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Wellington | Fabrique urbaine

3516, rue Gertrude
Verdun, Québec H4G 1R3
514-761-1810
L'urbanisme en pratique

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URBS+ : Abréviation d’urbanisme, mais quand même un peu plus. Une revue hebdomadaire d’ouvrages et d’œuvres avec comme point commun un intérêt pour l’univers urbain, qui est aussi l’univers ultime de l’être humain.

De cols mousseux à coeurs malades

June 10, 2025 John Voisine
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Les Coeurs tigrés. Yves Morin, Hamac classique (Septentrion), 2011, 446 page. Lu une copie empruntée à la bibliothèque d’arrondissement.

Série Fiction

Je dois admettre être un peu nerveux et appréhensif avant de m’engager dans un roman « historique ». Plus la gimmick qui structure le récit est élaborée, plus mon aversion envers la moindre facilité narrative ou faux-fuyant de la part de l’auteur m’aurait immédiatement fait arrêter la charade. Ici, nous avons deux histoires imbriquées et juxtaposées, comme dans une trame miroir qui se déroule dans la même ville (Québec), dans le même hôpital (l’Hôtel-Dieu de Québec), géré par le même ordre religieux (les Augustines) et qui implique la même crise médicale autour du même produit (la bière), avec au centre de l’intrigue la même cause et le tout, à 300 ans d’intervalle (1665-1965). De plus, que penser du fait que l’auteur, Yves Morin (il est décédé en juin 2024), soit aussi un ancien cardiologue au même hôpital et un ancien doyen de la faculté de médecine de l’Université Laval? Sans préjudice, mais pas exactement le chemin qui conduit à la production littéraire. Cela ne s’invente pas, mais il est aussi le « héros » de son histoire romancée, puisque c’est lui-même (et son équipe) qui, au milieu des années 1960, a fait la description canonique de cette maladie cardiaque, a fini par en trouver la cause et a mis en place le protocole de traitement. C’est surtout le genre de maladie dont il faut assurer la suppression de la cause. Même après avoir compris le comportement cyclique des cas observés à Québec, on n’avait qu’une partie très fragmentaire de la réponse. Les vecteurs d’introduction de la maladie divergeaient au point d’en faire, il y a trois cents ans, une simple occurrence naturelle et, lors de la résurgence de la maladie en 1965, un geste proche de l’acte criminel.

Assez exceptionnellement, j’étais malgré tout favorablement disposé à m’engager dans ce roman, puisqu’il nous avait été recommandé par un conférencier sur l’histoire de la production de la bière dans la province. Il avait évoqué l’histoire de la fameuse brasserie Boswell-Dow, qui, après presque 180 ans, a périclité de manière assez dramatique. Tout le monde connait, sans vraiment connaitre, les causes de cet effondrement. Nous laissant un peu sur notre faim, le conférencier nous avait toutefois promis que ce roman, écrit par le cardiologue qui avait été aux premières loges, saurait combler notre curiosité tout en passant un bon moment de lecture. Ma seule frustration maintenant est de ne pas avoir commencé sa lecture le soir même de la conférence! [1]

IL NE FAUT PAS DANSER AUTOUR DES MOTS ICI. Il s’agit bien de comportements criminels volontaires ayant entrainé la mort d’une vingtaine d’hommes, pour la plupart des débardeurs ou des hommes de métier du port de Québec, gros consommateur de bière (jusqu’à six litres par jour), il est vrai, mais autrement innocent dans cette affaire. Ce comportement provient de petits « gestionnaires de profit » d’une brasserie qui cherchait à s’accrocher à ses marges dans un environnement social et concurrentiel en pleine évolution. Que dire des organismes gouvernementaux, autant provinciaux que fédéraux, chargés de protéger le public? Une autre histoire, subtilement présentée dans ce roman, où la convergence des intérêts n’a pas joué en faveur du citoyen.

Mais le lecteur attentif se demandera maintenant comment ce qui ressemble à un adjuvant moderne a pu trouver sa pareille dans un environnement « ancien régime », du temps des héroïques sœurs augustines et de l’intendant Talon avec sa fameuse bière pour quérir les colons des maux de l’eau-de-vie.

