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Wellington | Fabrique urbaine

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L'urbanisme en pratique

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URBS+ : Abréviation d’urbanisme, mais quand même un peu plus. Une revue hebdomadaire d’ouvrages et d’œuvres avec comme point commun un intérêt pour l’univers urbain, qui est aussi l’univers ultime de l’être humain.

Une persistance

September 10, 2024 John Voisine
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Le mythe tenace de la folk society en histoire du Québec. Jacques Rouillard, Septentrion, 2023, 218 pages.

Série essai historique — A tous les deux mois

Lorsqu’on regarde de plus près, même pour un simple amateur, l’histoire particulière des villes, des villages et du territoire rural du Québec met en porte-à-faux le compte-rendu conventionnel voulant que la population canadienne-française ait vécu sous l’emprise de l’Église, en mode « survivance », de la Conquête (1760) jusqu’à l’éveil de la Révolution tranquille. Mais n’étant pas historien et doté, somme toute, d’une connaissance limitée de l’histoire de la province, il était difficile de mettre le doigt sur ce qui ne tournait pas rond. En particulier, à la source de mes doutes était que chaque fois que je plongeais dans une histoire urbaine ou que j’en apprends davantage sur une localité, je constatais presque toujours une grande pluralité, sur tous les plans, et ceci peu importe l’époque. Les gens se mobilisent tant bien que mal, les commerçants, marchands et industriels canadiens-français se regroupent, des organisations de tout genre se forment, et pas uniquement de nature confessionnelle. Même si la franchise est loin d’être universelle (soit que les femmes n’ont pas le droit de vote, soit que seulement les propriétaires ont la prérogative, etc.), la vie politique sur les fronts municipaux, provincial et fédéral entrainent une mobilisation et des discussions vigoureuses sur toutes les tribunes disponibles (pamphlets, journaux et revues; à la radio à partir des années 1920-30). Les manifestations et rencontres de tout genre abondent. Je ne serais pas le premier à le faire remarquer, mais le nombre et la diversité des associations de toute nature, dans toutes les communautés et à travers celle-ci, représente la soif légitime que nous avons tous d’être en contact avec autrui. Ceci demeure vrai, peu importe ce qui était dit en chaire lors des grandes messes dominicales.

D’ailleurs, si l’emprise de l’Église était si total sur les consciences, pourquoi un gouvernement du Parti libéral à Québec (réélu avec de fortes majorités) de 1897 à 1936? Et ensuite, de 1939 à 1944? Qui se souvient de l’Action libérale nationale (ALN)? Du programme progressiste du Parti libéral adopté en 1938, à Québec? Des mesures progressistes adoptées par le gouvernement d’Adélard Godbout? Qui se souvient que l’Union nationale n’a pas gagné le vote populaire lors de sa victoire qui l’aura installé au pouvoir en 1945, jusqu’en 1960?

Sur les traces de Mythe tenace de la folk society en histoire du Québec

Ce que monsieur Jacques Rouillard vient offrir est une genèse de la façon dont s’est construit le consensus autour de plusieurs notions tenaces (des mythes) sur ce discours qui fait de la population canadienne-française une sorte de « folk society ». En faisant reposer notre compréhension de l’histoire sur une lecture purement culturelle de la société, on se retrouvait avec un corpus d’une profondeur plutôt limité. De plus, loin d’impliquer de véritables connaissances historiques, ce corpus fut essentiellement bâti à travers des sociologues associés à l’école de Chicago. Pour les intellectuels, autant d’ici que d’ailleurs, qui ont basé leurs lectures de la société canadienne-française sur ce corpus, c’est un matériel qui allait surtout permettre de réconforter plusieurs préjugés faciles.

Ainsi, on se retrouvait longtemps à renforcer la notion que les Canadiens français d’avant 1960 étaient ce peuple triste, passif et refermé sur lui-même (on dira même xénophobe, raciste et antisémite), sous le joug de la religion, l’Église catholique et son idéologie (l’ultramontanisme) qui légitime le contrôle des institutions de cette société. Dans ce moule, notre monde des gens d’affaires était sans envergure ou ambition, et surtout, sans moyens. Toujours selon cette conception, notre parlement et nos politiciens étaient sans programme, sauf celui soufflé par l’Église. Fondamentalement, notre société se caractérisait par un repli sur soi qui interdit l’assimilation de toute autre culture, surtout pas celle des États-Unis ou du reste du pays, avec l’anglais honni qui finira par dominer et entrainer la perte et l’effacement de la nation. Jacques Rouillard vient enfin faire voler en éclat cette vision « folk society ». Celle-ci était tenace parce qu’elle conforte et donne un rôle flatteur, d’avant-garde même à ces sociologues et d’intellectuels influant de la période juste avant et juste après la Révolution tranquille. La sociologie s’est implantée plus rapidement dans les universités; et c’est seulement après que les premières cohortes d’historiens, formées aux outils de cette discipline, ont finalement émergé durant les années 1970-80 que les premiers travaux sont enfin venus nuancer notre passé. Un exemple de cette nouvelle vague se trouve dans les deux tomes d’une histoire du Québec contemporain par Linteau, Durocher et Robert.

Jacques Rouillard nous donne les outils pour que nous puissions une fois pour toutes nous débarrasser de ce mythe tenace et auto-infligé. Le moment est mûr pour enfin laisser tomber cette noirceur dans la lecture de notre histoire; pour ceux qui l’auront lu, c’est maintenant notre devoir de passer le mot.

Tags Le mythe tenace de la folk society en histoire du Québec, Jacques Rouillard, Québec, Histoire politique, Série essais historique

New York City selon la WPA

August 15, 2024 John Voisine
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The WPA Guide to New York City—The Federal Writers Project Guide to 1930s New York. With an introduction by William H. Whyte. The New Press, 1992 (1939), 700 pages.

Cette chronique fait partie d’une série sur l’auteur urbain William H. Whyte (1917-1999)

Août n’est jamais un bon mois pour aller visiter NYC, mais c’est dire la force de ce guide et de cette ville, centre de l’univers sans égal d’entre les villes que le simple fait d’ouvrir le livre à n’importe quel page nous donne immédiatement le goût d’y être, maintenant et alors, à la fin des années 1930 [1]. C’était juste avant la guerre, mais juste au moment où la ville, et l’Amérique en général, s’en sortait. Une bonne partie de cette extraction des profondeurs de la noirceur économique pouvait d’ailleurs être attribuée au nombreux programme du gouvernement fédéral, comme la Work Projects Administration (WPA) qui, avec la Federal Writers’ Project (FWP), allait employer écrivains, journalistes et gens du domaine des études humaines dans la production de ces guides « de découverte et de voyage », fait pour la totalité des États américains et plusieurs grandes villes américaines. Il va sans dire, ces volumes sont maintenant des objets de collections, mais la plupart connaissent aussi des éditions contemporaines, comme celle-ci sur NYC. L’éditeur avait même eu l’idée heureuse de faire appel à Holly Whyte (1982) pour une introduction. Whyte est l’archétype du New Englander qui trouve finalement son vrai milieu naturel dans New York City, au confluent de la sécurité matérielle de la Upper East Side (son lieu de résidence) et de la trame dense des rues, des avenues et du métro qui conduit potentiellement partout, en tout temps.

