• APPROCHE ET PRATIQUE
  • [ URBS + ]
  • [ VERDUN ]
  • [ OSU ]
  • CONTACT
Menu

Wellington | Fabrique urbaine

3516, rue Gertrude
Verdun, Québec H4G 1R3
514-761-1810
L'urbanisme en pratique

Your Custom Text Here

Wellington | Fabrique urbaine

  • APPROCHE ET PRATIQUE
  • [ URBS + ]
  • [ VERDUN ]
  • [ OSU ]
  • CONTACT

[ URBS + ]

URBS+ : Abréviation d’urbanisme, mais quand même un peu plus. Une revue hebdomadaire d’ouvrages et d’œuvres avec comme point commun un intérêt pour l’univers urbain, qui est aussi l’univers ultime de l’être humain.

Une histoire de la transformation urbaine par l'embourgeoisement

January 23, 2025 John Voisine
IMG_5316.jpeg IMG_5317.jpeg IMG_5318.jpeg IMG_5319.jpeg

The Invention of Brownstone Brooklyn—Gentrification and the Search for Authenticity in Postwar New York. Suleiman Osman, Oxford University Press, 2011, 348 pages. [Livre numérique lu sur plateforme Kindle]

Je vais commencer par un simple mea-culpa : avant la lecture de cet ouvrage de monsieur Suleiman Osman, je conservais toujours une dose de scepticisme à propos de la notion même de gentrification. Pas que cela ne pouvait exister, mais qu’il était réducteur de confiner les changements associés à ce terme comme étant ceux des paramètres négatifs contenus dans ce mot. Il est possible de « transformer » ou de « redécouvrir » un quartier ou un secteur urbain, sans que cela ne conduise nécessairement à la gentrification du lieu. Mais, comme le démontre clairement l’auteur (essentiellement avec la prépondérance de sa recherche appliquée aux aspects urbains, architecturaux, mais surtout culturels, historiques et politiques), les notions de transformation, de découverte ou pires encore, de redécouverte sont en quelque sorte des qualificatifs générés par une série de gestes qui se soldent presque invariablement en de la gentrification. Cela dit, je demeure convaincu qu’il est possible de revitaliser sans gentrifier. Il faut toutefois admettre que cela demande sans doute une coordination des intervenants difficile à institutionnaliser et à faire couramment. D’autant plus que l’un des effets du mouvement de renouveau urbain moderniste (urban renewal) est une forme de paralysie dans notre volonté et capacité à planifier à l’échelle métropolitaine. Il en résulte un mode réactif, un braquage localisé contre tout ce qui sert la ville, au-delà de l’environnement d’un quartier.

En fait, après cette lecture, il semble que, si l’on est pour éviter la gentrification, deux voies offrent du potentiel; mais seule la deuxième a fait ses preuves. La première est une transformation très lente, loin des regards et des discours sur l’urbanisme à échelle humaine, sur la « redécouverte » d’un quartier ou, plus généralement, du « ballet urbain » à la Jane Jacobs. Bien souvent, dès qu’on commence à parler en ces termes d’un espace urbain, il est déjà perdu à la spéculation (à moins d’une intervention puissante de l’état, ce qui, ironiquement, va à l’encontre de l’esprit libertarien à la Jane Jacobs). La deuxième option consiste à combiner un aménagement urbain résidentiel de grande échelle avec une trame viaire serrée, mais flexible, avec une bonne mixité d’usages et d’activités. Pour revenir un peu sur ce que nous avons déjà vu, on envisagerait dans ce cas des complexes coopératifs à la United Housing Foundation (UHF), afin surtout d’assurer la pérennité dans l’accessibilité et l’abordabilité des logements.

Sur les traces de The Invention of Brownstone Brooklyn…

Dans le deuxième chapitre, l’auteur illustre son propos avec une juxtaposition assez sensationnelle. Il prend l’exemple de Concord Village, un complexe à appartements modernistes construit dans les années 1960 selon les règles du urban renewal et qui offre encore aujourd’hui des pied-à-terre en location abordable. l’auteur contraste avec l’entourage des quartiers de « brownstones » rénovés et gentrifiés, où les rares logements qui se rendent disponible ne le sont que pour plusieurs millions de dollars.