Rendu à ce stade, il vous faudra me faire confiance quand je vous dis que l’auteur a simplement eu la plume heureuse qui lui aura permis de faire de ce roman, à la fois un thriller historique, un thriller médical, un thriller scientifique et, comme pour toutes les meilleures œuvres littéraires, bien plus que la somme de ces genres! Toutes les réponses se dévoilent au moment opportun dans ce récit rythmé par des personnages bien de leur temps. Chacun, à sa manière, en appliquant « l’intelligence de son époque », en arrive à aider leurs prochains, autant sur le plan médical que humain. L’auteur réussit parfaitement son pari [2] de faire se côtoyer deux réalités historiques parallèles, mais en communication, sans la moindre condescendance envers les consœurs et confrères d’une époque maintenant révolue. Nos réalités font que les coupables ne seront jamais châtiés, mais la recherche sincère et authentique de la vérité en son temps est sa propre rédemption.


[1] J’ai l’impression de vendre la mèche ici, mais, pour ceux qui aimeraient aller plus loin, l’exposition permanente à l’îlot du Palais à Québec à une section intitulé Ici, on brassait la bière ! qui porte justement sur cette histoire. En plus, on peut y entendre le témoignage du docteur Yves Morin ! Pas encore vue, mais j’ai bien l’intention d’y passer un agréable moment cet été.

[2] La mort emporte bien des choses. Le site Web sur lequel le docteur Yves Morin avait mis en ligne la documentation qu’il avait constituée afin d’écrire son roman devait encore être accessible jusqu’à son décès, l’an passé. Un échange de courriel avec l’éditeur s’est avéré sans issue, comme c’est souvent le cas pour les ouvrages en « back catalog » comme celui-ci. Mais grâce à la magie du WayBack Machine, on peut récupérer l’essentiel du matériel. On cherche pour lescoeurstigres.ca.

Tags Les coeurs tigrés, Yves Morin, Québec, Histoire populaire et urbaine, Série fiction, Histoire du Québec, Brasserie Dow

Le lien de trop

March 18, 2025 John Voisine
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The Highway and the City. Lewis Mumford, Harcourt, Brace & World, 1963, 260 pages. Lu sur Internet Archive.

Cela faisait plusieurs années que je voulais lire The Highway and the City. L’argument principal de Mumford est bien connu dans le milieu. Il consiste à dire que laisser l’autoroute (ou toute forme de réseau routier supérieur à un boulevard) « entrer en ville » revient à donner un droit de destruction à ce réseau. Évidemment, le fait que les véhicules soient à essence ou électrique ne change rien (juste pour rappeler que cela est une non-question). Dès les premières pages, Mumford souligne d’ailleurs que « if cars are few, he who possesses one is king ». C’est pour cette raison que toutes les publicités d’automobile se font au singulier, une voiture à la fois. Être derrière cette voiture singulière, uniquement « personnalisé » pour soi chez le concessionnaire, est comme être un roitelet sur la route. C’est lorsque nous sommes tous parechoc à parechoc sur trois, quatre ou six voies d’une autoroute que les choses se corsent et que l’absurdité de notre confinement se révèle. À l’image de l’empereur nu, on découvre que nos habits royaux n’étaient qu’une illusion; loin de nous libérer, on se retrouve asservie par les autoroutes. On se découvre ayant moins de choix et plus pauvres qu’à d’autres époques, pas si lointaines. L’autoroute urbaine laisse toujours sur son passage la destruction de l’existant. Même dans les rares cas où on peut appliquer une forme de « cicatrisation », on évite rarement la déstructuration de l’environnement urbain limitrophe, même une fois ce tissu stabilisé dans sa nouvelle forme. Cette dernière est souvent moins riche et porteuse de nouvelles possibilités; cette différence est rarement comblée.

Dans cet essai, Mumford trouve même le moyen de parler de Benton MacKaye, (of Appalachian Trail fame), qui aurait aussi participé au développement d’un concept de réseau routier supérieur. Ce dernier se résumait en la notion « Townless Highways—Highwayless Town ». Malheureusement, c’est la partie « Highwayless Town » qui fut oubliée, et avec elle, toute possibilité d’un réseau au service des villes et non destructeur de celles-ci. Mumford fait également un parallèle intéressant avec les grandes compagnies de chemin de fer, qui pendant longtemps avait eu le pouvoir de pénétrer et réaménagé, à leurs guises, toute zone urbaine. Juste au moment où ce pouvoir devenait caduc, voilà qu’on oubliait ces leçons pour faciliter le passage des autoroutes jusqu’aux portes et à travers la ville, que ce soit de plain-pied, en tranchée ou sur pilotis.