Chatham Square Station sur le Third Avenue El — 1929

Dans cette introduction, Whyte nous invite à découvrir la ville de maintenant avec ce guide d’alors. Il mise sur le fait que la vaste majorité des « buildings of no special significance but […] [that] gave the streets scale and characters » jouent toujours leurs rôles, même si les pertes, autant de l’extraordinaire (Penn Station) et de la multitude de ces bâtiments ordinaires, mais essentiels ont été jusqu’à changer la nature même des quartiers. C’est une chose quand cette transformation se fait par un glissement naturel, avec de la restoration, de la rénovation et un usage qui s’adapte au présent, c’est est une autre lorsque cela est l’œuvre de projets grandioses d’un idéalisme puéril. NYC étant le centre et le point de départ de tous les idéalismes urbains contemporain, on ne sera pas surpris d’y trouver toutes ces contradictions magnifiées, autant à Manhattan que dans les boroughs. Et comme le souligne Whyte, les rues sont toujours débordantes des gens, partout. Juste ne pas penser qu’on pourra utiliser le El sur Third Avenue pour s’y rendre, malheureusement.


[1] (2024-08-19) Pour une autre perspective vive sans être indument nostalgique, on parcourra avec bonheur le travail de Madame Jill Gill, qui vaut certainement le détour.

Tags The WPA Guide to New York City, William H. Whyte, NYC, WPA, Série William H. Whyte

Le second souffle

August 8, 2024 John Voisine
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The Exploding Metropolis. William H. Whyte (Editor), foreword by Sam Bass Warner, Jr., University of California Press, 1993 (1957-58), 193 pages.

Cette chronique fait partie d’une série sur l’auteur urbain William H. Whyte (1917-1999)

Sur les cinq auteurs donc les textes sont rassemblés pour former les propos de cet ouvrage, seuls deux noms nous sont encore bien connus, soit celui de Jane Jacobs, bien entendu et, dans une moindre mesure, celui de William H. Whyte, qui est aussi l’éditeur de cette collection. La publication originale est parue en 1957, soit juste avant le déploiement, avec l’argent du gouvernement fédéral américain, du réseau des « interstates ». Une fois complété à l’échelle nationale, après 15 ou 20 ans, selon les endroits, ce réseau allait finir par traverser et relier tous les états continentaux des États-Unis. Bien entendu, ces autoroutes devaient aboutir, et encore grâce à l’argent du fédéral (90 % des coûts) et au contrôle des départements de transport des États [1], cela se faisait au détriment des pourtours et des centres urbains. Au moment de la réédition de l’ouvrage, en 1993, le réseau autoroutier national (et même international, puisqu’il traverse les frontières de tous les États-nations des Amériques) était essentiellement complété. Mais il est remarquable que seul deux des auteurs (Holly Whyte et Jane Jacobs, justement) pouvaient entrevoir l’irréversible poindre à l’horizon. Nous vivons tous maintenant sous le soleil cuisant de cette tragédie quotidienne.

L’édition 1993 contient aussi un avant-propos de Sam Bass Warner Jr, un nom qui sera peut-être reconnu par ceux qui auront eu la chance d’être en contact avec son ouvrage sur les « streetcar suburbs » et comment ceux-ci ont aidé dans le développement de Boston. Sa perspective fraiche, écrite avec plus de trente ans de recul sur la publication originale, lui donnera l’opportunité de faire des remarques essentielles. Comme sur la « crise du logement » et le fait qu’en ce domaine, il était même alors notoire qu’autant l’entreprise privée que l’initiative personnelle étaient des échecs, et que laissé à eux-mêmes, ne pourront jamais répondre à la demande. Est-ce la raison que même dans un ouvrage écrit à presque 70 ans de nous, dans le chapitre Are Cities un-American?, le propos de Whyte est occupé par les questions d’insuffisances de logis, de sa piètre qualité et d’un manque dans la diversité du parc de logements offert aux ménages urbains de 1957? Plus généralement, il s’interroge sur la dégradation des standards de design qui faisait que les nouveaux ensembles d’habitation ne semblaient plus miser sur les forces inhérentes à la ville, soit sa densité et sa capacité à rapprocher les gens et services, en intégrant ceux-ci à même les bâtiments.

Sur les traces de The Exploding Metropolis

Cette concentration (pour ne pas dire cette densité) des emplois, des services et des attractions, n’est-ce pas là le milieu parfait pour élever une famille, vivre une vie de bohème ou poursuivre une existence bien remplie sans les encombrements et l’ancrage matériel dépensier généré par une vie en deuxième, troisième ou même quatrième couronne? Surtout depuis qu’il est nécessaire d’assumer soi-même tous ses déplacements, l’accessibilité aux emplois et aux services étant entièrement privatisée via l’automobile? Dans les circonstances, n’est-il pas logique qu’un ménage avec ou sans enfants puisse souhaiter bénéficier de l’autonomie d’une existence urbaine centrale, dans un environnement où tout est accessible à pied, en transport actif ou en commun? En 1957, Whyte expose ces questions dans le premier chapitre et arrive à cette conclusion, mais qui, semble-t-il, doit toujours être réaffirmé : la ville est gagnante lorsqu’elle mise sur ce qui fait sa force, la raison de son existence, soit sa capacité à rassembler une pluralité d’intérêt dans un lieu géographique relativement concentré. Dans ce livre dont il est l’éditeur, William H. Whyte réussit, avec un questionnement toujours pertinent pour notre vingt-et-unième siècle, à faire passer ce point essentiel. Il est de plus appuyé brillamment dans cette tâche par Jane Jacob, dans son chapitre, Downtown Is for People. Elle nous rappelle que tuer l’énergie frénétique de la rue équivaut à éteindre la ville, qu’il faut que les gens puissent vivre, travailler, commercer et produire en ville et que l’attention experte sur l’efficacité des fonctions (circulation, zonage, usages, etc.) de la ville et la volonté de « clarifier » et « d’ordonner » celles-ci est certainement ce qui nous aveugle sur les besoins des véritables moteurs de la ville, c’est-à-dire les gens.

Les auteurs de l’ouvrage contemplaient la ville qui avait été rêvé au début des années 1930, avec une place généreuse à l’automobile et en constataient déjà les périls. Autant les trois autres auteurs parlent des pathologies qui affectaient les espaces métropolitains, autant cette lecture relève plus, pour nous maintenant, de l’épistémologie. Ai-je besoin de dire que cela ne nous couvre pas de gloire? Le chapitre 2 est presque un plaidoyer pour une meilleure accommodation de l’automobile et le chapitre 4, sur les « slums », est entièrement encapsulé par les orbières de son temps.

On prend connaissance de ce livre pour extraire le meilleur des analyses simples et claires de William H. Whyte, de Jane Jacobs et, comme si besoin il y avait, du travail colossal encore nécessaire.


[1] Trop heureux partout de faire du même coup du « slum clearance » et du « Urban Renewal » qui était tout sauf;

Tags The Exploding Metropolis, William H. Whyte, Histoire urbaine, Métropole, Série William H. Whyte

Blanc, bleu et rouge

July 30, 2024 John Voisine
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Les Aurores montréales. Monique Proulx, Les Éditions du Boréal, collection spéciale à tirage limité “les incontournables”, réédition 2023 (1996), 243 pages.