La proposition première d’une transformation lente et « naturel » est difficile, puisque, comme le montre cet ouvrage, c’est à l’avantage de ces changements de chercher à se faire connaitre et de réussir ces transformations grâce à la force du nombre. Cela permet la création de nouveaux organes représentatifs qui finissent par prendre le relais de ce qui existait et ainsi changer jusque la culture du lieu, autant dans le domaine commercial, des affaires et sur le plan culturel et politique.

Ce déplacement de population, qui s’accompagne d’une transition de classe (d’ouvrière et clérical à professionnel, gestionnaires de tout genre, artistes, étudiants, universitaires et scientifiques), engendre aussi une translation culturelle. Dans certains cas, cela se manifeste par la constitution d’une nouvelle entité urbaine, « découverte » par ces « pionniers » de la revitalisation. C’est ce lent processus qui a conduit à l’invention de nouveaux « anciens » quartiers, que l’on rencontre maintenant partout dans les villes avec le moindre passé industriel.

Bien entendu, un quartier urbain avec une identité est bien plus que la somme de son inventaire immobilier. Mais sans un mélange démographique et socio-économique diversifié, l’espace urbain se détériore. Pour les zones urbaines « redécouverte », comme Brooklyn, c’est à la fois une chance et une malédiction de s’être trouvé au centre de ces luttes contre le urban renewal. Force de constater que ces luttes ne furent pas conduites par (et encore moins pour) la population locale, mais presque à ses dépens, par une nouvelle classe fuyant l’inauthentique et la manhattanization. Plus près de nous, il n’est pas étonnant de voir des arrondissements comme Hochelaga-Maisonneuve, Ahuntsic-Cartierville ou Verdun (pour ne parler que d’eux), où il existe déjà une riche typologie d’immeubles, être la proie d’un fort phénomène de gentrification. Ces quartiers et leurs cadres bâtis existants se trouvent déjà bien installés au milieu d’un réseau viaire qui articule de manière idéale un environnement urbain qui ne demande qu’à être activé et réalimenté au goût de l’urbanité contemporaine. Ce livre nous permet de mieux comprendre et de reconnaître le phénomène dans toute sa complexité, avec en exemple type l’invention de Brownstone Brooklyn comme épicentre des quartiers de la nouvelle authenticité urbaine.

Tags The Invention of Brownstone Brooklyn, Suleiman Osman, New York City, Gentrification, Urban policy, Coop Housing, United Housing Foundation (UHF)

Rochdale Village et l'heure des grands ensembles coopératifs urbains

December 5, 2024 John Voisine
IMG_5160.jpeg IMG_5161.jpeg IMG_5162.jpeg IMG_5163.jpeg

Rochdale Village—Robert Moses, 6,000 Families, and New York City’s Great Experiment in Integrated Housing. Peter Eisenstadt, Cornell University Press, 336 pages. Lu en format e-book sur l’application Kindle.

Je veux poursuivre l’exploration de ces vastes complexes de coopératives bâtie à l’époque par l’United Housing Foundation (UHF), un peu partout à NYC. Nous avons déjà écrit sur le fameux Co-op City grâce au livre extraordinaire d’Annemarie Sammartino. Encore une fois ici, c’est un ancien de la place, Peter Eisenstadt, qui y a passé une partie de son enfance et adolescence dans les années 1960-70, qui sera notre guide dans cette histoire. Il s’avère qu’il est aussi particulièrement bien situé pour le faire, étant devenu historien lui-même et une spécialité dans l’histoire de NY. Mais avant tout, il fut un témoin direct de l’histoire qu’il réussit dans cet ouvrage à nous livrer avec sensibilité et aplomb. Puisqu’il s’agit d’une histoire tourmentée, autant à cause de l’époque que des forces vives qui devaient être jugulées pour que le projet s’accomplisse, par moment et selon son concept initial : une communauté coopérative intégrée.