Ce texte de Mumford, paru une première fois en 1958 dans la revue Architectural Record, a l’avantage d’être à la fois prophétique (toutes les pires résultantes d’un réseau fondé sur l’automobile correspondent à notre réalité contemporaine) et d’être ancré dans son temps. Ainsi, il offre ce paradoxe intéressant : d’un côté, les autoroutes nous permettront d’aller d’une ville à l’autre en quelques heures et, de l’autre, le système postal, qui permettait auparavant de transmettre une lettre en deux heures dans une même ville, exige maintenant, pour ce même parcours local, un minimum de deux (2) jours. Il y a une leçon à tirer dans ça.

Je crois que c’est sous cet angle, celui de l’efficacité urbaine locale, qu’il faut regarder des propositions comme celle du troisième lien. Les villes de Québec et de Lévis, en tant que villes au service d’une population urbaine croissante, ne gagnent rien en facilitant ce nouveau lien automobile dans leurs systèmes . Je laisse à Mumford la dernière ligne : « a city exists not for constant passage of motorcars but for the care and culture of men ».

Tags The Highway and the City, Lewis Mumford, Troisième lien, Autoroutes, Québec, Automobile

Les raideurs de la Pente

January 14, 2025 John Voisine
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Au pied de la Pente douce. Roger Lemelin, Stanké, collection 10/10, 2009 (Édition de l’Arbre, 1944), 388 pages.

Série fiction — À tous les deux mois

J’eus beaucoup de difficulté à lire et finir Au pied de la Pente douce cet automne. C’était le premier roman de Roger Lemelin. Lorsque l’on parle encore de lui, c’est généralement pour sa série Les Plouffe (qui se déroule dans le même univers). On le mentionne aussi pour avoir été président et éditeur du quotidien La Presse durant les années 1970, jusqu’en 1981. En d’autres termes, ce fut un homme à la carrière autant politique que littéraire, même si celle-ci était autrement plus du côté de la représentation politique que littéraire. C’était aussi à une époque où ce genre de mélange était possible et même relativement courant.

Si je compare maintenant la Pente douce à un roman paru presque simultanément et à l’impact analogue, Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy, le contraste peut être choquant. Ce dernier, par exemple, trouve encore sa place dans tous les syllabus de programme de littérature, du secondaire au cégep et à l’université. Il est facile de se le procurer dans toutes les bonnes librairies, en volume de poche, en édition cadeau ou, sans jeu de mots, en livre d’occasion. Après l’expérience de lecture comparativement pénible que je viens de vivre avec la Pente douce, cet état de fait ne surprend plus.

Je suis pourtant ce ceux qui aurait aimé affirmer que ce premier roman de Lemelin est un classique injustement oublié de la littérature urbaine canadienne-française. À côté de Bonheur d’occasion, il est toutefois vrai que la Pente douce est le premier de ce genre qui fait, dans le roman, une translation de la fameuse « misère » canadienne-française en milieu urbain. Mais, là où mes souvenirs du roman de Gabrielle Roy sont ceux d’une lecture viscérale, qui vient nous chercher là où la douleur se cache, la Pente douce laisse perplexe devant des situations et des dialogues rendus dans une langue et imprégnés d’une culture qui ne s’assimile que péniblement. Étant donné la profusion de noms, prénoms et surnoms utilisés par l’auteur, il est souvent difficile de savoir de qui ou de quoi il est question entre les personnages. À leur décharge, ceux-ci ont toutefois un vrai dialogue intérieur, mais ce qui les fait « tiqué » nous est si étranger qu’il est parfois ardu de suivre la logique du déroulement du récit. Et si l’on ajoute à cela la difficulté de comprendre les enjeux des situations décrites, il est naturel que l’abandon de la lecture, avant la deuxième partie, qui est pourtant plus engageante, devienne la solution la plus courante.

