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Wellington | Fabrique urbaine

3516, rue Gertrude
Verdun, Québec H4G 1R3
514-761-1810
L'urbanisme en pratique

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Wellington | Fabrique urbaine

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URBS+ : Abréviation d’urbanisme, mais quand même un peu plus. Une revue hebdomadaire d’ouvrages et d’œuvres avec comme point commun un intérêt pour l’univers urbain, qui est aussi l’univers ultime de l’être humain.

Amsterdam!

August 10, 2023 John Voisine
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In the City of Bikes—The Story of the Amsterdam Cyclist. Pete Jordan, Harper Collins, 2013, 448 pages. [ebook lu sur plateforme Kindle]

Cette chronique est la quatrième de notre série Le vélo et la ville [4/5]

Regarder avec les yeux de l’amour est un moyen infaillible de voir les choses sous leurs plus beaux jours. Monsieur Pete Jordan, l’auteur de ce livre, apporte certainement ce regard fait de gourmandise, de perspicacité, d’une tendresse amusée, même incrédule par moment, mais toujours, bien sûr, amoureux dans la description de sa nouvelle belle au quotidien, sa ville d’Amsterdam. Ce n’est pas la première fois pourtant qu’un visiteur de la ville et des Pays-Bas en général nous en raconte l’histoire et nous fait partager cette atmosphère à la fois chaotique et par moment anarchiste qui ne se vit nulle part ailleurs de façon aussi totale. On aura compris que l’on parle ici de la présence omniprésente et presque sans partage de la bicyclette, pas seulement comme moyen de transport, mais beaucoup plus comme d’une manière d’être et de vivre dans la ville.

La grande force de l’auteur est justement de ne rien tenir pour acquis; chaque comportement des citoyens de la ville et du pays est autant d’occasions pour lui de raconter une tranche de la relation symbiotique qu’entretient le citoyen néerlandais (mais surtout amsterdamois) avec sa bicyclette. Cela vient du fait que les vélos hollandais ont leurs propres caractéristiques et qu’ils sont utilisés par tous, à la manière dont les citoyens d’Amsterdam ont de se transporter (et souvent d’en transporter d’autres et de multiples choses) sur leurs vélos (de tous les genres) dans les rues de leur ville. Les vélos d’Amsterdam ont aussi cette façon d’être partout et pour tout présent en même temps (que les observateurs étrangers comparent même à de vastes troupeaux d’éléphants!) Il faut dire que ce livre n’est pas seulement le fruit de quelques semaines passées à regarder la vie d’Amsterdam. Il est plutôt le produit courageux, lucide et amoureux d’une personne qui s’est sorti de son San Francisco natal pour aller étudier dans cette ville sans pareil et qu’il a par la suite partagé avec sa conjointe (originaire du Mississippi!). Leur enfant est né et grandi à Amsterdam. De son côté, elle est devenue mécanicienne de vélo pour ensuite reprendre le commerce de bicyclettes sous leur logement.

Sur les traces de In the City of Bikes

On comprendra ainsi que l’implication de l’auteur va bien au-delà du visiteur de passage, passionné, mais détaché. Lui et sa famille ont fini par intégrer le rythme de sa ville adoptive, avec toutefois l’avantage, de notre point de vue, de constamment porter le regard de celui qui ne prend rien de ce qu’il voit «naturellement». Et puisque ce qu’il raconte s’écrit toujours manifestement avec la douceur et l’intelligence bienveillante d’une attention sympathique, l’authenticité du propos transparait à chaque chapitre.

Un des grands avantages de l’ouvrage est d’être le véhicule parfait pour répondre à la question qui nous tenaille tous dans les milieux urbanistiques, c’est-à-dire savoir si le modèle qui a délivré au vélo à Amsterdam une part modale substantielle, ce modèle donc, est-il reproductible ailleurs? Pour être clair, l’auteur lui-même ne cherche pas à répondre à cette question, mais bien malgré lui, nous apporte plusieurs éléments d’explications. En nous dressant le portrait d’une relation plus que centenaire avec la ville, le pays et sa petite reine, on comprendra rapidement que la symbiose entre la bicyclette et le néerlandais moyen, ou de façon encore plus viscérale même avec le citoyen d’Amsterdam, dépasse de beaucoup la fonction utilitaire, pratique ou de simple modus operandi du quotidien. Combien de villes européennes avaient ouvert une école de bicyclette en 1897?* Combien d’autres villes européennes accueillaient les visiteurs allemands après la Seconde Guerre en leur répondant (après toute demande banale) : Eerst mijn fiets terug! (?)**. Dire qu’un poisson à une préférence culturelle pour l’eau est un peu passer à côté de la nature de la bête. Aujourd’hui, affirmer que les Néerlandais ont certainement un pays très plat, avec un climat et de l’infrastructure cyclable en abondance, parfaitement calibré pour son usage est de la même façon passer à côté de la nature de la bête unique (même dans son pays) qu’est le/la cycliste amsterdamois-e.

