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Wellington | Fabrique urbaine

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L'urbanisme en pratique

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URBS+ : Abréviation d’urbanisme, mais quand même un peu plus. Une revue hebdomadaire d’ouvrages et d’œuvres avec comme point commun un intérêt pour l’univers urbain, qui est aussi l’univers ultime de l’être humain.

L.A. et l'écologie des temps modernes

April 24, 2025 John Voisine
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Ecology of Fear—Los Angeles and the Imagination of Disaster. Mike Davis, Verso—New Left Books, 1998-2022, 541 pages. [E-book lu sur plateforme Apple Books]

Une chose est garantie en entreprenant la lecture d’un livre de Mike Davis : on va en avoir beaucoup plus que le client en réclamait ou que le titre pouvait laisser entendre. Dans Ecology of Fear, on n’échappe pas à ce constat, puisqu’on nous conduit dans un écosystème riche et diversifié, tant sur le plan naturel qu’humain. On pourrait même ici faire un rapprochement entre l’abondance de ce qu’il est possible de voir émerger dans cet écosystème fabuleux de la Californie du Sud, où il faut presque se demander parfois ce qui ne pourra pas y croitre et se multiplier et les extrêmes de ce milieu, qui rend toute cette abondance possible. Ce climat, qui, en apparence, est d’une stabilité telle qu’il invite, chez les gens qui le vivent, des rêves fous d’éternité, contient, comme nous le révèle magistralement et de long en large l’auteur, une part d’ombre apocalyptique. Celle-ci est presque, en parallèle et malgré la contradiction inhérente, un mécanisme d’autodestruction qui lui sert à la fois de purgation et de régénération. Et si cette stabilité climatique des dernières générations n’avait été qu’illusion, tel un songe d’une nuit d’été sur une plage de Malibu? Plusieurs signes laissent croire que la viabilité de maintenir une population aussi urbaine et étendue dans une cuve encerclée de montagnes, d’un océan et d’un désert juste au-delà ne pourra se faire qu’à un coût exorbitant. Davis écrivait cet ouvrage 25 ans avant notre époque des extrêmes, comme les feux poussés par des vents furieux, les Santa Anas [1], que Los Angeles a expérimenté cet automne et cet hiver. Mais ce qu’on doit savoir ici est que ce vent, tout comme la plupart des autres phénomènes naturels bien connus par les gens de LA, est récurrent. Il se produit chaque année et fait partie du cycle naturel qui permet l’existence climatique du bassin de Los Angeles, tel que les gens qui le vivent l’apprécient. Cet ensemble aux bénédictions mitigées se trouve aussi à être, ironiquement, un moteur de créativité pour ceux qui le recherchent. Mais c’est justement cette attractivité, son importance dans la balance des considérations pour la viabilité à long terme de l’économie de la ville et de la région, qui fait que les signes de détresse, sur le plan climatique et même géologique (sismique), ont pu si longtemps être ignorés ou étouffés.

SOYONS RASSURÉS, il ne s’agit pas d’une conspiration. Mais, comme l’argumente l’auteur, les élites locales et régionales impliquées dans la promotion (le boosterism) des activités économique et culturelle de la région ont eu beau jeu de baigner de soleil et d’envelopper d’une température idéale toute histoire qui pouvait contredire cette image idéalisée. On trouvait toujours moyen, jusqu’à récemment, de repousser plus loin le rêve, de vite-vite tourner le regarder vers un nouvel horizon à développer sous un ciel radieux. C’est de cette manière que les cycles naturels cataclysmiques pouvaient être balayés sous le tapis de la prospérité, généralisé, mais curieusement stratifié, selon le pedigree familial ou ethnique. Un corollaire de cette stratification se manifeste dans la façon d’occuper l’espace urbain. Plus spécifiquement, comment la règlementation sur l’occupation des bâtiments et les incendies est manipulée (ou simplement négligée) pour perpétuer un cycle de vétusté dans les zones abandonnées. En contrepartie, dans les zones envisagées comme potentiellement utiles au développement, comment cette même règlementation devient l’instrument pour faire table rase et repartir le développement dans le sens voulu par ces élites.

Personnellement, le chapitre que je ne pouvais lâcher portait plutôt sur les univers fictifs, pour la plupart dystopiques et futuristes, ayant comme point focal LA ou la Californie du Sud. Dans le chapitre The Literary Destruction of Los Angeles, Davis nous parle des plus de 138 romans et films qui, tous à leurs manières, voit Los Angeles comme une mégalopole mure pour un moment de righteous wrath. La capacité extraordinaire de Los Angeles d’attirée a elle ce mélange de gens de tous les horizons et de toutes les couches socioéconomique de la société, qui travail tous à leurs manières à la réalisation de leurs rêves, en fait un lieu de contraste. Ironiquement, cela semble inspirer les fantasmes les plus immondes, surtout chez qui le succès ne peut que se mesurer autrement que par l’aplanissement des différences. Mike Davis nous fait l’histoire de cette littérature et cinéma, à la fois dystopique, raciste, apocalyptique, écocatastrophique, néo-fasciste/nazi et survivaliste. Une anthologie, un witches brew de toxicités créatrices des fantasmes de l’homme blanc frustré devant un monde qu’il ne contrôle plus.