Les gens de l’UHF, avec à sa tête Abraham Kazan, étaient imbus de cette éthique à la fois progressiste et anarchiste. Pour eux, l’idée de bâtir une société libérée des contraintes inégalitaires du système capitaliste était le meilleur chemin pour mettre la race humaine sur la route d’un vrai progrès. Cela passait nécessairement par cette capacité de créer des environnements urbains animés par la vision et la matérialité d’une existence partagée dans un esprit coopératif. Et c’est ainsi qu’au cours des années 1930, et ensuite au cours des années 1950 et 1960, avec la création du mégacomplexe que fut alors Rochdale Village, qui ouvrit ses portes en 1964, que cette quasi-utopie de l’existence coopérative intégrée allait se concrétiser. Le projet fut un succès au-delà de toutes les espérances; avant, bien sûr, de ne plus l’être. Mais, comme cet ouvrage de Peter Eisenstadt le documente si bien, les milliers de ménages pionniers de cette aventure avaient absolument raison de mettre leurs confiances dans le mouvement coopératif pour le logement et les services. Cela se démontre par le simple fait qu’autant Rochdale Village et Co-op City demeure à NYC deux des rares endroits où il soit possible de se loger convenablement, dans un riche environnement communautaire et autogéré, à un prix abordable pour un ménage de type « middle-income ». Que la vision ne soit pas exactement celle envisagée par Kazan et son groupe dans les années 1930 ne peut pas vraiment être tenu comme une négation de leurs idéaux.

Sur les traces de Rochdale Village

Au-delà des épreuves bien particulières à NYC et au site dans le quartier de Jamaica, Queens (un ancien terrain de course de cheveux qui fait terriblement penser aux possibilités de l’ancien terrain Blue Bonnets, ici même à Montréal), sur lequel se trouve implanté Rochdale Village, on se rend compte qu’un des aspects les moins explorés, dans nos cercles urbanistiques et dans la population en général, est certainement le très haut niveau de vie communautaire qui se développe dans ces ensembles. Loin d’être des tours anonymes, dépourvus de cohésion et d’appartenance communautaire, tel que le comprenait une Jane Jacobs, par exemple, autant Rochdale Village que Co-op City (ainsi que la vaste majorité des ensembles coopératifs bâtie par UHF et qui sont demeurés des coopératives) incarnent l’existence la plus solidaire et participative réalisable en ville. Le chapitre de l’ouvrage sur cette question, Creating Community, vaut à lui seul le détour afin de se désabuser, une fois pour toutes, de ces préjugés réducteurs qui courent depuis trop longtemps. Cela constitue en soi un petit miracle que cette communauté, qui suit son cours depuis presque soixante ans, offre encore à un coût abordable une proposition de qualité inégalée. De plus, cet investissement rend possible la pérennisation du rêve coopératif pour les générations futures.

Le mouvement coopératif, tout comme le mouvement syndical, auquel il était intimement lié, comme c’était le cas pour l’UHF, n’est plus que l’ombre de lui-même. Il est difficile de concevoir, maintenant, comment et sur quelle base le terreau fertile de la solidarité syndicale avec le mouvement coopératif immobilier résidentiel pourrait refaire surface. Il doit certainement être possible d’envisager des combinaisons productives et solidaires capables de proposer des visions coopératives en habitation.

Surtout, il me semble que nous sommes à nouveau au point où il serait opportun de construire sur la même échelle que Rochdale Village, c’est-à-dire pas des dizaines, pas des centaines, mais des milliers d’unités résidentielles coopératives pour des ménages familiaux mixtes, avec services, sur un même site. En fait, c’est seulement en ayant ces milliers de gens de tout horizon que cela devient possible. Il existe tellement de potentiel, ici même à Montréal, de terrains et de territoire à proximité d’infrastructures de transport collectif largement sous-utilisé et mûr pour un apport en population. Une collaboration étroite entre le niveau municipal, provincial et fédéral sera nécessaire. Enfin, nous devons laisser de côté nos appréhensions envers les grands ensembles et introduire les entreprises autogérées à capital limité dans le mixte des solutions en logements.

