscernable et hautement désirable, même recherché comme mode d’habitation urbain. Surtout, cela évitera à long terme la spirale identitaire qui vient dévaluer et stigmatiser ce type de logement comme indésirable et accessoire, lorsqu’il est dans les faits essentiel pour un marché efficace.

Il est temps qu’une entité publique, à l’échelle métropolitaine, se dote de cette mission et commence sérieusement la production de logements sociaux mixtes.


Lundi prochain (6 juin), on poursuit la série Habitation et logement avec 6000 Years of Housing

(2022-06-09) Léger contretemps dans la poursuite de la série qui devrait se résorber la semaine prochaine !

Tags Still Renovating, Greg Suttor, Urban policy, Urban history, Housing policy

Back to the Future

May 23, 2022 John Voisine
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Modern Housing. Catherine Bauer (Foreword by Barbara Penner), University of Minnesota Press, 1934 [2020], 330 pages

Premier (1) de la série Habitation et logement

Ce livre dresse un portrait de l’habitation dans les pays industrialisés d’Europe de l’ouest et aux États-Unis, en date de sa parution, en 1934. Dès sa sortie, et pour plusieurs décennies par la suite, le livre est resté une référence et fit de l’auteure (jusqu’à son décès prématuré en 1964) une des rares spécialistes reconnues du public (américain) dans le domaine. Même si Catherine Bauer fut très sollicitée pour des mises à jour et des ajouts (sur le logement en URSS ou en Italie, par exemple), ses nombreuses autres obligations professionnelles, couplée à sa volonté de faire une révision totale, ne se sont jamais alignées. En résulte un ouvrage unique et uniquement intemporel, qui réussit totalement sa mission, en 2022 comme en 1934.

Je pense qu’il faut remercier la providence qu’un ouvrage aussi fondamental à une période aussi cruciale (15 ans après la Grande Guerre et cinq ans avant la Deuxième) est vu le jour. Presque 90 ans après sa parution, dans cette nouvelle édition magistralement mise en contexte par une préface de Madame Barbara Penner, il est difficile de trouver mieux pour éveiller, approfondir et étendre notre réflexion sur la question du logement. Le tour de force accompli par Catherine Bauer se déploie à plusieurs niveaux : portrait historique des grandes idées et œuvres du 19e siècle en matière de logement, pourquoi ceux-ci ont-ils été, dans la plupart des cas, presque tous en vain (idéalisme qui bascule dans le culte, progressisme et «bonnes oeuvres» qui dérapent en exercices contrôlant et moralisateur, philanthropie trop ponctuel et sans lendemain, etc.) et finalement le choc des bouleversements (sociaux, politiques, économique) d’après 1914-18. Plusieurs des moyens finalement déployés trouvent leurs origines dans les mouvements d’avant 1914; c’est leur accélération qui est fulgurante par la suite.

En effet, cette période de 10-15 ans d’après-guerre se caractérise par l’impulsion vigoureuse et urgente, un peu partout en Europe, pour la mise en place de ce qui devient le «modern housing» — pas tellement par la forme (même si l’urbanisme et l’architecture jouent leurs rôles) que par la prise en charge des moyens de production par l’État et ses mandataires.

Sur les traces de Modern Housing

Si le livre de Catherine Bauer peut encore avoir une telle résonance, c’est que tout au long de son parcours sur la question du logement, elle construit en filigrane une démonstration centrale et incontournable : à aucun moment et dans aucun pays, jamais, le marché capitaliste n’a réussi à fournir à prix raisonnable et à un niveau de qualité décent du logement pour les gens en bas de l’échelle économique et même, dans la plupart des cas, pour la classe moyenne naissante. Cela est vrai pour tous les pays occidentaux, mais l’absence quasi totale de mouvement de solidarité des travailleurs aux États-Unis (grands syndicats ou partis politiques), l’idéal de la propriété privée et de l’individualisme font que les conditions étaient particulièrement pénibles dans ce pays.

Une fois ce constat accepté, la question devient de savoir comment mettre en place le soutient public (organismes coopératifs volontaires ou syndicaux, d’utilité publique, construction et gestion par OBNL sur terrains municipaux avec bail emphytéotique, sociétés paramunicipales de construction et de gestion, etc.) et comment le faire avec le plus d’avantages sur le plan social, économique et maintenant avec une dimension environnementale. L’objectif est d’assurer au plus grand nombre, de façons pérennes, un logement de qualité, à loyer modique ou selon la capacité de payer du ménage. Dans de rares cas, avec possibilité d’acquisition et de transfert.

L’auteur démontre de façon convaincante que les réponses les mieux intégrées (sur le plan architectural et urbain), en mesure de satisfaire (sur le plan social et économique) cette question ont été déployées aux Pays-Bas, avec en deuxième place les pays scandinaves et proche troisième, certaines villes allemandes (Berlin, Francfort). Une mention spéciale va à la ville de Vienne.

Les réponses aux questions du logement sont nécessairement publiques, en dehors de la production capitaliste (qui ne fonctionne que pour le marché des individus indépendant de fortune ou des entrepreneurs-propriétaires). Le reste de la production en logements demande d’être pérennisé et professionnalisé; la seule entité avec ce type de résilience et de capital est l’État (une combinaison de nos trois paliers de gouvernement). Nos sociétés sont mûres pour ce futur.


Jeudi, le deuxième livre de notre série sur l’habitation avec Still Renovating—A History of Canadian Social Housing Policy.

(2022-05-26): Je dois remettre la publication de cette revue à mercredi prochain, le 1 juin. En attendant, comme je le mentionnais la semaine dernière, la revue de l’Ordre des urbanistes du Québec (OUQ), Urbanité, vient de sortir son dernier numéro (printemps/été 2022) avec un dossier spécial sur l’habitation. Il est possible de le télécharger sans frais ici. Je n’ai aucune association avec la revue.

Tags Modern Housing, Catherine Bauer, Housing, Social Housing, Urban Planning

Ce qui se perd

May 16, 2022 John Voisine
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L’habitude des ruines—Le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec. Marie-Hélène Voyer, Lux Éditeur, 2021, 217 pages. Lu en format PDF sur app Books.

Certains livres nous travaillent beaucoup plus que l’on aimerait se l’admettre. Que ce soit par la forme ou le fond, ces ouvrages viennent nous chercher dans ces angles morts qu’on préférerait renier jusqu’à l’existence, que ce soit pour des raisons positives ou négatives. Le charme d’une prose bien tourné ou le mordant d’un humour sagace pourrait nous faire pencher en direction d’un argumentaire compromettant; facile et séduisant dans l’évocation de sa forme, mais que l’on devine avoir des conséquences réelles des plus funestes. Dans un sens, si l’on est honnête avec soi, ces moments démontrent la fragilité des arguments les mieux appuyés. En d’autres circonstances ou sous d’autres cieux, avec quelque levier bien placé, il aurait été tellement facile de se retrouver ailleurs sur le spectre. There but for the grace of God go I.

De façon encore plus dangereuse, il est parfois satisfaisant de lire un défoulement vigoureux, un déversement de feu sur une position, une cause ou même une personne, surtout si celle-ci incarne, selon nous, des comportements lâches ou malhonnêtes sur le plan humain ou intellectuel. Mais la satisfaction que procure un tel défoulement vient presque toujours obscurcir une insécurité que l’on devrait trouver le courage d’interroger.

