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Wellington | Fabrique urbaine

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L'urbanisme en pratique

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URBS+ : Abréviation d’urbanisme, mais quand même un peu plus. Une revue hebdomadaire d’ouvrages et d’œuvres avec comme point commun un intérêt pour l’univers urbain, qui est aussi l’univers ultime de l’être humain.

Rochdale Village et l'heure des grands ensembles coopératifs urbains

December 5, 2024 John Voisine
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Rochdale Village—Robert Moses, 6,000 Families, and New York City’s Great Experiment in Integrated Housing. Peter Eisenstadt, Cornell University Press, 336 pages. Lu en format e-book sur l’application Kindle.

Je veux poursuivre l’exploration de ces vastes complexes de coopératives bâtie à l’époque par l’United Housing Foundation (UHF), un peu partout à NYC. Nous avons déjà écrit sur le fameux Co-op City grâce au livre extraordinaire d’Annemarie Sammartino. Encore une fois ici, c’est un ancien de la place, Peter Eisenstadt, qui y a passé une partie de son enfance et adolescence dans les années 1960-70, qui sera notre guide dans cette histoire. Il s’avère qu’il est aussi particulièrement bien situé pour le faire, étant devenu historien lui-même et une spécialité dans l’histoire de NY. Mais avant tout, il fut un témoin direct de l’histoire qu’il réussit dans cet ouvrage à nous livrer avec sensibilité et aplomb. Puisqu’il s’agit d’une histoire tourmentée, autant à cause de l’époque que des forces vives qui devaient être jugulées pour que le projet s’accomplisse, par moment et selon son concept initial : une communauté coopérative intégrée.

Les gens de l’UHF, avec à sa tête Abraham Kazan, étaient imbus de cette éthique à la fois progressiste et anarchiste. Pour eux, l’idée de bâtir une société libérée des contraintes inégalitaires du système capitaliste était le meilleur chemin pour mettre la race humaine sur la route d’un vrai progrès. Cela passait nécessairement par cette capacité de créer des environnements urbains animés par la vision et la matérialité d’une existence partagée dans un esprit coopératif. Et c’est ainsi qu’au cours des années 1930, et ensuite au cours des années 1950 et 1960, avec la création du mégacomplexe que fut alors Rochdale Village, qui ouvrit ses portes en 1964, que cette quasi-utopie de l’existence coopérative intégrée allait se concrétiser. Le projet fut un succès au-delà de toutes les espérances; avant, bien sûr, de ne plus l’être. Mais, comme cet ouvrage de Peter Eisenstadt le documente si bien, les milliers de ménages pionniers de cette aventure avaient absolument raison de mettre leurs confiances dans le mouvement coopératif pour le logement et les services. Cela se démontre par le simple fait qu’autant Rochdale Village et Co-op City demeure à NYC deux des rares endroits où il soit possible de se loger convenablement, dans un riche environnement communautaire et autogéré, à un prix abordable pour un ménage de type « middle-income ». Que la vision ne soit pas exactement celle envisagée par Kazan et son groupe dans les années 1930 ne peut pas vraiment être tenu comme une négation de leurs idéaux.

Sur les traces de Rochdale Village

Au-delà des épreuves bien particulières à NYC et au site dans le quartier de Jamaica, Queens (un ancien terrain de course de cheveux qui fait terriblement penser aux possibilités de l’ancien terrain Blue Bonnets, ici même à Montréal), sur lequel se trouve implanté Rochdale Village, on se rend compte qu’un des aspects les moins explorés, dans nos cercles urbanistiques et dans la population en général, est certainement le très haut niveau de vie communautaire qui se développe dans ces ensembles. Loin d’être des tours anonymes, dépourvus de cohésion et d’appartenance communautaire, tel que le comprenait une Jane Jacobs, par exemple, autant Rochdale Village que Co-op City (ainsi que la vaste majorité des ensembles coopératifs bâtie par UHF et qui sont demeurés des coopératives) incarnent l’existence la plus solidaire et participative réalisable en ville. Le chapitre de l’ouvrage sur cette question, Creating Community, vaut à lui seul le détour afin de se désabuser, une fois pour toutes, de ces préjugés réducteurs qui courent depuis trop longtemps. Cela constitue en soi un petit miracle que cette communauté, qui suit son cours depuis presque soixante ans, offre encore à un coût abordable une proposition de qualité inégalée. De plus, cet investissement rend possible la pérennisation du rêve coopératif pour les générations futures.

