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Wellington | Fabrique urbaine

3516, rue Gertrude
Verdun, Québec H4G 1R3
514-761-1810
L'urbanisme en pratique

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Wellington | Fabrique urbaine

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URBS+ : Abréviation d’urbanisme, mais quand même un peu plus. Une revue hebdomadaire d’ouvrages et d’œuvres avec comme point commun un intérêt pour l’univers urbain, qui est aussi l’univers ultime de l’être humain.

William H. Whyte en pratique

October 24, 2024 John Voisine
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Learning from Bryant Park—Revitalizing Cities, Towns, and Public Spaces. Andrew M. Manshel, Rutgers University Press, 2020, 293 pages.

Cette chronique est un boni dans notre série sur l’œuvre de William H. Whyte (1917-1999).

Après avoir passé tout ce temps à examiner et à considérer les travaux d’une personne, comme ceux de William H. Whyte, on trouve rassurant de constater qu’en situation réelle où cette vision a pris forme, un renversement positif à 180 degrés s’est produit. Le récit à la première personne de cet ouvrage nous illustre que oui, une ville qui s’inspire des observations de Whyte pour guider les orientations d’aménagements de ses aires et places publics fera des pas de géant en faveur d’environnements urbains plus conviviaux pour tous.

Il est également réconfortant de constater que, lorsqu’on applique les orientations proposées par Whyte en faisant preuve de sensibilité, après avoir pris soin d’analyser le contexte et l’échelle urbaine appropriée, les résultats constructifs sont souvent ressentis bien au-delà du lieu visé initialement. Chaque chapitre est l’exemple qu’un travail sur un espace ou un corridor urbain a des retombées sur tout un secteur ou même un quartier de la ville, que ce soit par émulation ou par attraction. La capacité à distribuer équitablement cet impact et ces retombées positives devient souvent alors le vrai défi et fait partie de l’enjeu.

Ce livre d’Andrew M. Manshel est un témoignage, à la première personne, de la puissance d’une approche de l’espace urbain, d’une sensibilité de gestion qui donne la priorité au à l’accueil convivial et ouvert de tout le public. Dans les expériences racontées dans l’ouvrage, qui s’étale sur une période de plus de 20 ans, la plus exemplaire est celle qui s’est produite au cœur du cœur de la plus grande métropole américaine, New York. Elle nous parle directement de la capacité de quelques orientations fortes, appliquées judicieusement, de transformer un environnement urbain pour le mieux, en faveur des gens qui fréquente et souvent choisissent d’y vivre. Le district visé dans cette discussion est Midtown Manhattan, plus précisément Bryant Park et ses alentours, derrière la fameuse branche centrale de la NY Public Library (avec ses lions !), le long de la Fifth Avenue, entre West 40th et 42nd Street. De surcroit, en page couverture du volume, on voit ce qui est devenu le symbole des approches d’aménagements « à la William H. Whyte » : une simple chaise de type bistro, toujours disponible et que le public est invité à déplacer à sa guise. L’ouvrage est un peu l’histoire de cet outil, par la voix d’un de ses praticiens.

Sur les traces de Learning from…

Cette chaise est certainement devenue le symbole de cette philosophie d’aménagement qui invite le public à « s’approprier » de l’espace afin de mieux la définir, ne serait-ce que le temps d’un midi. Toutefois, ce que ce symbole semble si bien dissimuler, c’est toute l’infrastructure de soutien et d’entretien qui doit exister pour que cette chaise existe. Un niveau de soin et de concertation qu’il est difficile de mettre sur pied, dans un premier temps et par la suite, de maintenir de façon consistante et durable. De plus, c’est en travaillant pour une organisation de type Business Improvement District (BID) [1], et non à travers une agence municipale, que la plupart des « improvements », autour de Bryant Park, ont été réalisés. Ces organisations ne sont pas des charités, mais exercent plutôt un pouvoir de contrainte quasi légale et de perception de redevances sur leurs membres.