Tags Rochdale Village, Peter Eisenstadt, New York City, Coop Housing, United Housing Foundation (UHF), Abraham Kazan, Robert Moses, Série Housing in NYC

Freedomland Forever

October 5, 2023 John Voisine
IMG_1520.jpg IMG_1524.jpeg IMG_1522.jpeg IMG_1521.jpeg

Freedomland—Co-op City and the Story of New York. Annemarie Sammartino, Cornell University Press, 2022, 298 pages [e-book lu sur plateforme Kindle]

Il y a cette image fameuse (reproduit ici) où l’on voit Robert Moses*, juste avant sa chute comme Power Broker de New York, épaulé par le gratin du monde politique (le gouverneur Nelson Rockefeller) et syndical (Abraham E. Kazan de l’United Housing Foundation [UHF]) de la ville lors de la première levée de terre pour ce qui allait devenir Co-op City. Les enfants font sans ambiguïté passer le message sur les futurs qui chantent. C’était en 1966, l’optimisme d’une nouvelle ère se lisait sur tous les visages et le fait que l’on se lançait dans la construction de cet ensemble résidentiel coopératif, qui demeura d’ailleurs le plus grand au monde jusqu’en 1972, en faisait foi. Complété, Co-op City allait comprendre plus de 15 000 logements, répartie en 35 tours (de 25 à 33 étages) et presque 200 maisons de ville sur un terrain arraché aux marécages. Même le fait que l’ensemble se trouve à 20 minutes en autobus de la station de métro la plus proche était présenté comme un avantage indéniable.

Malheureusement, le paradis espéré allait vite tourner, comme le montre de façon prodigieuse Madame Annemarie Sammartino, mais pas vraiment pour les raisons qu’on pourrait se l’imaginer. Car il ne s’agit en aucun cas ici d’une autre histoire de grands ensembles d’habitations qui se dégrader au point de sombrer en dystopie et d’imploser, assez littéralement comme Pruitt-Igoe ou Cabrini-Green. Au contraire, Co-op City, qui est aujourd’hui un des rares ensembles à New York encore accessible à la classe moyenne, un exemple de développement coopératif qui a réussi à se maintenir et même à s’améliorer considérablement, autant sur le plan humain, de l’aménagement du site et de ses connexions dans son voisinage urbain.

Mais avant d’en arriver à cette maturité enviable, il aura fallu passer à travers de nombreuses difficultés. En particulier, une grève des «loyers» de 13 mois (entre mai 1975 et juin 1976), qui aura surtout réussi à briser définitivement l’UHF et autrement miner le mouvement coopératif résidentiel tout en poussant l’État et la ville aux extrêmes de la ruine financière (au-delà même de la crise fiscale de 1975).

Sur les traces de Freedomland

L’auteure a une connaissance vécue de Co-op City, y ayant passé son enfance, jusqu’au moment de quitté pour l’université. L’histoire unique et originale qu’elle rend dans son ouvrage va bien au-delà de celui de la grève (par ailleurs couvert exhaustivement par Robert M. Fogelson), puisque son portrait s’étend pour y inclure celui des gens qui font vivre cette communauté de presque 60 000 personnes (en 1972; il est d’environ 44 000 individus en 2010). La relation complexe et changeante avec le reste de NYC, mais surtout de Baychester, dans le East Bronx, est rendue avec richesse et nuance, tout comme l’histoire héroïque et tragique de l’UHF, véritable force politique et entrepreneuriale coopérative dans ce NYC post-New Deal. Leur mouvement coopératif ne se voulait pas uniquement une autre façon d’être dans un système capitaliste, mais bien une tentative de transcender le système, où l’impératif du profit se voyait substitué à celui de la solidarité.

Les coops d’habitation érigées par l’UHF l’ont été pour la plupart grâce au programme Mitchell-Lama (et aux abattements de taxes accordés par la ville). Mais ce programme n’a jamais représenté qu’une fraction infinitésimale de l’aide à la propriété, et cela en grande partie parce que la notion d’une mutuelle coopérative, avec une gestion collective et un maintien à perpétuité de l’abordabilité des logements, offrait une alternative probablement trop critique du système capitaliste pour être envisagée à grande échelle. Également, quand venait le temps de sélectionner les participants à la coopérative d’habitation, il fallait que ceux-ci possèdent au moins une certaine mise de fonds, très en deçà de ce qui aurait été nécessaire pour l’achat d’une propriété, mais quand même inaccessible à une personne de classe populaire ou ouvrière non syndiquée. Il était de plus difficile, voire impossible, d’obtenir un financement bancaire pour cette somme, aussi minimale soit-elle.