Finalement, et à l’inverse, quoi de plus exaspérant qu’un auteur qui, dans son zèle pour une cause qui nous tient à cœur, dans une prose sclérosée, lourdement appuyée, grave sans être sérieux et sans humour, en oublie la base de toute coalition d’utilité publique : il est plus important de trouver les moyens de mettre le plus de gens derrière soi (en faveur d’un objectif) que contre soi. La plupart du temps, cela implique au minimum de faire l’effort de ne pas traiter la vaste majorité de la population comme s’ils étaient des idiots incapables de comprendre leurs intérêts ou ce qu’ils veulent, ou comme de simples pions dans un jeu capitaliste qui les dépasse. Cela fait piètre forme, ferme les cœurs et les esprits (du moins, en ouvrent très peu à la cause), nous ostracise d’un large bassin potentiellement réceptif et ne fait qu’inviter les pires partisans : conservateurs, refermés, frileux et paranoïaque.

En poursuivant au livre

On l’aura bien compris, le livre de Madame Voyez se situe catastrophiquement dans cette dernière catégorie. Non seulement est-il de lecture pénible par sa forme, mais en plus, par la manière dont se construit son argument en faveur de la conservation et de la valorisation du patrimoine bâti, il serait douteux si une seule personne, en dehors du cercle restreint aggloméré à la cause autrement que de façon dilettante, pouvait se voir recrutée.

En fait, il n’y a rien de fondamentalement compromettant à cette façon de faire les choses. Comme je le mentionnais, il est parfois satisfaisant, sur le plan personnel, d’utiliser un moment de notre parcours intellectuel pour écorcher l’ordinaire et les épouvantails faciles à moquer, comme le façadisme, le pastiche, les gros «Domaine» de banlieue et les «fontaine-buste à l’effigie d’Elvis» que l’on y «soupçonne dans chaque cour arrière» (ma grand-mère maternelle [God rest her soul] était une grande fan du King); bref, une vaste majorité de la population voit ici son mode de vie, et la nécessité d’en faire ce que l’on peut, passer au pilori d’une personne qui cherche manifestement, chez les gens avec le moins de choix, plus de coupables que de solution.

Pour les partisans du patrimoine, de la conservation du bâti et de ceux qui aimeraient voir renaître une vraie architecture urbaine, dense et diversifiée, ce livre est un repoussoir de plus de la part d’une personne qui prétend plaider la cause. À l’heure actuelle, partout en Amérique du Nord, la sauvegarde et la conservation du patrimoine sont menacées, non par une culture qui dénigre cet héritage, mais par une réglementation municipale hostile à sa propre nature. New York City ne peut pas se reconstruire. Mon triplex construit en 1920 à Verdun, héritage de ma grand-mère maternelle, rénové et restauré par moi-même à l’original : je ne pourrais le reconstruire en 2022, cette typologie étant bannie pour cause d’exigences de stationnement et autres réglementations de construction, de lotissement et de densité (c.-à-d. de non-densité).

Au lieu de chercher des alliés à la cause, Madame Voyez a trouvé plus facile et satisfaisant de s’en prendre aux «promoteurs qui ne pensent qu’à engloutir l’espace et le bien commun pour leur propre profit.» Triste.


Ce jeudi 19 mai on entame notre série sur le logement et l’habitation avec le fameux livre de Catherine Bauer, Modern Housing. On trouve une liste des livres qui seront passés en revue sur la première page de ce site.

(2022-05-19) : Je dois remettre la publication de cette revue à lundi prochain, le 23 mai. En attendant, la revue de l’Ordre des urbanistes du Québec (OUQ) vient de sortir un numéro avec un dossier spécial sur l’habitation intitulé « Repenser l’habitation ». Il est possible de le télécharger sans frais ici. Je n’ai aucune association avec la revue.

Tags L'habitude des ruines, Marie-Hélène Voyer, Patrimoine, Souvenirs, Histoire

La banlieue, amendée

May 5, 2022 John Voisine
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Suburban Nation—The Rise of Sprawl and the Decline of the American Dream. Andres Duany, Elisabeth Plater-Zyberk, and Jeff Speck, North Point Press, 2000, 293 pages.

Sprawl Repair Manual. Galina Tachieva, Island Press, 2010, 304 pages [e-book lu sur plateforme Adobe Digital Edition]

Mon exemplaire de Suburban Nation date de sa parution, en 2000, il y a donc plus de vingt ans. L’édition courante est de 2010, mais le seul élément qui semble avoir changé, si l’on se réfère à la page de l’éditeur, est l’ajout d’une préface. Dans le cas du deuxième livre, la seule édition est toujours la première, de 2010 également, soit immédiatement après la crise (essentiellement immobilière) de 2007-2008. Nous vivons encore bien fermement dans le monde de l’étalement suburbain décrit et fermement décrié dans ces deux ouvrages. Cet étalement, cette forme urbaine sans cadre ni contour, cette banlieue si étendue qu’elle se métamorphose continuellement sans jamais prendre consistance urbaine, est pourtant le substrat sur lequel notre futur urbain devra se construire.

Lorsque l’on réfléchit le moindrement à cette situation, on se rend compte que ceci est probablement une des caractéristiques désirées et même hautement recherchées des ensembles émergeant de l’étalement : ne jamais, d’aucune façon, d’aucune manière, pouvoir constituer ou faire de cette étendue asphaltée autre chose qu’un non-lieu urbanisé; surtout pas une ville.

Dans les dix/vingt ans depuis la parution de ces ouvrages, j’ai parfois cette impression que les fenêtres d’opportunités de la reconstruction ou de la refondation, sur les bases d’une certaine urbanité à même les assises de l’étalement, ont diminuée ou se sont compliquées au point de devenir des mirages; des figures clairement imaginable, mais matériellement illusoire. Le fait que ces deux livres parlent d’un moment à saisir pour reconfigurer nos banlieues, pour le mieux-être de l’humanité et de l’environnement, mais qu’en rétrospective ce moment n’apparaît jamais s’être coalisé, en dit beaucoup sur la réalité des obstacles financiers, structurels, idéologiques et institutionnels (réglementaires) qui se trouvent toujours fermement en travers la route de ceux qui pensent autrement qu’en multiple de cul-de-sac.

Le premier groupe d’auteurs (Duany/Plater-Zyberk/Speck) font partie des membres fondateurs du Congress for the New Urbanism (CNU), ironiquement modelé sur les CIAM. L’auteure du deuxième volume est une partenaire de la firme DPZ et a ainsi activement participé à l’élaboration des concepts et outils proposés dans son manuel.

Sur les traces

La difficulté ne repose pas seulement dans la viabilité ou le réalisme des propositions détaillés dans ces deux livres (même s’il y a parfois un peu de cela, surtout dans le Sprawl Repair Manuel). Les auteurs de Suburban Nation sont aussi les fondateurs et partenaires toujours très actifs de DPZ, une des plus importantes firmes américaines en urbanisme de retissage des environnements urbains et suburbains. En d’autres termes, ils sont parfaitement au courant des défis parfois irréconciliables que représentent ces mandats. Ils admettent bien volontiers que certaines propositions, considérées comme essentielles dans le travail de réconciliation urbaine, n’ont jamais réussi à «passer», comme la reconnexion de rues dans des secteurs adjacents, mais socioéconomiquement différencié. Montréal n’est pas en reste sur ce plan (TMR/Parc-Extension, les municipalités le long du boulevard Cavendish, etc.).