Le mouvement coopératif, tout comme le mouvement syndical, auquel il était intimement lié, comme c’était le cas pour l’UHF, n’est plus que l’ombre de lui-même. Il est difficile de concevoir, maintenant, comment et sur quelle base le terreau fertile de la solidarité syndicale avec le mouvement coopératif immobilier résidentiel pourrait refaire surface. Il doit certainement être possible d’envisager des combinaisons productives et solidaires capables de proposer des visions coopératives en habitation.

Surtout, il me semble que nous sommes à nouveau au point où il serait opportun de construire sur la même échelle que Rochdale Village, c’est-à-dire pas des dizaines, pas des centaines, mais des milliers d’unités résidentielles coopératives pour des ménages familiaux mixtes, avec services, sur un même site. En fait, c’est seulement en ayant ces milliers de gens de tout horizon que cela devient possible. Il existe tellement de potentiel, ici même à Montréal, de terrains et de territoire à proximité d’infrastructures de transport collectif largement sous-utilisé et mûr pour un apport en population. Une collaboration étroite entre le niveau municipal, provincial et fédéral sera nécessaire. Enfin, nous devons laisser de côté nos appréhensions envers les grands ensembles et introduire les entreprises autogérées à capital limité dans le mixte des solutions en logements.

Tags Rochdale Village, Peter Eisenstadt, New York City, Coop Housing, United Housing Foundation (UHF), Abraham Kazan, Robert Moses, Série Housing in NYC

Freedomland Forever

October 5, 2023 John Voisine
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Freedomland—Co-op City and the Story of New York. Annemarie Sammartino, Cornell University Press, 2022, 298 pages [e-book lu sur plateforme Kindle]

Il y a cette image fameuse (reproduit ici) où l’on voit Robert Moses*, juste avant sa chute comme Power Broker de New York, épaulé par le gratin du monde politique (le gouverneur Nelson Rockefeller) et syndical (Abraham E. Kazan de l’United Housing Foundation [UHF]) de la ville lors de la première levée de terre pour ce qui allait devenir Co-op City. Les enfants font sans ambiguïté passer le message sur les futurs qui chantent. C’était en 1966, l’optimisme d’une nouvelle ère se lisait sur tous les visages et le fait que l’on se lançait dans la construction de cet ensemble résidentiel coopératif, qui demeura d’ailleurs le plus grand au monde jusqu’en 1972, en faisait foi. Complété, Co-op City allait comprendre plus de 15 000 logements, répartie en 35 tours (de 25 à 33 étages) et presque 200 maisons de ville sur un terrain arraché aux marécages. Même le fait que l’ensemble se trouve à 20 minutes en autobus de la station de métro la plus proche était présenté comme un avantage indéniable.

Malheureusement, le paradis espéré allait vite tourner, comme le montre de façon prodigieuse Madame Annemarie Sammartino, mais pas vraiment pour les raisons qu’on pourrait se l’imaginer. Car il ne s’agit en aucun cas ici d’une autre histoire de grands ensembles d’habitations qui se dégrader au point de sombrer en dystopie et d’imploser, assez littéralement comme Pruitt-Igoe ou Cabrini-Green. Au contraire, Co-op City, qui est aujourd’hui un des rares ensembles à New York encore accessible à la classe moyenne, un exemple de développement coopératif qui a réussi à se maintenir et même à s’améliorer considérablement, autant sur le plan humain, de l’aménagement du site et de ses connexions dans son voisinage urbain.

Mais avant d’en arriver à cette maturité enviable, il aura fallu passer à travers de nombreuses difficultés. En particulier, une grève des «loyers» de 13 mois (entre mai 1975 et juin 1976), qui aura surtout réussi à briser définitivement l’UHF et autrement miner le mouvement coopératif résidentiel tout en poussant l’État et la ville aux extrêmes de la ruine financière (au-delà même de la crise fiscale de 1975).

Sur les traces de Freedomland

L’auteure a une connaissance vécue de Co-op City, y ayant passé son enfance, jusqu’au moment de quitté pour l’université. L’histoire unique et originale qu’elle rend dans son ouvrage va bien au-delà de celui de la grève (par ailleurs couvert exhaustivement par Robert M. Fogelson), puisque son portrait s’étend pour y inclure celui des gens qui font vivre cette communauté de presque 60 000 personnes (en 1972; il est d’environ 44 000 individus en 2010). La relation complexe et changeante avec le reste de NYC, mais surtout de Baychester, dans le East Bronx, est rendue avec richesse et nuance, tout comme l’histoire héroïque et tragique de l’UHF, véritable force politique et entrepreneuriale coopérative dans ce NYC post-New Deal. Leur mouvement coopératif ne se voulait pas uniquement une autre façon d’être dans un système capitaliste, mais bien une tentative de transcender le système, où l’impératif du profit se voyait substitué à celui de la solidarité.