Série fiction — À tous les deux mois

C’est après avoir été charmé par Ce qui reste de moi que j’ai souhaité aller voir du côté de ce recueil de nouvelles qui fut, lors de sa parution en 1996, un tournant dans la carrière de l’auteure. Plusieurs signes semblent concourir pour donner cette impression, ne serait-ce qu’il soit réimprimé dans une collection spéciale de douze titres « incontournables », pour souligné les soixante ans de l’éditeur. Comme on peut le voir sur les photos, le livre lui-même est d’une facture magnifique, même si je suis déçu pour l’auteure qu’il soit maintenant impossible de se le procurer en format poche. Rares sont les gens, même parmi les fans finis, qui envisagent de débourser presque trente dollars pour ce genre littéraire (ou n’importe quel autre, à vrai dire). Sans une édition de poche courante, un auteur et son livre n’existent essentiellement plus.

Toujours est-il, Ce qui reste de moi fut un beau coup de foudre et je voulais un peu poursuivre dans cette veine avec ses nouvelles. De plus, comment résister à un titre aussi enchanteur et évocateur que Les Aurores montréales? La date de publication (1996) aurait pu et aurait même dû me donner certains indices sur les effluves, comme ce sous-courant légèrement amer qui allait potentiellement teinter certaines nouvelles. Mais l’enthousiasme de replonger dans l’écriture montréalaise de Monique Proulx prenait le dessus. Ce fut globalement une belle expérience littéraire, où justement cette fluidité dans la maitrise de la voix des personnages et l’évocation du contexte qui les enserrent l’emporte sur toute autre considération. La plupart du temps, mais pas toujours. Il est clair que la fin des années 1980 et la première moitié des années 1995 furent une époque bizarre, une « drôle de période » qui culmine avec le point d’orgue du deuxième référendum, en octobre 1995. Le soir du revers, le premier ministre de la province fait des remarques indignes et incompréhensibles, pour un homme de sa stature. Après cette deuxième défaite référendaire, plusieurs nationalistes ont fermé leurs cœurs et leurs intellects à toute possibilité d’avancement de la cause en dehors du cercle décroissant des Québécois de souche. Il est peu probable que ce durcissement idéologique, qui a toutes les caractéristiques d’une dégénérescence, donne éventuellement des résultats fertiles et positifs.

Et il y a les artistes, comme l’auteure, qui ont réussi à faire passer dans leurs créativités une partie de leurs frustrations face à ce revers historique. Dans le cas des auteures de génie, comme c’est le cas ici avec ce recueil de Madame Proulx, la vaste majorité des passages où cette blessure est évoquée, cela s’accomplit dans la subtilité, l’ironie et un humour qui facilite la sublimation de la défaite. Ceux qui auront vécu et connu l’expérience de vivre à Montréal durant cette période y retrouveront plusieurs situations, contexte de vie et personnages qui étaient à leurs summums et ne manqueront pas de lire le recueil avec ce sourire caractéristique. Les autres seront transportés, le temps d’une lecture épisodique, dans une ville familière, mais d’un autre temps.

Tags Les Aurores montréales, Monique Proulx, Nouvelles, Montréal, Série fiction

Se donner

July 11, 2024 John Voisine
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The Organization man. William H. Whyte, foreword by Joseph Nocera, University of Pennsylvania Press, 1956 (2002), 429 pages.

Cette chronique fait partie d’une série sur l’auteur urbain William H. Whyte (1917-1999)

This book is about the organization man. C’est avec cette phrase simple et affirmative, caractéristique des écrits de William H. Whyte, que débute ce livre qui, avec le néologisme composé « organization man », inventé par l’auteur, finira par définir un genre, une époque et certainement les hommes de cette classe. Ils se porteront en étendard d’une génération et au-delà, comme l’avant-garde d’un nouveau type, à la fois bien distinctif, mais qui, par définition, se fond dans le groupe pour devenir un composite quasi anonyme. Le « organization man » que nous rencontrons ici pour la première fois est celui qui nous semble maintenant si trompeusement familier, grâce à des œuvres contemporaines comme The Man in the Gray Flannel Suit (cité dans The Organization Man); ou torturé par une existence en demi-teinte, on le retrouve dans Revolutionary Road et bien sûr, on retourne à cette riche veine dans une série qui nous est contemporaine, comme Mad Men [1], pour ne nommer que ceux qui nous seront familiers. Que le type persiste en tant que représentation d’une époque, même soixante ans après son installation dans l’imaginaire de nos sociétés américaines en dit beaucoup sur sa capacité pérenne à modeler nos environnements, autant métaphorique que physique.

Pourtant, ce que nous croyons être cette familiarité est probablement ce qui masque encore si bien le véritable propos que voulait nous livrer Holly Whyte. Oui, l’homme de l’organisation, comme nous l’appellerons ici, était clairement un genre nouveau de travailleur. Ni tout à fait un col blanc professionnel, certainement pas un homme de plancher (un col bleu) sur la chaine de production, mais pas vraiment un leader et encore moins un capitaine d’industrie. Il ne jouait plus en tous points le rôle de simple « chemise blanche » du travailleur de bureau en entreprise d’avant la Deuxième Guerre. Ces hommes, qui avaient combattu en tant que soldats ou officiers juniors dans cette guerre aux contours moraux sans ambiguïté ou qui venaient juste d’atteindre l’âge adulte à sa sortie, étaient maintenant engagés dans une autre forme de conscription collective. Mais durant cette nouvelle décennie d’après-guerre, on allait plutôt s’attaquer à fournir aux nouveaux consommateurs issus de ce conflit un maximum de biens, les meilleurs services et la fine pointe des innovations techniques et scientifiques. Tout ça dans une société aux vertus saines et solides, incontestables.

Cet esprit de corps dans la mission et la fidélité dans l’enthousiasme envers « l’organisation » sont véritablement des caractéristiques de cette classe.

Sur les traces de The Organization Man

Dans une société qui se voulait pourtant dynamique et capitaliste, ce choc des saines vertus collectives, qui se construisaient grâce à un dévouement coopératif qui mettait en veilleuse les nuances individuelles, est au cœur des tensions irrépressibles diagnostiquées par l’auteur. Non seulement l’homme de l’organisation est-il prêt à étouffer une partie de sa personnalité pour le bien du groupe et à donner son temps et le meilleur de lui-même à la tâche, mais surtout, à garder pour lui ce qui le rend distinctif (d’où la caricature de l’uniforme gris—The Gray Flannel Suit), mais encore, on l’aura convaincu de le faire avec enthousiasme et zèle. Holly White démontre qu’une suite d’instruments ont été détournés de leur utilité première (dans le domaine des analyses psychologiques) pour servir à choisir de la masse des hommes, ceux qui se mouleront au service de l’organisation. Surtout, il brosse le tableau des conséquences de cet état de fait, en ce qui a trait aux possibilités d’avancement scientifique fondamental, autant dans les sciences techniques que des connaissances humaines. En sélectionnant pour la conformité à l’adaptabilité organisationnelle, lorsque c’est le contraire qui devrait être la norme, ont se trouve à augmenter dramatiquement les risques de stagnation. L’auteur cite deux cas, en forme de contre-exemple : General Electric et Bell Labs. Il faut donc souligner que Whyte ne cherche pas seulement à faire le portrait de cette situation troublante, mais que l’ouvrage constitue surtout un appel à dépasser ce confort rassurant et trompeusement harmonieux de « groupthink » des milieux organisationnels.

En plus du portrait de l’homme de l’organisation dans son milieu « naturel », les derniers chapitres, regroupés dans la partie VII—The New Suburbia: Organization Man at Home, vaut à lui seul le détour. L’auteur montre comment ces premières « package communities » (dans le cas présent, la récente banlieue de Park Forest), ont vite évoluées, en symbiose avec les besoins et les aspirations de cette nouvelle classe de la classe moyenne, essentiellement composés de familles nucléaires blanches (papa au travail, maman à la maison, souvent une voiture, très rarement deux, mais avec un enfant au minimum). Ce sont des communautés qui se voulaient « classless », mais surtout pas « colorblind », allant jusqu’à faire de la piscine communautaire un club privé, pour ne pas avoir à accueillir les jeunes noirs de la ville de Chicago, toute proche.