Il demeure après cette lecture le plaisir de mieux comprendre la nature de cette ville et de ce pays si exceptionnel et privilégié dans sa relation avec la beauté à deux roues. Nous pouvons simplement espérer un jour avoir notre propre histoire autrement riche avec elle!


*Et depuis plus d’un siècle, une piscine, le Zuiderbad. Ou la page Wikipedia (en néerlandais seulement).

**Il y a même une page Wikipedia pour ceux qui peuvent lire le néerlandais, mais ils sont probablement aussi ceux qui ont le moins besoin de cette page!

Tags In the City of Bikes, Pete Jordan, Amsterdam, Vélo, Histoire urbaine

L'écosystème vélo

August 8, 2023 John Voisine
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Bikenomics—How Bicycling Can Save the Economy. Elly Blue, Microcosm Publishing, 2016, 192 pages. [ebook lu sur plateforme Apple Books]

Cette chronique est la troisième de notre série Le vélo et la ville [3/5]

Je l’ai souvent dit, mais il y eut un temps, jadis, où je doutais fortement des vertus de ce que l’on appelle de nos jours « l’infrastructure vélo ». En lisant ce livre de Madame Elly Blue et les quelques autres dans la série, j’ai même appris que je faisais partie, bien malgré moi, des partisans d’une politique dénommée le vehicular cycling. Le tout a démarré en 1976 avec la publication d’un ouvrage, Effective Cycling, qui prônait essentiellement que le cycliste et son vélo devaient tout simplement « prendre leurs places dans le trafic ». Effectivement, quoi de plus raisonnable ? Qui ne veut pas agir de façon positive et simplement prendre la place qui lui revient de droit dans la rue ? En Amérique en général, cela a permis de réconforter autant le politique pour qui l’inaction est toujours l’option favorisé et ceux qui sont, soit trop naïfs ou trop complaisants pour demander mieux.

On l’aura bien compris, un tel raisonnement ne pourra jamais se substituer à une véritable politique d’affirmation de la place du vélo dans l’espace urbain. Je mets cette phase de mon existence (j’étais un cycliste qui prenait à cœur cette pensée magique) sur le compte d’une insouciance et d’un aveuglement volontaire qui se marient souvent à la jeunesse. Même la difficulté de trouver des partenaires de route, qui enfourchait une bicyclette printemps-été-automne-hiver, pour l’école, le travail, le plaisir et les voyages, était une raison de plus de se convaincre que nous étions les seuls braves en mesure de comprendre et dompter les défis de l’urbanité à deux roues.

J’aime à penser que nos yeux sont maintenant grand ouverts sur la réalité de l’arnaque du vehicular cycling, une phase devil-may-care sur laquelle aucune politique constructive et inclusive ne pouvait venir s’appuyer. Pourtant, pour avoir plus de gens qui décident d’adopter quotidiennement la bicyclette, il faut des accommodations urbaines dignes d’inspirer confiance. Pour cela, s’organiser, offrir une pression politique en ce sens et répandre le message que de l’environnement à l’économie à l’apaisement des nuisances urbaines, chaque déplacement gagné à la cause du vélo contribue de façon exponentielle aux qualités d’une ville.

Sur les traces de Bikenomics

Un exemple percutant du cercle vertueux reliant la bicyclette, l’économie et une richesse urbaine à long terme est le potentiel encore essentiellement inexploité d’une alliance entre le besoin en stationnement à vélo et les artères commerciales.