Les coops d’habitation érigées par l’UHF l’ont été pour la plupart grâce au programme Mitchell-Lama (et aux abattements de taxes accordés par la ville). Mais ce programme n’a jamais représenté qu’une fraction infinitésimale de l’aide à la propriété, et cela en grande partie parce que la notion d’une mutuelle coopérative, avec une gestion collective et un maintien à perpétuité de l’abordabilité des logements, offrait une alternative probablement trop critique du système capitaliste pour être envisagée à grande échelle. Également, quand venait le temps de sélectionner les participants à la coopérative d’habitation, il fallait que ceux-ci possèdent au moins une certaine mise de fonds, très en deçà de ce qui aurait été nécessaire pour l’achat d’une propriété, mais quand même inaccessible à une personne de classe populaire ou ouvrière non syndiquée. Il était de plus difficile, voire impossible, d’obtenir un financement bancaire pour cette somme, aussi minimale soit-elle.

L’histoire de Co-op City que nous offre l’auteure est aussi essentielle parce qu’elle est un pied de nez aux compréhensions réductrices des enjeux architecturaux et d’aménagement sur la formation et la vitalité des communautés humaines, plus spécifiquement l’impossibilité de les constituer dans de tels regroupements de «tours dans un parc» moderniste.


* Pour se donner une idée de l’époque, on lira ici avec intérêt ses remarques lors de cette cérémonie.

Tags Freedomland, Annemarie Sammartino, Co-op City, New York City, Coop Housing, Série Housing in NYC, United Housing Foundation (UHF)

New York à l'encre de Chine

January 11, 2023 John Voisine
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Tenements, Towers & Trash—An Unconventional Illustrated History of New York City. Juli Wertz, Black Dog & Leventhal Publishers, 2017, 284 pages.

Cette chronique est la dernière de notre série Housing in NYC [5/5]

Pour ce dernier livre de notre série Housing in NYC, on change définitivement de rythme et de genre, et pas seulement parce que celui-ci est essentiellement composé de thématiques illustrées de la main de l’auteure et raconté de sa plume, sans véritable lien avec le domaine de l’habitation. Je l’inclus malgré tout dans cette série parce que, je dois bien l’admettre, je ne pouvais pas résister à un pareil titre (Tenements, Towers & Trash, qui est presque une définition physique, urbaine et intemporelle de NYC!) et à une proposition (le dessin à l’encre de Chine et quelques photos noires et blanches comme tout moyen de rendus) qui sort des terrains battus en tant de médium d’appréhension et de compréhension de l’urbain, de l’histoire et du présent. Chacune des planches illustrée et racontée de ce livre est comme l’ouverture d’une perspective nouvelle, dans le temps et l’espace, sur cette métropole nord-américaine par excellence. Passer quelques heures à explorer la ville à travers le regard d’une personne qui n’est pas native, mais y a vécu, travaillée et gagnée sa vie de son art durant une période contemporaine de dix ans est une proposition irrésistible. Avoir réussi à tirer de cette période une œuvre originale sur l’histoire et l’urbanité de cette ville toujours en métamorphose est quelque chose digne d’attention.

De plus, comme il arrive souvent à NYC, même si la question du logement n’est pas au centre de ces histoires, il est impossible de parler d’autres choses sans que cette obsession du logement (centré sur le où?, le comment? et surtout, à quel prix?) revienne au centre de la conversation. Dans le cas de l’ouvrage de Madame Julia Wertz en particulier, elle n’aura malheureusement pas d’autre choix que de mettre fin à son aventure new-yorkaise du moment qu’elle sera (illégalement) forcée de son logement par un propriétaire qui, dans cette grande tradition, semble-t-il, universelle chez certains propriétaires, savent empoisonner l’existence de leurs locataires quand ils veulent reprendre un logement.

Mais pour notre plus grand bonheur, elle n’aura pas quitté NYC les mains vides; ce livre en est la lettre d’amour et le chef-d’œuvre.

