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Wellington | Fabrique urbaine

3516, rue Gertrude
Verdun, Québec H4G 1R3
514-761-1810
L'urbanisme en pratique

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Wellington | Fabrique urbaine

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URBS+ : Abréviation d’urbanisme, mais quand même un peu plus. Une revue hebdomadaire d’ouvrages et d’œuvres avec comme point commun un intérêt pour l’univers urbain, qui est aussi l’univers ultime de l’être humain.

Hidden in plain sight

January 10, 2023 John Voisine
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The Decorated Tenement—How Immigrant Builders and Architects Transformed the Slum in the Gilded Age. Zachary J. Violette, University of Minnesota Press, 2019, 279 pages

Cette chronique fait partie de notre série Housing in NYC [4/5]

Il est plutôt difficile de trouver dans la littérature (architecturale, historique, urbaine, de santé publique ou sociologique) une perspective positive sur le sujet des tenements, ces immeubles à multiples logements, typiquement de 4-5 étages, souvent sans ascenseur, des équipements sanitaires parfois rudimentaires, mais avec des espaces commerciaux au rez-de-chaussée ou en demi-sous-sol.

Leur heure de gloire commence vers 1850-60, prend son élan vers 1880-90, avec cette dernière décennie comme l’apothéose de cette typologie urbaine, surtout à New York, mais aussi à Boston et d’autres villes de Nouvelle-Angleterre. Des modèles continueront d’être perfectionnés jusque dans la première décennie du 20e siècle, mais une série de changements, réglementaires et démographiques, entrainera un déclin précipité à l’orée de la Grande Guerre.

Quelques décennies plus tard, lorsque la tendance sera au Slum clearance et qu’on cherchera ainsi à faire de la place en ville pour les tours d’habitations «dans un parc» ou pour le passage des nouvelles autoroutes, c’est le plus souvent dans ces quartiers urbains structuré autour des tenements, densément habité et utilisé de façon productive, toujours caractérisé par une culture et une économie locale vigoureuse et au potentiel régénérateur puissant, qui seront tragiquement et terriblement rasés. L’urbanité perdue durant ces «grands chantiers», au nom de la modernité, est une perte qu’il est difficile de qualifier et qui nous fait probablement encore très mal. Comment pouvons-nous l’affirmer? Simplement parce que nous constatons que les quartiers urbains de ce type qui nous sont parvenus sont encore parmi les plus productives et dynamiques.

L’ironie cruelle est que même durant l’apogée dans la construction des tenements, entre 1880-1900, il n’y a jamais eu de moments où ce type de bâtiment recevait l’aval ou même un regard favorable de la par des classes intellectuelles influentes, que ce soit en architecture, en santé publique ou de la par des groupes progressistes ou religieux qui se donnaient comme mission de «sauver», matériellement et spirituellement, les classes urbaines laborieuses, le plus souvent aussi nouvellement immigré. Dans ce contexte, comment expliquer l’omniprésence, dans les quartiers urbains d’alors, des tenements et dans le meilleur des cas, des decorated tenements?

Sur les trace de The Decorated Tenement

C’est à cette étape qu’un livre comme celui de Monsieur Zachary J. Violette se présente en guide parfait afin de retrouver l’histoire perdue derrière cette typologie urbaine si répandue. Par sa mise en contexte (historique, sociologique, architectural, urbaine) qui ne connait pas vraiment de parallèle dans la littérature, on peut comprendre et enfin voir ces trésors urbains à échelle humaine telle que ses bâtisseurs les envisageaient et de la manière dont les gens qui choisissaient d’y vivre pouvaient les percevoir et les chérir.

Ces immeubles ont pour la plupart été construits par et pour la population immigrante d’Europe centrale et de l’Est (Russie, Pologne et territoire maintenant ukrainien) qui affluait alors dans la métropole américaine, pour fuir les pogroms, mais aussi pour exercer leurs entrepreneuriats, ce qui était impossible à cause des législations explicitement antisémites dans leur pays d’origine. Dans ce groupe d’immigrants pauvres, mais extrêmement industrieux, on trouvait des entrepreneurs en bâtiment, des architectes, mais aussi beaucoup d’hommes de métier. Grâce aux institutions financières propre à la communauté, il était possible d’effectuer les montages nécessaires au développement spéculatif, du type des decorated tenements.

Sur le plan démographique et sociologique, c’était aussi une population qui provenait de zones urbanisées, de villes à la population qui appréciait déjà fortement la culture urbaine. Cette attitude se combine à la volonté de communiquer esthétiquement, avec un bâtiment aux proportions élégantes et à la décoration culturellement évocatrice (autant en façade que sur les surfaces intérieures communes, dans les pièces privées d’apparat des logements et dans les locaux commerciaux) le prestige de l’appartenance à sa communauté dans cette nouvelle grande métropole.

Même dans ce contexte, comment expliquer ces formes élaborées sur des bâtiments spéculatifs destinés à une population immigrante aux ressources limitées? Parce que les bâtisseurs et les architectes étaient familiers avec l’école allemande de la production architecturale décorative industrialisée et standardisée naissante. Ces nouvelles populations urbaines en Amérique avaient beau être pauvres, elle voulait vivre dans un cadre urbain qui projetait dans le domaine public la dignité de leurs êtres et de leurs cultures. Les decorated tenements* en étaient l’incarnation, et bien plus.

Une lecture essentielle.


* En lisant ce livre, j’ai appris qu’il y avait un film, *batteries not included, datant de 1987 et produit par nul autre que Steven Spielberg qui se déroule autour d’un tenement building dans le East Village à Manhattan. Pas encore vue, mais toujours disponible sur Apple+, lorsque l’occasion se présentera!

Tags The Decorated Tenement, Zachary J. Violette, Tenements, NYC, Boston, Série Housing in NYC

Great Expectations

January 9, 2023 John Voisine
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The Great Rent Wars—New York, 1917-1929. Robert M. Fogelson, Yale University Press, 2013, 421 pages [e-book lu sur plateforme Kindle]

Cette chronique fait partie de notre série Housing in NYC [3/5]

Les historiens marquent souvent l’Armistice et le traité de Versailles, qui ont signalé la transition entre l’époque des empires continentaux d’avant la Grande Guerre et celle de la montée des états nations suivant celle-ci comme étant aussi ceux qui signalent le début du siècle américain. Il faudra attendre la victoire sur les forces de l’Axe lors de la Seconde Guerre pour rendre cette position incontestable sur le plan international. N’empêche, il y a un domaine où les américains n’ont jamais vraiment été en mesure de mener par l’exemple ou d’acquérir un authentique leadership, et cela est sur le plan social. En effet, dès la sortie du premier conflit mondial, la majorité des pays de l’Europe occidentale s’attaquent sans répit et presque «scientifiquement» à la question du logement, autant sur le plan de la conception, des méthodes de construction et de la gestion. On y produira beaucoup, vite, et de façon innovante. Cela était bien plus qu’une réponse à la dévastation matérielle entrainée par la guerre; la plupart des pays y voyaient une façon de faire face aux transformations à la fois économique (nouvelles industries, nouveaux secteurs manufacturiers), politique (montée des mouvements collectifs de gauche et fasciste de droite) et sociale (nouvelle place des femmes, de la famille et de la gestion du travail) qui marquaient alors tous ces états au sortir du traumatisme de 1914-18. On allait créer du logement pour le plus grand nombre, et du coup, autant se faire que peut, entrer dans la modernité du nouveau siècle.