Le Sprawl Repair Manuel est très fidèle à son type; une présentation très pratique et abondamment illustrée de solutions de densification, de diversification et d’urbanité pour tous les types possibles et imaginables de banlieues, de fissure urbaine ou d’étalement, peu importe l’échelle ou le lieu. La méthodologie proposée pour approcher ces défis m’apparaît appropriée, mais l’opportunité de voir s’aligner les acteurs et les conditions pour réaliser les opérations nécessaires relève, dans la majorité des cas, de circonstances quasi miraculeuses. Le manque d’exemples concrets (précédents) en fait foi. L’angle aveugle de l’auteur sur la question du stationnement (sur la nécessité de sa restreinte et de sa tarification, voir Shoup) et la nécessité de coordonner le transport public et les modes actifs est surprenant. De plus, les illustrations indiquent souvent une intensification, sur un lieu donné, de l’ordre de plusieurs centaines ou dizaines de milliers de personnes; peu crédible dans notre contexte démographique ou sans une politique d’immigration généreuse. On se retrouve quand même avec un bon manuel, lorsque ces astres s’aligneront.

Le livre du couple Duany/Plater-Zyberk et leur coauteur, Jeff Speck, est excellent comme outil de réflexion, de diagnostic et manuel de préparation pour le long et difficile travail de réconciliation du tissu urbain et naturel de l’habitat suburbain. Lorsque cet exercice devient possible, Suburban Nation permet de construire une fondation solide pour la réussir.


La semaine prochaine, avant de se lancer dans une série de plus de deux (2) mois sur l’habitation et le logement, un petit détour pour examiner un ouvrage sur une question parallèle et parfois reliée, soit celle du patrimoine et de l’héritage bâti (tel qu’applicable au Québec du moins), L’habitude des ruines—Le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec.

(2022-05-12 : le texte sera publié le lundi 16 mai. Une liste des livres examinés dans la série « habitation et logement », avec leurs dates de publication, est disponible en première page, ici.)

Tags Suburban Nation, Sprawl Repair Manual, Duany Plater-Zyberk Tachieva, Suburbia, Suburb repair

L'utopie ordinaire

April 28, 2022 John Voisine
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Bourgeois Utopias—The Rise and Fall of Suburbia. Robert Fishman, Basic Books (Perseus Books), 1987, 208 pages.

Si la banlieue a connu plusieurs incarnations depuis ses premières manifestations dans l’Angleterre préindustrielle, un des éléments inattendus que ce livre vient mettre en relief est le rôle fondamental joué par le mouvement évangélique (tel que représenté par William Wilberforce et particulièrement la secte de Clapham). On parle ici d’un mouvement qui a réussi, en définissant cet idéal résidentiel autonome pour elle-même et la bourgeoise en général, l’invention et la mise en œuvre de son propre coin de paradis.

En prenant les pourtours de Londres comme toile de fond pittoresque, mais trouvant sa véritable expression dans des cités industrielles comme Manchester ou Liverpool, la périphérie des villas de weekends et de vacances passe rapidement à résidence permanente de la famille bourgeoise. Se produit aussi, fin 18e, début 19e siècle, un glissement idéologique, matériel et même théologique qui insuffle un sens nouveau au noyau familial. Jusqu’alors composée d’un large groupe habitant sous un même toit au cœur de la ville marchande, ce qui incluait le personnel de service, mais surtout les apprenties attachées au maître de maison ou au maître d’œuvre (à la Chippendale), la famille se recentre sur son «coeur», soit les parents, les enfants et plus rarement quelques membres de la belle-famille. On cherchera alors à loger cette famille recentrée loin des tentations et des influences perverses de la ville, surtout afin de préserver et d’offrir un milieu sain pour les plus jeunes et les membres féminins de cette nouvelle famille bourgeoise.

Selon cette nouvelle idéologie ayant cours dans la haute bourgeoisie britannique, c’est en faisant construire ces résidences sises dans un pittoresque naturel et isolées des caprices urbains que la femme du foyer allait créer cette oasis de paix pour son homme et sa famille. Ces nouvelles résidences se construisent aussi dans la plus grande fièvre spéculative ; harmonie entre Dieu et l’intérêt pécuniaire. Dans les grandes villes industrielles de la première moitié du 19e siècle, la résidence familiale bourgeoise allait ainsi continuer à s’isoler loin du centre urbain, qui se videra de cette présence pour mieux intensifier sa fonction commerciale. C’est ce modèle qui inspirera les précurseurs américaines comme Frederick Law Olmsted, Andrew Jackson Downing et Catharine Beecher.

Sur les traces de Bourgeois Utopias

Pendant que le processus de suburbanisation se poursuivra vers des formes architecturales et urbaines particulières dans l’Angleterre victorienne et aux États-Unis avec le développement des banlieues pittoresques (Llewellyn Park, Riverside, Illinois) et de tramway (streetcar suburbs), la France connaîtra une concentration de ses élites dans son centre urbain parisien, un processus clairement explicité ici par l’auteur. Encore aujourd’hui, le sens (symbolique, urbanistique et architectural, sociologique et démographique) du mot «banlieue» est très différent dans l’Hexagone. La capitale française en est l’exemple premier et Monsieur Robert Fishman prend soin de décortiquer en quoi la symbiose si unique entre l’État français, le monde de la finance et les grands entrepreneurs en construction de l’époque, durant les dix-sept ans du Baron Haussmann à la préfecture parisienne, va loin pour expliquer cette occupation continue et le maintien du centre urbain comme lieu de prestige, autant à des fins commerciales, financières et surtout dans le cas qui nous concerne, résidentiel.

Tout au long de l’ouvrage, le point particulier que cherche à faire l’auteur est que la banlieue, comme développé aux États-Unis, trouve ses origines dans la banlieue anglaise pré et postindustrielle; cet argument est en contraste avec l’autre classique de la même époque, Crabgrass Frontier, qui au contraire met l’accent sur l’originalité de la banlieue américaine. Les deux démarches font sens et ne s’opposent pas fondamentalement; une lecture attentive apporte surtout des perspectives complémentaires plus que contradictoires.

Un chapitre unique à cet ouvrage est celui sur le développement de Los Angeles, la «suburban metropolis», sans pair et sans pareille, qui avait presque réussi à nous faire croire à son mirage, du moins jusqu’à l’éclatement de ses contradictions dans les années 1960 avec Watts. Le passage d’un étalement presque idyllique (avant le cauchemar du track housing systématique), soutenu par les «Red Cars», au rejet de ce mode pour l’automobile, détruisant ainsi la possibilité d’une centralisée naissante, le tout exacerbé par une spéculation foncière aux intérêts politiques et financiers inextricables, est d’une tristesse assez lourde, surtout à la lumière de ce que nous savons aujourd’hui.

Pour demain, Technoburb, diffusion à la H.G. Wells ou Broadacre City à la F. L. Wright? Je ne sais pas vraiment, mais la semaine prochaine, nous allons voir s’il serait possible d’amender la banlieue existante.


La semaine prochaine (5 mai), un doublet de livres pour fermer cette série sur la banlieue : Suburban Nation—The Rise of Sprawl and the Decline of the American Dream et Sprawl Repair Manual en guise de message d’espoir?