Ainsi, pourquoi n’avons-nous pas plus couramment un ou deux places de stationnement sur rue remplacé par une douzaine de racks à vélos ?* Pour investir les commerces d’une artère, les citoyens d’un quartier ont besoin de places pour stationner leurs moyens de transport (le vélo). Les commerçants, de leurs côtés, ont besoin de clients qui ont l’assurance d’arriver à destination sans devoir se préoccuper s’ils peuvent trouver une place afin de laisser en toute sécurité leurs montures. Ce type d’investissement est une autre forme d’infrastructure minimale, mais typiquement négligée ou oubliée. La part culturelle réservée aux cyclistes dans la ville à quelque chose d’infamant, entre l’adolescent turbulent et l’anarchiste irréductible (je regarde de ton côté, rue Wellington piétonne, où les cyclistes « sont invités à rouler lentement ou à descendre de leur vélo » — comme si cela n’allait pas se faire naturellement). Ces circonstances se répètent malheureusement sur la totalité des artères commerciales piétonnisées durant la saison estivale à Montréal, parfois même avec encore plus de vexations diriger envers les citoyens choisissant d’accéder à la ville en vélo.

Cette situation est probablement attribuable au fait que ce type d’infrastructure complémentaire constitue un entre-deux, ni réseau de transport ni équipement immobilier. Un réseau cyclable urbain ne peut se limiter à la facilitation des déplacements si elle est pour servir la diversité des usagers, leurs besoins d’accessibilité en toute saison et même être la courroie d’une vitalité urbaine renouvelée. Un réseau cyclable doit travailler avec l’espace urbain pour favoriser sa résilience et accommoder la multitude des réalités en mobilité active (vélos, vélopartage, vélos-cargo, etc.).

Bikenomics de Madame Blue est fidèle à son titre en ce qu’il plaide habilement sa cause en faveur d’une intégration de la bicyclette au sein d’une économie plus diversifiée et mieux distribuée sur un territoire urbain plus accommodant. Cela passe nécessairement par une normalisation et une facilitation de l’accessibilité à vélo dans nos espaces urbains.



*Par exemple, il serait aisé de prévoir un à deux îlots de stationnement aménagé de manière visible, attrayante et confortable à chaque extrémité de la rue et ensuite, un autre groupe à tout les extrémités d’îlot donnant sur l’artère.

Tags Bikenomics, Elly Blue, Vélo, Economie urbaine, Infrastructure

Toujours de l'espoir

July 20, 2023 John Voisine
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Bike Boom—The Unexpected Resurgence of Cycling. Carlton Reid, Island Press, 2017, 272 pages [ebook lu sur support Adobe Digital Editions]

Cette chronique est la deuxième de notre série Le vélo et la ville [2/5]

Si l’on veut voir le bon côté des choses, on peut toujours se dire que nous sommes présentement dans une ère de mini-boomettes-bicyclettes. C’est-à-dire que, du moins si nous avons la chance de vivre dans un arrondissement de la ville de Montréal, autant du côté des autorités municipales que dans la population en général, il y a un enthousiasme pour tout ce qui tourne autour du vélo et des infrastructures qui en facilite une utilisation régulière, banale et quotidienne, que ce soit sur rue ou en site propre. Il était temps, dirions-nous. Enfin, il semble entendu qu’une rue sécurisée pour les cyclistes et les piétons l’est pour tous. Mais le cafouillage aux intersections, la confusion persistante sur les flux et les priorités demeure toujours la règle à Montréal. La prise de conscience sur la nécessité d’évoluer le design, sur le fait de concevoir de manière à contraindre (ralentir) la circulation pour infléchir les comportements commence à faire son chemin. Il est même permis de penser que le réflexe sera bientôt naturel lors de toutes modifications à la voie publique. Nous avons les voies cyclables intégrées à la trame urbaine, il est temps d’universaliser son corollaire, l’intersection protégée.

La pièce manquante mais pourtant essentielle du réseau cyclable urbain à Montréal

Mais pour le moment, le constat le plus réaliste que nous pouvons faire est que nous n’en sommes pas rendus à ce niveau de conscientisation. Aucun problème à implanter un Réseau express vélo (REV), mais rendu à l’intersection, les cyclistes (et les piétons, pour dire vrai) sont laissés à naviguer sans le bénéfice d’une infrastructure protégée conçu pour eux. C’est pourtant exactement à l’endroit où cela serait le plus bénéfique en termes de sécurité et de fluidité, paradoxalement. Il est bon de voir qu’avec le temps, le discours est passé de la « ségrégation » des usages à un autre qui vise plutôt « l’intégration » de ceux-ci. Encore une fois, il faut embrasser le paradoxe d’une intégration des usages multiples dans la voie publique afin de maîtriser (par le design) ce ballet urbain (pour paraphraser) au bénéfice de tous. De cette cohésion nouvelle, c’est les activités de la ville contemporaine qui en sortiront gagnantes.