C’est aussi le cas d’autres districts abordés dans l’ouvrage, comme celui de Jamaica Avenue et son BID (qui est également l’histoire de la lente transformation d’un corridor commercial). Se posent toujours des questions légitimes d’équité, de représentation et de gouvernance parfois, qui sont abordées sans dissimulation par l’auteur. Mais puisque la résultante du travail est bien souvent si manifestement transformationnelle, cette question est généralement étouffée. Et comme l’auteur l’admet même, toutes les décisions ont été rendues dans la communauté de manière « top-down » ; les discussions avaient lieu seulement au moment de considérer les changements et amélioration possible, une fois les décisions implantées. Les circonstances ont voulu que les têtes dirigeantes de ces BID, comme l’auteur, étaient particulièrement bien imprégnées des attitudes et des idées de William H. Whyte sur l’aménagement des places publiques, des espaces urbains, et de comment assurer une catalyse dynamique et durable. Mais autrement, quels auraient été les correctifs possibles si les choses avaient été autrement ? C’est probablement une des raisons que l’on voit trop souvent ce type d’organisation se contenter du triomphe facile de l’extraction économique à court terme et de l’accommodement universel de l’automobile.

Dans un environnement urbain dévitalisé ou lourdement grevé sur le plan économique, toute modification au statutquo peut vite entrainer des blocages centrés autour d’instincts conservateurs ; de même pour les espaces qui « fonctionnent » à une échelle autoroutière. L’ouvrage reste honnête et transparent sur les aspects parfois difficile et même contradictoire de la proposition. Mais à travers le récit de son parcourt, l’auteur fait le pari qu’une application raisonnée et contextuelle des observations de William H. Whyte constitue un investissement productif et durable, autant pour la ville que ses citoyens.


[1] Au Québec, il existe un équivalant, les Sociétés de développement commercial (SDC).

Tags Learning from Bryant Park, Andrew M. Manshel, NYC, Urban Design, Série William H. Whyte

Small Spaces, Urban Spaces, Big Deal

October 10, 2024 John Voisine
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The Social Life of Small Urban Spaces. William H. Whyte, Project for Public Spaces, 1980, 125 pages.

Cette chronique est la dernière d’une série sur l’auteur urbain William H. Whyte (1917-1999).

Ce livre de William H. Whyte est paru il y a maintenant plus de 40 ans. Il demeure l’un des outils le plus pratique et concret auquel les urbanistes, architectes paysagistes et architectes-concepteurs peuvent se référer lorsque vient le temps de poser les bases du design d’espaces et de places publiques. Aucun doute n’existe que si, dans 40 ans, on veut toujours consulter le meilleur de ce qui s’est produit sur la façon de réussir une interface heureuse entre un petit espace et l’environnement urbain, les enseignements de Whyte se retrouveront sur le dessus de la pile. En fait, on doit les situer parallèlement à ceux de l’architecte danois Jan Gehl. À peu près à la même époque et avec des méthodes équivalentes, il en arrivait à des conclusions analogues (mais avec, cette fois, une saveur tout européenne). Whyte reconnaît d’ailleurs la contemporanéité de leurs démarches similaires et la convergence de leurs résultats.

Le doute qui se manifeste sur la pérennité des enseignements de Whyte se traduit plus par la difficulté d’incorporer ce qui est, après tout, une leçon constante d’humilité applicable à tous nos gestes. Toutefois, cette application doit se réaliser sans perdre la confiance nécessaire à l’avancement matériel et conceptuel des domaines de l’aménagement et du design urbain. Il est bien connu, par exemple, que la plaza de l’édifice Seagram à NY est, depuis son ouverture, une des plus fréquentée et utilisée, autant par le public de bureau que des touristes. Pour les immeubles de Midtown Manhattan, c’est d’ailleurs le succès de cette plaza qui a entrainé la standardisation, dans le code de zonage, de la formule d’échange « place publique contre superficie de bureaux ». Cela dit, combien savent que le premier surpris par cette fréquentation du public de ce qui se voulait avant tout un « joyau » à vocation purement esthétique fut certainement son concepteur principal, Mies van der Rohe (comme nous le rappelle Whyte en citant son assistant, Philip Johnson [1]). En d’autres termes, certaines plazas urbaines sont vite adoptées et fréquentées, mais la question sera toujours : comment tirer le meilleur parti des éléments de design qui encourage cette fréquentation active, marque d’un véritable succès? Avant cet ouvrage de Whyte, si même c’était une question qu’on souhaitait explorer, la résolution passait le plus souvent par un processus itératif de longue haleine. Surtout, d’accepter que la première fois ne serait pas la bonne. Finalement, avec cet ouvrage, on peut envisager de mettre un maximum de chance de son côté.