Tags Bourgeois Utopias, Robert Fishman, Suburbia, Urban history, Urban sociology

La face cachée des rêves

April 21, 2022 John Voisine
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Bourgeois Nightmares—Suburbia, 1870-1930. Robert M. Fogelson, Yale University Press, 2005, 264 pages

La question brûlante qui tenaillait les familles et les investisseurs des premières banlieues américaines était à la fois bien simple et complexe dans sa résolution éventuelle : comment assurer la permanence, l’intégrité conceptuelle et physique de ce nouveau coin de paradis résidentiel? Comment en assurer l’usage exclusif résidentiel et préférablement même unifamilial? Comment s’assurer que seules les «bonnes personnes», de caractère et de mœurs inexpugnables, puissent se construire dans ces nouveaux domaines qui poussaient partout sur les côtes est, ouest ou même au centre des États-Unis en cette fin de 19e, début 20e siècle? On parle d’une époque d’avant le zonage, souvent dans un territoire hors de toute gestion municipale. Pour comprendre les solutions apportées à ces questions, parfois surprenantes, moralement dépravées lorsqu’elles ciblaient des personnes, toujours restrictives et contraignantes, rien de mieux que le parcours offert dans ce livre, recherché exhaustivement et exposé clairement par Monsieur Robert M. Fogelson.

On pourra s’étonner que c’est dans le pays de la suprématie du droit de propriété, une notion si fondamentale qu’elle se trouve enchâssée dans un article de leur constitution, que s’est développé au fil des décennies une armature solide, autant privée (contractuel) que public (zonage) de contraintes et de restrictions robustes à ce droit. Ce livre porte essentiellement sur la période où la prévalence des restrictions venait du côté privé, codifié dans des documents contractuels (Covenants, Conditions & Restrictions, souvent abrégé en CC&R) signés au moment de l’achat du lot. En fait, avant 1942, l’essentiel des domaines de banlieue était simplement des lots de terrains pourvus de rues, d’un aménagement paysager plus ou moins sophistiqué, d’équipement sanitaire plus ou moins élaboré et offerts à la vente. L’heureux acheteur était ensuite responsable du reste, de la conception à la construction de sa nouvelle demeure.

On peut comprendre que ce montage du marché immobilier impliquait des risques assez fabuleux, autant pour le promoteur de l’ensemble des terrains (investissement majeur en amont) que pour l’acheteur (que ce soit une famille ou un investisseur-spéculateur). D’ailleurs, il n’était pas rare pour un développeur de ne pouvoir faire un profit qu’après la vente du dernier tiers des terrains.

Plus loin dans la lecture

On comprendra mieux alors le jeu délicat nécessaire à l’atteinte de ce double objectif : du point de vue du promoteur, maintenir la viabilité des terrains jusqu’à ce que la totalité soit vendue, et du point de vue de l’acheteur, maintenir la réalité matérielle d’une banlieue idyllique. C’est une époque avant les prêts hypothécaires 25-30 ans (il fallait amortir sur 3-5 ans), où l’achat d’un terrain et la construction d’une résidence unifamiliale représentaient un risque considérable, même pour les plus fortunés. C’est ainsi que pour juguler le glissement qui peut s’enclencher si l’une des parties compromet ce fragile équilibre, les clauses restrictives deviennent vite de plus en plus courantes et contraignantes, peu importe le discours culturel prévalant sur le droit de disposer à sa guise de sa propriété.

Loin de faire fuir les acheteurs, les clauses restrictives seront au cœur des campagnes de vente, du plus simple, avec quelques règles se résumant en une page jusqu’au livret réglementaire, avec des restrictions touchantes autant à l’aménagement, à l’architecture, à l’usage et à la «qualité» des acheteurs. À l’exception des wasps, tous les groupes humains et religieux seront, selon l’époque et le lieu, bannis des développements. Mais la pleine immoralité de ces restrictions tombera bien sûr sur les Noirs et les juifs, et dans certaines régions, les catholiques. Toute cette catégorie d’interdits sera prohibée à partir de 1917 par la Cour suprême (Buchanan vs Warley), mais il faudra attendre 1948 pour que la Cour (Shelley vs Kraemer) mette fin à leurs mises en application. Selon la localisation géographique, on pouvait assister à de grandes variations dans le type de restrictions, comme dans le cas de la grande région de Los Angeles avec l’interdiction de la prospection et de l’exploitation pétrolière, ou ailleurs avec l’interdiction d’animaux domestiques (poulets, vaches, chevaux, etc.) ou d’élevage (porcs, chèvres).

Avec le début des règlements de zonage, dans les années 1920 (SZEA et SCPEA), et le passage d’une époque où les subdiviseurs contrôlaient le marché à l’époque des promoteurs immobiliers (d’un J.C. Nichols à un W.J. Levitt), la nature et la variété des contraintes changent, mais demeurent robustes et efficaces, quoique souvent invisibles aux non-initiés.


La semaine prochaine, la série se poursuit avec Bourgeois Utopias.

Tags Bourgeois Nightmares, Robert M. Fogelson, Suburbia, Urban history, Restrictive convenants

Evergreen

April 14, 2022 John Voisine
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Building suburbia—Green Fields and Urban Growth, 1820-2000. Dolores Hayden, Vintage Books, 2004, 318 pages.

La caricature de la banlieue passe souvent par l’utilisation d’un « gros trait », une image qui illustre cette assimilation vers le plus bas commun dénominateur ou quelque composition qui ne s’embarrasse pas de nuance. Un échantillonnage démographique contemporain ou encore, pour ceux qui aiment les explorations terrain, une balade en voiture dans les extrémités de l’île de Montréal, sur l’île Jésus, dans sa couronne nord ou sur la Rive-Sud fera beaucoup pour dissipé ce portrait facile. Il est alors rassurant d’entreprendre un ouvrage comme celui de Madame Dolores Hayden qui de go, dans sa table des matières, identifie sept (7) historic patterns pouvant représenter, sur presque deux cents ans, les sept grandes étapes de ce phénomène toujours en évolution qu’est la banlieue.

De par la croissance explosive des banlieues après la Seconde Guerre mondiale, on a tendance à ne percevoir que cette partie de son histoire, ce que l’auteure appelle avec justesse les Sitcom Suburbs (1945-1989), du type représenté par des téléséries comme Leave It to Beaver ou Father Knows Best. Mais avant d’en arriver là, il aura fallu une série d’itérations (Borderlands, Picturesque Enclaves, Streetcar Buildouts, Mail-Order and Self-Built Suburbs) qui étaient toutes autant d’échappatoires plus ou moins achevées pour l’idéal résidentiel familial, séparé des nuisances perçues ou réelles de la ville, mais toujours attaché à cette dernière pour le travail dans l’économie tertiaire, la finance et l’éducation supérieure. L’auteure vient poursuivre et approfondir notre compréhension des premières banlieues (les Borderlands), en mettant l’accent sur le travail d’une femme comme Catharine Beecher dans la systématisation et l’organisation des espaces résidentiels intérieurs afin de tenir compte du rôle changeant (et de plus en plus autonome) de la femme de classe moyenne blanche. C’est d’ailleurs un des points forts de l’ouvrage : souligner l’apport marquant, mais souvent oublié, de plusieurs intellectuelles et professionnelles dans la construction matérielle et idéologique de la banlieue.