Le climat et les forces naturelles demeurent ce qu’elles sont en Californie du Sud. La lecture de cet ouvrage de Mike Davis nous donne abondamment de quoi réfléchir sur notre capacité à manipuler à notre avantage, mais pour encore combien de temps, cet environnement urbain et naturel.



[1] Comme je l’avais indiqué aussi il y a quelques semaines (Approche et pratique — 2025-01-10), il y a ce court texte de Joan Didion sur les Santa Anas (1969), qui parle justement de leurs côtés irrépressibles.

Tags Ecology of Fear, Mike Davis, Changements climatiques, Los Angeles, Southern California, Urban sociology, Série LA

Quarkz & Quirks L.A.

January 25, 2024 John Voisine
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City of Quartz—Excavating the Future in Los Angeles. Mike Davis, Verso Books, 1990 (2018), 512 pages.

Cette chronique est la quatrième d’une série de quatre (4) sur la ville de Los Angeles [4/4]

Il est bon d’enfin lire quelque chose sur Los Angeles écrit par ce qu’il y a de plus proche d’un native. De plus, loin d’être un simple observateur/flâneur, Mike Davis a durant toute sa vie adulte participer étroitement dans « l’éveil » des populations les plus vulnérables de la ville. En plus de cette implication étroite, on le connaît parce qu’il avait cette plume capable d’aller cherche le lecteur, même celui qui se réfugie dans le confort de l’indifférence. Je suppose qu’il y a toujours le danger d’amplifier une situation au point de nous faire détourner le regard, mais la grande force de City of Quartz se trouve dans la capacité de Davis (1), à travers les histoires politiques, personnelles, intellectuelles et urbaines qu’il présente au lecteur, de nous mettre en contacte juste assez avec la réalité locale pour nous faire questionner les paramètres complaisants de nos acquis.

Mais avant d’en arriver dans ces chapitres où l’histoire des gens de la ville est recalibrée à partir de cette perspective ancrée dans les impacts réels, l’auteur commence par un chapitre qui a la grande force de nous faire une histoire intellectuelle, artistique, littéraire et cinématographique de Los Angeles. Lorsqu’on comprend le rôle et l’influence sans pareil de la construction imaginaire de cette ville, presque sans commune mesure avec toutes les autres, on ne peut faire autrement que d’être absorbé par ce premier chapitre. J’aurais presque aimé le lire en lui-même comme opuscule indépendant avant de lire tout le reste, et la densité du matériel fait qu’on ne peut faire autrement que d’y retourner. Ainsi, on découvre que c’est le croisement, souvent involontaire et parallèle, de tous ces niveaux de compréhension (mais surtout de non-compréhension et même d’indifférence), qui a fini par produire l’image vague, confuse et embrumée que l’on identifie maintenant comme le L.A. Noir (2). C’est une image qui traverse autant le cinéma que la littérature et qui a bénéficié de plusieurs géniteurs (tous des hommes, c’était l’époque d’avant et juste après la Deuxième Guerre), que l’auteur expose ici avec tous les nuances et détours que cette histoire intellectuelle méritait.

Los Angeles a aussi le pouvoir de suscité des syncrétismes qui se sont révélés particulièrement fertiles dans notre monde contemporain. Avec cette combinaison d’industries aérospatiales et d’aviation, d’industriels fortement capitalisés (la défense) et de science de pointe (Caltech), L.A. s’est retrouvée être la plaque tournante de plusieurs courants nourrie d’ambition qui allait parfois au-delà de la réalité matérielle. Mike Davis fait la synthèse de ces courants de manière assez divertissante.

Sur les traces de City of Quartz

Mais pour revenir à la matérialité, cet ouvrage est un bon moyen d’assister aux origines des groupes d’intérêts comme le NIMBYsm et d’autres formes de résistances hyperlocalisés, aux motivations trompeuses. La Californie, en général et Los Angeles, en particulier, sont le foyer de nombreux courants qui ont comme objectif une limitation sur la capacité de récolter et d’utiliser des fonds publics, surtout les taxes foncières (source de revenus principale des gouvernements locaux). Grâce aux réformes progressistes du début du dernier siècle, la Californie bénéficie de mesures d’initiatives populaires (référendums) qui permettent de contourner le processus législatif (les élus). Ainsi, après être tombées dans l’oubli durant plusieurs décennies, les années 1970 les ont vues ressuscitées, principalement par des mouvements de la droite populiste. Avec cette résurrection, plusieurs mesures restreignant la capacité de taxation des entités locales ont eu gain de cause dans l’urne, comme le fameux Prop 13. Ainsi, une partie de l’ouvrage de Mike Davis nous illustre ce qui arrive quand une métropole comme L.A. continue son développement tout en se refusant les moyens de payer, d’encadrer et de se doter des services essentiels pour que ce développement engendre une croissance profitable à tous, en limitant les externalités. Car l’histoire récente nous l’a si bien montrée, on serait naïf de penser que les leçons ne se généraliseront pas.

La convergence des limitations et contraintes mesquines et populistes dans la capacité de se doter des ressources nécessaires à une croissance résiliente à quelque chose de particulièrement cruel, surtout dans nos environnements urbains. Même si glorieusement d’une gauche radicale, l’auteur est le guide qu’il nous fallait sur ce terrain.