L’histoire de ce côté-ci de l’Atlantique a été différente. On se limite dans cet ouvrage de l’historien et professeur émérite en étude urbaine au MIT, Monsieur Robert M. Fogelson, à la crise du logement qui affecta New York et plusieurs autres grandes villes de l’État et du pays. Cette crise se caractérisait par une pénurie de logements pour les classes laborieuses et la classe moyenne précaire. Mais surtout, par l’utilisation de techniques autrement sauvage par ce qui semble la majorité des propriétaires à l’endroit de leurs locataires, sans contrepoids. Seule l’intervention temporaire de l’état retournera, après une décennie, un semblant d’équilibre.

Sur les traces de The Great Rent Wars

En raison du blocage américain très particulier sur les questions sociales, comme sur la mise en place d’une aide de l’état (des états ou fédéral), la lutte se coalisera autour d’une aide indirecte aux locataires : contre les augmentations abusives, pour la conservation du logement et surtout pour un assouplissement aux conditions contractuelles qui avantageait unilatéralement les propriétaires. Cette lutte sera d’une brutalité exceptionnelle et prendra principalement la forme de «rent strikes». Cette tactique ne pouvait en réalité fonctionner que si la quasi-totalité des locataires de l’immeuble participait. De plus, la majorité de ces actions de grèves étaient menées par des femmes, des mères de famille immigrantes dans des quartiers (Lower East Side, Brownsville, Harlem) à majorité juive d’Europe centrale ou de l’est, souvent de première ou deuxième génération. C’était aussi l’époque des grandes organisations syndicales du textile, et aussi la période où le Parti socialiste fera de véritables gains, autant au niveau municipal à New York et à Albany, à la chambre de représentant. Ces représentants socialistes au niveau de l’état seront éventuellement même expulsés de la chambre durant le Red Scare. Mais cela n’empêchera pas les autres représentants de comprendre que l’heure était à l’action. La pression politique était rendue intenable : il fallait venir en aide aux centaines de milliers, sinon des millions de locataires qui étaient pris à la gorge et acculés à la rue par leurs propriétaires.

Pour faire face explicitement à cette crise du logement (des augmentations arbitraires et des expulsions), les mesures de contrôle sur les loyers (uniquement les logements) et le maintien en place des locataires seront adoptées par l’État de New York en 1920, pour une période de deux ans. C’est d’ailleurs cette limite et la façon explicite d’être des remèdes à une crise qui feront qu’elles résisteront jusqu’en cour suprême. Elles seront reconduites (par tranche de un à deux ans) jusqu’en 1929.

Ce livre fait exhaustivement l’histoire de ces mesures; elles ont probablement sauvé New York d’une véritable révolution populaire au tournant des années 1920. Cette histoire mérite d’être mieux connue et les parallèles avec nos pathologies contemporaines dans le domaine sont de chaque page.

Tags The Great Rent Wars, Robert M. Fogelson, New York City, Housing, Série Housing in NYC

NYC Co-op Utopia

December 21, 2022 John Voisine
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Working-Class Utopias—A History of Cooperative Housing in New York City. Robert M. Fogelson, Princeton University Press, 2022, 384 pages.

Cette chronique fait partie de notre série Housing in NYC [2/5]

On a souvent l’impression que dans le domaine du logement, la forme coopérative est celle d’avenir… et là pour le rester longtemps*. En d’autres termes, même si les coopératives semblent la façon la plus juste, équitable et l’idéale pour loger une grande diversité de ménages, le mouvement coopératif en habitation n’arrive pas tout à fait à prendre son envol et à se normaliser. Elles se font rares dans nos quartiers centraux et quasi inexistantes ailleurs. Même à l’intérieur de la catégorie des logements «sociaux et communautaires», ils représentent un peu moins du quart des logements. Compte tenu du manque criant en logement et surtout en logement collectif urbain, on peut s’étonner que les exemples de logements coopératifs soient toujours aussi rares et exceptionnels.

Si le rêve est vraiment un jour de voir s’éteindre le motif du profit comme moteur de développement dans le secteur du logement, pourquoi ne pas regrouper, au sein de coopératives, les initiatives pour la production de logements destinés aux nombreux paliers au sein de la classe moyenne? Avec comme premier catalyseur certains mouvements collectifs, tels les syndicats ou des regroupements d’intérêts et en appui, les groupes de ressources techniques (GRT) et de meilleures garanties financières et réglementaires gouvernementales, cela devrait depuis longtemps être habituel et normal, non?

En fait, ce n’est pas pour rien que le mot utopias est contenu dans le titre de ce tout nouvel ouvrage de Monsieur Robert M. Fogelson, historien et professeur émérite en étude urbaine au MIT. Ainsi, même si ce récit des triomphes et des malheurs des pionniers du mouvement coopératif en habitation à NYC se déroule à une époque et dans un contexte maintenant relégué à la mémoire de très rares personnes encore en vie, le lecteur avisé y trouvera plusieurs réponses à savoir pourquoi nous ne vivons toujours pas dans cette utopie d’abondance en habitation coopérative pour les classes moyennes et «laborieuses». Il a pourtant existé un moment, un bref moment durant les décennies 1950-60-70, où l’alternative coopératif semblait viable. Cet ouvrage est plutôt le récit des forces, internes et externes, qui ont fini par faire dérailler cette ambition.

Sur les traces de Working-Class Utopias

Working-Class Utopias retrace l’histoire et va plus loin dans les archives et les témoignages des personnages clés du mouvement coopératif en habitation de l’avant Deuxième Guerre, mais surtout, durant les décennies de l’après-guerre et jusqu’à l’implosion du mouvement, à la fin des années 1970. Après avoir brièvement relaté les origines des grandes réussites d’avant 1945, comme les Amalgamated Houses et Dwellings, l’auteur nous guide à l’intérieur des espoirs sincères et des ambitions démesurées de ceux (ce sont tous des hommes) qui ont réussi à construire ces ensembles coopératifs. Au centre de la mobilisation, une coalition unique, la United Housing Foundation (UHF), avec a sa tête Abraham E. Kazan, celui-là même qui avait mener à bien les Amalgamated et qui était impatient de poursuivre sur cette lancée. L’alignement entre l’UHF et les politiques fédérales (Title I, Housing Act of 1949), de l’état (Mitchell-Lama) et de la ville (allégements de taxes) seront le moteur de la production d’autant de logements coopératifs dans NYC après 1950. Les exemples de cette période sont tous héroïques (Rochdale Village, Penn South, etc.). Mais très vite, autant sur le plan architectural (monotonie), de l’implantation urbaine (mégas ilots) et sociale (ségrégation), les réalités de ces nouvelles formes massives finiront par briser le consensus social et politique ainsi que les coalitions d’intérêts locaux qui permettaient leurs réalisations.

En fait, pour réussir à implanter ces ensembles, l’UHF devait s’associer à l’une des figures emblématiques des politiques de dégagement urbain, Robert Moses; l’éclipse de son pouvoir, au milieu des années 1960, signale aussi celui d’une partie des projets qui en dépendent, comme ceux de l’UHF. Mais comme ce livre en fait le cœur de sa démonstration, ce qui brisera définitivement l’élan coopératif, du moins dans sa capacité à fournir du logement à l’échelle d’une «ville dans la ville», est Co-op City, dans le Bronx. Ce qui devait être le projet phare de l’UHF est finalement ce qui viendra ruiner, matériellement et moralement, l’entreprise coopérative. Pour l’essentiel, le livre nous donne à vivre les hauts et les bas de cette histoire, politique et économique, humaine et tragique, comme si l’on y était.


* Paraphrase de la fameuse formule “Le Brésil est un pays d’avenir, et qui le restera longtemps”, attribué à l’homme politique français du début du 20e siècle, George Clemenceau.