Sur les traces de Tenements, Towers & Trash

Avec un carnet bien rempli d’expérience pratique du macadam de la ville sous les pieds, couplé à ce qui semble être une solide recherche documentaire, l’auteure distille dans cet exposé illustré son choix de vignettes de lieux et de gens qui transpirent tous cette énergie caractéristique du type «only in New York City».

Toutes les questions pressantes et existentielles sur NYC connaissent une forme de résolution dans les dessins et les textes de Madame Wertz, comme : pourquoi autant de Ray’s Pizza? Lequel est l’original et pourquoi autant de variation? (Oui, la mafia est impliquée!) Quel est le secret derrière l’eau potable si propre de la ville? (Il ne fallait pas le demander, vraiment!) Quelle est l’histoire derrière les nombreux «holdout buildings» qu’on aperçoit un peu partout à NYC? (Chaque cas est épique!) C’était quoi l’histoire derrière les Kim’s Video et où est maintenant tout son stock? (Essentiellement disparu, comme son propriétaire.)

Pour une femme qui, de son propre aveu, n’aime pas vraiment se retrouver dans un bar, cela ne l’a pas empêchée de nous rendre quelques belles pages sur les bars de la ville, d’hier à aujourd’hui (et comment, durant la prohibition, NYC à continuer à épancher la soif de ses citoyens.) On cherche à faire des explorations plus familiales? Pourquoi pas les plus anciennes boulangeries et pâtisseries de la ville? Comme presque la totalité des sujets qu’elle aborde, l’auteur consacre aussi quelques dessins à une section «Then and Now», où elle choisit d’illustrer un bâtiment à une époque passée et le même, maintenant (en 2016). Le contraste (ce qui veut souvent dire une perte importante dans la richesse décorative ou simplement esthétique) nous laisse souvent le souffle court. Et comment parler de NYC sans inclure une petite histoire originale du système de métro, de ses stations, des luttes contre les comportements antisociaux, etc.; tout cela est inclus, avec textes étoffés, images et dessins profonds à l’appui.

L’auteur clôt son volume avec de bonnes suggestions de lecture, des ressources en ligne et un itinéraire de ce qui était une des nombreuses variantes de sa longue marche. Presque une invitation, lors d’une prochaine visite!

Tags Tenement Towers & Trash, Julia Wertz, NYC, Urban history, Tenements, Série Housing in NYC

Hidden in plain sight

January 10, 2023 John Voisine
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The Decorated Tenement—How Immigrant Builders and Architects Transformed the Slum in the Gilded Age. Zachary J. Violette, University of Minnesota Press, 2019, 279 pages

Cette chronique fait partie de notre série Housing in NYC [4/5]

Il est plutôt difficile de trouver dans la littérature (architecturale, historique, urbaine, de santé publique ou sociologique) une perspective positive sur le sujet des tenements, ces immeubles à multiples logements, typiquement de 4-5 étages, souvent sans ascenseur, des équipements sanitaires parfois rudimentaires, mais avec des espaces commerciaux au rez-de-chaussée ou en demi-sous-sol.

Leur heure de gloire commence vers 1850-60, prend son élan vers 1880-90, avec cette dernière décennie comme l’apothéose de cette typologie urbaine, surtout à New York, mais aussi à Boston et d’autres villes de Nouvelle-Angleterre. Des modèles continueront d’être perfectionnés jusque dans la première décennie du 20e siècle, mais une série de changements, réglementaires et démographiques, entrainera un déclin précipité à l’orée de la Grande Guerre.

Quelques décennies plus tard, lorsque la tendance sera au Slum clearance et qu’on cherchera ainsi à faire de la place en ville pour les tours d’habitations «dans un parc» ou pour le passage des nouvelles autoroutes, c’est le plus souvent dans ces quartiers urbains structuré autour des tenements, densément habité et utilisé de façon productive, toujours caractérisé par une culture et une économie locale vigoureuse et au potentiel régénérateur puissant, qui seront tragiquement et terriblement rasés. L’urbanité perdue durant ces «grands chantiers», au nom de la modernité, est une perte qu’il est difficile de qualifier et qui nous fait probablement encore très mal. Comment pouvons-nous l’affirmer? Simplement parce que nous constatons que les quartiers urbains de ce type qui nous sont parvenus sont encore parmi les plus productives et dynamiques.