Cependant, un des outils dont il ne disposait pas au moment d’écrire son ouvrage, à la fin de la décennie 1980 (il y a plus de 30 ans!) se découvre grâce au travail rendu sur le site Segregated by Design. Maintenant avec une page spécifique sur le cas de Los Angeles. La spécialité du site est la reconstruction (avec à l’appui des photos aériennes animées par un montage vidéo sophistiqué) de la destruction laissée par le passage des autoroutes urbaines. Cette vidéo illustre matériellement les ravages infligés par le Harbor Freeway dans ce qui était le cœur vif de L.A.

Après ce visionnement, comment utiliser encore des mots creux comme « cicatrice » ou « aménagement » urbain en rapport avec ces autoroutes? Excavating the Future in Los Angeles. Vraiment? Un avenir qu’on ne souhaite à personne.


(1) Pour avoir une idée de qui était Mike Davis, il y a ce podcast vidéo réalisé deux années avant son décès en 2022;

(2) C’est aussi le nom d’un jeu vidéo assez connu ; jamais joué, mais j’aimerais bien, ne serait-ce que pour parcourir la ville en 1947 !;

Tags City of Quartz, Mike Davis, Los Angeles, Urban sociology, Southern California, Série LA

L'utopie ordinaire

April 28, 2022 John Voisine
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Bourgeois Utopias—The Rise and Fall of Suburbia. Robert Fishman, Basic Books (Perseus Books), 1987, 208 pages.

Si la banlieue a connu plusieurs incarnations depuis ses premières manifestations dans l’Angleterre préindustrielle, un des éléments inattendus que ce livre vient mettre en relief est le rôle fondamental joué par le mouvement évangélique (tel que représenté par William Wilberforce et particulièrement la secte de Clapham). On parle ici d’un mouvement qui a réussi, en définissant cet idéal résidentiel autonome pour elle-même et la bourgeoise en général, l’invention et la mise en œuvre de son propre coin de paradis.

En prenant les pourtours de Londres comme toile de fond pittoresque, mais trouvant sa véritable expression dans des cités industrielles comme Manchester ou Liverpool, la périphérie des villas de weekends et de vacances passe rapidement à résidence permanente de la famille bourgeoise. Se produit aussi, fin 18e, début 19e siècle, un glissement idéologique, matériel et même théologique qui insuffle un sens nouveau au noyau familial. Jusqu’alors composée d’un large groupe habitant sous un même toit au cœur de la ville marchande, ce qui incluait le personnel de service, mais surtout les apprenties attachées au maître de maison ou au maître d’œuvre (à la Chippendale), la famille se recentre sur son «coeur», soit les parents, les enfants et plus rarement quelques membres de la belle-famille. On cherchera alors à loger cette famille recentrée loin des tentations et des influences perverses de la ville, surtout afin de préserver et d’offrir un milieu sain pour les plus jeunes et les membres féminins de cette nouvelle famille bourgeoise.

Selon cette nouvelle idéologie ayant cours dans la haute bourgeoisie britannique, c’est en faisant construire ces résidences sises dans un pittoresque naturel et isolées des caprices urbains que la femme du foyer allait créer cette oasis de paix pour son homme et sa famille. Ces nouvelles résidences se construisent aussi dans la plus grande fièvre spéculative ; harmonie entre Dieu et l’intérêt pécuniaire. Dans les grandes villes industrielles de la première moitié du 19e siècle, la résidence familiale bourgeoise allait ainsi continuer à s’isoler loin du centre urbain, qui se videra de cette présence pour mieux intensifier sa fonction commerciale. C’est ce modèle qui inspirera les précurseurs américaines comme Frederick Law Olmsted, Andrew Jackson Downing et Catharine Beecher.

Sur les traces de Bourgeois Utopias

Pendant que le processus de suburbanisation se poursuivra vers des formes architecturales et urbaines particulières dans l’Angleterre victorienne et aux États-Unis avec le développement des banlieues pittoresques (Llewellyn Park, Riverside, Illinois) et de tramway (streetcar suburbs), la France connaîtra une concentration de ses élites dans son centre urbain parisien, un processus clairement explicité ici par l’auteur. Encore aujourd’hui, le sens (symbolique, urbanistique et architectural, sociologique et démographique) du mot «banlieue» est très différent dans l’Hexagone. La capitale française en est l’exemple premier et Monsieur Robert Fishman prend soin de décortiquer en quoi la symbiose si unique entre l’État français, le monde de la finance et les grands entrepreneurs en construction de l’époque, durant les dix-sept ans du Baron Haussmann à la préfecture parisienne, va loin pour expliquer cette occupation continue et le maintien du centre urbain comme lieu de prestige, autant à des fins commerciales, financières et surtout dans le cas qui nous concerne, résidentiel.

Tout au long de l’ouvrage, le point particulier que cherche à faire l’auteur est que la banlieue, comme développé aux États-Unis, trouve ses origines dans la banlieue anglaise pré et postindustrielle; cet argument est en contraste avec l’autre classique de la même époque, Crabgrass Frontier, qui au contraire met l’accent sur l’originalité de la banlieue américaine. Les deux démarches font sens et ne s’opposent pas fondamentalement; une lecture attentive apporte surtout des perspectives complémentaires plus que contradictoires.