Tags Working-Class Utopias, Robert M. Fogelson, NYC, Coopératives, Coop Housing, United Housing Foundation (UHF), Abraham Kazan, Série Housing in NYC

From Tenements to Billionaires' Row*

November 21, 2022 John Voisine
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A History of Housing in New York City. Richard Plunz (Foreword by Kenneth T. Jackson), Columbia University Press, 2016 (Revised Edition), 460 p.

Cette chronique fait partie de notre série Housing in NYC [1/5]

Si rien d’autre, l’histoire de l’habitation à New York en est une tout en contraste. Comment pourrait-il en être autrement, dans une ville qui, depuis le 19e siècle, contient de façon si unique tous les pôles de l’humanité, du commerce, de l’industrie et de la vie intellectuelle et culturelle en Amérique du Nord? Centre de la production manufacturière, nœud de transport d’entreposage, capitale des affaires et de la finance, pôle du commerce, du design et de la mode, New York a malgré tout su, depuis l’instauration de son grid, contenir dans sa trame une juste part pour l’habitation. En commençant par les manoirs sur Fifth Avenue, les révolutionnaires appartements-hôtels ou «d’artistes», qui attiraient autant ces derniers qu’une frange de la classe moyenne qui aimait s’entourer de ces attributs. Souvent presque côte à côte, sur des terres encore non développées, une partie de la population vivait hors du système dans des shantytowns. Et toujours de façon contemporaine, les classes laborieuses vivaient et souvent travaillaient (le textile) dans des logements rudimentaires, les tenements du Lower East Side et des nouveaux outer-boroughs.

Mais il n’y a pas seulement la diversité des typologies qui caractérise New York, il y a les différentes écoles esthétiques et d’aménagement, de l’utilitaire à l’éclectique, en passant par le beaux-arts, l’art déco et après les années 1930, les incarnations plus ou moins satisfaisantes du modernisme appliqué au logement, sous forme de production privée ou aux conséquences encore plus tragiques, dans sa production publique (NYCHA). C’est aussi la ville qui a fait progresser autant les codes de construction que d’urbanisme, pas toujours pour le mieux.

La densité de New York, sur le plan démographique (forte immigration européenne de l’est et du sud, jusqu’à la fermeture des années 1920) et de la concentration géographique de certaines communautés, sont des facteurs positifs dans la mise en place de coopératives de solidarité durant les premières décennies du 20e siècle. De ces organismes militants naitront une série de grands ensembles d’habitations communautaires pour la classe moyenne, presque insurpassée à ce jour en matière de design, d’organisation et d’aménagement des espaces communs (intérieurs et extérieurs).

Sur les traces de A History of Housing in NYC

Ce livre contient la genèse de plusieurs adresses, connues et moins connues, emblématiques d’un type ou qui marque une évolution dans un genre ou une façon de se loger, et puisqu’il s’agit de New York, allant du plus pauvre au plus riche. Mais une des transformations qui m’occupe encore après cette lecture, probablement parce qu’elle marque un progrès toujours d’actualité, est la manière par laquelle certains groupes, principalement de la communauté juive du Lower East Side, sont passés des conditions difficiles des tenements à de nouveaux logements de type garden apartments, principalement dans les outer-boroughs (suivant l’ouverture de nouveaux corridors du métro). Organisée en associations de solidarité, comme la United Workers Cooperative, cette communauté en était arrivée, dans le courant de la deuxième décennie du 20e siècle, à avoir assez d’unité idéologique, d’influence politique et de cohésion financière pour piloter quelques vastes projets d’habitations collectifs d’un genre unique de ce côté de l’Atlantique. De par son organisation spatiale au pourtour de l’îlot urbain, avec des bâtiments d’habitations, de services communautaires et en son centre, un espace paysager aménagé, on cherchait à offrir des conditions d’habitation moderne tout en préservant le meilleur de l’esprit solidaire et communautaire qui caractérisait l’environnement urbain d’origine.

La grande dépression de la décennie 1930 et les tumultes de la Deuxième Guerre viendront assener un coup dur à l’organisation et au maintien des idéaux derrière ces groupes d’habitations. Les temps semblent pourtant mûrs pour une recapture actualisée et pérenne de ces implantations collectives**.

Cet ouvrage de Monsieur Richard Plunz est né de notes de cours pour un séminaire, durant les années 1980, à l’université Columbia. Publiée une première fois en 1992, cette dernière édition tient compte des développements qui rendent la proposition en logement toujours plus inaccessible. Il serait difficile de trouver un volume plus complet, autant dans sa chronologie que dans l’analyse historique, esthétique et fonctionnelle consacrée à chaque forme d’habitation. C’est une entrée en matière essentielle pour qui veut faire le tour des typologies new-yorkaises d’habitations et comprendre les contraintes, tendances urbaines et sociologiques (démographie, politique, mode de production et tenure), financières et réglementaires ayant une influence sur cette production.


* Billionnaires’ Row

** À ce sujet, voir le documentaire At Home in Utopia. Une belle façon de passer une heure.

Tags A History of Housing in NYC, Richard Plunz, Housing, NYC, Urban history, Tenements, Série Housing in NYC, United Housing Foundation (UHF)

White Flight Nation

November 3, 2022 John Voisine
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White Flight—Atlanta and the Making of Modern Conservatism. Kevin M. Kruse, Princeton University Press, 2007, 325 pages.

À une époque où la haine, la ségrégation raciale et Jim Crow étaient pourtant la pierre d’assise du système politique, social et économique des anciens États américains confédérés, et particulièrement d’un état comme la Géorgie, William B. Hartsfield, maire de la ville d’Atlanta, capitale de l’État et une des plus grandes villes de la région, aimait à proclamer sur toutes les tribunes que sa ville était «The City Too Busy to Hate». Maire durant un règne sans partage de 1942 à 1962, il était la figure emblématique d’une coalition de «modérés» qui avaient pour mandat de «booster» les affaires de sa vaste municipalité et de ne jamais laisser la pression croissante pour le respect des droits civiques et la question explosives de l’intégration (des écoles, établissements d’affaires, des services publics) venir poser un obstacle à cette harmonie de surface et ainsi ternir cette image de marque. Les édiles politiques et l’élite du monde des affaires étaient déterminés à laisser à d’autres villes et États voisins le pire de cette période.

La coalition maintenue par le maire Hartsfield, composée des grandes entreprises ayant fait la réputation de la ville, comme Coca-Cola, et des grandes figures d’une communauté Noire en pleine transformation, trouvait son équilibre dans la volonté de maintenir cette réputation d’Atlanta comme la ville où Blancs et Noirs pouvaient s’entendre pour faire fonctionner l’économie et assurer l’harmonie sociale. En fait, tout au long des années 1950, cette «coalition des modérés» sera mainte fois testée, au point d’en arriver à sa rupture, juste après la retraite du maire Hartsfield en 1962.

L’histoire que nous raconte Monsieur Kevin M. Kruse est celle de la fracture progressive de cette coalition et de l’émergence d’un bloc de plus en plus déterminé et vocal de Blancs qui rejette la réalité matérielle de l’intégration. Et pour réussir ce rejet sans en subir le blâme ou en payer le prix, il leur sera nécessaire de faire évoluer l’argumentaire pour justifier la perpétuation de cette ségrégation, non plus de jure, mais alors plus insidieusement de facto. Pour que rien ne change, au fond, tout devra changer en surface.