L’ironie cruelle est que même durant l’apogée dans la construction des tenements, entre 1880-1900, il n’y a jamais eu de moments où ce type de bâtiment recevait l’aval ou même un regard favorable de la par des classes intellectuelles influentes, que ce soit en architecture, en santé publique ou de la par des groupes progressistes ou religieux qui se donnaient comme mission de «sauver», matériellement et spirituellement, les classes urbaines laborieuses, le plus souvent aussi nouvellement immigré. Dans ce contexte, comment expliquer l’omniprésence, dans les quartiers urbains d’alors, des tenements et dans le meilleur des cas, des decorated tenements?

Sur les trace de The Decorated Tenement

C’est à cette étape qu’un livre comme celui de Monsieur Zachary J. Violette se présente en guide parfait afin de retrouver l’histoire perdue derrière cette typologie urbaine si répandue. Par sa mise en contexte (historique, sociologique, architectural, urbaine) qui ne connait pas vraiment de parallèle dans la littérature, on peut comprendre et enfin voir ces trésors urbains à échelle humaine telle que ses bâtisseurs les envisageaient et de la manière dont les gens qui choisissaient d’y vivre pouvaient les percevoir et les chérir.

Ces immeubles ont pour la plupart été construits par et pour la population immigrante d’Europe centrale et de l’Est (Russie, Pologne et territoire maintenant ukrainien) qui affluait alors dans la métropole américaine, pour fuir les pogroms, mais aussi pour exercer leurs entrepreneuriats, ce qui était impossible à cause des législations explicitement antisémites dans leur pays d’origine. Dans ce groupe d’immigrants pauvres, mais extrêmement industrieux, on trouvait des entrepreneurs en bâtiment, des architectes, mais aussi beaucoup d’hommes de métier. Grâce aux institutions financières propre à la communauté, il était possible d’effectuer les montages nécessaires au développement spéculatif, du type des decorated tenements.

Sur le plan démographique et sociologique, c’était aussi une population qui provenait de zones urbanisées, de villes à la population qui appréciait déjà fortement la culture urbaine. Cette attitude se combine à la volonté de communiquer esthétiquement, avec un bâtiment aux proportions élégantes et à la décoration culturellement évocatrice (autant en façade que sur les surfaces intérieures communes, dans les pièces privées d’apparat des logements et dans les locaux commerciaux) le prestige de l’appartenance à sa communauté dans cette nouvelle grande métropole.

Même dans ce contexte, comment expliquer ces formes élaborées sur des bâtiments spéculatifs destinés à une population immigrante aux ressources limitées? Parce que les bâtisseurs et les architectes étaient familiers avec l’école allemande de la production architecturale décorative industrialisée et standardisée naissante. Ces nouvelles populations urbaines en Amérique avaient beau être pauvres, elle voulait vivre dans un cadre urbain qui projetait dans le domaine public la dignité de leurs êtres et de leurs cultures. Les decorated tenements* en étaient l’incarnation, et bien plus.

Une lecture essentielle.


* En lisant ce livre, j’ai appris qu’il y avait un film, *batteries not included, datant de 1987 et produit par nul autre que Steven Spielberg qui se déroule autour d’un tenement building dans le East Village à Manhattan. Pas encore vue, mais toujours disponible sur Apple+, lorsque l’occasion se présentera!

Tags The Decorated Tenement, Zachary J. Violette, Tenements, NYC, Boston, Série Housing in NYC

Great Expectations

January 9, 2023 John Voisine
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The Great Rent Wars—New York, 1917-1929. Robert M. Fogelson, Yale University Press, 2013, 421 pages [e-book lu sur plateforme Kindle]

Cette chronique fait partie de notre série Housing in NYC [3/5]

Les historiens marquent souvent l’Armistice et le traité de Versailles, qui ont signalé la transition entre l’époque des empires continentaux d’avant la Grande Guerre et celle de la montée des états nations suivant celle-ci comme étant aussi ceux qui signalent le début du siècle américain. Il faudra attendre la victoire sur les forces de l’Axe lors de la Seconde Guerre pour rendre cette position incontestable sur le plan international. N’empêche, il y a un domaine où les américains n’ont jamais vraiment été en mesure de mener par l’exemple ou d’acquérir un authentique leadership, et cela est sur le plan social. En effet, dès la sortie du premier conflit mondial, la majorité des pays de l’Europe occidentale s’attaquent sans répit et presque «scientifiquement» à la question du logement, autant sur le plan de la conception, des méthodes de construction et de la gestion. On y produira beaucoup, vite, et de façon innovante. Cela était bien plus qu’une réponse à la dévastation matérielle entrainée par la guerre; la plupart des pays y voyaient une façon de faire face aux transformations à la fois économique (nouvelles industries, nouveaux secteurs manufacturiers), politique (montée des mouvements collectifs de gauche et fasciste de droite) et sociale (nouvelle place des femmes, de la famille et de la gestion du travail) qui marquaient alors tous ces états au sortir du traumatisme de 1914-18. On allait créer du logement pour le plus grand nombre, et du coup, autant se faire que peut, entrer dans la modernité du nouveau siècle.