Un chapitre unique à cet ouvrage est celui sur le développement de Los Angeles, la «suburban metropolis», sans pair et sans pareille, qui avait presque réussi à nous faire croire à son mirage, du moins jusqu’à l’éclatement de ses contradictions dans les années 1960 avec Watts. Le passage d’un étalement presque idyllique (avant le cauchemar du track housing systématique), soutenu par les «Red Cars», au rejet de ce mode pour l’automobile, détruisant ainsi la possibilité d’une centralisée naissante, le tout exacerbé par une spéculation foncière aux intérêts politiques et financiers inextricables, est d’une tristesse assez lourde, surtout à la lumière de ce que nous savons aujourd’hui.

Pour demain, Technoburb, diffusion à la H.G. Wells ou Broadacre City à la F. L. Wright? Je ne sais pas vraiment, mais la semaine prochaine, nous allons voir s’il serait possible d’amender la banlieue existante.


La semaine prochaine (5 mai), un doublet de livres pour fermer cette série sur la banlieue : Suburban Nation—The Rise of Sprawl and the Decline of the American Dream et Sprawl Repair Manual en guise de message d’espoir?

Tags Bourgeois Utopias, Robert Fishman, Suburbia, Urban history, Urban sociology

Evergreen

April 14, 2022 John Voisine
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Building suburbia—Green Fields and Urban Growth, 1820-2000. Dolores Hayden, Vintage Books, 2004, 318 pages.

La caricature de la banlieue passe souvent par l’utilisation d’un « gros trait », une image qui illustre cette assimilation vers le plus bas commun dénominateur ou quelque composition qui ne s’embarrasse pas de nuance. Un échantillonnage démographique contemporain ou encore, pour ceux qui aiment les explorations terrain, une balade en voiture dans les extrémités de l’île de Montréal, sur l’île Jésus, dans sa couronne nord ou sur la Rive-Sud fera beaucoup pour dissipé ce portrait facile. Il est alors rassurant d’entreprendre un ouvrage comme celui de Madame Dolores Hayden qui de go, dans sa table des matières, identifie sept (7) historic patterns pouvant représenter, sur presque deux cents ans, les sept grandes étapes de ce phénomène toujours en évolution qu’est la banlieue.

De par la croissance explosive des banlieues après la Seconde Guerre mondiale, on a tendance à ne percevoir que cette partie de son histoire, ce que l’auteure appelle avec justesse les Sitcom Suburbs (1945-1989), du type représenté par des téléséries comme Leave It to Beaver ou Father Knows Best. Mais avant d’en arriver là, il aura fallu une série d’itérations (Borderlands, Picturesque Enclaves, Streetcar Buildouts, Mail-Order and Self-Built Suburbs) qui étaient toutes autant d’échappatoires plus ou moins achevées pour l’idéal résidentiel familial, séparé des nuisances perçues ou réelles de la ville, mais toujours attaché à cette dernière pour le travail dans l’économie tertiaire, la finance et l’éducation supérieure. L’auteure vient poursuivre et approfondir notre compréhension des premières banlieues (les Borderlands), en mettant l’accent sur le travail d’une femme comme Catharine Beecher dans la systématisation et l’organisation des espaces résidentiels intérieurs afin de tenir compte du rôle changeant (et de plus en plus autonome) de la femme de classe moyenne blanche. C’est d’ailleurs un des points forts de l’ouvrage : souligner l’apport marquant, mais souvent oublié, de plusieurs intellectuelles et professionnelles dans la construction matérielle et idéologique de la banlieue.

Parce que pour permettre ce transfert massif de population des quartiers urbains vers ces lointaines enclaves, il fallait penser à un tout nouveau système d’accommodations et de services, le passage d’un mode d’existence basé sur l’essentiel vers un mode de vie reposant sur la consommation.

Sur les traces de Building Suburbia

De façon curieuse, c’est le chapitre sur les Mail Order and Self-Built Suburbs qui apporte une perspective vraiment fraîche sur cette quête de la propriété en banlieue. La combinaison d’entrepreneurs privés, des grands détaillants de cette nouvelle économie de consommation (catalogue Sears, qui offre tout ce qui peut venir meubler la maison idéale, jusque la maison elle-même) et de familles désespérées de participer dans cette nouvelle culture universelle, viendront installer confortablement, des les années 1920, mais surtout à partir des années 1930 et jusqu’à maintenant, les modalités des politiques nationales d’accès et d’acquisition d’une propriété résidentielle pour une famille de classe moyenne blanche. Mais il y avait un catch : il fallait que cette propriété soit essentiellement de type Levittown. Tout le répertoire résidentiel à cette date, et les formes urbaines, architecturales et de mobilité si étroitement et efficacement imbriquée et associée à cette urbanité se voyaient alors coupé du marché.