L’histoire de Co-op City que nous offre l’auteure est aussi essentielle parce qu’elle est un pied de nez aux compréhensions réductrices des enjeux architecturaux et d’aménagement sur la formation et la vitalité des communautés humaines, plus spécifiquement l’impossibilité de les constituer dans de tels regroupements de «tours dans un parc» moderniste.


* Pour se donner une idée de l’époque, on lira ici avec intérêt ses remarques lors de cette cérémonie.

Tags Freedomland, Annemarie Sammartino, Co-op City, New York City, Coop Housing, Série Housing in NYC, United Housing Foundation (UHF)

Great Expectations

January 9, 2023 John Voisine
IMG_0331.jpeg IMG_0333.jpeg IMG_0334.jpeg IMG_0332.jpeg

The Great Rent Wars—New York, 1917-1929. Robert M. Fogelson, Yale University Press, 2013, 421 pages [e-book lu sur plateforme Kindle]

Cette chronique fait partie de notre série Housing in NYC [3/5]

Les historiens marquent souvent l’Armistice et le traité de Versailles, qui ont signalé la transition entre l’époque des empires continentaux d’avant la Grande Guerre et celle de la montée des états nations suivant celle-ci comme étant aussi ceux qui signalent le début du siècle américain. Il faudra attendre la victoire sur les forces de l’Axe lors de la Seconde Guerre pour rendre cette position incontestable sur le plan international. N’empêche, il y a un domaine où les américains n’ont jamais vraiment été en mesure de mener par l’exemple ou d’acquérir un authentique leadership, et cela est sur le plan social. En effet, dès la sortie du premier conflit mondial, la majorité des pays de l’Europe occidentale s’attaquent sans répit et presque «scientifiquement» à la question du logement, autant sur le plan de la conception, des méthodes de construction et de la gestion. On y produira beaucoup, vite, et de façon innovante. Cela était bien plus qu’une réponse à la dévastation matérielle entrainée par la guerre; la plupart des pays y voyaient une façon de faire face aux transformations à la fois économique (nouvelles industries, nouveaux secteurs manufacturiers), politique (montée des mouvements collectifs de gauche et fasciste de droite) et sociale (nouvelle place des femmes, de la famille et de la gestion du travail) qui marquaient alors tous ces états au sortir du traumatisme de 1914-18. On allait créer du logement pour le plus grand nombre, et du coup, autant se faire que peut, entrer dans la modernité du nouveau siècle.

L’histoire de ce côté-ci de l’Atlantique a été différente. On se limite dans cet ouvrage de l’historien et professeur émérite en étude urbaine au MIT, Monsieur Robert M. Fogelson, à la crise du logement qui affecta New York et plusieurs autres grandes villes de l’État et du pays. Cette crise se caractérisait par une pénurie de logements pour les classes laborieuses et la classe moyenne précaire. Mais surtout, par l’utilisation de techniques autrement sauvage par ce qui semble la majorité des propriétaires à l’endroit de leurs locataires, sans contrepoids. Seule l’intervention temporaire de l’état retournera, après une décennie, un semblant d’équilibre.

Sur les traces de The Great Rent Wars

En raison du blocage américain très particulier sur les questions sociales, comme sur la mise en place d’une aide de l’état (des états ou fédéral), la lutte se coalisera autour d’une aide indirecte aux locataires : contre les augmentations abusives, pour la conservation du logement et surtout pour un assouplissement aux conditions contractuelles qui avantageait unilatéralement les propriétaires. Cette lutte sera d’une brutalité exceptionnelle et prendra principalement la forme de «rent strikes». Cette tactique ne pouvait en réalité fonctionner que si la quasi-totalité des locataires de l’immeuble participait. De plus, la majorité de ces actions de grèves étaient menées par des femmes, des mères de famille immigrantes dans des quartiers (Lower East Side, Brownsville, Harlem) à majorité juive d’Europe centrale ou de l’est, souvent de première ou deuxième génération. C’était aussi l’époque des grandes organisations syndicales du textile, et aussi la période où le Parti socialiste fera de véritables gains, autant au niveau municipal à New York et à Albany, à la chambre de représentant. Ces représentants socialistes au niveau de l’état seront éventuellement même expulsés de la chambre durant le Red Scare. Mais cela n’empêchera pas les autres représentants de comprendre que l’heure était à l’action. La pression politique était rendue intenable : il fallait venir en aide aux centaines de milliers, sinon des millions de locataires qui étaient pris à la gorge et acculés à la rue par leurs propriétaires.