Parce que pour permettre ce transfert massif de population des quartiers urbains vers ces lointaines enclaves, il fallait penser à un tout nouveau système d’accommodations et de services, le passage d’un mode d’existence basé sur l’essentiel vers un mode de vie reposant sur la consommation.

Sur les traces de Building Suburbia

De façon curieuse, c’est le chapitre sur les Mail Order and Self-Built Suburbs qui apporte une perspective vraiment fraîche sur cette quête de la propriété en banlieue. La combinaison d’entrepreneurs privés, des grands détaillants de cette nouvelle économie de consommation (catalogue Sears, qui offre tout ce qui peut venir meubler la maison idéale, jusque la maison elle-même) et de familles désespérées de participer dans cette nouvelle culture universelle, viendront installer confortablement, des les années 1920, mais surtout à partir des années 1930 et jusqu’à maintenant, les modalités des politiques nationales d’accès et d’acquisition d’une propriété résidentielle pour une famille de classe moyenne blanche. Mais il y avait un catch : il fallait que cette propriété soit essentiellement de type Levittown. Tout le répertoire résidentiel à cette date, et les formes urbaines, architecturales et de mobilité si étroitement et efficacement imbriquée et associée à cette urbanité se voyaient alors coupé du marché.

On le sait et Madame Hayden le rappelle plusieurs fois dans l’ouvrage, cette situation n’a rien d’universel. Plusieurs autres sociétés industrialisées et occidentales ont négocié la question de l’habitation de façon bien plus flexible qu’ici en Amérique du Nord. Ce qui est normal ici, le développement, la construction, l’aménagement et la vente par des promoteurs d’une résidence privée dans un marché libre sont, en fait, des pratiques de moins en moins viables. Dans les faits, ce marché est un artifice pour des transferts massifs de fonds publics vers un secteur (la construction résidentielle en banlieue) qui dans son incarnation américaine (incluant le Québec) engendre des effets de distorsion massivement et produit des externalités toujours plus nocif.

Surtout que, depuis la parution du livre, presque vingt (20) ans déjà, plusieurs tendances délétères identifiées se sont accélérées : edges nodes et rural fringes de plus en plus excentré, développé sans possibilité de rattachement à un tissu urbain. L’auteure finit sur un plaidoyer pour une reconstruction sur les bases saines des anciennes banlieues de type streetcar, mais elle n’a pas d’illusion sur les difficultés (montage financier quasi impossible, réglementation archaïque, etc.) que cela représente. Et maintenant, avec un gouvernement sérieusement engagé avec une proposition d’un troisième lien…


La semaine prochaine, le quatrième dans notre série sur la banlieue, avec un thème qui m’intéresse particulièrement, soit les clauses restrictives (restrictive covenants) autrefois attachées à la vente d’une propriété : Bourgeois Nightmares—Suburbia, 1870-1930

Tags Building Suburbia, Dolores Haydon, Suburbs, Urban history, Urban sociology

Out There

April 8, 2022 John Voisine
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Borderland—Origins of the American Suburb, 1820-1939. John R. Stilgoe, Yale University Press, 1988, 353 pages.

Pour nous plonger un peu dans le matériel et le ton qui caractérise cette «préhistoire» de la banlieue américaine, John R. Stilgoe nous présente ce passage de Susan Cooper (Rural Hours), celle qu’on appelait la «witch-hazel» de cette nouvelle identité (le borderland) qui ne se réclame ni de la ville, ni de la campagne, ni de la banlieue, mais qui emprunte des éléments au trois : «We are the borderers of civilization in America, but borderers of the nineteenth century, when all distances are lessened, whether moral or physical.» Il y a beaucoup à décortiquer dans cette phrase, et l’auteur de ce livre est le guide parfait pour entreprendre cette balade, remplie de chemins inattendus, entre villes et frontières émergentes.

À la conquête de ce territoire alors souvent décadent et laissé en friche (slovenly farms—tel qu’ils étaient qualifiés à l’époque), on trouve justement un public citadin désespéré de s’imaginer transcender sa condition d’urbain, tenaillé par la nouvelle économie manufacturière et industrielle, prisonnier d’un capitalisme qui transforme sous ses yeux la ville en milieu hostile à cette famille bourgeoise, qui commence à demander mieux de la vie et qui en a les moyens. C’est face à cette situation et avec le développement de nouveaux moyens de mobilité (trains, tramway, omnibus) que, pour les plus fortunés, la perspective de nouveaux territoires, jusqu’alors impossible d’atteinte, s’ouvre et se développe sur une base régulière pour l’habitation. Ni vraiment du domaine de la banlieue (le plus souvent en continuité avec la ville), ni vraiment du domaine de la maison lointaine de vacance, la résidence du borderland trouve son sens dans sa capacité à faire oublié la ville, à rattacher ses résidents grâce à une mise en scène du naturel (improvements) et à recentrer l’existence des habitants de ce foyer nouveau genre du 19e, début 20e siècle.

Cette résidence borderland vient ainsi reconstruire le paysage de la périphérie des villes. Ce qui était le domaine de la «slovenly farm», parfois même abandonné, est repris en main par ce public urbain fortuné et motivé à faire revivre ce territoire selon des besoins contemporains qui lui sont propres.

Sur les traces de Borderland

Ce livre n’a pas comme objectif de démasquer toutes les causes de l’exode vers ces nouveaux borderlands, mais il aurait été difficile pour l’auteur de ne pas mentionner certains des facteurs qui incitait quelques jeunes ménages fortunés à passer leurs existences aussi loin de leurs centres d’activités professionnels. Puisqu’on parle bien ici de gens qui conservent un lien essentiel et quotidien (du moins pour l’homme du couple, mais aussi parfois pour elle) à la ville. L’auteur pointe vers une littérature populaire et popularisée par un riche éventail d’hebdomadaire et de mensuels qui vantaient les vertus curatives d’une vie loin du stress et des formes les plus débilitantes d’affliction nerveuses, touchant particulièrement les hommes. Pour la femme du couple, la résidence en borderland offre simultanément autonomie et intimité, l’occasion de construire une oasis réparatrice pour son homme et à leurs progénitures, le plus sain et stimulant des milieux, loin de la pollution urbaine. Parfois, le langage utilisé par les auteurs dans les périodiques est plus franc, comme cet article de 1906 dans Suburban Life, où l’on apprend que : «There is no race problem in Shenandoah—no colored people and no foreign population. There are no slums, no tenements, no double houses, and no shacks.» Une façon sans ambiguïté de décrire l’idéal borderland.

Mais pour être parfaitement honnête, les gens qui occupaient ce borderland ne voulaient aucunement se laisser associer à la caricature facile qu’en faisait certains contemporains, comme dans Main Street ou Babbitt de Sinclair Lewis. Loin d’être la frange réactionnaire face aux nouvelles réalités urbaines, l’auteur démontre, par son analyse particulière, que cette frontière se rattachait en plusieurs points aux façons les plus modernes de vivres l’urbanité. Les parallèles (absolument involontaire, puisque ce livre date de 1988) qu’il est possible de faire avec nos manières de vie contemporaine (en 2022) ne manquent jamais de faire réfléchir.