On le sait et Madame Hayden le rappelle plusieurs fois dans l’ouvrage, cette situation n’a rien d’universel. Plusieurs autres sociétés industrialisées et occidentales ont négocié la question de l’habitation de façon bien plus flexible qu’ici en Amérique du Nord. Ce qui est normal ici, le développement, la construction, l’aménagement et la vente par des promoteurs d’une résidence privée dans un marché libre sont, en fait, des pratiques de moins en moins viables. Dans les faits, ce marché est un artifice pour des transferts massifs de fonds publics vers un secteur (la construction résidentielle en banlieue) qui dans son incarnation américaine (incluant le Québec) engendre des effets de distorsion massivement et produit des externalités toujours plus nocif.

Surtout que, depuis la parution du livre, presque vingt (20) ans déjà, plusieurs tendances délétères identifiées se sont accélérées : edges nodes et rural fringes de plus en plus excentré, développé sans possibilité de rattachement à un tissu urbain. L’auteure finit sur un plaidoyer pour une reconstruction sur les bases saines des anciennes banlieues de type streetcar, mais elle n’a pas d’illusion sur les difficultés (montage financier quasi impossible, réglementation archaïque, etc.) que cela représente. Et maintenant, avec un gouvernement sérieusement engagé avec une proposition d’un troisième lien…


La semaine prochaine, le quatrième dans notre série sur la banlieue, avec un thème qui m’intéresse particulièrement, soit les clauses restrictives (restrictive covenants) autrefois attachées à la vente d’une propriété : Bourgeois Nightmares—Suburbia, 1870-1930

Tags Building Suburbia, Dolores Haydon, Suburbs, Urban history, Urban sociology

Out There

April 8, 2022 John Voisine
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Borderland—Origins of the American Suburb, 1820-1939. John R. Stilgoe, Yale University Press, 1988, 353 pages.

Pour nous plonger un peu dans le matériel et le ton qui caractérise cette «préhistoire» de la banlieue américaine, John R. Stilgoe nous présente ce passage de Susan Cooper (Rural Hours), celle qu’on appelait la «witch-hazel» de cette nouvelle identité (le borderland) qui ne se réclame ni de la ville, ni de la campagne, ni de la banlieue, mais qui emprunte des éléments au trois : «We are the borderers of civilization in America, but borderers of the nineteenth century, when all distances are lessened, whether moral or physical.» Il y a beaucoup à décortiquer dans cette phrase, et l’auteur de ce livre est le guide parfait pour entreprendre cette balade, remplie de chemins inattendus, entre villes et frontières émergentes.

À la conquête de ce territoire alors souvent décadent et laissé en friche (slovenly farms—tel qu’ils étaient qualifiés à l’époque), on trouve justement un public citadin désespéré de s’imaginer transcender sa condition d’urbain, tenaillé par la nouvelle économie manufacturière et industrielle, prisonnier d’un capitalisme qui transforme sous ses yeux la ville en milieu hostile à cette famille bourgeoise, qui commence à demander mieux de la vie et qui en a les moyens. C’est face à cette situation et avec le développement de nouveaux moyens de mobilité (trains, tramway, omnibus) que, pour les plus fortunés, la perspective de nouveaux territoires, jusqu’alors impossible d’atteinte, s’ouvre et se développe sur une base régulière pour l’habitation. Ni vraiment du domaine de la banlieue (le plus souvent en continuité avec la ville), ni vraiment du domaine de la maison lointaine de vacance, la résidence du borderland trouve son sens dans sa capacité à faire oublié la ville, à rattacher ses résidents grâce à une mise en scène du naturel (improvements) et à recentrer l’existence des habitants de ce foyer nouveau genre du 19e, début 20e siècle.

Cette résidence borderland vient ainsi reconstruire le paysage de la périphérie des villes. Ce qui était le domaine de la «slovenly farm», parfois même abandonné, est repris en main par ce public urbain fortuné et motivé à faire revivre ce territoire selon des besoins contemporains qui lui sont propres.

Sur les traces de Borderland

Ce livre n’a pas comme objectif de démasquer toutes les causes de l’exode vers ces nouveaux borderlands, mais il aurait été difficile pour l’auteur de ne pas mentionner certains des facteurs qui incitait quelques jeunes ménages fortunés à passer leurs existences aussi loin de leurs centres d’activités professionnels. Puisqu’on parle bien ici de gens qui conservent un lien essentiel et quotidien (du moins pour l’homme du couple, mais aussi parfois pour elle) à la ville. L’auteur pointe vers une littérature populaire et popularisée par un riche éventail d’hebdomadaire et de mensuels qui vantaient les vertus curatives d’une vie loin du stress et des formes les plus débilitantes d’affliction nerveuses, touchant particulièrement les hommes. Pour la femme du couple, la résidence en borderland offre simultanément autonomie et intimité, l’occasion de construire une oasis réparatrice pour son homme et à leurs progénitures, le plus sain et stimulant des milieux, loin de la pollution urbaine. Parfois, le langage utilisé par les auteurs dans les périodiques est plus franc, comme cet article de 1906 dans Suburban Life, où l’on apprend que : «There is no race problem in Shenandoah—no colored people and no foreign population. There are no slums, no tenements, no double houses, and no shacks.» Une façon sans ambiguïté de décrire l’idéal borderland.