Sur les traces de White Flight

Les années soixante sont la décennie où le bouillonnement contenu par la «coalition des modérées» passe à l’étape des gros bouillons. Les changements dans la composition «raciale» de plusieurs quartiers d’Atlanta entrainent de nouvelles exigences en termes de gestion municipale (police, parcs, golfs et piscines publics) et paramunicipale (autobus, écoles). Pour une majorité de la population blanche, l’Atlanta «Too Busy to Hate» a fini par devenir l’Atlanta «Too Busy Moving to Hate», en fuite contre la réalité nouvelle. Dans un vocabulaire qui trouve des échos parmi les NIMBY d’aujourd’hui, la population blanche tentera de «défendre» certains de «leurs» quartiers des «intrusions» afro-américaines. Après l’échec des appels à la «solidarité» (par les Columbians ou le Klan) contre les ventes immobilières et des recours à la «persuasion» (intimidation/violence et destruction de la propriété), une majorité de la population blanche, pour maintenir son pouvoir de mainmise et d’exclusion, adoptera une stratégie de «retrait» vers les banlieues, plus «défendable» politiquement, socialement, économiquement et territorialement.

Tout ceci se déroule avec, en toile de fond, la mise en place de mesures pour réaliser la déségrégation des écoles (10 ans après la décision dans Brown) et après le passage de la loi fédérale sur les droits civils, de la déségrégation des services publics et des établissements d’affaires. Atlanta a été un des fers de lance de ce mouvement et la ville qui a permis de tester positivement ces nouvelles dispositions devant les tribunaux. Même si les ségrégationnistes flamboyants à la Lester Maddox finiront par perdre ces batailles, elles auront définitivement mis un terme à la coalition des modérées et les mécanismes institutionnels garants de cette ségrégation ont souvent muté et se dissimulent dans un registre de «liberté» et de «droits» et même de privatisation.

Comme le démontre Monsieur Kruse, ce que la résistance ségrégationniste a perdu en batailles dans l’espace public, elle a gagné en stratégie furtive de «défense» qui embrouille les véritables enjeux. Le «freedom of association», le «right to choose», la réglementation de «protection» sont maintenant autant de notions utilisées comme arme pour s’approprier des «droits» discriminatoires à même l’espace public.

White Flight devient une lecture essentielle pour le voir.

Détournement local

October 31, 2022 John Voisine
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Segregation by Design—Local Politics and Inequality in American Cities. Jessica Trounstine, Cambridge University Press, 2018, 262 pages. Ebook lu sur l’application Kindle.

Les motifs profonds d’un phénomène sont aussi importants, sinon plus que ceux déclarés ou affirmés ouvertement. Surtout si ce dernier provoque des conséquences négatives reconnues, ou que les bénéficiaires d’une politique donnée ne se concentrent qu’à l’intérieur d’une tranche plutôt restreinte et déjà grandement avantagée de la population. Il faut alors se demander si les coûts du maintien de ces politiques sont congrus avec ses externalités sociales néfastes. Mais il devient d’autant plus difficile de faire la part des choses si le groupe sur lequel retombe la majorité des bénéfices a réussi à s’isoler et se protéger de ces externalités par la création d’un univers spatial, un territoire défendable où la perpétuation de ces avantages est considérée comme légitime, un droit naturel, démocratique et citoyen.

Le premier obstacle franchit de façon astucieuse et originale par Segregation by Design est justement de faire la démonstration que cette ségrégation by design existe, que sans une vigilance constante et active elle fini inextricable par s’ancrer dans tout phénomène contrôlé (réglementé) et qu’elle est le vrai moteur derrière la mise en place de ces politiques de maitrise ou d’exclusion du territoire et des biens publics. L’expression n’est jamais utilisée par l’auteure, mais la tâche à laquelle Madame Jessica Trounstine s’attelle dans son ouvrage est un peu l’équivalant, dans cette province, de faire la preuve du racisme systémique qui mine la mission de nos institutions publiques et de plusieurs de nos orientations législatives et réglementaires. Madame Trounstine ne cherche pas ici à démontrer qu’une municipalité spécifique, une agglomération métropolitaine, une politique ou qu’une manière de taxer (ou de ne pas taxer) découle de motifs explicitement ségrégationnistes. Elle fait toutefois le constat de la primauté qu’exerce la protection des valeurs immobilières (résidentiel privé) et à partir de ce constat, démontre que l’échafaudage réglementaire et les restrictions d’accès aux biens publics sont un des premiers remparts et gardiens de cette ségrégation institutionnelle au niveau local, municipal et métropolitain, avec tout ce que cela entraine comme discrimination systémique.

Nous nous trouvons dans une dynamique différente au Canada et au Québec, mais il est bon de lire comment cette frontière est parfois ténue.

Sur les traces de Segregation by Design

D’autant plus que, comme nous le verrons avec le prochain livre et comme l’auteure le montre dans cet ouvrage, le voile de légitimité de la démocratie locale qui recouvre ces concessions institutionnalisées que sont les municipalités est un phénomène assez exceptionnel dans notre culture politique. Voilà pourquoi les externalités négatives engendrées par la réglementation d’exclusion instituées par les municipalités passent sous le radar de tout contrepoids politique. Dans les circonstances, il est même assez difficile de faire le montage d’un portfolio réglementaire inclusif.

Comme démontré par Madame Trounstine dans l’ouvrage, à travers le dernier siècle et quart, la manifestation territoriale de la ségrégation a connu plusieurs échelles avant d’aboutir et de se solidifier, depuis le phénomène universel de la suburbanisation, à l’échelle municipale et métropolitaine. En s’appuyant sur une vaste littérature documentant les conséquences de la ségrégation dans l’espace (exclusion et crise du logement), sur le plan sociologique (dynamique raciale), économique (opportunités), politique (polarisation) et au niveau de l’accès à des biens publics de qualité, l’auteure rappelle que l’enjeu n’en est pas juste un de motivations déplacées, mais que l’extirpation des mécanismes perpétuant ces mécaniques d’exclusions est à la racine de tout avancement citoyen.

Ainsi pour démontrer que le système de gouvernance locale américain relève d’une ségrégation by design, l’auteure met à contribution les outils de l’analyse par régression statistique. Lorsque calibrés efficacement, ceux-ci permettent de faire ressortir des tendances et de les attribuer à un élément particulier; dans le cas à étude, à une volonté ségrégationniste à l’échelle municipale et se répercutant à l’échelle métropolitaine. C’est cette approche qualitative, combinée à une preuve quantitative, tournée vers la construction de questions aux solutions statistique, élaborée à partir de nombreuses variables (recensements, enquêtes, sondages, base de données) colligées pour de multiples villes et territoires à travers plusieurs décennies, qui donnent aux résultats présentés par Madame Trounstine une pertinence et une originalité qui trouve peu d’équivalant dans la littérature. C’était probablement le seul moyen de démontrer la nature «systémique» de cette ségrégation. Et pour ceux qui ont la chance de se faire entendre, cela donne une chance de reconstruire sur de nouvelles bases.

Tags Segregation by Design, Jessica Trounstine, American Cities, Local Politics, Segregation

Le savoir en son lieu

October 30, 2022 John Voisine
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Lieux de savoir—Les campus universitaires et collégiaux. Maurice Lagueux, Les presses de l’université de Montréal, 2021, 392 pages. Le format téléchargeable (PDF et epub) est en accès libre. [Lu en format PDF sur l’application Book d’Apple]

Il y a presque dix ans maintenant, j’avais eu la chance de travailler pour un campus universitaire au Québec. Cela demeure une de mes meilleures expériences de travail, pour le plaisir particulier de maitriser un environnement à la fois si vaste, mais restreint; un type de «ville dans la ville», avec toute sa complexité interne (pouvoir, politique, etc.) et limitation externe (l’interface avec le milieu urbain). Mais surtout pour le plaisir d’œuvrer en faveur d’une mission qui enrichit l’immédiat tout en favorisant l’émergence d’un avenir meilleur, en raison de l’enseignement et de l’expérimentation qui s’y déroule.