Malgré les presque 70 ans écoulés depuis la parution de l’ouvrage, toujours un propos terriblement pertinent.


[1] Les hommes représentés dans la série Mad Men ne sont pas exactement des « Organization Men », surtout parce qu’ils bénéficient d’une capacité de « self-actualization » dont l’homme moyen dans une organisation, même durant l’époque de gloire de « l’Organization Man », ne peut que rêver.

Tags The Organization Man, Sociologie du travail, Psychologie organisationnelle, Suburbia, Série William H. Whyte

Visionaire urbain

June 27, 2024 John Voisine
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American Urbanist—How William H. Whyte’s Unconventional Wisdom Reshaped Public Life. Richard K. Rein, Island Press, 2022, 335 pages.

Cette chronique fait partie d’une série sur l’auteur urbain William H. Whyte (1917-1999)

Avant de commencer cette série sur l’œuvre de William H. (Holly) Whyte, je pense qu’on se devait de regarder un peu la vie de ce personnage qui a, avec Jane Jacobs, ranimé la flamme vitale de la passion pour les villes, pour l’urbanité, dans les vertus de la densité, que ce soit des gens, des activités, du cadre bâti même. C’est un parti, et beaucoup ne le partageront jamais ou (pire) n’auront jamais la chance de le développer. Mais, pour ce que j’aime croire être la vaste majorité des gens, il n’existe rien de plus porteur que le « hustle and bustle » d’un centre urbain qui joue pleinement son rôle de centre de l’univers économique, social et culturel de l’activité humaine.

Il ne fait aucun doute que de nos jours, les références à l’opus de Jane Jacobs, The Death and Life of Great American Cities (1961), et même certain de ses ouvrages plus back catalogue, comme The Economy of Cities (1969), mais que j’affectionne particulièrement, sont beaucoup plus courante que ceux à The Exploding Metropolis (qui comporte pourtant un chapitre écrit par Jacobs) ou The Last Landscape (1968) ou même The Social Life of Small Urban Places (1980) de Whyte. Ce sont tous là des ouvrages qui, seuls, auraient parfaitement servi à faire la réputation d’un auteur. Mais il semble assez transparent, à la lecture de cette biographie écrite par Monsieur Richard K. Rein, que la vie et l’œuvre de Holly Whyte à, d’un côté, grandement bénéficié par cet éclectisme et simultanément, a été légèrement handicapé par ce vacillement thématique. Ses ouvrages ont souvent abordé des thèmes légèrement à côté de l’air du temps, sous un angle trop spécialisé pour être populaire, mais aussi trop pratique dans leurs refus des montages théoriques abscons, donc rejeté par les milieux académiques d’accréditation (mais heureusement, pas par les praticiens qui le découvrent ailleurs).

De plus, comment comprendre, à moins de lire cette biographie, qu’il est parfaitement cohérent que l’homme qui a produit The Organization Man (1956), qui décrit l’engrenage corporatif, soit aussi celui derrière The Exploding Metropolis (1958), qui expose l’engrenage toxique de l’étalement urbain, le même qui proposera des solutions pérennes pour la conservation des milieux naturels dans The Last Landscape et le même qui, dans The Social Life of Small Urban Places, développera une méthodologie simple et pratique pour comprendre les comportements humains sur rues et dans les places? Toujours le même homme.

Sur les traces de American Urbanist

Lorsque l’on aborde les questions de vitalité urbaine, de transformation ou de création d’environnement urbain activé par la présence humaine sur rue, le nom qui vient le plus spontanément à l’esprit, autant du public que des spécialistes, est encore celui de Jane Jacobs. Et elle reconnaissait sa dette, écrivant dans la préface à une nouvelle édition (1992) de son livre que « [o]ther authors and researchers—notably William H. Whyte—were also exposing the unworkability and joylessness of anti-city visions. » On apprend aussi dans cette biographie que ce dernier a tiré les ficelles pour qu’elle reçoive une bourse substantielle pour écrire son opus de 1961.

Mais même si leurs causes ont toujours été communes, leurs façons de pratiquer étaient le plus souvent en contraste. Par son milieu familial, ses études (à Princeton) et le moment de son entrée dans l’âge adulte, juste à temps pour participer (en tant que Marine dans le théâtre Pacifique, dans une unité de renseignement), Whyte fut certainement marqué comme un des membres de cette élite issue de la très grande solidarité engendrée par cette époque exceptionnelle. Mais contrairement à la vaste majorité de son groupe générationnel, il a démontré une capacité de lecture et de questionnement des tendances fortes de sa cohorte et de sa classe. On pense au mensonge de l’alignement entre les intérêts des entreprises manufacturières et industrielles et ceux des individus. Ou encore, comment le retranchement en banlieue (par voies autoroutières), autant pour le résidentiel, le commercial et l’entreprise, était présenté comme la solution aux maux de la ville; finalement la pire fraude jamais perpétrée par une population sur elle-même.

Malgré tout, et comme l’illustre cette biographie, Holly Whyte avait, par sa place dans le système, accès à un réseau de gens au portefeuille bien garnis et porteurs de causes auxquels sa contribution fut des plus innovatrices, comme la Ford Foundation et dans le domaine de la conservation, l’argent d’un certain Laurance Rockefeller. Avec tout ça, j’allais oublier de mentionner que sa carrière a été lancée par la revue Fortune, où il a travaillé pendant plus d’une décennie, de 1946 à 1958. Comme on l’entendait à une autre époque, le journalisme mène à tout, à condition de s’en sortir.

Il est vraiment heureux que Holly Whyte s’en soit bien sorti, et nous gagnerons tous à nous familiariser avec son œuvre. Cette biographie nous donne de bons repères pour se faire.

Tags American Urbanist, Richard K. Rein, Biography, Série William H. Whyte, Urbanité

On Juneteenth

June 19, 2024 John Voisine
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On Juneteenth. Annette Gordon-Reed, W.W. Norton & Company, 2021, 152 page. [E-book lu sur plateforme Kindle]

Série essai historique — A tous les deux mois

Le 19 juin (1865) marque le moment qui mettait fin à l’esclavage dans l’ancien l’État confédéré du Texas, et plus généralement dans tous les anciens États confédérés du sud des États-Unis. Plus spécifiquement, c’est une proclamation (General Order No. 3) du général unioniste Gordon Granger, stationné dans la ville portuaire de Galveston, sur la côte est du Texas, qui vient finalement donner la capacité aux autorités militaires et civiles fédérales de mettre en vigueur la proclamation d’émancipation qui avait été émise plus de deux ans plus tôt par le président Abraham Lincoln, le 1e janvier 1863. La guerre de Sécession était elle-même finie depuis le 9 avril 1865, plus de deux mois plus tôt. Le président Lincoln sera assassiné à peine cinq jours plus tard, le 14 avril 1865.