En dernier lieu, j’aimerais toutefois faire un appel à la persistance à travers les pages touffues de ce roman, en quelque sorte un pionnier du genre. Le choc du changement et de l’évolution ne peut être absorbé et compris qu’en faisant preuve d’indulgence (la seule manière de comprendre profondément). Il faut se placer en position de vulnérabilité, en lecteur ouvert à ce qui devait, il n’y a pas si longtemps, être un univers assez commun pour enfin mériter sa propre trame. Le fait que l’écart entre cet univers et le nôtre soit un véritable canyon plutôt qu’une « pente douce » ne devrait toutefois pas surprendre. Je n’ai aucun doute que Roger Lemelin, dans ce premier roman écrit à 23 ans, ait évoqué fidèlement une tranche de vie des gens du quartier Saint-Sauveur, en basse-ville de Québec, juste avant le deuxième conflit mondial. C’est à nous maintenant de nous équiper pour cette randonnée, si l’on veut bien s’y plaire.

Tags Au pied de la Pente douce, Roger Lemelin, Série fiction, Québec, Quartier Saint-Sauveur

Une persistance

September 10, 2024 John Voisine
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Le mythe tenace de la folk society en histoire du Québec. Jacques Rouillard, Septentrion, 2023, 218 pages.

Série essai historique — A tous les deux mois

Lorsqu’on regarde de plus près, même pour un simple amateur, l’histoire particulière des villes, des villages et du territoire rural du Québec met en porte-à-faux le compte-rendu conventionnel voulant que la population canadienne-française ait vécu sous l’emprise de l’Église, en mode « survivance », de la Conquête (1760) jusqu’à l’éveil de la Révolution tranquille. Mais n’étant pas historien et doté, somme toute, d’une connaissance limitée de l’histoire de la province, il était difficile de mettre le doigt sur ce qui ne tournait pas rond. En particulier, à la source de mes doutes était que chaque fois que je plongeais dans une histoire urbaine ou que j’en apprends davantage sur une localité, je constatais presque toujours une grande pluralité, sur tous les plans, et ceci peu importe l’époque. Les gens se mobilisent tant bien que mal, les commerçants, marchands et industriels canadiens-français se regroupent, des organisations de tout genre se forment, et pas uniquement de nature confessionnelle. Même si la franchise est loin d’être universelle (soit que les femmes n’ont pas le droit de vote, soit que seulement les propriétaires ont la prérogative, etc.), la vie politique sur les fronts municipaux, provincial et fédéral entrainent une mobilisation et des discussions vigoureuses sur toutes les tribunes disponibles (pamphlets, journaux et revues; à la radio à partir des années 1920-30). Les manifestations et rencontres de tout genre abondent. Je ne serais pas le premier à le faire remarquer, mais le nombre et la diversité des associations de toute nature, dans toutes les communautés et à travers celle-ci, représente la soif légitime que nous avons tous d’être en contact avec autrui. Ceci demeure vrai, peu importe ce qui était dit en chaire lors des grandes messes dominicales.

D’ailleurs, si l’emprise de l’Église était si total sur les consciences, pourquoi un gouvernement du Parti libéral à Québec (réélu avec de fortes majorités) de 1897 à 1936? Et ensuite, de 1939 à 1944? Qui se souvient de l’Action libérale nationale (ALN)? Du programme progressiste du Parti libéral adopté en 1938, à Québec? Des mesures progressistes adoptées par le gouvernement d’Adélard Godbout? Qui se souvient que l’Union nationale n’a pas gagné le vote populaire lors de sa victoire qui l’aura installé au pouvoir en 1945, jusqu’en 1960?

Sur les traces de Mythe tenace de la folk society en histoire du Québec

Ce que monsieur Jacques Rouillard vient offrir est une genèse de la façon dont s’est construit le consensus autour de plusieurs notions tenaces (des mythes) sur ce discours qui fait de la population canadienne-française une sorte de « folk society ». En faisant reposer notre compréhension de l’histoire sur une lecture purement culturelle de la société, on se retrouvait avec un corpus d’une profondeur plutôt limité. De plus, loin d’impliquer de véritables connaissances historiques, ce corpus fut essentiellement bâti à travers des sociologues associés à l’école de Chicago. Pour les intellectuels, autant d’ici que d’ailleurs, qui ont basé leurs lectures de la société canadienne-française sur ce corpus, c’est un matériel qui allait surtout permettre de réconforter plusieurs préjugés faciles.