Se trouve aussi le plaisir de travailler pour la préservation et l’amélioration d’un cadre bâti véhiculant une mission qui va au-delà de sa fonctionnalité primaire. Bien sûr, cet environnement bâti y est plus contrôlé et dirigé par cette mission, certains dirons même limité par elle, par rapport à un milieu urbain équivalant. Mais justement, en raison des attributs de sa fonction, dédiés de façon singulière à l’enseignement supérieur, à la recherche scientifique, à l’exploration des limites et des frontières artistiques, esthétiques et plastiques, parfois même culturelles et morales, bref à repousser toujours plus loin l’ensemble de nos connaissances, les campus universitaires peuvent se révéler des pôles dynamiques et novateurs au cœur de leurs villes d’implantation.

Les campus universitaires ont pour la plupart traversé par plusieurs vagues d’ajustements et d’accommodations, autant sur le plan de l’organisation spatiale que fonctionnelles, le but étant toujours de mieux servir la compréhension contemporaine de leur mission première. C’est l’interprétation matérielle et physique des conditions optimales pour la prestation de cette mission universitaire, à différent moment de l’histoire, principalement dans le monde occidental, qui est à la base du contenu fascinant de ce livre de Monsieur Maurice Lagueux. L’auteur nous propose une tournée à travers l’histoire de ces lieux de savoir, autant sur le plan conceptuel, paysager, architectural et esthétique. Une diversité impressionnante existe dans la façon d’organiser et de conceptualiser, selon les contraintes du moment et des lieux d’implantation, la mission que se sont donnée les universités, et ce livre permet d’en faire le tour et la synthèse.

Sur les traces de Lieux de savoir

L’auteur va même jusqu’à explorer les divers sens des mots campus, université et le très ambigu collège, avec toutes ses nuances, surtout dans la sphère anglophone. Une ville peut-elle constituer un campus? On pense immédiatement à Oxford et Cambridge (Oxbridge), mais comme le démontre bien l’auteur, ce sont là des exceptions qui se rattachent à leur développement unique et si particulier, qui ne risquent pas de se reproduire. La plupart des universités se sont plutôt développées en tant que campus, parfois explicitement comme des lieux externes, en contraste à, ou même opposé à l’univers urbain. Mais la croissance étant ce qu’elle est, rares sont ces campus ayant gardé cette distance et encore plus rares sont ceux qui le veulent maintenant.

L’auteur prend aussi la peine de faire une typologie des campus et la genèse de leurs raisons d’être, que ce soit du classique organisé autour d’un green, d’un grand axe, en croix, en plan circulaire, en arborescence, en citadelle et j’en échappe. Les plus vigilants ont su garder une forme de lisibilité de leurs campus, de cette forme qui se voulait garante d’une certaine philosophie d’enseignement, de sa relation avec et entre les lieux et l’apprentissage, parfois même entre le personnel enseignant, de soutien et les étudiants. Mais il en va souvent du développement des campus comme il en va de celui des villes; il est bien difficile, et même pas toujours souhaitable, d’en contrôler toutes les composantes selon une idée d’origine.

Le cadre bâti autour du «noyau d’origine» d’un campus en dit souvent beaucoup sur les priorités et la symbolique qui se rattache à une institution. Cela peut parfois même transparaitre, comme le démontre un des chapitres, dans l’art public, interne et externe aux bâtiments sur un campus. Dans les dernières décennies, on assiste même à l’évolution de plusieurs bâtiments afin de les rendre plus flexibles, presque des hybrides en transformation constante, créant plusieurs occasions de collaborations et d’innovation pour les utilisateurs/occupants* et parfois les architectes.

En résumé, nul besoin d’avoir travaillé ou même étudier sur un de ces campus pour apprécier le contenu assez unique et exhaustif offert par cet ouvrage de Monsieur Lagueux.

*Le lecteur intéressé par ce phénomène particulier lira avec plaisir l’ouvrage de Monsieur Steward Brand, How Buildings Learn.

Tags Lieux de savoir, Maurice Lagueux, Campus universitaires, Architecture, Enseignement supérieur

Jamais trop ensemble

October 7, 2022 John Voisine
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Maximum Canada—Toward a Country of 100 Million. Doug Saunders, Vintage Canada, 2019 (2017), 243 pages [livre électronique lu sur l’application Kindle]

One Billion Americans—The Case for Thinking Big. Matthew Yglesias, Penguin Random House, 2020, 267 pages [livre électronique lu sur l’application Kindle]

Le choc de la lecture de Maximum Canada n’est pas quelque chose qui peut facilement être dissipé. On croyait vivre dans le plus beau meilleur pays au monde et l’on se rend compte que tout ce temps, on aurait pu vivre dans un pays encore plus beau et meilleur, avec des opportunités multipliées, une économie explosive, de la recherche et de l’innovation à revendre et une culture rayonnante. Mais miner par une mentalité sous l’emprise du colonialisme (qui prendra une forme distinctive au Canada anglais et au Québec) et d’un manque de vision pour attirer et garder nos nouveaux arrivants et nos propres citoyens, nous ne sommes qu’un pâle reflet de ce que nous aurions pu devenir, si seulement le Canada avait poursuivi une vision maximaliste.

Durant le gouvernement de Wilfried Laurier (PM de 1896 à 1911), ce dernier estimait que pour prendre sa lancée dans le siècle nouveau, le Canada se devait d’avoir environ 40M d’habitants pour… 1920. Le gouvernement conservateur de Robert Borden (PM de 1911 à 1920), arrivé au pouvoir suite à une compagne qui jouait sans gêne la carte du « White Canada » —Flood Canada with White Men étant pour l’essentiel le message de Rudyard Kipling suite au Oriental Riots—mettra un terme définitif aux politiques de recrutement (autres que britanniques) lancé sous Laurier et à toute discussion de réciprocité avec les États-Unis. L’économie asphyxiée et le manque d’opportunité sont la cause première de l’exode, entre 1840 et 1920, de plus de 900 000 Canadiens français vers les États-Unis, 70 % avant 1900 (la population du Québec à cette date était d’à peine 1,6 M). Si le Québec n’avait jamais perdu cette population, il y aurait maintenant 4-5 M d’habitants de plus. Durant presque la même période (1851-1901), le Canada ne fait pas beaucoup mieux, puisque même si l’on attirait environ 735 000 personnes des îles Britanniques, plus de 1,2 M ont quitté pour les États-Unis.

Dernière statistique : Entre 1851 et 1941, le Canada a accueilli 6,7 M immigrants, mais en a perdu presque 6,3 M à l’émigration, essentiellement vers les États-Unis. La population du Canada à cette date était de 12 M ; celle des ÉU de 133 M.

Sur les traces de Maximum Canada et One Billion Americans

On parle souvent du Canada comme un pays d’immigration, mais dans les faits, pour la plus claire partie de notre histoire (de la colonie jusqu’après la confédération), notre pays se trouve en déficit migratoire quasi perpétuel. Pour atteindre les niveaux qui avaient cours durant la quinzaine d’années du gouvernement Laurier, des niveaux qui auront essentiellement permis au Canada d’avoir un semblant de pays peuplé, il faudrait accueillir plus de 1,75 M immigrants par années (le niveau est d’environ 300 000 maintenant). Dans la province, le seuil discuté est entre 50 et 75 milles… par an. La vision de Laurier était pour un pays de 40M en 1920 ; un siècle plus tard, il n’est pas atteint (38 M).