Sur les traces de The Social Life of Small Urban Spaces

Le programme qui permettait l’aménagement d’une plaza contre un gain en superficie (dans le nombre d’étages) pour l’immeuble sur même lot a, bien sûr, donné naissance à une période, durant les années 1960 et jusqu’au crash immobilier du milieu des années 1970, où les promoteurs ont fourni ces espaces nouveaux genres. Mais bien souvent, par manque d’une codification minimale des exigences, la ville se retrouvait avec un rectangle minéralisé qui demeurait aussi vide qu’un paysage lunaire, même si en bordure d’une avenue passante. Au début des années 1970, les autorités de la ville finissent par chercher à codifier des standards minimaux encourageant une fréquentation par le public pour lequel ces plazas étaient nominalement destinées. Encore fallait-il démontrer que ces critères de design allaient avoir une chance de renverser la tendance et d’encourager l’intégration souhaitée. Il ne faut pas oublier qu’on parle ici d’espaces localisés dans ce qui est certainement le centre urbain (Midtown Manhattan) avec la plus grande densité d’activités en Amérique du Nord. Une des personnes consultées pour relever ce défi est justement William H. Whyte. Il procède de manière innovante, avec un équipement à la fine pointe de la technologie pour l’époque, même si en réalité sa méthodologie consiste tout bonnement en une observation méticuleuse des comportements humains dans l’espace urbain. Ce travail, qui s’échelonnera sur presque 10 ans, lui permettra de formuler plusieurs pistes fertiles de design qui s’appliquent presque universellement, si on porte une attention particulière au contexte. Par exemple, une ville de 10-20, 100-200 et même cinq cent mille habitants n’est pas simplement une ville de 3 millions d’habitants à échelle réduite. La plupart des aménagements « de grandes villes » ne trouvent pas la densité de public nécessaire pour les activer en d’autres milieux.

Certaines places, « pocket parks » et même, comme on le comprend maintenant, certaines parties de rues (intersections aux configurations particulières, cases de stationnement riverain à des locaux commerciaux de destination ou des restaurants) développent une affluence « naturelle » qui leurs est propres, mais qui est souvent, si on observe de près, aussi le résultat d’une programmation intense, voulu et à l’écoute des circonstances. William H. Whyte ne le dit pas explicitement dans l’ouvrage, mais on fini par réaliser que les éléments d’un espace fréquenté et activé, d’une place à succès en harmonie avec son milieu sont, ironiquement, ceux qui invitent et guident subtilement le public tout en lui laissant un sentiment de contrôle ludique sur son environnement.


[1] MVDR, cité pas Philip Johnson, en parlant des bords des deux vastes plans d’eau rectangulaire où se l’on trouve toujours une petite foule, commente : “I know it. It never crossed Mies’s mind. Mies told me afterward, ‘I never dreamt people would want to sit there’”;

Tags The Social Life of Small Urban Spaces, William H. Whyte, Urban Design, Urban Spaces, Série William H. Whyte

Une fois pour toute

March 17, 2022 John Voisine
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Triumph of the City—How Our Greatest Invention Makes Us Richer, Smarter, Greener, Healthier, and Happier. Edward Glaeser, Penguin Books, 2011, 338 pages.