Ainsi, on se retrouvait longtemps à renforcer la notion que les Canadiens français d’avant 1960 étaient ce peuple triste, passif et refermé sur lui-même (on dira même xénophobe, raciste et antisémite), sous le joug de la religion, l’Église catholique et son idéologie (l’ultramontanisme) qui légitime le contrôle des institutions de cette société. Dans ce moule, notre monde des gens d’affaires était sans envergure ou ambition, et surtout, sans moyens. Toujours selon cette conception, notre parlement et nos politiciens étaient sans programme, sauf celui soufflé par l’Église. Fondamentalement, notre société se caractérisait par un repli sur soi qui interdit l’assimilation de toute autre culture, surtout pas celle des États-Unis ou du reste du pays, avec l’anglais honni qui finira par dominer et entrainer la perte et l’effacement de la nation. Jacques Rouillard vient enfin faire voler en éclat cette vision « folk society ». Celle-ci était tenace parce qu’elle conforte et donne un rôle flatteur, d’avant-garde même à ces sociologues et d’intellectuels influant de la période juste avant et juste après la Révolution tranquille. La sociologie s’est implantée plus rapidement dans les universités; et c’est seulement après que les premières cohortes d’historiens, formées aux outils de cette discipline, ont finalement émergé durant les années 1970-80 que les premiers travaux sont enfin venus nuancer notre passé. Un exemple de cette nouvelle vague se trouve dans les deux tomes d’une histoire du Québec contemporain par Linteau, Durocher et Robert.

Jacques Rouillard nous donne les outils pour que nous puissions une fois pour toutes nous débarrasser de ce mythe tenace et auto-infligé. Le moment est mûr pour enfin laisser tomber cette noirceur dans la lecture de notre histoire; pour ceux qui l’auront lu, c’est maintenant notre devoir de passer le mot.

Tags Le mythe tenace de la folk society en histoire du Québec, Jacques Rouillard, Québec, Histoire politique, Série essais historique

Tous "nous"

October 13, 2023 John Voisine
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We, the Others—Allophones, immigrants and Belonging in Canada. Toula Drimonis, Linda Leith Publishing, 2022, 239 pages [lu en format PDF].

(2024-01-29) Une traduction française de l’ouvrage vient de paraitre aux éditions Somme toute, pour ceux que ça pourrait intéresser.

Si une Québécoise comme Madame Toula Drimonis, l’auteure de cet ouvrage, doit l’intituler avec ce « We » qui pointe vers « l’autre », c’est en bonne partie parce que notre « nous » collectif échoue dans son inclusivité. Ce « nous » commun n’est semble-t-il pas encore assez généreux, dans son acception usuelle, afin qu’elle puisse s’intégrer sans ambiguïté dans le même « nous » utilisé pour nommer la majorité « québécoise ». Que l’on désigne cette majorité sous l’appellation canadienne-française ou francophone n’y changerait d’ailleurs rien. Cela m’apparaît être, en quelque sorte, un échec cuisant de nos institutions (d’éducation et d’assimilation en général) ainsi que sur le plan humain. Le fait que « l’autre » puisse toujours être aussi facilement exclu dans notre société est un indice de la pauvreté et même de l’atrophie de ce que devait représenté le « nous » collectif québécois contemporain.

Toula Drimonis est née à Montréal de parents d’origines grecques qui, à la manière de milliers de leurs compatriotes, ont choisi d’immigrer ici pour de se donner marginalement (mais surtout à leurs enfants) une vie meilleure. Que cette enfant de l’immigration, née en sol montréalais, ne puisse pas se sentir en tous points intégrée dans ce qui est pourtant sa terre natale devrait être une source sérieuse de questionnement. Surtout, une raison d’action collective afin de renverser cet état de fait. On reconnait, et l’auteure l’exprime clairement, que l’assimiler d’une population de première génération, comme ses parents, sera toujours très difficile. Le fait qu’ils ont eu l’opportunité d’exercer un métier (c’est le père de l’auteure, au comptoir de son restaurant, sur la page couverture) qui enrichit à la fois la communauté urbaine et pourvoit à sa famille n’est pas chose banale dans l’histoire. C’est l’opportunité qu’ils étaient venus saisir, justement, mais qui n’allait pas se laisser attraper sans un travail acharné de tous les jours ; l’assimilation en profondeur devait être le privilège des enfants (la deuxième génération).