Alors, pourquoi un Canada de 100 M est-il nécessaire ? Simplement dit, c’est ce qu’il faut pour une société civile épanouie dans un état moderne, pour permettre à nos citoyens de vivre pleinement, sans devoir s’exiler dès qu’un projet demande un vrai capital ou du financement, un marché, une masse critique pour créer une dynamique viable, un bassin intellectuel pour excellé sur un plan artistique ou littéraire, dans un domaine de pointe, de la recherche scientifique, technique ou académique.

Lire Maximum Canada de Doug Saunders, c’est (re) découvrir qu’on a besoin des autres encore plus qu’on pouvait l’imaginer, et ça, c’est une excellente chose. Je ne peux pas passer sous silence deux ouvrages mentionnés qui me semblent essentiels : Clearing the Plains—Disease, Politics of Starvation, and the Loss of Indigenous Life et sur un tout autre thème, Making a Global City—How One Toronto School Embraced Diversity. Ils semblent pouvoir fournir plusieurs morceaux au puzzle de l’histoire canadienne.

Si le livre de Matt Yglesias embrasse essentiellement les mêmes thèmes, il ne faudrait pas s’en surprendre, puisque l’auteur rend hommage à Saunders. Mais dans son cas, nul besoin vraiment de refaire l’histoire de son pays, puisque les États-Unis ont toujours été un pays d’immigration. Alors la question devient, en ce nouveau siècle, est-il nécessaire de continuer dans ce sens, et même d’atteindre la marque du milliard ? On ne sera pas surpris d’apprendre que la réponse est affirmative et que le plaisir pour le lecteur est dans la manière plutôt sophistiqué d’y répondre. À lire ensemble pour maximiser le plaisir !

Tags Maximum Canada, One Billion Americans, Doug Saunders, Matthew Yglesias, Population

Urb en vacances | Août 2022

August 23, 2022 John Voisine
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La ville qu’on a bâtie. Trente ans au service de l’urbanisme et de l’habitation à Montréal, 1956-1986 (Préface de Bernard Lamarre). Guy R. Legault, Liber, 2002, 264 pages.

Fighting from Home. The Second World War in Verdun, Quebec. Serge Marc Durflinger, UBC Press, 2006, 279 pages.

City Unique. Montreal Days and Nights in the 1940s and ‘50s. William Weintraub, Robin Brass Studio, 2004, 332 pages.

American Urbanist. How William H. Whyte’s Unconventional Wisdom Reshaped Public Life. Richard K. Rein, Island Press, 2022, 335 pages et The Organization Man (Foreword by Joseph Nocera). William H. Whyte, University of Pennsylvania Press, (1956) 2002, 427 pages.

Sixteen Ways to Defend A Walled City. K. J. Parker, Orbit, 2019, 377 pages [e-book lu sur l’application Kindle]

Nous en somme presque à la fin de ce mois de vacances, et que nous reste-t-il sur nos tables de lecture? Dans mon cas, encore trop de choses entamées et qui, à chaque fois que je viens pour faire un choix, se réclament tous plus ardemment les uns que les autres pour une poursuite de la lecture. Au moins pour le moment, pas de dud mouillé. Il y a même 2-3 standouts, où le sacrifice est dans l’arrêt de la lecture. Mais trêve d’introduction, voici les livres qui auront égayé mes vacances cet été.

Après notre série sur l’habitation, j’étais curieux de lire ce compte rendu d’un des pionniers de l’habitation publique montréalaise. Monsieur Guy R. Legault fut de la génération qui a eu la chance de se trouver au bon endroit au bon moment (période de la Révolution tranquille et les années 1970) et qui a su, avec force, implanter les nouveaux mandats qui leur étaient confiés; dans son cas, monter un Service de l’habitation, devenu une référence dans le domaine. Sa description du rôle fondamental joué par les programmes de rénovation des logements et des bâtiments (triplex et leurs dépendances [hangar], si vétustes) est, me semble-t-il, trop souvent passée sous silence; nous n’aurions probablement plus un patrimoine de quartiers anciens et centraux mixtes (duplex, triplex, multiplex) si dynamique sans eux. Ce sont là des enseignements toujours pertinents.

Maintenant pour deux livres qui se recoupent par la période, mais qui ne pourraient être plus différents sur le plan de l’angle de couverture. Le premier, une histoire singulière de la mobilisation militaire et civile des autorités municipales et des habitants de la Ville de Verdun durant le deuxième conflit mondial. Verdun était déjà reconnu comme la ville ayant, proportionnellement à sa population, le plus contribué, sur le plan humain, à la mobilisation durant la Grande Guerre, et cette tradition se poursuivra vingt ans plus tard lors de la Deuxième Guerre. Pourquoi? Essentiellement parce que le Verdun de cette époque était majoritairement composé d’habitant issu de l’immigration britannique. Le nouveau maire élu à l’orée de la guerre, Edward Wilson (qui remplace un francophone à la sauce Camillien Houde, Hervé Ferland), jouera un rôle si unique, en créant entre autres le Mayor’s Cigarette Fund for Verdun Soldiers Overseas, qu’il sera reconduit d’élection en élection jusqu’en 1960. En tant que Montréalais ayant des racines familiales à Verdun et qui y vit depuis presque 10 ans, cet ouvrage est un incontournable. Pour une histoire personnelle et intime du Montréal mythique des années 1940-50, difficile de faire mieux qu’avec le page-turner écrit par William Weintraub. Ce Montréal est définitivement révolu, et lorsque lu en parallèle avec l’ouvrage précédent, il n’y a pas d’autre façon de le voir, les temps changent, et certainement, dans ce cas, pour le mieux! La vie urbaine en général était plus brutale, les (rares) plaisirs plus rustiques (même les plus sophistiqués!); la cohabitation entre les différents groupes (ethnique et linguistique) se voilait d’une animosité nourrie d’ignorance. Cela dit, tout ça est décrit d’une plume vive et avec la force d’un traveling cinématographique. À parcourir avec plaisir si on en trouve un exemplaire, au hasard d’une librairie d’occasion.

L’œuvre diversifiée et en quelque sorte pionnière de William H. Whyte est toujours une source de fascination et de plaisir. Alors, je ne pouvais faire autrement que de sauter sur cette toute nouvelle biographie : American Urbanist. Pour un homme qui n’a jamais eu la moindre formation en ce sens, mais qui est pourtant devenu, au fil de son travail, une des meilleures références dans le domaine, cette biographie permet de positionner l’homme par rapport à sa contribution et de mieux apprécier la force et l’originalité qui l’ont toujours caractérisé, autant dans ses méthodes que dans la présentation de ses résultats. Aussi, je viens enfin de commencer son classique, The Organization Man. Dès le deuxième chapitre, il démontre comment, déjà depuis la fin du 19e siècle, la montée des corporations et autre gros conglomérat (a but lucratif, à gouvernance et identité propre) sonnent le glas de l’éthique protestante. Pas mal pour un futur urbaniste!

Finalement, un moment de fiction & fantaisie avec Sixteen Ways to Defend a Walled City. Quel redblooded urbaniste voudra résister à un titre pareil? Certainement pas moi, et c’est bien ainsi puisqu’à peine rendu à la moitié et j’aimerais me rendre d’un trait à la fin, tellement l’histoire agrippe. Le vibe de la capitale fortifiée et assiégée, de la stratification sociale au système impérial, a quelque chose de byzantin (Constantinople juste avant la chute), mais l’histoire et les personnages sont d’un autre monde, même si toute la physique matérielle est terrestre. Dans le même genre, plus fantaisiste, mais mieux construit sur le plan social, je recommande fortement The Goblin Emperor. Pourquoi pas les deux à la plage!