Chacun a sa façon bien particulière d’exprimer son amour. Si on devait s’imaginer une lettre d’amour à la ville et à la notion même d’urbanité de la part d’un économiste, le livre d’Edward Glaeser incarne certainement un idéal qui s’en rapproche. Comme on peut l’anticiper d’un représentant de cette profession, cela se fait avec une armature comptable assez appuyée et inévitablement quelques angles morts. Mais dans ce cas particulier, la comptabilité est le plus souvent mise au service d’une démonstration assez crédible et les angles morts sont plutôt les manifestations de préférences idéologiques assumées et sans malice.

Si le titre pouvait laisser un certain doute, pour qui aimerait y voir une boutade mordante, le sous-titre vient immédiatement dissiper toute ambiguïté. La ville est ici la meilleure invention de l’humanité, engin de richesses, centres de toutes formes de création, d’innovation et catalyseur d’enseignement de pointe. Grâce à leurs diversités, les villes sont des milieux productifs sur les plans économique et humain. Lorsque mariées à la densité, elles sont génératrices de milieux aménagés et naturels sains et durables. Avec la concentration des meilleurs soins préventifs et curatifs, elles sont porteuses de populations en santé et dynamique. Comme si ce n’était pas assez, le taux de bonheur y est élevé, probablement un facteur des nombreuses opportunités.

Même les aspects les moins réjouissants de certaines villes contemporaines, comme les quartiers défavorisés (bidonvilles et autres types de ghettos) sont dépeints, avec justesse, comme autant de zones de croissance potentielle pour la ville elle-même, mais surtout pour les populations qui s’y trouvent. Mais que dire lorsqu’on fait face à des villes entières sur le déclin ou sous l’emprise d’une corruption si massive que sa population est laissée à elle-même? En fait, si certains cas semblent irrémissibles (Detroit?), des effets de cycles sont souvent à la racine d’affaissement temporaire (NYC des années 1970), et il est plus souvent qu’autrement possible de renverser la vapeur. Comment? En investissant dans le capital humain (existant ou par l’immigration), ce qui encourage parfois une renaissance sur des bases nouvelles (innovations, inventions, entrepreneurship, etc.). Si cela ne change rien? L’auteur propose la notion de «Shrinking to Greatness».

Sur les traces de Triumph of the City

On l’aura deviné, cette dernière proposition, qui réserve plus de «shrinking» que de «greatness», est une de ces fausses solutions que seul un économiste peut aimer. Mais ceci n’est pas l’essentiel de l’argument de M. Glaeser, tant s’en faut. Il prend au contraire la peine de démontrer, recherches originales et statistiques à l’appui, que même les zones où règne misère et pauvreté, presque synonyme de certaines agglomérations, sont bien plus des représentations de la force de ces villes en tant que générateur de richesse. En Asie par exemple, l’auteur démontre longuement comment d’autres de ces villes ont réussi à tirer profit de sur leurs réseaux et de leur capital humain, comme Bangalore dans le domaine des technologies ou de façon quasi sui generis, comme dans le cas de Singapore. Le cas de Hong Kong n’est malheureusement plus aussi fertile et limpide qu’au moment de la parution du livre, mais cela n’enlève rien à ce qu’elle était devenue avant les répressions chinoises. Au contraire, la résistance féroce de la société civile à celles-ci est une illustration limpide de la force des villes.

Curieusement, c’est lorsque le regard se porte sur la situation des villes américaines qu’on notera plus de raccourcis. Le fait que les villes côtières soient contraintes sur le plan de l’abordabilité et de la disponibilité du logement est bien connu et documenté, mais montrer du doigt les efforts des défenseurs du patrimoine est peu crédible. Questionner le zonage est légitime, mais il ne faut pas oublier que cette réglementation représente une volonté politique et populaire. Le nimbysme est un fléau, mais que font-ils d’autre que d’utiliser les mécanismes en place? Il est aussi question des bénéfices mythiques de la ville sans zonage et des miracles du laissez-faire caractéristique de la région du Sunbelt. Heureusement, plusieurs autres exemples de succès urbains (européen et américain) sont décrits avec verve, nuance et conviction et ne reposent pas uniquement sur l’attraction du «cheap».