Sur les traces de Bike Boom

Pour autant, si nous persistons en ce sens, avec de plus en plus de voies cyclables dédiées et intégrées aux rues et artères urbaines, avec des intersections dûment protégées et aménagées de façon appropriée, assisterons-nous à un «changement de paradigme», une évolution vers un pourcentage substantiel (45 %!) accaparé par le vélo? En lisant la page Web de la Ville de Montréal consacré au REV, on constate que leur objectif est de porter celui-ci à 15 % d’ici 2027 (il était de 5 % au centre de l’île en 2021). L’auteur de ce livre (d’ailleurs le même que la semaine dernière, le thème étant pour lui comme une suite logique) nous apprend qu’aux Pays-Bas, la part modale du vélo était de 26 % en 2016 (elle réside maintenant autour de 36 %), mais que s’il faut en croire les chiffres historiques, ce pourcentage est moins de la moitié de ce qu’il était dans les années 1920; aucun doute, l’emprise de l’automobile y était embryonnaire à l’époque. Mais il est aussi facile d’imaginer que même si l’emprise de l’automobile était assez restreinte à Montréal dans les mêmes années, il n’y a probablement jamais eu de contexte où le vélo constituait une part appréciable des déplacements annualisés.

Cela nous ramène sur le champ conceptuel principal abordé par l’auteur, soit l’apport de la «culturel» dans l’évolution de la part modale des différents moyens de transport. Carlton Reid fait principalement le contraste entre l’Angleterre, les Pays-Bas et le « basket case » que représente les États-Unis quand vient le temps d’évaluer la fraction vélo du cocktail transport. Bien entendu, nous vivons ici à Montréal de façon quasi unique les après-chocs du Great American Bike Boom que furent les années 1970-1974, avec la création d’organismes de pression comme Vélo Québec et un peu plus tard, le Monde à bicyclette. L’auteur consacre même une annexe (Vive la Vélorution!) à l’histoire exceptionnelle de Montréal par rapport au vélo et fait un tour du militantisme à bicyclette avec le regretté Bob Silverman.

Ce que ce livre nous rappelle surtout est que la participation dans les transports actifs est autant une question de culture que d’infrastructure. À bon entendeur,…

Tags Bike Boom, Carlton Reid, Vélo, Aménagement cycliste, Histoire urbaine

À l’origine de tout, la bicyclette

July 14, 2023 John Voisine
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Roads Were Not Build for Cars—How cyclists were the first to push for good roads & became pioneers of motoring. Carlton Reid, Island Press, 2015, 360 pages [e-book lu sur support Apple Book]

Cette chronique est la première de notre série Le vélo et la ville [1/5]

Au début du chapitre 14 du livre, essentiel pour qui ne veut rien manquer de l’histoire des routes, et du rôle crucial des cyclistes dans leurs innovations et expansions en Europe et en Amérique, l’auteur cite ce passage d’un autre ouvrage, cette fois de James J. Flink, The Automobile Age : «No preceding technological innovation—not even the internal combustion engine—was as important to the development of the automobile as the bicycle.» Mais ce dernier livre ne vient pas soutenir cette position, puisque le propos porte sur l’émergence de la culture automobile et ne nous informe nullement sur l’imbrication des technologies de la bicyclette et de l’automobile naissante. C’est plutôt l’ouvrage que nous examinons ici, de Monsieur Carlton Reid*, qui vient en quelque sorte combler l’immense fossé d’ignorance et d’oubli, parfois même d’occultation volontaire qui s’est avec le temps creusée entre la petite reine et le motorisé corpulent qui à fini par la tasser presque entièrement sur sa route. Les routes de partout, en Grande-Bretagne, sur le continent et même ici en Amérique sont l’œuvre, du moins jusqu’aux années 1910, de la pression des groupes cyclistes.