De la ferveur des come-outer en passant par les affligés du newyorkitis, des développeurs ayant eu l’audace et le courage d’entreprendre des modèles aussi différents que Forest Hills et Shaker Heights, Borderland est le livre qui nous fait imaginer, vivre et comprendre cette préhistoire de la banlieue.


La semaine prochaine, le troisième livre dans notre série sur la banlieue : Building Suburbia—Green Fields and Urban Growth, 1820–2000


Tags Borderland, John R. Stilgoe, Suburbs, Historique, Urban sociology

La banlieue en évolution

April 1, 2022 John Voisine
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Banlieue, dites-vous?—La suburbanisation dans la région métropolitaine de Montréal. Gérard Beaudet, Presses de l’Université Laval, 2021, 490 pages.

Il y a quelques années, pour souligner la parution de la quatrième édition du livre phare de Jean-Claude Marsan sur l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme à Montréal, Montréal en évolution, l’auteur du présent ouvrage, Gérard Beaudet, faisait la revue de ce qui était devenu, contre toute attente, le volume incontournable pour comprendre l’environnement bâti sur l’île de Montréal. Monsieur Beaudet finissait son article en souhaitant que cette édition du livre de Monsieur Marsan puisse servir comme source d’inspiration pour une somme comparable, mais cette fois du type «Grand Montréal en évolution». Finalement, la personne à s’être laissé inspirée par l’appel fût l’auteur lui-même et ainsi, Banlieue, dites-vous? est l’excellent produit de ce qui a dû être cette longue recherche et mûre réflexion. Ce livre mérite une place de choix à côté du premier en tant que volume phare dans la compréhension de Montréal, mais cette fois à l’échelle métropolitaine, par voie de sa suburbanisation.

Mais comment penser qu’un ouvrage avec ce titre puisse être une histoire de l’évolution urbanistique, morphologique et architecturale du Grand Montréal? L’histoire de la construction urbaine du grand Montréal n’est-elle rien d’autre que celle de sa banlieue? En fait, même si la banlieue métropolitaine ne se réduit pas à un stéréotype, il n’y a aucun doute que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, autant la rive-sud que la rive-nord de l’île, toute la « confluence » du grand Montréal, s’est fait moduler sur un schéma caractéristique de la logique « banlieusarde ». Certainement avec un léger vent de villégiature au début du siècle passé, mais foncièrement typique de ce qui a soufflé et finalement balayé l’ensemble du continent nord-américain depuis 1945.

Ce livre vient à la fois identifier et décrire matériellement, dans le contexte de chacune de ces localités d’implantation, ce que l’auteur appelle notre «patchwork suburbain» (cinquième chapitre). Il expliquer de façon convaincante la genèse banale, mais aussi si particulière en contexte nord-américain, du déploiement de la banlieue dans le grand Montréal. Ainsi, le rattachement à la banlieue pavillonnaire américaine est immanquable, mais l’illustration des contrastes par rapport à la production américaine (même canadienne) est clairement dessinée.

Sur les traces de Banlieue, dites-vous?

En fait, les défis et les effets délétères engendrés par le patchwork suburbain dépassent depuis longtemps ceux posés par un étalement qui explose en contexte d’une population qui croît à peine (malgré les prévisions glorieuses d’une autre époque). Le mot banlieue ne définit plus vraiment la relation de ces entités urbaine par rapport à la ville-centre. Il est depuis longtemps possible de vivre une vie complète dans une banlieue montréalaise typique. Avec un bref intermezzo dans une université montréalaise, le reste de sa vie pourrait se dérouler entièrement dans un des royaumes de banlieue de la confluence. Tous les algorithmes urbains du monde des services, du commerce, de la production manufacturière ou industrielle et de la consommation sont optimisés pour une vie en banlieue. Les banlieues montréalaises ont presque atteintes, pour emprunter l’expression d’une autre discipline, leurs escape velocity. La suburbanisation montréalaise repose sur un quadrillage autoroutier universel et par conséquent, rares sont les endroits où une vie sans voiture est imaginable ou autrement souhaité et possible.

Bien entendu, les choses on commencé doucement, de façon presque pittoresque, avec les tramways urbains et certaines lignes de trains (encore en service). Mais cette logique a pris fin avec la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale. Même durant la guerre, les assises étaient posées pour une occupation et une utilisation bien différente du territoire métropolitain.

Dans toute cette histoire, un des aspects qui finit presque par choquer par son ampleur, c’est l’absence quasi totale d’une pensée urbaine ou même d’une urbanité cohérente. Le laissez-faire, autant par manque de capacité (avérée ou perçue), de volonté, ou par complaisance des autorités locales envers les développeurs (souvent les mêmes) serait risible si les conséquences n’étaient pas si souvent irréversibles. L’auteur n’est pas le premier à parler des modalités de fabrication de la banlieue qui se rapproche des chaînes de Ponzi. Prendre conscience de ceci demeure essentiel, même si cette lecture ne rassurera personne.

L’ouvrage de Gérard Beaudet vient synthétiser une histoire, offrir des constats et fournir des analyses indispensables sur la suburbanisation montréalaise à cette échelle qui manquait, celle de la région métropolitaine. Nous en retirons pour notre part une meilleure compréhension des enjeux et des défis émergents.


Note 1 : Full disclosure : J’ai eu la chance d’avoir Monsieur Beaudet pour une session et un cours durant ma formation dans ce qui était alors l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal. Il était un pourvoyeur extraordinaire de cours magistraux et moi un bien piètre étudiant!

Note 2 : La semaine prochaine, deuxième dans notre série de six livres sur la banlieue, cette fois avec Borderland : Origins of the American Suburb, 1820–1939

Note 3 (2022-04-14) : L’ouvrage ne comporte pas d’index ! En d’autres termes, il est très difficile de retrouver ou trouver une information spécifique ou de colliger toute l’information et l’analyse sur un thème donné. (Bien sûr, il y a une version PDF qu’il est possible de rechercher par mot-clé, mais ceci n’est pas la question.) J’ai soulevé ce manquement dans un courriel à la maison d’édition (Presses de l’Université Laval — PUL) ; quelques heures après, je recevais une réponse pour me dire qu’on allait transmettre l’information à l’auteur, dans l’éventualité d’une deuxième édition. Il n’en demeure pas moins que la responsabilité de composer un index appartient à l’éditeur, et que l’absence d’un index, de la part d’un éditeur universitaire dans un ouvrage destiné à un public spécialisé, est particulièrement inexcusable.

Tags Banlieue dites-vous, Gérard Beaudet, Banlieues, Métropole, Étalement

Après la tempête

March 25, 2022 John Voisine
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Survival of the City—Living and Thriving in an Age of Isolation. Edward Glaeser and David Cutler, Penguin Books, 2021, 480 pages [E-book lu sur l’application Kindle]

À l’heure de la pandémie de COVID-19, qui s’en va vers une sixième vague, nous ne serions déjà plus à l’ère de l’interconnexion planétaire, mais plutôt dans cette nouvelle forme de communication faite d’isolement physique et de transparence digitale. Ainsi, loin de revenir en mode du pendulaire métro-boulot-dodo et de l’occupation collective des espaces à bureaux et des centres-ville, nos routines sont ponctuées de contacts virtuels, de réunions par écrans interposés et de rare face-à-face. Du moins, pour les professionnels et les corps de métiers qui peuvent se le permettre.