L’auteur donne la meilleure version de son idéologie d’attache (il est Senior Fellow au Manhattan Institute), et même si l’on préférait un meilleur questionnement sur certains points, il est bon de lire un fervent plaidoyer urbain en provenance du côté droit de l’assemblée.


La semaine prochaine, une forme de suite : chronique du livre Survival of the City, qui tient compte de nos réalités urbaines en transformation, et des perceptions changeantes sur la façon d’occuper durablement nos villes.

Tags Triumph of the City, Edward Glaeser, Urban Economy, Urban sociology, Urban Design

Nowhere Near

March 11, 2022 John Voisine
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The Geography of Nowhere—The Rise and Decline of America’s Man-Made Landscape—20th Anniversary Edition. James Howard Kunstler, designed by Pressbooks, 1993-2013, 258 p. [Version e-book lu sur Kindle]

Le propos de The Geography of Nowhere était urgent au moment de sa parution, en 1993. C’est un peu troublant de constater que trente ans plus tard, cet argumentaire livré avec mordant et même une touche de colère (mais non sans humour) demeure tout aussi actuel et vrai. La prose déployée par James Howard Kunstler aura permis de mettre des mots, de donner un vocabulaire à un malaise généralisé face à la finalité désolante de nos paysages urbanisés. Et c’était justement le moment, durant cette dernière décennie du 20e siècle, où nous étions finalement mûres pour l’entendre et l’absorber. Avant, on pouvait facilement se laisser convaincre que le meilleur était encore à venir, qu’une fois pleinement développé, le résultat de l’expérience du développement basé sur l’automobile produirait un environnement urbain mariant harmonieusement mobilité automotorisé et des formes urbaines stimulantes et confortables, tout en assurant la pérennité d’une prospérité pour tous.

Maintenant, rares sont les gens qui ne peuvent articuler en quoi cette proposition n’a toujours été qu’un mirage, non seulement sur le plan économique, bien sûr, mais également social, environnemental et humain. Ainsi, une économie fondée simultanément sur la délocalisation et l’extraction, des difficultés croissantes à assurer une répartition équitable de la richesse, la garantie de l’irréversibilité des changements climatiques et un cadre bâti (depuis 1945) qui produit, à sa manière, de multiples formes d’appauvrissement, sont tout autant d’éléments qui nous pèse lorsque vient le temps de chercher des issues à ces impasses.

Ce qui rend aussi le propos du livre si pressant, même (ou surtout) presque trente ans après, c’est justement le paradoxe que la faillite de ce type de développement s’est avéré si incontestable, tout en demeurant si omniprésent et incontournable. M. Kunstler va chercher loin dans l’histoire américaine les origines de ce qui a conduit à l’abandon volontaire du savoir-faire dans l’aménagement de nos environnements urbains contemporains. Ce voyage dans les dédales des nombreuses manières indigènes et originales, mais maintenant perdues de s’approprier et d’aménager les campagnes, les «towns», les grandes villes et éventuellement de toute l’Amérique d’avant l’ère automotrice est accompli de façon particulièrement engageante et éclaire particulièrement bien son propos.

Sur les traces de The Geography of Nowhere

M. Kunstler prend aussi le temps de faire la genèse du développement des notions et de l’esthétisme moderniste. On ne s’égare pas trop en disant qu’il considère ce mouvement comme étant essentiellement frauduleux, et que son influence, avec l’immigration aux États-Unis des grands qui l’incarnaient (Gropius, Mies van der Rohe, etc.) est à la racine des environnements cul-de-sac et vide de tout sens. La plupart des pays de l’Europe de l’Ouest ont aussi jonglé de façon directe avec les opportunités de la logique moderniste (avec la destruction laissée par le dernier conflit mondial), mais aucun d’entre eux n’est tombé si totalement dans de la pensée radieuse du modernisme. Les Américains ont ajusté la recette de la sauce moderne à leur goût, et le résultat insipide de leurs créations.