On Juneteenth, le bref, profond et sensible ouvrage de Madame Annette Gordon-Reed [1] ne se veut pas tellement un historique de ces évènements dramatiques, mais plutôt une réflexion personnelle et familiale sur le sens de ce jour. De plus, depuis la signature, par le président Joe Biden en 2021, de la loi votée à l’unanimité par le sénat et la quasi-unanimité de la chambre, c’est aussi une fête nationale (significativement, la dernière introduction d’une fête nationale aux États-Unis remonte à 1983, avec Martin Luther King Jr. Day). L’auteure est née et a passé ses années formatrices au Texas, durant les décennies 1960 et 1970, dans une ville qui avait alors pas plus de 5000 habitants, mais qui en compte désormais plus de 85 000. Lorsqu’elle est née en 1958, les écoles dans l’État étaient encore ségréguées, malgré la décision Brown vs Board of Education de 1954. L’auteure nous fait un portrait très personnel de ce Texas sous l’emprise de l’arbitraire extrajuridique et des lois Jim Crow, où l’histoire et le quotidien des uns, la majorité blanche, ne connaissaient presque aucun parallèle avec celui des minorités à la fois noires et de la diversité hispanique native et immigrante de l’État.

Tout se joue dans la façon d’emmener la narration de cette histoire. La méthodologie déployée par l’auteure à la force nécessaire pour nous faire sentir tout la violence et l’ordinaire tragique de vies où l’exploitation est une réalité intégrée, de jure et de facto, dans le quotidien de toute une population désigné (les concitoyens noirs). Mais du même coup, l’auteure ne manque pas d’expliquer comment se fait l’appartenance profonde au territoire patrimonial et identitaire de cette même population.

Sur les traces de On Juneteenth…

C’est en quelque sorte cette tension unique à porter qui se manifeste à tout moment de l’existence des citoyens noirs de l’État du Texas et que Madame Gordon-Reed nous permet de mieux saisir. Elle est de plus particulièrement bien placée pour être porteuse de ce message délicat, ayant été l’auteure d’une nouvelle biographie de Thomas Jefferson qui est venu une fois pour toutes établir sa paternité des enfants d’une femme de son entourage rendu en esclavage, Sally Hemings. Cette relation de parenté, elle ne l’a pas faite en utilisant une méthodologie à base de tests d’ADN (même si ses travaux ont été par la suite confirmés par de tels tests), mais plutôt simplement en utilisant une méthodologie de recherche historique et juridique traditionnelle. Surtout, en donnant une voix pleine et entière à la documentation historique et aux témoignages (des personnes rendues en esclavage) du vivant de Jefferson. Les historiens/biographes ainsi que les descendants de l’auteur de la Déclaration d’indépendance avaient simplement choisi d’ignorer, lorsque possible ou de discrédité, lorsque la réalité ne pouvait être ignorée, tout les témoignages et documents qui pointaient vers cette paternité. Cette faculté d’ignorance volontaire et cette façon de discréditées agressivement les témoignages contemporains étaient rendu des plus facile du fait que ceux-ci émanaient de personnes ayant directement vécue les conséquences du système esclavagiste basé sur les nuances de couleurs de la peau (noir) qui caractérisait l’esclavagisme américain (d’autres systèmes existent).

Selon la règle juridique qui voulait que « [African Americans] had no rights which the White Man was bound to respect », la personne noire n’avait ni parole ou récit à fournir à l’histoire qui devait ou pouvait, de manière crédible, être intégrée dans l’histoire « officielle ». Il est certain que cette histoire, lorsqu’on y intègre les versions minoritaires, montre le système de gouvernance, le système légal, les comportements et les agissements de la majorité blanche sous un jour des plus haineux, ce qui n’aide en rien son intégration dans la narration officielle. Ce n’est pas un hasard si au Texas, on dit toujours « Remember Goliad » ou « Remember the Alamo », mais dès qu’il est question d’expliquer pourquoi l’État demandait d’être indépendant ou faire la lumière sur le rôle de l’esclavage et de la résistance violente à toute expression universaliste des droits civique et politique, la majorité blanche répond « don’t dwell on the past ».

En ce 19 juin 2024, Juneteenth, on prendra un moment pour embrasser, apprendre, diffuser et accepter toute notre histoire et pourquoi pas, lire ce livre essentiel.


[1] On trouve sur ce site une entrevue avec l’auteure qui en vaut le détour.

Tags On Juneteenth, Annette Gordon-Reed, Texas, Galveston, Esclavage, Série essais historique

La référence urbaine pour le Québec

June 6, 2024 John Voisine
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Dictionnaire politique de la scène municipale québécoise. Sous la direction de Sandra Breux et Anne Mévellec, Presses de l’Université Laval (PUL), 2024, 501 pages.

Une série sur les municipalités et la politique municipale au Québec [5 de 5]

Je vais commencer immédiatement par exprimer le premier (ce n’est pas comme s’il y en a des dizaines!) d’entre mes regrets concernant cet ouvrage essentiel de Mesdames Sandra Breux et Anne Mévellec : à ma connaissance, il n’y a pas de version anglaise. Évidemment, je suis facétieux en disant cela. Mais dans un autre sens, je crois vraiment que pour que l’ouvrage puisse atteindre une forme plus achevée, il aurait fallu qu’il soit bilingue. Qui sait, cela aurait-il même inspiré une forme d’émulation chez nos collègues hors province? J’étais surpris après la lecture de chaque vedette d’être talonné par la volonté de lire, dans un format comparable, un article similaire sur les réalités municipales dans une autre province canadienne ou dans un état américain.

La gestion du palier municipal et régional dans cette province est juste assez différente, juste assez dans l’univers du « uncanny valley » pour rendre les parallèles avec les autres provinces, pour ne rien dire des états américains, bizarrement complexe et rempli de contingences, toujours dans les tournants où l’on s’y attend le moins. Bien entendu, la réalité sur le terrain est tel que, comme l’exprime un des auteurs des préfaces, on aimerait au minimum avoir un ouvrage comparable pour l’Ontario, puisque les deux provinces ont des environnements urbains, des secteurs économiques et de développement qui peuvent aisément s’assimiler l’un à l’autre. De plus, il fait peu de doute que le milieu municipal au Québec gagnerait à pouvoir évaluer plus facilement nos deux systèmes de gouvernance et de gestion locale. Mais évidemment, si un ouvrage similaire existait pour la scène municipale ontarienne, il serait en anglais, une langue plus maitrisée chez les locuteurs francophones du Québec que l’inverse, tristement.

Toujours est-il, je ne voudrais pas prendre plus de place pour pleurer ce que nous n’avons pas, au lieu de célébrer, comme nous devrions le faire justement, le travail colossal et quasi héroïque qui nous permet de profiter avec enthousiasme de ce dictionnaire. En ayant eu la clairvoyance d’envisager que le système municipal dans la province se prête bien à une recension basée sur des mots-clés, on peut aisément faire en quelques entrées le tour qu’une question. Et surtout, en ayant la capacité de rassembler en un seul ouvrage la contribution de plusieurs dizaines d’auteurs spécialistes, le lecteur se retrouve avec une collection alphabétisée d’articles riches, concis et standardisés sur des concepts contemporains de la scène municipale au Québec.