L’histoire de ce côté-ci de l’Atlantique a été différente. On se limite dans cet ouvrage de l’historien et professeur émérite en étude urbaine au MIT, Monsieur Robert M. Fogelson, à la crise du logement qui affecta New York et plusieurs autres grandes villes de l’État et du pays. Cette crise se caractérisait par une pénurie de logements pour les classes laborieuses et la classe moyenne précaire. Mais surtout, par l’utilisation de techniques autrement sauvage par ce qui semble la majorité des propriétaires à l’endroit de leurs locataires, sans contrepoids. Seule l’intervention temporaire de l’état retournera, après une décennie, un semblant d’équilibre.

Sur les traces de The Great Rent Wars

En raison du blocage américain très particulier sur les questions sociales, comme sur la mise en place d’une aide de l’état (des états ou fédéral), la lutte se coalisera autour d’une aide indirecte aux locataires : contre les augmentations abusives, pour la conservation du logement et surtout pour un assouplissement aux conditions contractuelles qui avantageait unilatéralement les propriétaires. Cette lutte sera d’une brutalité exceptionnelle et prendra principalement la forme de «rent strikes». Cette tactique ne pouvait en réalité fonctionner que si la quasi-totalité des locataires de l’immeuble participait. De plus, la majorité de ces actions de grèves étaient menées par des femmes, des mères de famille immigrantes dans des quartiers (Lower East Side, Brownsville, Harlem) à majorité juive d’Europe centrale ou de l’est, souvent de première ou deuxième génération. C’était aussi l’époque des grandes organisations syndicales du textile, et aussi la période où le Parti socialiste fera de véritables gains, autant au niveau municipal à New York et à Albany, à la chambre de représentant. Ces représentants socialistes au niveau de l’état seront éventuellement même expulsés de la chambre durant le Red Scare. Mais cela n’empêchera pas les autres représentants de comprendre que l’heure était à l’action. La pression politique était rendue intenable : il fallait venir en aide aux centaines de milliers, sinon des millions de locataires qui étaient pris à la gorge et acculés à la rue par leurs propriétaires.

Pour faire face explicitement à cette crise du logement (des augmentations arbitraires et des expulsions), les mesures de contrôle sur les loyers (uniquement les logements) et le maintien en place des locataires seront adoptées par l’État de New York en 1920, pour une période de deux ans. C’est d’ailleurs cette limite et la façon explicite d’être des remèdes à une crise qui feront qu’elles résisteront jusqu’en cour suprême. Elles seront reconduites (par tranche de un à deux ans) jusqu’en 1929.

Ce livre fait exhaustivement l’histoire de ces mesures; elles ont probablement sauvé New York d’une véritable révolution populaire au tournant des années 1920. Cette histoire mérite d’être mieux connue et les parallèles avec nos pathologies contemporaines dans le domaine sont de chaque page.

Tags The Great Rent Wars, Robert M. Fogelson, New York City, Housing, Série Housing in NYC

NYC Co-op Utopia

December 21, 2022 John Voisine
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Working-Class Utopias—A History of Cooperative Housing in New York City. Robert M. Fogelson, Princeton University Press, 2022, 384 pages.

Cette chronique fait partie de notre série Housing in NYC [2/5]

On a souvent l’impression que dans le domaine du logement, la forme coopérative est celle d’avenir… et là pour le rester longtemps*. En d’autres termes, même si les coopératives semblent la façon la plus juste, équitable et l’idéale pour loger une grande diversité de ménages, le mouvement coopératif en habitation n’arrive pas tout à fait à prendre son envol et à se normaliser. Elles se font rares dans nos quartiers centraux et quasi inexistantes ailleurs. Même à l’intérieur de la catégorie des logements «sociaux et communautaires», ils représentent un peu moins du quart des logements. Compte tenu du manque criant en logement et surtout en logement collectif urbain, on peut s’étonner que les exemples de logements coopératifs soient toujours aussi rares et exceptionnels.