Ceci témoigne que nous gagnons à laisser une porte assez généreusement ouverte aux populations de première génération. Elles sauront toujours se forger en sol canadien des opportunités productives qui ajoutent et feront croitre l’économie locale, provinciale et parfois même nationale.

Sur les traces de We, the Others

Pourtant, une grande partie du discours autour de l’immigration reste dans les sphères chimérique et intellectuellement frauduleuse de la « capacité d’accueil ». Cette perspective malthusienne sur l’économie, la richesse, la croissance doit aboutir à un optimisme en la pérennité dans le changement. Une communauté telle que le Québec, avec un français qui lui est propre comme langue d’expression dans le monde, doit trouver un équilibre serein si elle veut un jour englober toutes les variantes sémiologiques du pronom « nous ». Pour prendre de l’expansion et gagner en capacité d’assimilation, la société québécoise et sa langue doivent maitriser et affirmer leurs pluralités tout en gardant la confiance de représenter une incarnation unique sur le continent nord-américain.

Pour revenir un peu sur l’auteure, un des aspects les plus tristes dans ce qu’elle écrit touche sur les difficultés qu’elle rencontre à affirmer, tout naturellement, son amour pour le pays de René Lévesque tout en exprimant son amour pour la patrie de ses parents. Cette double ou triple (ou multiple) identité assumée demeure perçue comme un phénomène assez limité, même si, dans les faits, il dépeint plutôt la capacité quasi infinie d’un être humain à contenir des multitudes. En réalité, il constitue une norme assez universelle, qui se vit et se manifeste spontanément (certains désignent aussi le phénomène code switching) dès qu’une personne est appelée à évoluer dans un milieu le moindrement pluriel, qu’il soit urbain ou rural (oui, les milieux ruraux pluriels existent !).

C’est certainement face à une machine gouvernementale qui aimerait gommer toutes les expressions endogènes d’une société qui gère sa pluralité que l’avenir d’un « nous » d’envergure et généreux dans sa sémantique va se jouer. Une vision plus robuste et confiante de l’histoire et de l’évolution de la société particulière au Québec pourrait aider. Malheureusement, il n’est pas rare que cette histoire soit transmise avec des orbières, de manière limitative dans ce qu’elle choisit de représenter dans le « nous ». La capacité d’assimilation de la majorité francophone me semble prodigieuse lorsque projetée avec confiance.

Il est impossible de savoir où « nous » en serons dans une génération ou deux. Mais je fais le vœu que le questionnement de gens comme Madame Drimonis réussisse à amener notre culture québécoise vers une compréhension toujours plus vaste et inclusive dans ce qui est « nous ».

Tags We the Others, Toula Drimonis, Immigration, Intégration, Québec

Aménagement et urbanisme professionnalisé

November 8, 2021 John Voisine
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Aménagement et urbanisme au Québec. Témoignages de pionniers et pionnières de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme depuis la Révolution tranquille. André Boisvert, Les Éditions GID, 2014, 723 pages.

The Reflective Practitioner—How Professionals Think in Action. Donald A. Schon, Basic Books, 1983, 374 pages.

Je fais cette semaine un premier, mais certainement pas un dernier, «deux dans un». Le premier est un véritable tome, avec ses 700+ pages d’entrevues, de récits, d’anecdotes, de réminiscence et de réflexion sur les pionniers/praticiens/professionnels de l’urbanisme dans la province. Le second, découvert en lisant le premier, nous offrira un moment d’introspection sur les limites de nos méthodes, outils et démarches professionnelles à appréhender la complexification des sociétés modernes.