La relation frustrante et infertile de certains groupes intellectuels et d’une frange de la classe politique américaine envers l’urbanité est, avec justesse, pointée du doigt par l’auteur comme une des sources des difficultés contemporaines dans la mise en place de balises d’aménagement urbain qui affirme sa nature complexe. Mais avant d’en arriver à ce macro-constat, l’auteur prend plaisir, et nous fait plaisir en évoquant plusieurs moments de l’histoire urbaine américaine où la prise en compte des impératifs économiques ne se faisait pas au détriment d’un paysage urbain satisfaisant. Les leçons qu’il tire de visites à Greenfield Village, Disneyland et Disney World, de sa ville d’adoption, Saratoga Spring ou d’un simple village au Vermont valent en elles-mêmes le prix d’admission.

M. Kunstler (qui est malheureusement maintenant devenu un «full tin foil hat MAGA») n’était pas le premier (Jane Jacobs, Lewis Mumford), et ne sera certainement pas le dernier à mettre le doigt sur la dégradation de nos environnements bâtis, urbains et naturels suivant l’automobilité. Un dernier chapitre propose des pistes de résolutions, mais c’est maintenant trente ans plus tard et ce qui semblait dérisoirement homéopathique à l’époque a amplement confirmé sa nature foncièrement anémique depuis. L’auteur mentionne l’urgence d’une réforme en profondeur des codes de zonage (stationnement, densité, mixité) et même de construction, mais les incitatifs devront émaner d’une échelle supérieure si elles sont pour être adoptés et appliqués.


La semaine prochaine, une série en deux livres qui se veulent un regard, à 10 ans d’intervalle, sur notre objet d’intérêt à tous, la ville. On commence ce jeudi (17 mars) par un autre classique, Triumph of the City et ensuite, Survival of the City (24 mars).

Tags The Geography of Nowhere, James Howard Kunstler, Suburbs, Urban Design, Zoning

First Principles

November 22, 2021 John Voisine
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Urbanism Without Effort—Reconnecting with First Principles of the City. Charles R. Wolfe, Island Press, 2019, 177 pages.

Le titre de cet ouvrage contient, de façon bien innocente, un élément d’ironie quelque peu involontaire. En effet, si l’on était vraiment pour tenter d’appliquer la démarche proposée pour en arriver à un urbanism without effort, cela demanderait un travail sérieux, bien au-delà de ce qui est conventionnellement déployé. En d’autres termes, la création d’un nouvel urbanisme sans effort ne peut se faire sans avoir, au préalable, fait une démarche exhaustive de recherche et de compréhension approfondie; d’un lieu ou d’un type urbain, autant sur le plan du design, de l’analyse socio-économique et du volet historique. On se devrait ainsi d’aller plus loin que la synthèse et rechercher une authentique distillation du genius loci.

Loin de la formule facile, l’auteur préconise ainsi une démarche sensible, que celle-ci soit entreprise pour la compréhension d’un espace urbain en friche, d’un coin de rue, d’une place publique, d’un îlot, d’un bloc dévitalisé ou même de la totalité d’un quartier. Cette démarche est à l’opposé des formules basées sur une accumulation de précédent ou d’un «copier/coller» qui ne s’en tiendrait qu’à la surface d’un design. L’auteur, en posant qu’il existe des milieux urbanisés qui ont su se développer afin de générer un urbanisme favorisant les relations humaines, de commerces et du savoir, de façon naturelle et organique, nous invite à une observation attentionnée de ceux-ci. Préférablement, ce travail se fait physiquement, sur place, en personne, par le moyen d’un journal urbain photographique ou sketch, avant même d’être écrit.