Sur les trace du Dictionnaire politique…

Le format « dictionnaire » de l’ouvrage permet une entrée en matière instantanée et concise, agréable d’utilisation pour le praticien, le chercheur ou l’étudiant. Comme dans un dictionnaire, chaque vedette bénéficie, il va sans dire, d’une définition de quelques paragraphes pour ensuite aborder les enjeux, un historique ou une illustration de l’évolution de la notion discutée, c’est selon. En portant ainsi le texte au-delà de la définition attendu de tout dictionnaire, on donne la chance aux différents spécialistes de creuser un aspect qui va plus loin que la définition stricte. Chaque entrée est toutefois rigoureusement formatée de manière à être concise et d’aller à l’essentiel. Cela ne veut toutefois pas dire que le lecteur est laissé sur sa faim. Les auteurs ont bien au contraire été rigoureux dans les références à même le texte et la bibliographie de l’ensemble de l’ouvrage est des plus exhaustive. De plus, chaque vedette se termine par une section bibliographie spécifique, « Pour aller plus loin » et une dernière partie des plus utile intitulée « Liens avec d’autres articles ». C’est en fait à partir de ces sections que j’ai souvent parcouru un ensemble de vedettes. On en finit une et immédiatement, cette section de liens plus ou moins longue nous conduit à nous intéresser à d’autres notions adjacentes. C’est ainsi qu’on peut faire le tour d’une question. Je dirais même que la grande force du volume, au-delà de l’excellence même des entrées prise individuellement, est cette capacité intégrée à chacune d’elles de porter le lecteur curieux et soucieux de faire le tour d’une question vers toutes les notions connexes pouvant lui être utile.

Je me suis souvent plaint dans ces pages que les ouvrages récents, même ceux de presses universitaires comme PUL, manquent d’un index ou lorsqu’il y en a un, que sa construction soit quelconque. On ne peut pas tout avoir; comme avec un triangle d’optimisation, en choisir deux c’est nécessairement en exclure un. Dans ce cas, on a un index habilement structuré, à partir de notions complémentaires aux entrées-vedettes (comme Arvida, qui se trouve dans la vedette Villes de compagnie), mais pas de pagination. Sur un autre plan, les auteurs sont identifiés par leurs affiliations, mais impossible de savoir à quelles vedettes ils sont contributeur, à moins de les passer systématiquement en revue. Maintenant, cela dit, c’est un ouvrage qu’on voudra toujours garder à portée de mains et on espère de futures éditions, selon l’évolution de la matière.

Tags Dictionnaire politique de la scène municipale québécoise, Sandra Breux, Anne Mévellec, Études urbaines, Administration municipale, Série municipalité

"Que cela aussi serve le bien"

May 28, 2024 John Voisine
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Ce qu’il reste de moi. Monique Proulx, Boréal, 2015, 430 pages.

Série fiction — À tous les deux mois

Il n’y a pas un personnage dans ce roman construit en petite fresque qui ne m’a pas donné un bon moment à être légèrement déstabilisé ou confondu, et cela est franchement un des meilleurs arguments pour en faire une des lectures presque incontournables de la littérature montréalaise contemporaine. Combien rares sont les auteurs en mesure de conduire une histoire et des personnages contemporains le moindrement complexes sans tomber dans la rigidité didactique? Avec la diversité des possibilités et des conditions envisageables dans une ville comme Montréal, il y a toujours la crainte de tomber sur un auteur qui utilise une formule de provocation convenue, des situations chocs ou esthétiquement conflictuelle afin d’épicer une histoire, une trame narrative ou des personnages autrement bancals. C’est donc avec un réel bonheur que les chapitres de ce qui est quand même une histoire à la fois inattendue, tout en s’ancrant dans ce qu’une ville peut offrir de vies banales teintées par l’exceptionnel de quêtes uniques, que les chapitres donc offrent des espaces d’exploration et de découverte des personnages, d’approfondissement de ces quêtes. Bien entendu, personne ne vit en vase clos et chacun est marqué, influencé et relancé par ce contact avec les autres, même (et même surtout) les personnages qui pensaient que par la vertu de l’absolu de cette quête, ils seraient immunisés des apports externes.

Mais ce ne sont pas seulement les personnages eux-mêmes qui défient l’expectation de l’ordinaire de manières toujours originales. Comme je le disais au début, le lecteur doit aussi souvent lui-même, d’une certaine façon, rendre les armes et baisser ses défenses face aux situations confondantes, si possible dans le meilleur sens de ce terme, dans lequel les personnages sont emmenés à évoluer, tout naturellement. Dans un monde où l’identité se veut de plus en plus une source de limitation, le plus souvent imposée par des conventions extérieures, il était rafraichissant de lire ce roman où, comme dans le monde urbain réel qui est notre quotidien, l’identité de tout un chacun ne fait qu’inconfortablement et piètrement, si on s’y attarde trop, contenir une pâle représentation de la multitude que nous sommes tous. Ce que nous offre ici Monique Proulx c’est un tour de force d’une grande beauté : ce pouvoir quasi magique de marier et faire traverser au lecteur le temps, les époques et les contextes en insufflant à chacun la majesté et la dignité propre à sa condition humaine.

Tags Ce qu'il reste de moi, Monique Proulx, Montréal, Histoire, Série fiction, Nouvelles

Une histoire difficile

May 23, 2024 John Voisine
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Unité, autonomie, démocratie — Une histoire de l’Union des municipalités du Québec. Harold Bérubé, Les Éditions du Boréal, 2019, 384 pages. Lu sur plateforme PrêtNumérique.

Une série sur les municipalités et la politique municipale au Québec [4 de 5]

On comprend parfaitement que les « créatures » de la province, ses cités, villes, villages et autres entités rurales et locales ont cherché à se doter d’un minimum de « pouvoir dans le nombre » en se regroupant en « Union ». Québec avait beau les avoir légiféré en tant que corporations limitées d’utilités publiques, une fois en place, celles-ci n’allaient pas simplement se contenter de cette existence zombie, jamais tout à fait réalisé. En formant l’Union des municipalités de la province de Québec en 1919 (on bannira province dans les années 1970), un an après l’institution d’un ministère des affaires municipales, les membres (principalement les grandes et moyennes agglomérations urbanisées de la province) réussissent enfin à présenter un front d’intérêt commun à Québec. Si rien d’autre, c’est certainement un petit miracle que sur une période de plus de 100 ans, et qui se continue à ce jour, l’UMQ puisse catalyser au sein d’une même structure, toujours plus effective, les forces et l’expression de la diversité des territoires urbains de la province.

Ce que cette histoire officielle de l’UMQ, commandé à l’historien des affaires urbaines bien connu, Monsieur Harold Bérubé, démontre c’est que la tâche première de l’Union, la représentation des intérêts de ses membres auprès des gouvernements successifs à Québec, est la plus difficile et celle qui offre, ironiquement, le moins de gains tangibles. Je mets ici un peu de mon « spin » sur cette histoire, mais il faut bien comprendre qu’il n’y a pas vraiment un moment où l’UMQ sort triomphante et satisfait de sa relation par rapport à Québec. Celle-ci semble, selon les époques, vaciller entre une indifférence bienveillante, un paternalisme facile ou, dans le pire des cas, d’un mépris à peine voilé, comme à l’époque du gouvernement de Maurice Duplessis. Chaque période apporte ses défis sur le plan urbain et social, mais le dialogue que l’Union entretien avec Québec n’apparaît pas en mesure de faire évoluer progressivement la vision de celle-ci par rapport à ses « créatures ».

Avant la fin de la Deuxième Guerre, c’était en partie à cause d’un trop fort copinage avec le parti au pouvoir (Libéral). Ensuite, bien au contraire, l’Union doit faire face à l’hostilité franche du gouvernement Duplessis (qui trouvait plutôt sa base dans les milieux ruraux, de la colonisation et les villages). L’Union était donc confrontée à un gouvernement qui s’entêtait à faire une gestion corporatiste et refermé des affaires de l’État, tandis que ses membres devaient s’adapter à la modernité de l’après-guerre.