On aimerait mettre le livre de Monsieur André Boisvert entre les mains de tous les étudiants universitaires en urbanisme au Québec; toutefois, le mieux serait dans le contexte d’un cours bien encadré. Cela n’est nullement attribuable à un défaut d’auteur ou dans la présentation du matériel lui-même. Publier en un volume le travail de plus d’une décennie d’entrevues avec les pionniers de la profession ne pouvait autrement faire que d’occuper des centaines de pages. Au contraire, on salut Monsieur Boisvert d’avoir laissé place aux propos des Benoît Bégin (2018), Jean-Claude La Haye (1998), Rolf Latté (2005), Blanche Lemco Van Ginkel, Marcel Junius (2018), Claude Langlois (2002), Ilona Kaszanitzky (2001), Jean Cimon (2016), Jean Décarie (2020) et Michel Barcelo (2013), pour ne nommer que ceux-là. On lit avec fascination les témoignages vifs de ces praticiens des premières décennies de l’après-Deuxième Guerre, parfois sans pouvoir immédiatement faire sens de tout ce qui est dit. En plus d’avoir souvent dû être recrutés à l’étranger (l’Angleterre et la Belgique ont été de gros bassin), même les gens d’ici ont tous dû recevoir l’essentiel de leurs formations dans des universités hors du pays, qui commençaient elles-mêmes juste à reconnaître la validité et l’autonomie de cette profession.

Pour se faire une idée de cette pratique pionnière et des défis qu’elle aura à transcender afin d’avoir le droit de citer, les témoignages recueillis sont tous aussi unique qu’essentiel en leurs genres. Une bonne capacité à rassembler mentalement des morceaux de récit, à suivre une trame à travers plusieurs regards (Rashomon style), sera d’un grand secours. Résultante de la franchise et de l’ouverture de la démarche, cela ne constitue en rien une lacune de l’ouvrage. Il faudra toutefois en être conscient : ce livre n’est pas une histoire de l’urbanisme au Québec. Mais pour qui en a l’inclination, il est quand même assez formidable de lire ces bâtisseurs de la profession exposer, dans leurs mots, ce que fut ce travail de pionnier.

Une pratique professionnelle hybride

Pour qui voulait exercer professionnellement ce qui ne sera reconnu que bien plus tard comme de l’urbanisme, il faudra auparavant avoir reçu une formation de premier cycle en ingénierie, en architecture, en architecture du paysage, en géographie ou même en sociologie. Ces professionnels de la première heure sont par la suite parvenus à appliquer leurs connaissances («transversale» avant l’heure) à une échelle invisible pour l’époque (le Québec pré-Révolution tranquille) : celle de l’urbain existant (accommoder l’automobile, faire tabula rasa du reste) et de l’urbain des nouvelles banlieues, alors en explosion. La notion même d’exercer une pratique professionnelle indépendante (sans la béquille de l’ingénierie ou de l’architecture) prendra finalement jusqu’aux années 1960 pour s’implanter. Je ne sais pas si c’est l’héritage de la formation hybride, mais même après le montage de curriculum universitaire local, une forte résistance à l’admission dans la profession des étudiants issus des programmes de baccalauréat en urbanisme a longtemps persisté. Aujourd’hui, demeure la question du titre réservé (urbaniste), mais sans l’association avec des actes réservés (contrairement aux professionnels adjacents, qui ont souvent les deux). Ces deux situations seraient-elles liées? Je suis de l’école qu’il en est mieux ainsi pour la viabilité et le potentiel à long terme de la profession.

Pour nous faire réfléchir sur le sens de l’exercice et de la pratique professionnelle, mais aussi sur les limites de nos méthodes et processus, l’ouvrage de Donald A. Schon est particulièrement pertinent. La crise de crédibilité des professionnels et de l’expertise en général est maintenant difficile à ignorer (voir l’ouvrage de Tom Nichols, The Death of Expertise). 

Malgré tout, plusieurs possibilités d’exercer à partir d’un terrain solide de recherches et d’actualisation contextuelle existent encore. À moyen terme, une profession d’urbaniste plus ouverte sur ses limites, plus rigoureuse dans l’identification explicite des biais qui encadre ses conclusions et toujours plus tournée vers des résolutions de design inclusives gagnerait dans l’affirmation de notre discipline plurielle.

Publié une première fois le 20 janvier 2022.

Tags Aménagement et urbanisme au Québec, André Boisvert, Histoire, Aménagements urbain, Québec

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