Pour ne pas tomber dans le panneau du «précédentisme», l’auteur souligne l’importance de contextualiser toutes observations; il n’existe pas (ou tellement peu) de design, de dynamique ou de développement socio-économique urbain qu’il est simplement possible de reproduire en pièce détachée, ou de recréer matériellement ailleurs et de penser réussir les mêmes «conditions gagnantes» que l’original. Cela relève de la pensée magique, mais c’est aussi un chemin facile, quasi irrésistible, si la recherche de résultat à court terme est la seule priorité. L’auteur nous invite plutôt à considérer une approche «don’t try this at home» : ne pas imaginer calquer sans au préalable une bonne dose d’adaptation bidirectionnelle.

Sur les traces de Urbanism Without Effort

C’est ainsi cette capacité d’avoir une connaissance profonde, autant du milieu d’origine de l’élément ou du contexte emprunté que de son milieu urbain d’insertion ou de reproduction (l’approche bidirectionnelle) qui sera à la racine de toute intervention urbaine allant au-delà du simple placage. La capacité à créer une dynamique urbaine spécifique et originale demeure un des exercices les plus difficiles et complexes en urbanisme. Pourtant, lorsqu’on peut avoir la chance de voir et de vivre un espace urbain qui fonctionne, cela semble la chose la plus naturelle, organique et spontanée qui soit. Il s’en dégage même un «effortlesness» qui peut facilement, si l’on n’est pas attentif, rigoureux et ouvert dans l’étude, nous donner l’illusion que la simple addition de ses parties constituantes suffira pour transplanter une dynamique urbaine particulière.

L’auteur donne l’exemple de la Silicon Valley : aucun espace urbain «naturellement et organiquement» dynamique n’a atteint ce niveau sans une forte dose d’interventions, de type privé et public, diversifiée et bénévole, dans le but d’entretenir et de nourrir dans le temps cette vitalité unique. Cette partie est tout sauf «without effort».

L’auteur est généreux sur ses propres sources méthodologiques ainsi que de réflexion. Il est aisé pour le lecteur qui voudrait s’en donner la peine de poursuivre sur les chemins défrichés par ce volume. J’ai moi-même découvert Charles R. Wolfe lors de deux entrevues sur l’excellent podcast Talking Heaways. Il a aussi un blogue, et son dernier livre a paru cette année.

Une autre façon que l’auteur cherche à faire assimiler les qualités qu’il préconise dans un urbanisme dynamique est en le rapprochant du concept d’everyday urbanism. Il existe aussi un ouvrage synthèse du même nom. Pour étendre la notion de dynamisme urbain pour inclure toutes ses incarnations, je souhaite avoir la chance bientôt de lire Tally’s Corner et son histoire éphémère, si caractéristique de ces phénomènes.

Plusieurs autres références nous donnent le goût d’aller plus loin, mais en voici trois qui seront sur ma liste : J. B. Jackson, Joseph Rykwert, particulièrement son livre, The Seduction of Place. Finalement, un ouvrage qui semble mériter un détour : Tight Urbanism.

Tags Urbanism Without Effort, Charles R. Wolfe, Urbanisme, Aménagements urbain, Urban Design

Le centre

June 28, 2021 John Voisine
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City—Rediscovering the Center. William H. Whyte, foreword by Pace Underhill, University of Pennsylvania Press, (1988), 2009, 288 pages.

Il est maintenant normal pour tout professionnel de l’urbanisme, du design urbain ou de l’architecture de sortir avec un bloc-notes/sketchpad, un appareil photo (cellulaire), et d’aller passer un moment « sur le terrain », pour prendre le pouls d’un environnement urbain. On cherchera alors à absorber un peu de sa dynamique et de son énergie (ou de l’absence de celle-ci). Une équipe dédiée pourra ainsi mieux assimiler les particularités du lieu et, dans la meilleure des situations, proposer des approches pour mettre en valeur ses lignes de force et remédier à ses faiblesses. L’étape essentielle ici étant une observation sensible et factuelle, sous plusieurs angles et dans diverses conditions, de la réalité de l’espace. Pour reprendre un yogiberrisme trop évident, c’est fou tout ce qu’on peut voir juste en regardant.