Mais pour être parfaitement honnête, les gens qui occupaient ce borderland ne voulaient aucunement se laisser associer à la caricature facile qu’en faisait certains contemporains, comme dans Main Street ou Babbitt de Sinclair Lewis. Loin d’être la frange réactionnaire face aux nouvelles réalités urbaines, l’auteur démontre, par son analyse particulière, que cette frontière se rattachait en plusieurs points aux façons les plus modernes de vivres l’urbanité. Les parallèles (absolument involontaire, puisque ce livre date de 1988) qu’il est possible de faire avec nos manières de vie contemporaine (en 2022) ne manquent jamais de faire réfléchir.

De la ferveur des come-outer en passant par les affligés du newyorkitis, des développeurs ayant eu l’audace et le courage d’entreprendre des modèles aussi différents que Forest Hills et Shaker Heights, Borderland est le livre qui nous fait imaginer, vivre et comprendre cette préhistoire de la banlieue.


La semaine prochaine, le troisième livre dans notre série sur la banlieue : Building Suburbia—Green Fields and Urban Growth, 1820–2000


Tags Borderland, John R. Stilgoe, Suburbs, Historique, Urban sociology

Une fois pour toute

March 17, 2022 John Voisine
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Triumph of the City—How Our Greatest Invention Makes Us Richer, Smarter, Greener, Healthier, and Happier. Edward Glaeser, Penguin Books, 2011, 338 pages.

Chacun a sa façon bien particulière d’exprimer son amour. Si on devait s’imaginer une lettre d’amour à la ville et à la notion même d’urbanité de la part d’un économiste, le livre d’Edward Glaeser incarne certainement un idéal qui s’en rapproche. Comme on peut l’anticiper d’un représentant de cette profession, cela se fait avec une armature comptable assez appuyée et inévitablement quelques angles morts. Mais dans ce cas particulier, la comptabilité est le plus souvent mise au service d’une démonstration assez crédible et les angles morts sont plutôt les manifestations de préférences idéologiques assumées et sans malice.

Si le titre pouvait laisser un certain doute, pour qui aimerait y voir une boutade mordante, le sous-titre vient immédiatement dissiper toute ambiguïté. La ville est ici la meilleure invention de l’humanité, engin de richesses, centres de toutes formes de création, d’innovation et catalyseur d’enseignement de pointe. Grâce à leurs diversités, les villes sont des milieux productifs sur les plans économique et humain. Lorsque mariées à la densité, elles sont génératrices de milieux aménagés et naturels sains et durables. Avec la concentration des meilleurs soins préventifs et curatifs, elles sont porteuses de populations en santé et dynamique. Comme si ce n’était pas assez, le taux de bonheur y est élevé, probablement un facteur des nombreuses opportunités.

Même les aspects les moins réjouissants de certaines villes contemporaines, comme les quartiers défavorisés (bidonvilles et autres types de ghettos) sont dépeints, avec justesse, comme autant de zones de croissance potentielle pour la ville elle-même, mais surtout pour les populations qui s’y trouvent. Mais que dire lorsqu’on fait face à des villes entières sur le déclin ou sous l’emprise d’une corruption si massive que sa population est laissée à elle-même? En fait, si certains cas semblent irrémissibles (Detroit?), des effets de cycles sont souvent à la racine d’affaissement temporaire (NYC des années 1970), et il est plus souvent qu’autrement possible de renverser la vapeur. Comment? En investissant dans le capital humain (existant ou par l’immigration), ce qui encourage parfois une renaissance sur des bases nouvelles (innovations, inventions, entrepreneurship, etc.). Si cela ne change rien? L’auteur propose la notion de «Shrinking to Greatness».

Sur les traces de Triumph of the City

On l’aura deviné, cette dernière proposition, qui réserve plus de «shrinking» que de «greatness», est une de ces fausses solutions que seul un économiste peut aimer. Mais ceci n’est pas l’essentiel de l’argument de M. Glaeser, tant s’en faut. Il prend au contraire la peine de démontrer, recherches originales et statistiques à l’appui, que même les zones où règne misère et pauvreté, presque synonyme de certaines agglomérations, sont bien plus des représentations de la force de ces villes en tant que générateur de richesse. En Asie par exemple, l’auteur démontre longuement comment d’autres de ces villes ont réussi à tirer profit de sur leurs réseaux et de leur capital humain, comme Bangalore dans le domaine des technologies ou de façon quasi sui generis, comme dans le cas de Singapore. Le cas de Hong Kong n’est malheureusement plus aussi fertile et limpide qu’au moment de la parution du livre, mais cela n’enlève rien à ce qu’elle était devenue avant les répressions chinoises. Au contraire, la résistance féroce de la société civile à celles-ci est une illustration limpide de la force des villes.

Curieusement, c’est lorsque le regard se porte sur la situation des villes américaines qu’on notera plus de raccourcis. Le fait que les villes côtières soient contraintes sur le plan de l’abordabilité et de la disponibilité du logement est bien connu et documenté, mais montrer du doigt les efforts des défenseurs du patrimoine est peu crédible. Questionner le zonage est légitime, mais il ne faut pas oublier que cette réglementation représente une volonté politique et populaire. Le nimbysme est un fléau, mais que font-ils d’autre que d’utiliser les mécanismes en place? Il est aussi question des bénéfices mythiques de la ville sans zonage et des miracles du laissez-faire caractéristique de la région du Sunbelt. Heureusement, plusieurs autres exemples de succès urbains (européen et américain) sont décrits avec verve, nuance et conviction et ne reposent pas uniquement sur l’attraction du «cheap».