Si le rêve est vraiment un jour de voir s’éteindre le motif du profit comme moteur de développement dans le secteur du logement, pourquoi ne pas regrouper, au sein de coopératives, les initiatives pour la production de logements destinés aux nombreux paliers au sein de la classe moyenne? Avec comme premier catalyseur certains mouvements collectifs, tels les syndicats ou des regroupements d’intérêts et en appui, les groupes de ressources techniques (GRT) et de meilleures garanties financières et réglementaires gouvernementales, cela devrait depuis longtemps être habituel et normal, non?

En fait, ce n’est pas pour rien que le mot utopias est contenu dans le titre de ce tout nouvel ouvrage de Monsieur Robert M. Fogelson, historien et professeur émérite en étude urbaine au MIT. Ainsi, même si ce récit des triomphes et des malheurs des pionniers du mouvement coopératif en habitation à NYC se déroule à une époque et dans un contexte maintenant relégué à la mémoire de très rares personnes encore en vie, le lecteur avisé y trouvera plusieurs réponses à savoir pourquoi nous ne vivons toujours pas dans cette utopie d’abondance en habitation coopérative pour les classes moyennes et «laborieuses». Il a pourtant existé un moment, un bref moment durant les décennies 1950-60-70, où l’alternative coopératif semblait viable. Cet ouvrage est plutôt le récit des forces, internes et externes, qui ont fini par faire dérailler cette ambition.

Sur les traces de Working-Class Utopias

Working-Class Utopias retrace l’histoire et va plus loin dans les archives et les témoignages des personnages clés du mouvement coopératif en habitation de l’avant Deuxième Guerre, mais surtout, durant les décennies de l’après-guerre et jusqu’à l’implosion du mouvement, à la fin des années 1970. Après avoir brièvement relaté les origines des grandes réussites d’avant 1945, comme les Amalgamated Houses et Dwellings, l’auteur nous guide à l’intérieur des espoirs sincères et des ambitions démesurées de ceux (ce sont tous des hommes) qui ont réussi à construire ces ensembles coopératifs. Au centre de la mobilisation, une coalition unique, la United Housing Foundation (UHF), avec a sa tête Abraham E. Kazan, celui-là même qui avait mener à bien les Amalgamated et qui était impatient de poursuivre sur cette lancée. L’alignement entre l’UHF et les politiques fédérales (Title I, Housing Act of 1949), de l’état (Mitchell-Lama) et de la ville (allégements de taxes) seront le moteur de la production d’autant de logements coopératifs dans NYC après 1950. Les exemples de cette période sont tous héroïques (Rochdale Village, Penn South, etc.). Mais très vite, autant sur le plan architectural (monotonie), de l’implantation urbaine (mégas ilots) et sociale (ségrégation), les réalités de ces nouvelles formes massives finiront par briser le consensus social et politique ainsi que les coalitions d’intérêts locaux qui permettaient leurs réalisations.

En fait, pour réussir à implanter ces ensembles, l’UHF devait s’associer à l’une des figures emblématiques des politiques de dégagement urbain, Robert Moses; l’éclipse de son pouvoir, au milieu des années 1960, signale aussi celui d’une partie des projets qui en dépendent, comme ceux de l’UHF. Mais comme ce livre en fait le cœur de sa démonstration, ce qui brisera définitivement l’élan coopératif, du moins dans sa capacité à fournir du logement à l’échelle d’une «ville dans la ville», est Co-op City, dans le Bronx. Ce qui devait être le projet phare de l’UHF est finalement ce qui viendra ruiner, matériellement et moralement, l’entreprise coopérative. Pour l’essentiel, le livre nous donne à vivre les hauts et les bas de cette histoire, politique et économique, humaine et tragique, comme si l’on y était.


* Paraphrase de la fameuse formule “Le Brésil est un pays d’avenir, et qui le restera longtemps”, attribué à l’homme politique français du début du 20e siècle, George Clemenceau.

Tags Working-Class Utopias, Robert M. Fogelson, NYC, Coopératives, Coop Housing, United Housing Foundation (UHF), Abraham Kazan, Série Housing in NYC

From Tenements to Billionaires' Row*

November 21, 2022 John Voisine
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A History of Housing in New York City. Richard Plunz (Foreword by Kenneth T. Jackson), Columbia University Press, 2016 (Revised Edition), 460 p.