Sur les traces d’Unité, autonomie, démocratie…

On aurait pu croire alors que les années 1960 avec la Révolution tranquille apportée par « l’équipe du tonnerre » allaient permettre à l’UMQ d’avoir une meilleure écoute à Québec, mais c’est plutôt à ce moment qu’un déphasage s’installe. Le gouvernement provincial travail à moderniser l’État québécois, mais le monde municipal ne trouve pas à danser sur ce nouveau rythme, à tel point même que l’Union finira par remettre au gouvernement Lesage le rapport qu’ils avaient remis à la Commission Tremblay en… 1954! La Révolution tranquille se fera donc avec les municipalités sur le bord du chemin, bien plus en tant que spectateurs de la parade qu’en tant que participants. Et encore une fois, le manque d’emprise de l’Union sur les avancés historiques de cette décennie est assez déconcertant.

La décennie 1970 et le début des années 1980 introduisent des changements colossaux dans le monde municipal et encore, cela laisse à peine à l’Union le temps de souffler. La Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles est passé (1978) et ensuite la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (1979), ce qui conduit, entre autres choses, à la création des municipalités régionales de comté (MRC), l’introduction des schémas d’aménagement et l’obligation pour les municipalités de confectionner des plans d’urbanisme conforme. L’UMQ a été spectateur de ces transformations, et non partie prenante. Même lorsque le gouvernement semble vouloir aller dans le sens des doléances municipales, on assiste plutôt, comme au début des années 1990, à du délestage, c’est-à-dire un transfert de responsabilités, mais sans moyens financiers ou organisationnels. Le tournant du siècle est aussi traumatique, avec les fusions municipales forcées et leurs jours meilleurs qui ne se sont jamais vraiment avérés.

Il ne faut pas oublier que les trois premiers mots du titre de l’ouvrage — Unité, autonomie, démocratie — jouent un grand rôle dans l’histoire et servent en quelque sortent de miroir pour juger des avancées de l’organisation. Jusqu’à demain se tiennent justement les assises annuelles de l’UMQ, et il n’y a aucun doute que les membres en retirent une valeur ajoutée qui va bien au-delà du pouvoir dans le nombre. L’unité dans la diversité est certainement une caractéristique qui permet un travail positif, l’autonomie dans la responsabilité évolue constamment et la démocratie municipale est plus que jamais une réalité. En tout et pour tout, je suis heureux que cette histoire de l’UMQ existe, puisqu’elle nous accorde la possibilité de développer cette perspective essentielle.

Tags Unité autonomie démocratie, Harold Bérubé, Politique municipale, UMQ, Série municipalité

Revisiter ses a priori

May 12, 2024 John Voisine
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Le BAEQ revisité—Un nouveau regard sur la première expérience de développement régional au Québec. Sous la direction de Bruno Jean, Presses de l’Université Laval, 2016, 215 pages.

Une série sur les municipalités et la politique municipale au Québec [3 de 5]

Je suis le premier à l’admettre, durant notre formation d’urbaniste a ce qui s’appelait à l’époque l’Institut d’urbanisme de la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, je ne suis pas certain d’avoir jamais entendu parler des travaux du Bureau d’aménagement de l’est du Québec (BAEQ — 1963-1966), cette organisation privée qui semble avoir été une étape fondamentale dans la maitrise de la planification à l’échelle régionale au Québec. Ou si nous en avons discuté, cela devait être pour mentionner la proposition de fermeture de dizaine de villages gaspésien et la fermeture effective d’une douzaine d’entre eux. Probablement à cause de la proximité dans le temps, on l’assimile souvent avec l’expropriation des habitants dans le cadre de la création du Parc national de Forillon, même si les deux évènements n’ont aucune parenté, ni dans la démarche ni dans la manière.

Le manque de mémoire et de connaissance par rapport au BAEQ, ses travaux pionniers pour le Québec, ainsi qu’un certain aveuglement à l’égard des outils du « développement régional » est sans doute un des grands contrastes entre nous, les urbanistes, et ce que l’on appelle les « aménagistes ». Même nos écoles sont différentes : les aménagistes émanant essentiellement de l’école supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional (ÉSAD) de l’Université Laval (UL), à Québec. « Développement régional », c’est dans leur nom! Et comme on l’apprend dans cette compilation de textes sous la direction de Bruno Jean, la proximité avec le milieu académique et intellectuel de l’UL est un facteur fondamental dans la sensibilisation à cette notion pour les aménagistes. Comme je l’ai découvert en y faisant ma formation de premier cycle en architecture et ensuite en travaillant quelques années sur le campus, Québec comme ville et le noyau de l’UL comme centre intellectuel sont vraiment la capitale de l’est de la province et même de tout l’est du pays qui se reconnait une affinité avec la spécificité francophone.

Cela conduit à cette perspective, qui n’existe que faiblement dans une métropole comme Montréal. Parfois, rien ne remplace la proximité physique dans l’analyse territoriale. Toujours est-il, paru pour souligner (en 2016) les cinquante ans de la publication des rapports d’études du BAEQ, cet ouvrage rassemble des textes d’intervenants de la première heure impliqués dans les travaux de l’organisation, des participants de l’époque et dans un deuxième temps, de chercheurs qui examinent avec le bénéfice du recul les résultats qui sont sortis de cette expérience unique de planification.

Sur les traces du BAEQ revisité…

Après la lecture de l’ouvrage, on se rend compte qu’il est quelque peu injuste que l’expérience du BAEQ soit réduite à celle de la fermeture des villages. Un long métrage de cinéma-réalité, Les smattes (1971) fait encore écho à cette expérience. Trente ans plus tard, le même réalisateur revient cette fois avec un documentaire, le Grand Dérangement de Saint-Paulin Dalidaire (merci appropriation). Les textes apportent évidemment plusieurs perspectives sur cette manœuvre aux conséquences dévastatrices pour les populations concernées. Le simple fait qu’une telle solution ne fut plus jamais proposée et encore moins appliquée en dit gros sur son impotence. Mais il n’en demeure pas moins que de comprendre la logique qui a conduit à cette proposition et son implantation est essentielle et mériterait d’être mieux transmise dans la profession.

Mais le BAEQ, c’est tellement plus que les fermetures! Dans un mandat qui s’est étalé sur à peine trois (3) ans, ce petit bureau ad hoc fait de sociologues, d’économistes, de gens en droit et dans le domaine naissant du travail social, ont complété un exercice qui ne sera reproduit (et même là sur une échelle beaucoup plus petite et de manière rigide), qu’avec les schémas d’aménagement (et plus tard encore, de développement) qu’au début des années 1980. À travers le recueil de textes et de témoignages colligés dans l’ouvrage, on peut clairement voir le travail du BAEQ avec les populations locales comme un jalon unique vers l’avancement de la province dans une prise en charge de son avenir en contexte de révolution tranquille. Le personnel clé qui se succède dans le BAEQ prendra les commandes d’une fonction publique québécoise qui se modernise et se professionnalise, faisant de la boîte une sorte d’incubateur pour celle-ci. Au-delà de l’accord fédéral-provincial de 1968 qui résulte des propositions contenues dans les rapports du BAEQ livrés en 1966, ce que tous les auteurs semblent reconnaitre est que face à des conditions adverses, un minimum de concertation permet de parcourir beaucoup de chemin. En plus d’ouvrir les canaux de communication et d’avoir en place un réseau solidaire, informé des enjeux mutuels, motivé à collaborer dans une mission commune et capable de mobiliser sa collectivité dans ce sens, ce travail est probablement la seule voie pour un développement durable en région. L’équipe du BAEQ a été pionnière dans ce domaine. Ce livre est cette histoire, qui mérite d’être mieux comprise et assimilée.