Malgré ce nouvel état des lieux, la ville en tant qu’espace dynamique de concentration du meilleur des activités humaines ne se laissera pas déloger de sitôt. D’autant plus que dans la plupart des villes du monde, c’est justement une fois confronté au virus que les autorités locales de santé publique et d’aménagement ont coordonné des réponses à la fois rapides, efficaces et parfois même assez courageuses et originales (sur le plan du commerce local et du partage de l’espace public) afin de permettre une poursuite sécuritaire des activités qui pouvaient l’être.

Les deux auteurs de l’ouvrage, les économistes Edward Glaeser et David Cutler, ont un profil qui est particulièrement bien adapté à la présentation d’une analyse cohérente des défis et du potentiel engendré par la pandémie; le premier étant un économiste urbain de l’école de Chicago et l’autre, un spécialiste du système de santé américain. Le bagage et le filtre limité de ces domaines pourraient, entre d’autres mains, limiter le portrait offert au lecteur, mais il n’en est rien. La combinaison des domaines de connaissance recoupe au contraire presque parfaitement les sphères d’activités les plus touchées et transformées, peut-être à jamais, par cette pandémie : l’économie dans son ensemble (mais spécifiquement urbaine) et nos systèmes de soins et de santé publique.

Ce n’est plus un grand secret pour personne maintenant, mais les pays et les villes qui s’en sont le mieux tirés (calculé comme un faible taux de mortalité) sont ceux qui avaient aussi investi dans une infrastructure de santé publique expérimentée et conditionnée à être mobilisés au moindre signe de contagion sérieuse (de personne à personne).

Sur les traces de Survival of the City

Ce livre va chercher loin dans l’histoire et le temps pour démontrer les raisons et la logique derrière cette stratégie gagnante. Le mythe de la ville et des espaces urbain comme intrinsèquement source de contagions et de propagation de tous les maux et maladies infectieuses est de cette façon entièrement démasqué. On lira avec plaisir l’histoire de la lutte urbaine contre ces fléaux, qui se faisait même bien avant d’avoir une véritable compréhension de ce qui provoquait la contagion (comme la théorie des germes ou la transmission par aérosol). Ainsi, un investissement continu (avant et après un choc pandémique) dans une infrastructure solide et universelle de santé publique (peu importe le niveau économique et social ou l’état civil, citoyen ou immigrant) est le seul vrai gage d’une lutte gagnante contre une future pandémie.

Les auteurs font une grande place à la perte des «d’opportunités» dans les villes. Bien entendu, il y a eu de lourdes pertes d’opportunités entraînées par la pandémie, mais selon les auteurs, c’était aussi le cas avant la COVID-19. Cette ligne argumentaire sera familière pour qui est le moindrement attentif à certains cercles intellectuels prônant une plus grande flexibilité dans l’économique (comme les libertariens, dont les auteurs se réclament). Un ouvrage de base, souvent cité (même dans ce livre) et qui résume cette position est The Rise and Decline of Nations (Olson); essentiellement, nos sociétés tomberaient inévitablement en sclérose dans nos façons d’organiser les pouvoirs collectifs et individuels. Cette situation finit par donner tout le pouvoir (qui en est souvent un de blocage) aux forces en place (incumbents) et pas assez aux forces montantes (jeunes, minorités ou pauvres), réduisant ainsi notre capacité d’innovation, de changement, de croissance et de progrès dans son ensemble. Dans nos sociétés urbaines, cela se traduirait par un manque de mobilités sociales, une difficulté croissante à faire de l’entrepreneuriat et dans la capacité à fournir la gamme des bâtiments urbains nécessaires pour un marché dynamique et abordable. Autre facteur : un surplus réglementaire.

La qualité de cet ouvrage est certainement de faire l’argumentation la plus plaisante en ce sens et des plus divertissante à lire.

Note : Pour ceux qui aimeraient entendre une conversation sérieuse et à propos du livre The Rise and Decline of Nations, il y a ce podcast récent d’Ezra Klein au titre qui dit tout : A Critique of Government That Liberals Need to Hear


Pour le dernier livre du mois (31 mars 2022), la chronique portera sur le dernier livre d’un urbaniste bien connu dans la province, M. Gérard Beaubet, Banlieue, dites-vous? Le livre lancera aussi une série qui couvrira le mois d’avril et qui portera justement sur l’histoire de la banlieue en Amérique. 

Tags Survival of the City, Edward Glaeser, David Cutler, COVID-19, Urban Management

Une fois pour toute

March 17, 2022 John Voisine
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Triumph of the City—How Our Greatest Invention Makes Us Richer, Smarter, Greener, Healthier, and Happier. Edward Glaeser, Penguin Books, 2011, 338 pages.

Chacun a sa façon bien particulière d’exprimer son amour. Si on devait s’imaginer une lettre d’amour à la ville et à la notion même d’urbanité de la part d’un économiste, le livre d’Edward Glaeser incarne certainement un idéal qui s’en rapproche. Comme on peut l’anticiper d’un représentant de cette profession, cela se fait avec une armature comptable assez appuyée et inévitablement quelques angles morts. Mais dans ce cas particulier, la comptabilité est le plus souvent mise au service d’une démonstration assez crédible et les angles morts sont plutôt les manifestations de préférences idéologiques assumées et sans malice.

Si le titre pouvait laisser un certain doute, pour qui aimerait y voir une boutade mordante, le sous-titre vient immédiatement dissiper toute ambiguïté. La ville est ici la meilleure invention de l’humanité, engin de richesses, centres de toutes formes de création, d’innovation et catalyseur d’enseignement de pointe. Grâce à leurs diversités, les villes sont des milieux productifs sur les plans économique et humain. Lorsque mariées à la densité, elles sont génératrices de milieux aménagés et naturels sains et durables. Avec la concentration des meilleurs soins préventifs et curatifs, elles sont porteuses de populations en santé et dynamique. Comme si ce n’était pas assez, le taux de bonheur y est élevé, probablement un facteur des nombreuses opportunités.

Même les aspects les moins réjouissants de certaines villes contemporaines, comme les quartiers défavorisés (bidonvilles et autres types de ghettos) sont dépeints, avec justesse, comme autant de zones de croissance potentielle pour la ville elle-même, mais surtout pour les populations qui s’y trouvent. Mais que dire lorsqu’on fait face à des villes entières sur le déclin ou sous l’emprise d’une corruption si massive que sa population est laissée à elle-même? En fait, si certains cas semblent irrémissibles (Detroit?), des effets de cycles sont souvent à la racine d’affaissement temporaire (NYC des années 1970), et il est plus souvent qu’autrement possible de renverser la vapeur. Comment? En investissant dans le capital humain (existant ou par l’immigration), ce qui encourage parfois une renaissance sur des bases nouvelles (innovations, inventions, entrepreneurship, etc.). Si cela ne change rien? L’auteur propose la notion de «Shrinking to Greatness».