L’auteur donne la meilleure version de son idéologie d’attache (il est Senior Fellow au Manhattan Institute), et même si l’on préférait un meilleur questionnement sur certains points, il est bon de lire un fervent plaidoyer urbain en provenance du côté droit de l’assemblée.


La semaine prochaine, une forme de suite : chronique du livre Survival of the City, qui tient compte de nos réalités urbaines en transformation, et des perceptions changeantes sur la façon d’occuper durablement nos villes.

Tags Triumph of the City, Edward Glaeser, Urban Economy, Urban sociology, Urban Design

Still Alone

March 3, 2022 John Voisine
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Bowling Alone—The Collapse and Revival of American Community—20th Anniversary Edition. Robert D. Putnam, Simon & Schuster, 2020, 592 pages. [Version e-book lu sur application Kindle]

Il y a un peu plus de vingt ans paraissait ce livre phare pour la compréhension de la notion de capital social, ou plus précisément pour comprendre l’effritement observé de cette «ressource», fondatrice de nos liens en société, selon certains. Comme le dit lui-même l’auteur en introduction, il pensait devoir écrire ce livre afin de «prouver» ce phénomène que lui et ses collègues avaient observé dans les bases statistiques. Mais finalement, ce que les gens voulaient vraiment entendre, c’était comment renverser le phénomène, et même, s’il était encore possible de le faire. Tout le monde tenait pour acquis la véracité de l’observation fondamentale de l’ouvrage, soit que, dans les trente dernières années du 20e siècle, les gens se désengageaient massivement de toutes formes d’associations demandant un investissement en temps, une énergie humaine «de proximité» (un face-à-face). Bien sûr, en excellent scientifique qu’il est, Monsieur Putnam livre entièrement sur les fondements de la preuve, au point que comme toute démonstration exhaustive, on ne manquera pas, durant la lecture, d’être plus convaincu par certains points que par d’autres.

Ce qui est vraiment impressionnant, pour une personne ayant justement atteint l’âge adulte dans les trois dernières décennies du 20e siècle, c’est justement cette situation «d’avant», le niveau extraordinaire de l’implication d’une vaste tranche de la population adulte et des jeunes dans une multitude d’organisations volontaires. Ainsi, pour nous (la génération X), il faut bien comprendre que ce qui est décrit comme ce repli participatif général ne peut pas vraiment être considéré comme une situation intrinsèquement anormale ou même une perte fondamentale, même si l’auteur démontre bien que nous en payons un prix élevé (dépression, maladies chroniques, suicides).

Puisque l’auteur analyse ici spécifiquement les États-Unis, il est incontournable qu’il soit question des dénominations religieuses, mais loin de constituer le fondement de la participation citoyenne, celles-ci n’étaient qu’un des niveaux d’implication. En fait, toutes les facettes de l’identité (genre, ethnicité, métier ou profession, entraide communautaire, école et vacances estivales, divertissement, etc.) semblaient être prétexte pour organiser et participer activement dans une association. Tous ces groupes étaient autant d’occasions d’engranger de cette version traditionnelle du capital social.

Sur les traces de Bowling Alone

L’auteur démontre bien comment le second conflit mondial a cristallisé, dans la génération qui a grandi durant cette période, une solidarité unique face à l’adversité et une volonté de participer dans la construction d’une société meilleure. En fait, cette croissance dans la participation associative de toute sorte avait débuté avec les premières années du 20e siècle, mais sera vraiment explosive après 1945-50. Le plus haut de la vague sera atteint au milieu des années 1960, pour ensuite décroître assez rapidement, même si certains groupes résistent à la tendance (surtout des groupes de la droite religieuse), sans toutefois la freiner.

Même s’il faut admettre qu’il y a une décroissance assez universelle dans la participation directe des gens dans des organismes associatifs, cela ne veut pas dire que le capital social se perd linéairement. L’ouvrage démontre que ce dernier se transforme et change de nature. Ces liens de confiance et de réciprocité ne sont certainement pas de même nature qu’au plus fort de la vague, mais cela ne veut pas dire que les bénéfices sociaux de ce capital, même dilué, soient inexistants. Une carte du livre (troisième image) montre les zones avec un plus fort capital social (plus foncé). Pour qui connaît les États-Unis, il n’y a pas vraiment de surprise; il est difficile de bâtir et d’entretenir du capital social lorsque les États, à la source du système esclavagiste et ensuite, Jim Crow, n’ont jamais vraiment expié. Comme le souligne l’auteur, «[s]lavery was, in fact, a social system designed to destroy social capital». Il rappelle aussi que Jane Jacobs, dans son plus fameux livre, affirmait que «social capital is what most differentiated safe and organized cities from unsafe and disorganized ones»; c’est probablement un constat qui fait encore sens aujourd’hui.

Cela dit, le capital social, tel qu’il s’incarne dans cet ouvrage, est probablement bien révolu. Mais cela ne veut pas dire que nous ne pourrions pas bénéficier d’une solidarité sociale actualisée. Cette édition du livre, avec une postface qui tient compte de la nouvelle donne des médias sociaux et post-pandémique, permet d’envisager plusieurs manières de cultiver un capital social renouvelé.