Pour faire face explicitement à cette crise du logement (des augmentations arbitraires et des expulsions), les mesures de contrôle sur les loyers (uniquement les logements) et le maintien en place des locataires seront adoptées par l’État de New York en 1920, pour une période de deux ans. C’est d’ailleurs cette limite et la façon explicite d’être des remèdes à une crise qui feront qu’elles résisteront jusqu’en cour suprême. Elles seront reconduites (par tranche de un à deux ans) jusqu’en 1929.

Ce livre fait exhaustivement l’histoire de ces mesures; elles ont probablement sauvé New York d’une véritable révolution populaire au tournant des années 1920. Cette histoire mérite d’être mieux connue et les parallèles avec nos pathologies contemporaines dans le domaine sont de chaque page.

Tags The Great Rent Wars, Robert M. Fogelson, New York City, Housing, Série Housing in NYC

NYC dans la rue

July 5, 2021 John Voisine
EB0C3E8E-E643-4A66-83CB-A5ED68A6FAC6.jpeg 990B58A5-F223-4D21-998B-41B0FF5217BE.jpeg 7F4B775C-1174-4C27-A963-F542706B5F83.jpeg E8D4B6A0-B01C-4979-BE31-1E1C5704B3C3.jpeg

Street Fight—Handbook for an Urban Revolution. Janette Sadik-Khan and Seth Solomonow, Penguin Books, 2017, 350 page.

Durant presque sept ans, de 2007 à 2013, en tant que commissaire du New York City Department of Transportation (NYCDOT), Madame Janette Sadik-Khan aura transformé les rues, avenues, artères et jusqu’au «ballet» de la métropole américaine, comme seulement Robert Moses (1) avant elle. Mais contrairement à ce dernier, grand géniteur de la primauté de l’automobile-roi, l’œuvre de Mme Sadik-Khan s’est implantée au bénéfice de tous. Encore mieux, l’ouvrage le décrivant bien, son travail aura permis de commencer à cicatriser une partie des blessures profondes laissées par l’emprise funeste de Robert Moses sur les infrastructures routières de la ville (et de l’État) de New York.

Durant de trop longues décennies, l’espace des voies publiques, essentiellement abandonné ainsi à l’automobile ou pire encore, conçu avec en tête cette seule solution à l’accessibilité, n’allait pas facilement se faire reconquérir—d’où le «fight» dans «streetfight». Chaque corridor d’une rue ou espace redonné à la ville devait être arraché à l’automobile et à sa logique de «fluidité» à tout prix.

Mme Sadik-Khan a bénéficié, bien sûr, du couvert de son patron, le maire Michael Bloomberg, mais sa plus grande force fut d’avoir le doigté et la dextérité de faire des implantations à la fois stratégiquement localisées et flexibles dans leurs mises en place. Ces deux éléments étaient les ingrédients essentiels : la visibilité du lieu apportait l’attention sur la volonté de faire les choses autrement, la flexibilité dans la conception et l’implantation permettait d’apporter les correctifs nécessaires au fur et à mesure des constats sur l’appropriation et l’utilisation des espaces et des corridors par le public. Que ce soit dans l’extension du réseau cyclable protégé, la mise en place d’un réseau «à la Bixi», les voies réservées pour autobus, la création de minis plazas sur rue, ou à partir de 2009, la transformation de Times Square (de loin la plus connue et médiatisé des transformations durant son mandat), la technique privilégier pour faire face au «choc du changement» et maintenir les acquis de ces transformations au bénéfice de tous était de le faire à partir d’éléments flexibles et amovibles. Ensuite, apprendre du ballet des interactions avant de finaliser l’implantation.