Les études de cas et les analyses contenues dans cet ouvrage découlent essentiellement de la situation des plazas immobilière et des « pocket parks » que l’on retrouve à New York. Après l’érection du Seagram Building et du succès de sa plaza, NYC a inscrit dans son code de zonage l’obligation pour les promoteurs de fournir des places similaires. Loin de se révéler des phénomènes urbains dynamiques et fréquentés, comme pour la « place mère » du Seagram, plusieurs autres demeuraient sous-utilisés ou même déserts. Mais pourquoi au juste ?

C’est un peu le mandat de répondre à cette question que l’auteur et son équipe se sont vues attribuer à la fin des années 1960 et lors d’autres engagements similaires qui se sont poursuivis jusque durant les années 1980. En fixant caméras et appareils cinématographiques pour capturer les interactions et les agissements « naturels » de la faune citadine, que ce soit sur une plaza, une intersection, ou dans une oasis comme le Paley Park, William H. Whyte, et son groupe on mit en évidence les configurations les plus favorables à la présence et à la satisfaction des urbains. Qui eût cru, par exemple, que de simples tables et chaises pouvant être disposées au plaisir des usagers puissent être l’assise d’un espace attractif et fréquenté ? C’est cette documentation méticuleuse des comportements et de l’usage réel que les gens font de leurs villes qui sont à la base des recommandations contenues dans l’ouvrage.

Sur les traces de City—Rediscovering the Center

Ce livre de William H. Whyte, maintenant un classique, nous rappelle que ces outils de mesure et d’analyse, en appuis au design, ont été longs à prendre leurs places. Et malheureusement, trop souvent, les conclusions qui en ressortent sont difficiles à implanter. En plus d’avoir à confronter une certaine « arrogance conceptuelle » face à l’existant (pourquoi changer ce qui existe déjà ?), on constate aussi une forme d’inertie, un « confort sécurisant » qui découle de l’habitude. Elle persiste même une fois les erreurs diagnostiquées et l’échec du design admis de tous. Whyte donne plusieurs exemples paradoxaux de ces environnements urbains aménagés et simultanément « laissés en friche ». S’y installe une indifférence devant le dynamisme urbain qui s’étiole.

Le plaidoyer principal de l’ouvrage est en faveur d’une ville où les citoyens sont présents parce qu’il existe une concentration de services, d’attractions, d’emplois et de milieux de vie diversifiés qui le justifie. Mais surtout, un environnement urbain conçut, pensé et entretenu de façon à favoriser l’interaction humaine, les rencontres de personne à personne, le tout sur une base quatre saisons. L’ingrédient premier pour allumer cette magie de la ville est l’intégration d’espaces urbains où les gens se sentent en contrôle, partie prenante et participant à part entière dans l’urbanité qui les entoure.

William H. (« Holly » pour ses amis) Whyte n’a pas seulement laissé sa marque dans le domaine de l’enquête terrain socio-urbaine ; il a commencé sa carrière avec un livre qui fait encore école dans le monde de la gestion, The Organization Man (1956). Peu de temps après, il était l’éditeur d’un collectif, The Exploding Metropolis (1958) ; on y trouve un texte de Jane Jacobs.

Si les techniques, les méthodes et l’approche générale déployées par Whyte peuvent sembler familières, c’est certainement en raison de la popularité d’un ouvrage comme Life Between Buildings (1987, pour la traduction) de l’architecte danois Jan Gehl. Whyte note d’ailleurs la similarité de leur approche et la concordance des observations. En 1980, Whyte publiait The Social Life of Small Urban Spaces ; si l’on cherche, il est possible de trouver le film/documentaire qui l’accompagnait. Il y a quelques années, Streetfilms en a aussi fait un excellent résumé de trois minutes.

Note 1 : Publié une première fois le 20 décembre 2021

Note 2 (2022-03-29) : Un article sur l’actualité toujours brûlante de son oeuvre et d’une nouvelle biographie qui vient juste de paraitre : William H. Whyte : Still Relevant After All These Years.

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