Cette chronique fait partie de notre série Housing in NYC [1/5]

Si rien d’autre, l’histoire de l’habitation à New York en est une tout en contraste. Comment pourrait-il en être autrement, dans une ville qui, depuis le 19e siècle, contient de façon si unique tous les pôles de l’humanité, du commerce, de l’industrie et de la vie intellectuelle et culturelle en Amérique du Nord? Centre de la production manufacturière, nœud de transport d’entreposage, capitale des affaires et de la finance, pôle du commerce, du design et de la mode, New York a malgré tout su, depuis l’instauration de son grid, contenir dans sa trame une juste part pour l’habitation. En commençant par les manoirs sur Fifth Avenue, les révolutionnaires appartements-hôtels ou «d’artistes», qui attiraient autant ces derniers qu’une frange de la classe moyenne qui aimait s’entourer de ces attributs. Souvent presque côte à côte, sur des terres encore non développées, une partie de la population vivait hors du système dans des shantytowns. Et toujours de façon contemporaine, les classes laborieuses vivaient et souvent travaillaient (le textile) dans des logements rudimentaires, les tenements du Lower East Side et des nouveaux outer-boroughs.

Mais il n’y a pas seulement la diversité des typologies qui caractérise New York, il y a les différentes écoles esthétiques et d’aménagement, de l’utilitaire à l’éclectique, en passant par le beaux-arts, l’art déco et après les années 1930, les incarnations plus ou moins satisfaisantes du modernisme appliqué au logement, sous forme de production privée ou aux conséquences encore plus tragiques, dans sa production publique (NYCHA). C’est aussi la ville qui a fait progresser autant les codes de construction que d’urbanisme, pas toujours pour le mieux.

La densité de New York, sur le plan démographique (forte immigration européenne de l’est et du sud, jusqu’à la fermeture des années 1920) et de la concentration géographique de certaines communautés, sont des facteurs positifs dans la mise en place de coopératives de solidarité durant les premières décennies du 20e siècle. De ces organismes militants naitront une série de grands ensembles d’habitations communautaires pour la classe moyenne, presque insurpassée à ce jour en matière de design, d’organisation et d’aménagement des espaces communs (intérieurs et extérieurs).

Sur les traces de A History of Housing in NYC

Ce livre contient la genèse de plusieurs adresses, connues et moins connues, emblématiques d’un type ou qui marque une évolution dans un genre ou une façon de se loger, et puisqu’il s’agit de New York, allant du plus pauvre au plus riche. Mais une des transformations qui m’occupe encore après cette lecture, probablement parce qu’elle marque un progrès toujours d’actualité, est la manière par laquelle certains groupes, principalement de la communauté juive du Lower East Side, sont passés des conditions difficiles des tenements à de nouveaux logements de type garden apartments, principalement dans les outer-boroughs (suivant l’ouverture de nouveaux corridors du métro). Organisée en associations de solidarité, comme la United Workers Cooperative, cette communauté en était arrivée, dans le courant de la deuxième décennie du 20e siècle, à avoir assez d’unité idéologique, d’influence politique et de cohésion financière pour piloter quelques vastes projets d’habitations collectifs d’un genre unique de ce côté de l’Atlantique. De par son organisation spatiale au pourtour de l’îlot urbain, avec des bâtiments d’habitations, de services communautaires et en son centre, un espace paysager aménagé, on cherchait à offrir des conditions d’habitation moderne tout en préservant le meilleur de l’esprit solidaire et communautaire qui caractérisait l’environnement urbain d’origine.

La grande dépression de la décennie 1930 et les tumultes de la Deuxième Guerre viendront assener un coup dur à l’organisation et au maintien des idéaux derrière ces groupes d’habitations. Les temps semblent pourtant mûrs pour une recapture actualisée et pérenne de ces implantations collectives**.

Cet ouvrage de Monsieur Richard Plunz est né de notes de cours pour un séminaire, durant les années 1980, à l’université Columbia. Publiée une première fois en 1992, cette dernière édition tient compte des développements qui rendent la proposition en logement toujours plus inaccessible. Il serait difficile de trouver un volume plus complet, autant dans sa chronologie que dans l’analyse historique, esthétique et fonctionnelle consacrée à chaque forme d’habitation. C’est une entrée en matière essentielle pour qui veut faire le tour des typologies new-yorkaises d’habitations et comprendre les contraintes, tendances urbaines et sociologiques (démographie, politique, mode de production et tenure), financières et réglementaires ayant une influence sur cette production.


* Billionnaires’ Row

** À ce sujet, voir le documentaire At Home in Utopia. Une belle façon de passer une heure.

Tags A History of Housing in NYC, Richard Plunz, Housing, NYC, Urban history, Tenements, Série Housing in NYC, United Housing Foundation (UHF)

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