Peu importe le choix, belles vacances et bonne lecture (urbaine!).

Tags Vacances août 2022, Guy R. Legault, Fighting from Home, City Unique, American Urbanist, The Organization Man, Sixteen Ways to Defend a Walled City

Third time's a Charm

August 2, 2022 John Voisine
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Projet de politique métropolitaine d’habitation—Agir pour un Grand Montréal inclusif, attractif et résilient. Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), 2022, 60 pages.

Portrait de l’habitation dans le Grand Montréal. Cahiers Métropolitains, CMM, No 10, Mai 2022, 126 pages.

C’est en lisant ce dernier projet de politique métropolitaine d’habitation, produite par notre instance de gouvernance métropolitaine, la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), que j’ai découvert qu’il y avait déjà eu le Plan d’action métropolitain sur le logement social et abordable (PAMLSA) pour la période 2015-2020, produit sous l’égide de ce qui était alors appelé la Commission du logement social (CLS), maintenant la Commission de l’habitation et de la cohésion sociale (CHCS) (sic!). La CLS avait lancé les choses en grand, six ans plus tôt, avec un premier PAMLSA pour la période 2009-2013. Durant cette période, la CLS a même produit en 2012 un Répertoire des bonnes pratiques d’environ une centaine de pages sur «le rôle des municipalités dans le développement du logement social et abordable»*. Le document est même relativement agressif et complet sur ce qui est possible selon notre cadre législatif et les programmes en vigueur à l’époque, sans toutefois couvrir franchement la possibilité pour les municipalités de, comment dire, se taxer, produire et gérer en régie interne la diversité des logements nécessaires au maintien et à l’expansion de son dynamisme et pouvoir d’attraction en tant que municipalité.

Plus près de nous maintenant, la CMM semblait avoir changé de tactique, cette fois en proposant en septembre 2020 un Guide d’élaboration d’un règlement municipal visant à améliorer l’offre de logement social, abordable ou familial auquel on adjoint même un modèle de règlement municipal, pour faire bonne mesure. C’est certainement le dernier cri en incitation à la création de logements social et abordable pour les municipalités cherchant une couverture politique et un retrait matériel sur le plan de leurs responsabilités dans le domaine. Mais pour être certaine que l’on ne se trompe pas sur ses visées, la CMM lançait, en décembre 2021, sa Déclaration métropolitaine pour l’abordabilité du logement, intitulé Un toit pour tous au sein de milieux de vie complets dans la CMM, essentiellement un appel des élu(e)s de la CMM, dans le cadre de la production du Plan d’action gouvernemental pour l’habitation et la Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire (PNAAT) réitérant les demandes, restées sans réponse et stagnantes, des deux derniers PAMLSA.

Sur les traces du Projet

Le PAMLSA 2009-2013 a été suivi d’un bilan, ainsi que celui de 2015-2020, même si ce dernier est, incroyablement, inaccessible. Mais dans un État des besoins et du financement en logement social et abordable produit par la CMM en 2019, c’est comme si l’organe de gouvernance métropolitain admettait son impuissance. Cela ne surprend pas vraiment si l’on reconnaît que chaque PAMLSA a été concocté sous une nouvelle vague d’élu(e)s, qu’aucun de ces élu(e)s ne doit rien à la précédente équipe et constitue même une rupture idéologique et pratique assez marquée (de Monsieur Gérald Tremblay à Monsieur Denis Coderre, de Monsieur Coderre à Madame Valérie Plante), et il en va de même pour les élu(e)s sur l’ensemble du territoire de la CMM. De plus, il va sans dire qu’aucun de ces élu(e)s ne doit son poste à sa participation vigoureuse aux commissions de la CMM. Évidemment, on ne réglera pas ici le flou, probablement volontaire et entretenu, entourant la gouvernance métropolitaine, mais il explique pour beaucoup l’écart entre la qualité des documents produits et l’aura poussiéreuse qui s’attache à chacun d’eux.

C’est dans ce contexte que la CHCS propose maintenant une nouvelle approche, soit un projet de politique d’habitation, au lieu d’un plan d’action. Je ne suis pas certain du sens de ce changement; on peut simplement remarquer qu’une politique précède normalement un plan d’action, ce qui pourrait laisser entendre que la CMM va déléguer aux municipalités de son territoire le soin de préparer leurs plans d’action respectifs?

Plus spécifiquement sur le contenu, on nous sert la gamme des solutions consensuelles bien connues, délayées dans un bouillon liquide et sans saveur. Je suis sceptique par rapport à l’accent mis sur le développement autour des TOD (40 % maintenant et 60 % dans l’avenir), non parce que cela n’est pas une option avantageuse à long terme, mais parce que la réalité sur le terrain est que ces développements se révèlent plutôt être de type Car Dependent Transit, dixit Not Just Bikes. Rien pour se sortir de la dépendance automobile et augmenter l’offre de logements « pour tous au sein de milieux de vie complets dans la CMM ».

* J’ai découvert ensuite qu’il y en avait même un sur le soutien communautaire et l’aide à la personne en logement social et abordable.

Tags Communauté métropolitaine de Montréal, Politique urbaine, Politique métropolitaine, Habitation, Logements sociaux

Plus jamais

July 31, 2022 John Voisine
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Evicted—Poverty and Profit in the American City. Matthew Desmond, Broadway Books (Penguin Random House), 2016, 422 pages.

The Rent is Too Damn High—What to do About It, and Why It Matters More Than You Think. Matthew Yglesias, Simon & Schuster, 2012, 68 pages.

Evicted fait partie de cette grande famille d’ouvrages basés sur la capacité d’un auteur à se fondre et à observer, durant une certaine période et dans des circonstances données, la vie d’un groupe de gens spécifique ou hétéroclite. Dans un genre légèrement différent, mais sur les mêmes thèmes, on pourra penser à How the Other Half Lives, il y a plus d’un siècle, ou plus récemment, quelque chose comme le livre que nous avons revu la semaine dernière, Golden Gates. Pour la similarité de la démarche et des circonstances, l’auteur cite un ouvrage que je remarque de plus en plus cité dans ce que je lis, Tally’s Corner, et que j’ai bien hâte de lire moi-même. Toujours est-il, peu importe les comparaisons et les parallèles qui peuvent naturellement venir à l’esprit, Monsieur Matthew Desmond a simplement, avec Evicted, fait un travail qui demeurera longtemps unique et essentiel en lui-même.

En ayant réussi à se placer à la fois comme observateur et parfois, immanquablement, comme participant dans l’existence des gens qui sont dans le champ d’études de son travail, Monsieur Desmond se trouve à dépeindre leurs vies de la façon la plus nue et dépouillée qui soient. Ce sont là autant de vies qui, d’un côté, sont broyées par la machine des évictions et de l’autre, la vie des gens qui manipulent et mettent en marche cette machine. En incorporant, sur une période d’un peu plus d’un an, le quotidien et les relations de quelques familles de locataires et de leurs propriétaires du «North Side» de Milwaukee (principalement Noires), ainsi que de quelques ménages, du gestionnaire et du propriétaire d’un trailer park de l’autre côté de la ville (essentiellement Blancs), l’auteur fait le tour des réalités de tous ceux qui n’ont qu’un strict minimum (si même ça) pour se loger et des gens qui gagnent (très confortablement) leurs vies à fournir ces accommodations (logements, appartements, maisons, maisons mobiles).

Bien entendu, depuis les changements fondamentaux survenus avec la révolution industrielle, ce type de logement hautement profitable pour les propriétaires (de vrais slumlord) existe. Mais Evicted fait aussi la lumière sur un nouveau phénomène important.