Tags Bowling Alone, Robert D. Putnam, Urban sociology, Social Capital, Community

Le Griffintown de jadis

October 4, 2021 John Voisine
The City Below the Hill The City Below the Hill The City Below the Hill The City Below the Hill

The City Below the Hill—A Sociological Study of a Portion of the City of Montreal, Canada. Herbert Brown Ames, introduction by P.F.W. Rutherford, University of Toronto Press, 1972 [1897], 116 pages.

Sans rien dévoiler de la qualité de l’œuvre, ni de son propos, il est difficile de penser à un titre qui reflète mieux le contenu d’une enquête socio-urbaine, comme ceux que les réformistes de la fin du 19e siècle semblent en avoir eu le secret. Avec un titre comme The City Below the Hill, on sait immédiatement qu’on n’aura pas affaire à une tranche de vie à Westmount ou d’autres quartiers cossus à l’ombre du couvert végétal prospère du mont Royal. Aucune confusion possible avec ce que l’auteur identifie lui-même comme ce monde exclusif de la « the city above the hill, […] home of the classes. Within its well-built residences will be found the captains of industry, the owners of real estate, and those who labor with brain rather than hand » (p. 6).

Représentant du meilleur d’un homme de sa classe et des prédilections progressiste, mais conservatrice de l’époque, Herbert Brown Ames se penche ici, dans un esprit de charité et de philanthropie teinté d’une forte dose de paternalisme, sur les conditions matérielles des habitants des quartiers « below the hill ». Il s’agit d’une zone près de l’entrée du canal de Lachine, délimité à l’est par la rue McGill jusqu’au square Victoria, à l’ouest par « the city limits » (environ l’axe de la rue Laprairie), au sud par la rue Centre et le Canal lui-même, et au nord, la falaise, alors occupée par la ligne du Canadian Pacific (et maintenant aussi l’autoroute Ville-Marie). Aujourd’hui, ce sont les quartiers de Griffintown, la Petite-Bourgogne, et un petit bout de Pointe-Saint-Charles (PSC) qui animent ce territoire urbain.

Il faut bien admettre que pour l’époque et pour Montréal, l’ouvrage est unique et précurseur. Herbert Brown Ames, se retrouvant à la tête d’un consortium d’affaire familiale ; il sera de cette classe d’hommes qui profitera de la position et de l’héritage de sa famille pour consacrer une partie considérable de ses énergies à la réforme (ultimement avorté) de l’administration municipale montréalais. Il est un des organisateurs de la Volunteer Electoral League, qui, sur une plateforme de lutte contre la corruption, le portera jusqu’à se faire élire comme conseiller municipal, de 1898 à 1906.

Sur les traces de The City Below the Hill

Les dix « chapitres » présentés ici sous forme de livre ont été, à l’époque de leurs publications en 1897, absorbé par le lecteur à travers une série dans le quotidien The Montreal Star (pratique courante à l’époque). Pour en arriver à ce compte rendu, qui se voulait avant tout factuel, Herbert Brown Ames (HBA) a eu recourt à des techniques de démarchage, de prise d’information, qui ne seraient pas reniés aujourd’hui. De ce travail, l’auteur en tire un ensemble de données statistiques permettant, à défaut de comprendre dans son humanité cette population, de brosser un portrait aussi factuel que possible de leurs conditions (assez pénible) de subsistance. Comme cela était aussi en vogue à l’époque, l’auteur a représenté ses résultats sur autant de cartes du secteur, permettant ainsi de géolocaliser (19th-century style), les situations problématiques.

Même si le Griffintown, la Petite-Bourgogne et PSC du tournant d’un autre siècle se laisse assimiler, géographiquement parlant, aux quartiers que nous connaissons, on fait référence ici à un monde aussi sociologiquement qu’urbainement (pour faire un néologisme) révolu. « The city below the hill » d’alors est non seulement le cœur industriel du Canada, mais aussi un milieu de vie pour la vaste majorité des gens y travaillant de leurs mains ; des hommes, des femmes et même des enfants qui contribuent à la subsistance de leurs ménages. Au-delà de la densité des habitations, « cheek by jowl » avec les industries, le manque d’espace naturel (ironiquement, il y a maintenant un parc HBA) et un certain « overcrowding » des milieux de vie (le fléau des « rear tenements »), la vraie situation problématique est celle du déficit en équipements sanitaires (eau et égouts branchés). Ce sera le grand combat du début 20e siècle à Montréal.

Non content de faire ses diagnostiques sociaux et urbains, HBA utilisera sa fortune (et encouragera les hommes de sa classe à faire de même, sans succès) pour réaliser, entre les rues Ann et Shannon (intersection rue William), le Diamond Court, un complexe « of workingmen’s dwellings » (p. 108-109), un type de projet découlant de la philosophie du « 5 per cent philanthropy » (et comme tout dans ce quartier, maintenant plus qu’un souvenir). J’aimerais à explorer cette pratique dans l’année qui vient.

Tags The City Below the Hill, Herbert Brown Ames, Griffintown, Urban sociology, Housing

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