Sur les traces de Triumph of the City

On l’aura deviné, cette dernière proposition, qui réserve plus de «shrinking» que de «greatness», est une de ces fausses solutions que seul un économiste peut aimer. Mais ceci n’est pas l’essentiel de l’argument de M. Glaeser, tant s’en faut. Il prend au contraire la peine de démontrer, recherches originales et statistiques à l’appui, que même les zones où règne misère et pauvreté, presque synonyme de certaines agglomérations, sont bien plus des représentations de la force de ces villes en tant que générateur de richesse. En Asie par exemple, l’auteur démontre longuement comment d’autres de ces villes ont réussi à tirer profit de sur leurs réseaux et de leur capital humain, comme Bangalore dans le domaine des technologies ou de façon quasi sui generis, comme dans le cas de Singapore. Le cas de Hong Kong n’est malheureusement plus aussi fertile et limpide qu’au moment de la parution du livre, mais cela n’enlève rien à ce qu’elle était devenue avant les répressions chinoises. Au contraire, la résistance féroce de la société civile à celles-ci est une illustration limpide de la force des villes.

Curieusement, c’est lorsque le regard se porte sur la situation des villes américaines qu’on notera plus de raccourcis. Le fait que les villes côtières soient contraintes sur le plan de l’abordabilité et de la disponibilité du logement est bien connu et documenté, mais montrer du doigt les efforts des défenseurs du patrimoine est peu crédible. Questionner le zonage est légitime, mais il ne faut pas oublier que cette réglementation représente une volonté politique et populaire. Le nimbysme est un fléau, mais que font-ils d’autre que d’utiliser les mécanismes en place? Il est aussi question des bénéfices mythiques de la ville sans zonage et des miracles du laissez-faire caractéristique de la région du Sunbelt. Heureusement, plusieurs autres exemples de succès urbains (européen et américain) sont décrits avec verve, nuance et conviction et ne reposent pas uniquement sur l’attraction du «cheap».

L’auteur donne la meilleure version de son idéologie d’attache (il est Senior Fellow au Manhattan Institute), et même si l’on préférait un meilleur questionnement sur certains points, il est bon de lire un fervent plaidoyer urbain en provenance du côté droit de l’assemblée.


La semaine prochaine, une forme de suite : chronique du livre Survival of the City, qui tient compte de nos réalités urbaines en transformation, et des perceptions changeantes sur la façon d’occuper durablement nos villes.

Tags Triumph of the City, Edward Glaeser, Urban Economy, Urban sociology, Urban Design

Nowhere Near

March 11, 2022 John Voisine
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The Geography of Nowhere—The Rise and Decline of America’s Man-Made Landscape—20th Anniversary Edition. James Howard Kunstler, designed by Pressbooks, 1993-2013, 258 p. [Version e-book lu sur Kindle]

Le propos de The Geography of Nowhere était urgent au moment de sa parution, en 1993. C’est un peu troublant de constater que trente ans plus tard, cet argumentaire livré avec mordant et même une touche de colère (mais non sans humour) demeure tout aussi actuel et vrai. La prose déployée par James Howard Kunstler aura permis de mettre des mots, de donner un vocabulaire à un malaise généralisé face à la finalité désolante de nos paysages urbanisés. Et c’était justement le moment, durant cette dernière décennie du 20e siècle, où nous étions finalement mûres pour l’entendre et l’absorber. Avant, on pouvait facilement se laisser convaincre que le meilleur était encore à venir, qu’une fois pleinement développé, le résultat de l’expérience du développement basé sur l’automobile produirait un environnement urbain mariant harmonieusement mobilité automotorisé et des formes urbaines stimulantes et confortables, tout en assurant la pérennité d’une prospérité pour tous.

Maintenant, rares sont les gens qui ne peuvent articuler en quoi cette proposition n’a toujours été qu’un mirage, non seulement sur le plan économique, bien sûr, mais également social, environnemental et humain. Ainsi, une économie fondée simultanément sur la délocalisation et l’extraction, des difficultés croissantes à assurer une répartition équitable de la richesse, la garantie de l’irréversibilité des changements climatiques et un cadre bâti (depuis 1945) qui produit, à sa manière, de multiples formes d’appauvrissement, sont tout autant d’éléments qui nous pèse lorsque vient le temps de chercher des issues à ces impasses.

Ce qui rend aussi le propos du livre si pressant, même (ou surtout) presque trente ans après, c’est justement le paradoxe que la faillite de ce type de développement s’est avéré si incontestable, tout en demeurant si omniprésent et incontournable. M. Kunstler va chercher loin dans l’histoire américaine les origines de ce qui a conduit à l’abandon volontaire du savoir-faire dans l’aménagement de nos environnements urbains contemporains. Ce voyage dans les dédales des nombreuses manières indigènes et originales, mais maintenant perdues de s’approprier et d’aménager les campagnes, les «towns», les grandes villes et éventuellement de toute l’Amérique d’avant l’ère automotrice est accompli de façon particulièrement engageante et éclaire particulièrement bien son propos.

Sur les traces de The Geography of Nowhere

M. Kunstler prend aussi le temps de faire la genèse du développement des notions et de l’esthétisme moderniste. On ne s’égare pas trop en disant qu’il considère ce mouvement comme étant essentiellement frauduleux, et que son influence, avec l’immigration aux États-Unis des grands qui l’incarnaient (Gropius, Mies van der Rohe, etc.) est à la racine des environnements cul-de-sac et vide de tout sens. La plupart des pays de l’Europe de l’Ouest ont aussi jonglé de façon directe avec les opportunités de la logique moderniste (avec la destruction laissée par le dernier conflit mondial), mais aucun d’entre eux n’est tombé si totalement dans de la pensée radieuse du modernisme. Les Américains ont ajusté la recette de la sauce moderne à leur goût, et le résultat insipide de leurs créations.

La relation frustrante et infertile de certains groupes intellectuels et d’une frange de la classe politique américaine envers l’urbanité est, avec justesse, pointée du doigt par l’auteur comme une des sources des difficultés contemporaines dans la mise en place de balises d’aménagement urbain qui affirme sa nature complexe. Mais avant d’en arriver à ce macro-constat, l’auteur prend plaisir, et nous fait plaisir en évoquant plusieurs moments de l’histoire urbaine américaine où la prise en compte des impératifs économiques ne se faisait pas au détriment d’un paysage urbain satisfaisant. Les leçons qu’il tire de visites à Greenfield Village, Disneyland et Disney World, de sa ville d’adoption, Saratoga Spring ou d’un simple village au Vermont valent en elles-mêmes le prix d’admission.

M. Kunstler (qui est malheureusement maintenant devenu un «full tin foil hat MAGA») n’était pas le premier (Jane Jacobs, Lewis Mumford), et ne sera certainement pas le dernier à mettre le doigt sur la dégradation de nos environnements bâtis, urbains et naturels suivant l’automobilité. Un dernier chapitre propose des pistes de résolutions, mais c’est maintenant trente ans plus tard et ce qui semblait dérisoirement homéopathique à l’époque a amplement confirmé sa nature foncièrement anémique depuis. L’auteur mentionne l’urgence d’une réforme en profondeur des codes de zonage (stationnement, densité, mixité) et même de construction, mais les incitatifs devront émaner d’une échelle supérieure si elles sont pour être adoptés et appliqués.


La semaine prochaine, une série en deux livres qui se veulent un regard, à 10 ans d’intervalle, sur notre objet d’intérêt à tous, la ville. On commence ce jeudi (17 mars) par un autre classique, Triumph of the City et ensuite, Survival of the City (24 mars).

Tags The Geography of Nowhere, James Howard Kunstler, Suburbs, Urban Design, Zoning
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