Sur les traces de Streetfight

Un des fameux dadas du maire Bloomberg était sa volonté d’appuyer les politiques de son administration sur des «données» («metrics») afin de mieux en mesurer la progression et les résultats. C’est donc dans cet environnement que Mme Sadik-Khan, en tant que commissaire, a su mettre en place les projets de récupération de l’espace urbain en s’assurant de toujours les appuyer avec des données probantes. Des interventions de clarification des corridors de circulation, avec agrandissement de l’espace piéton, introduction d’un vrai réseau de pistes cyclables et de voies réservées pour autobus, même en plein cœur de Midtown Manhattan (Green Light for Midtown) ou plus à l’est, sur First Avenue, ont permis de créer des environnements substantiellement plus propices à un achalandage sécuritaire 24/7, au commerce en général et oui, même à la fluidité de tous.

Le slogan derrière les interventions (Better streets mean better business) et les chiffres venaient appuyer cette perspective. Jusqu’à 47 % moins de commerces vides, probablement dus à une augmentation de 177 % des cyclistes (eux aussi des «big spenders») et un achalandage accru dans un réseau d’autobus plus efficace. Souvent, la fluidité de toutes les circulations est notablement améliorée (15 %) et les accrochages et «accidents» entre véhicules moteurs connaît une diminution (jusqu’à 63 %) (Chapitre 8. Bike Lanes and Their Discontents).

Avec de tels chiffres, la population locale et les groupes d’intérêts commerciaux et privés doivent en redemander, non? On parle ici de la ville de New York, centre du monde des médias américains et épicentres des spécialistes de la manipulation de ceux-ci. Un des phénomènes les plus curieux de cette période est l’agilité avec laquelle les opposants de cette nouvelle philosophie d’aménagements urbains pour tous ont détourné les statistiques sur la sécurité des piétons pour s’opposer aux nouvelles mesures d’élargissement de l’espace public en faveur justement de tous. Un meilleur achalandage en mode actif entraîne une augmentation des accidents entre ses usagers, mais une diminution radicale des accrochages majeurs avec le vrai danger mortel, l’automobile.

Comme dans plusieurs domaines, on se dit que ce qui peut fonctionner à NYC pourra un jour conquérir les autres métropoles. Ce livre de Madame Janette Sadik-Khan nous donne cet espoir.

(1) Comme toujours, la meilleure lecture sur ce personnage colossal est le livre de Robert Caro, The Power Broker

Publié une première fois le lundi 27 décembre 2021

Tags Street Fight, Janette Sadik-Khan, Street Design, Tactical Urbanism, New York City

Le centre

June 28, 2021 John Voisine
C5AA10D7-BC7E-4607-A781-CC72ADE081EE.jpeg 383B4FF5-0A44-4C21-AAC7-004919DF70D6.jpeg EABAA550-7162-410D-968A-9E9DE2F1B96C.jpeg 5E893287-EC2B-49B8-BB43-06F7C8BBBF6E.jpeg

City—Rediscovering the Center. William H. Whyte, foreword by Pace Underhill, University of Pennsylvania Press, (1988), 2009, 288 pages.

Il est maintenant normal pour tout professionnel de l’urbanisme, du design urbain ou de l’architecture de sortir avec un bloc-notes/sketchpad, un appareil photo (cellulaire), et d’aller passer un moment « sur le terrain », pour prendre le pouls d’un environnement urbain. On cherchera alors à absorber un peu de sa dynamique et de son énergie (ou de l’absence de celle-ci). Une équipe dédiée pourra ainsi mieux assimiler les particularités du lieu et, dans la meilleure des situations, proposer des approches pour mettre en valeur ses lignes de force et remédier à ses faiblesses. L’étape essentielle ici étant une observation sensible et factuelle, sous plusieurs angles et dans diverses conditions, de la réalité de l’espace. Pour reprendre un yogiberrisme trop évident, c’est fou tout ce qu’on peut voir juste en regardant.