Sur les traces d’Evicted + The Rent is Too Damn High

Et ce nouveau phénomène, son ampleur surtout, est bien entendu défini par le titre de l’ouvrage. En effet, comme le démontre l’auteur, parmi toutes les autres révélations et observation qu’il est possible de tirer d’un tel travail, non seulement l’utilisation de l’éviction comme arme de pression ou de «négociation» par les propriétaires est-elle chose courante, mais aussi l’éviction réelle, avec tout ce que cela entraîne comme chaos, est-il de plus en plus utilisée sans gêne comme outil de gestion, et ceci sur une échelle qui n’avait pas de précédent jusqu’à récemment. Les propriétaires ont clairement gagné sur leurs locataires et seul un assouplissement de l’offre sera en mesure de ramener un semblant d’équilibre.

Ce retour à une certaine forme d’équilibre est justement le propos de l’opuscule de Monsieur Matthew (Matt) Yglesias dans The Rent is Too Damn High. Son court texte de 2012 est justement basé sur le parti politique du même nom, qui connut ses heures de gloire dans l’état de New York. Matt était un blogueur bien connu avant de devenir un des fondateurs de Vox et maintenant évolue de manière indépendante avec son propre Substack, très prolifique. Avec le temps, Matt est un peu devenu un des porte-étendard du mouvement YIMBY, et ce petit volume contient d’une certaine manière un des meilleurs brefs résumés du problème (les prix insensés des loyers et du logement en général) et des solutions plausibles.

Essentiellement, il met le doigt sur la manière dont les outils légitimes de gestion des nuisances urbaines, de l’occupation (zonage, réglementation environnementale), de la qualité de l’aménagement et de la construction (implantation, lotissement, codes de construction) ont, avec le temps, été détournés (weaponize) pour servir d’instruments d’exclusion et de fermeture du marché à la faveur des seuls ménages déjà en place (incumbents) ou à très haut niveau de richesse familiale. Pourquoi ce blocage est-il aussi nuisible et contre-productif à ce moment-ci? Dans notre économie de services et du savoir, les opportunités se trouvent souvent à proximité des concentrations de richesse, des institutions d’enseignements supérieurs ou dans la mixité qui résulte d’un marché de l’habitation ouvert et flexible. Cet opuscule est un bon moyen d’ouvrir le débat*.

* Pour avoir une perspective plus proche de chez nous en la matière, je recommande aussi ces deux discussion sur la TVO. Une des entrevue est d’ailleurs avec Jenny Schuetz, dont nous avons revue le livre, The Fixer-Upper, il y a quelques semaines.

Tags Evicted, Matthew Desmond, The Rent is Too Damn High, Matthew Yglesias

Barré

July 26, 2022 John Voisine
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Golden Gates—The Housing Crisis and a Reckoning for the American Dream. Conor Dougherty, Penguin Books, 2021, 304 pages [e-book lu sur l’application Kindle]

La pénurie de logements est bien établie, non seulement dans les grandes métropoles américaines des côtes est et ouest, mais aussi dans les métropoles de l’intérieur, comme en fait foi cet article récent du NYT. Au pays, les données de la SCHL indiquent que nous vivons un resserrement dans l’offre, la variété et l’abordabilité des logements. Mais avant d’examiner notre réalité locale, pourquoi ne pas regarder du côté de la ville qui est devenue le symbole en la matière, San Francisco elle-même? Pourquoi cette ville, nirvana et phare du progressisme, se trouve-t-elle à incarner la crise?

En choisissant de suivre l’évolution de quelques acteurs clés de la scène locale, Monsieur Conor Dougherty fait bien plus que de nous offrir une perspective sur les tribulations d’un écosystème assez unique et sympathique de personnages rattachés à The City by the Bay. Avec un rare talent pour situer ses personnages à l’intérieur de la trame profonde des courants idéologiques et politiques qui contribuent à façonner leurs actions, l’auteur dresse un portrait empathique et respectueux de chacun de ses acteurs dans un moment important pour eux, mais qui capture aussi du même coup une facette significative de la crise du logement. Les personnages choisis par l’auteur s’avèrent des guides engagés, parfois même malgré eux, sur les chemins sinueux et toujours embourbés de ce système dysfonctionnel.

Je prends comme exemple la personne de Sonja Trauss, qui en faisant une remarque sympathique à un projet de logements urbain lors d’une séance de commentaires à l’équivalant de son conseil municipal, se trouve, de fil en aiguille, à créer de toute pièce et à prendre le leadership d’un des premiers mouvements YIMBY (le groupe SF BARF—le double entendre est voulu! — et de Up for Growth, entre autres véhicule de changement). On apprend aussi, à travers le personnage du premier gouverneur Brown (Pat), et ensuite de son fils, Jerry, comment la Californie peut si confortablement et paradoxalement être à l’avant-garde d’une certaine croissance matérielle et économique débridée, des avancées technologiques de pointe, etc., et simultanément, être au cœur des mouvements de protection environnementaux, anti-croissance et même de décroissance.

Sur les traces de Golden Gates

Avec une population et une économie qui dépasse celle de nombreux État-nation, il ne faut pas se surprendre si la Californie s’affirme volontiers comme le foyer de plusieurs des débats en aménagement, de NYMBYism à YIMBYism. C’est la force de l’ouvrage de Monsieur Dougherty* d’illustrer comment ces deux impulsions peuvent si naturellement co-évoluer. La Californie, durant l’intervalle de 44 ans entre les quatre mandats des gouverneurs Brown (père et fils), est passée d’un État qui incarnait la croissance moderne à celui d’un État qui recherche toujours les avantages de cette croissance, sans plus vouloir toutefois négocier les difficiles accommodements indispensables qui y sont associés, comme le fait de construire plus de logements là où les gens veulent ou doivent vivre.

Cette gimmick du out of sight, out of mind a porté fruit une nanoseconde, facilitée par des politiques publiques axées autour de la logique automobile (toujours en vigueur). Mais bien vite, les effets pervers cumulatifs (empiétement environnemental, consommation effrénée des ressources [gaspillage]) finissent par prendre le dessus sur l’illusion d’une frontière infinie. En cheminant parfois sur plusieurs décennies avec les personnages clés de son récit, l’auteur illustre comment des structures mises en place pour affirmer les idéaux de mouvements de préservation légitime peuvent, avec le temps et aidées d’un système politique qui barre la route à toute évolution, en venir à paralyser le renouveau de l’espace et du tissu urbain. Le prix à payer : exclusion des nouveaux et explosion des inégalités.

Il ne reste plus alors qu’un système de dévitalisation urbaine à l’échelle locale et métropolitaine (étalement et concentration monofonctionnel, mobilité centrée sur l’automobile et limitation des opportunités, autant économiques que sociales). En plus, le détournement par des groupes hyperlocaux d’une réglementation environnementale nécessaire encombre les mécanismes démocratiques et leur capacité à répondre plus efficacement et durablement à nos besoins futurs.

Avec une technique narrative qui met au premier plan la réalité des gens qui ont créé le système, des gens qui vivent confortablement dans le système (homevoters) et les gens qui tentent de faire évoluer le système, Golden Gates se veut un récit fascinant et essentiel pour appréhender notre crise contemporaine du logement.

* Dans le cadre du podcast Talking Headways, il y a cette entrevue avec l’auteur. Une écoute qui en vaut amplement temps. Pour découvrir le travail récent de Monsieur Dougherty, voir cette page du NYT.


Note : Ce jeudi (2022-07-28), l’avant dernier dans notre série Habitation et logement avec Evicted et The Rent is too Damn High.

Tags Golden Gates, Conor Dougherty, Modern Housing, Housing Crisis
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