Tags Le BAEQ revisité, Bruno Jean, Aménagement, Sociologie, Histoire du Québec, Série municipalité

George Orwell à Verdun

May 1, 2024 John Voisine

Carte postale — Collection Pierre Monette — BAnQ

La mairesse de l’arrondissement de Verdun, Madame Marie-Andrée Mauger, présidait hier soir (mardi) à une assemblée publique « d’information et d’échange » sur le sort que l’arrondissement réserve finalement au Natatorium, le bâtiment Art déco inauguré à l’été 1940 et qui est l’incarnation et le phare du site. Sans ce bâtiment spécifique, restauré et agrandi afin de tenir compte de l’évolution de notre société en quatre-vingts ans, il faut dire que le lieu perd substantiellement de son sens, autant dans la continuité historique que dans sa charge symbolique pour la collectivité verdunoise.

Le bâtiment photographié à partir du boulevard LaSalle, dans toute sa fonctionnalité simple et affirmée (on remarque les lampadaires du toit-terrasse) — 25 mars 1957 — Fonds d’archives de l’arrondissement de Verdun — Montréal, toute une histoire!

Mais en plus de Madame la Mairesse, des conseillers et d’un trio de fonctionnaires sélectionné pour expliquer au public (1) les « choix difficiles », il y avait aussi, bien en évidence, une autre figure. Curieusement, il ne fut pas introduit par le présentateur/facilitateur, qui a pourtant vaillamment conduit cette soirée.

Une journée d’été au Natatorium de Verdun. On remarque les gens qui profitent des bassins, mais aussi ceux qui profitent de la vue, sur le toit-terrasse — 1948 — Fonds d’archives de l’arrondissement de Verdun — Montréal, toute une histoire

Même si ce personnage voulait passer inaperçu, on parle quand même d’une grande figure du monde de la littérature, du journalisme et de la pensée politique du 20e siècle. Il est vrai qu’il avait une présence quelque peu fantomatique, mais comment pourrait-il en être autrement? Il a écrit des récits d’aventures à partir de ses propres exploits (durant l’horrible guerre civile (1936-39) dans la péninsule ibérique), des romans allégoriques, des récits de politique-fiction ou d’anticipation, selon l’époque ou le point de vue où l’on se situe. Il a fait du journalisme-réalité et a aussi écrit sur l’utilisation politique de la langue (anglaise). Mais hier soir, ce personnage était visiblement flatté et présent pour recevoir les honneurs que lui réservait la petite politique municipale de Verdun. Oui, George Orwell était dans la salle du conseil et ne pouvait faire autrement que d’admirer le travail de « novlangue » employé par l’administration de la mairesse Mauger.

Encore une fois, presque autant de monde sur le toit qu’autour des bassins — 23 juin 1913 — Fonds Conrad Poirier — BAnQ — Montréal, toute une histoire

Une des nouveautés terrifiantes dans le monde totalitaire de son plus célèbre roman, 1984, est la manipulation toujours plus sophistiquée de la langue afin d’obscurcir et de détourner les gens de la réalité avérée. Les intentions véritables sont encadrées par un vocabulaire servant à faire de l’ombre, au lieu de servir à éclairer le projet collectif proposé. L’ironie est que l’on utilise même souvent les mots qui mettent en valeurs le meilleur des aspirations contraires afin de mieux faire diversion sur la banalité médiocre et sans vision de ce qui est avancé comme « avenir radieux ».

Durant « les Olympiades de natation ». Foule autour du bassin de plongeons et sur le toit-terrasse, évidemment ! — 1966 — Fonds d’archives de l’arrondissement de Verdun — Montréal, toute une histoire

Ces techniques indignes d’une démocratie municipale ouverte et transparente étaient pleinement déployées hier soir lors de cette soirée « d’information et d’échange ». Madame la mairesse Mauger a commencé par dire, pour ajouté à la confusion, que le site demeure, quand le but de la soirée n’avait jamais été de parler du site, la discussion ayant toujours porté sur le bâtiment. Elle en a parlé en disant que c’était « le bâtiment que l’on traverse et où l’on va se changer et prendre sa douche ». Ah ben, si c’est juste ça, pourquoi tout le flafla? Si c’est vraiment juste un banal bâtiment utilitaire pour passer, se changer et prendre sa douche, pourquoi même nous avoir convoqués? Évidemment, c’est tout le contraire. En plus d’être le bâtiment-phare du site, distinctif et unique dans son contexte, c’est aussi le lieu où les gens pouvaient, jusqu’au début des années 1980, aller passer leur été sur le toit-terrasse, s’y restaurer en se délectant de la brise, du fleuve et des baigneurs (2) dans les deux grands bassins au sol. En termes de taille, seule la piscine extérieure de l’ile Sainte-Hélène viendra l’éclipser, à partir de 1953.

Quelques « Life Guard » bien fier de leur métier ! — 23 juin 1943 — Fonds Conrad Poirier — BAnQ — Montréal, toute une histoire

Maintenant, en avançant les deux scénarios qui ont été étudiés, la mairesse a présenté le choix comme étant celui entre la restauration ou la reconstruction. Blanc bonnet/Bonnet blanc donc? Reconstruction est un de ces mots orwelliens d’une merveilleuse ambiguïté lorsqu’on veut, par exemple, obscurcir la réalité d’une proposition de démolition. Vers la fin de sa présentation initiale, la mairesse Mauger s’est d’ailleurs échappée en disant qu’elle n’était pas « une partisane de la démolition ». Finalement, c’est alors cela que les mots cousus de double entendre tentait de dissimuler. Pourquoi ne pas avoir respecté les citoyens et le dire simplement, right from the top?

Révolution tranquille à Verdun ! Quelques baigneuses qui prennent la pose sur le tremplin du Natatorium — 26 août 1965 — Fonds d’archives de l’arrondissement de Verdun — Montréal, toute une histoire

La mairesse finit par dire que c’est une « conversation » qu’elle entreprend avec « humilité ». Une façon de démontrer cette humilité proclamée aurait certainement été d’utiliser des mots et un vocabulaire qui identifie clairement et ouvertement les intentions du « scénario » retenu. Une démolition n’a rien de la reconstruction. Pourquoi avoir pris ses commettants pour des valises? Même le quotidien numérique La Presse+ intitule ce matin son article sur la question « Le Natatorium de Verdun sera démoli ». Voilà, c’est dit (3).


(1) La soirée était aussi diffusée en direct sur la chaine YouTube de l’arrondissement. On peut la voir avec intérêt ici.

(2) Comme on peut le constater dans ce délicieux vox pop d’une époque maintenant révolue.

(3) Mais pour finir en beauté et avec le sourire, malgré tout, voici une belle page de « trivia » du Natatorium. Ou pour mieux comprendre la fierté civique engendrée par ce qui est vite devenue une institution pour la « Cité de Verdun », on lira cet article paru dans le quotidien The Gazette du 21 juillet 1951, Popular Open Air Pool Pays Verdun Dividends : More than 6,000 cool off in this outdoor pool on hot summer days.

Tags Natatorium de Verdun, Démolition du patrimoine, Arrondissement de Verdun, George Orwell à Verdun, Novlangue
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