Les études de cas et les analyses contenues dans cet ouvrage découlent essentiellement de la situation des plazas immobilière et des « pocket parks » que l’on retrouve à New York. Après l’érection du Seagram Building et du succès de sa plaza, NYC a inscrit dans son code de zonage l’obligation pour les promoteurs de fournir des places similaires. Loin de se révéler des phénomènes urbains dynamiques et fréquentés, comme pour la « place mère » du Seagram, plusieurs autres demeuraient sous-utilisés ou même déserts. Mais pourquoi au juste ?

C’est un peu le mandat de répondre à cette question que l’auteur et son équipe se sont vues attribuer à la fin des années 1960 et lors d’autres engagements similaires qui se sont poursuivis jusque durant les années 1980. En fixant caméras et appareils cinématographiques pour capturer les interactions et les agissements « naturels » de la faune citadine, que ce soit sur une plaza, une intersection, ou dans une oasis comme le Paley Park, William H. Whyte, et son groupe on mit en évidence les configurations les plus favorables à la présence et à la satisfaction des urbains. Qui eût cru, par exemple, que de simples tables et chaises pouvant être disposées au plaisir des usagers puissent être l’assise d’un espace attractif et fréquenté ? C’est cette documentation méticuleuse des comportements et de l’usage réel que les gens font de leurs villes qui sont à la base des recommandations contenues dans l’ouvrage.

Sur les traces de City—Rediscovering the Center

Ce livre de William H. Whyte, maintenant un classique, nous rappelle que ces outils de mesure et d’analyse, en appuis au design, ont été longs à prendre leurs places. Et malheureusement, trop souvent, les conclusions qui en ressortent sont difficiles à implanter. En plus d’avoir à confronter une certaine « arrogance conceptuelle » face à l’existant (pourquoi changer ce qui existe déjà ?), on constate aussi une forme d’inertie, un « confort sécurisant » qui découle de l’habitude. Elle persiste même une fois les erreurs diagnostiquées et l’échec du design admis de tous. Whyte donne plusieurs exemples paradoxaux de ces environnements urbains aménagés et simultanément « laissés en friche ». S’y installe une indifférence devant le dynamisme urbain qui s’étiole.

Le plaidoyer principal de l’ouvrage est en faveur d’une ville où les citoyens sont présents parce qu’il existe une concentration de services, d’attractions, d’emplois et de milieux de vie diversifiés qui le justifie. Mais surtout, un environnement urbain conçut, pensé et entretenu de façon à favoriser l’interaction humaine, les rencontres de personne à personne, le tout sur une base quatre saisons. L’ingrédient premier pour allumer cette magie de la ville est l’intégration d’espaces urbains où les gens se sentent en contrôle, partie prenante et participant à part entière dans l’urbanité qui les entoure.

William H. (« Holly » pour ses amis) Whyte n’a pas seulement laissé sa marque dans le domaine de l’enquête terrain socio-urbaine ; il a commencé sa carrière avec un livre qui fait encore école dans le monde de la gestion, The Organization Man (1956). Peu de temps après, il était l’éditeur d’un collectif, The Exploding Metropolis (1958) ; on y trouve un texte de Jane Jacobs.

Si les techniques, les méthodes et l’approche générale déployées par Whyte peuvent sembler familières, c’est certainement en raison de la popularité d’un ouvrage comme Life Between Buildings (1987, pour la traduction) de l’architecte danois Jan Gehl. Whyte note d’ailleurs la similarité de leur approche et la concordance des observations. En 1980, Whyte publiait The Social Life of Small Urban Spaces ; si l’on cherche, il est possible de trouver le film/documentaire qui l’accompagnait. Il y a quelques années, Streetfilms en a aussi fait un excellent résumé de trois minutes.

Note 1 : Publié une première fois le 20 décembre 2021

Note 2 (2022-03-29) : Un article sur l’actualité toujours brûlante de son oeuvre et d’une nouvelle biographie qui vient juste de paraitre : William H. Whyte : Still Relevant After All These Years.

Tags Rediscovering the Center, William H. Whyte, Downtowns, New York City, Urban Design, Série William H. Whyte

514-761-1810

© 2017-2025 | Wellington | Fabrique urbaine | Urban Workshop inc.