Parce que, comme le démontre Monsieur Reid (parfois jusqu’à l’épuisement du lecteur), les routes sur lesquelles l’automobile finira par triompher ainsi que l’engin en lui-même trouvent leurs genèses dans le sillage et l’écosystème manufacturier engendré par la bicyclette. La fin du 19e siècle est l’âge d’or de la bicyclette, non pas comme mode de transport puisque sa pratique se limitait alors aux classes fortunées, aisées ou qui autrement disposaient de loisirs, mais comme instruments d’appropriation de nouvelles frontières territoriales et même d’émancipation, à la fois sociale et politique. La bicyclette elle-même était un outil à la fine pointe de la technologie, autant dans sa construction (assemblage et matériaux) que dans ses mécanismes. De la roue en rayons, au roulement sur coussin d’air, au pédalier avec entrainement par chaine, aux différents types de dérailleurs, la bicyclette concentrait dans sa forme et ses engrenages le meilleur de ces innovations. Ainsi, pour ceux qui allaient bientôt produire les premières voitures, il est clair d’où les transferts technologiques allaient se faire.

Sur les traces de Roads Were Not Build for Cars

Une autre des technologies qui incarne formidablement ce tournant de siècle moderne est la machine à coudre, et tout comme avec la bicyclette, ce sera le type d’entreprise manufacturière qui trouvera facilement à étendre son expertise dans l’automobile. Sans jeux de mots, on voit immédiatement le «fil» conducteur ici : des manufactures de pointe qui font reposer leurs productions sur une machinerie de pointe, parfaitement équipé pour l’assemblage de précision. En fait, on se rend compte que tous les grands de l’automobile, autant du côté américain (Henry Ford, Cadillac [Henry Martyn Leland], Chevrolet [Louis Chevrolet], Dodge [Evans & Dodge Bicycle Company]) qu’européen (Aston Martin, Peugeot [le Grand Bi], Rover [Rover Safety Bicycle]) et plusieurs autres marques qui ont connu leurs heures de gloire, mais qui ne sont plus maintenant qu’un souvenir (Adler, Napier & Sons, Singer Motors) trouvent tous une parenté quasi directe dans la production de pièces ou de bicyclettes entière et parfois, de machines à coudre (comme Dürkopp Adler ou Humber Limited).

Ce livre trace cette histoire, ex-haus-ti-ve-ment. La difficulté ne sera plus de s’en convaincre, mais de le communiquer à autrui, tellement les barrières entre le monde de l’auto et ceux du vélo sont devenues, avec le temps, conceptuellement infranchissables. Qui sait maintenant que la majorité des associations et clubs automobile trouvent leur origine dans des homologues cyclistes? Le transfert des intérêts se fait naturellement, d’autant plus que les mêmes personnes étaient le plus souvent au centre des deux mondes, en commençant dans le vélo de randonnée et la promotion des courses pour se poursuivre dans les mêmes domaines, mais cette fois pour l’automobile. Le rôle du plaisir de la vitesse et de la sensation d’autonomie que procurait le vélo, surtout à partir de l’introduction du Safety, ne peut être sous-estimé; tout ceci n’est que décuplé avec l’automobile.

Avec tout ça, nous n’avons pas eu le temps de mentionné les routes! Vous pouvez me croire sur parole quand je vous dis qu’elles ne doivent rien aux automobiles! Mais pourquoi ne pas aussi lire sur les héros cyclistes qui en sont à l’origine, si bien détaillée et exposée dans ce livre? Simplement renversant!



* Ceci est aussi le site Web créé par l’auteur lors de la publication originale de l’ouvrage, en 2014. Il est un peu abandonné maintenant, mais on y trouve encore d’excellents compléments d’information, comme les notes in extenso, par chapitre. L’auteur s’était aussi approprié des outils interactifs sur la plateforme qui s’appelait alors iBooks (d’Apple) afin de créer un livre dynamique. C’était l’époque…

Tags Roads Were Not Build for Cars, Carlton Reid, Automobile, Vélo, Automobiles, Histoire urbaine

Faire la ville par ses autoroutes

May 18, 2023 John Voisine
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Freewaytopia—How Freeways Shaped Los Angeles. Paul Haddad, Santa Monica Press, 2021, 408 pages [ebook lu sur l’application Kindle]

Cette chronique est le deuxième et dernier bonus dans notre série Trans&Transit

Je pensais trouver, en lisant Freewaytopia, une justification, un raisonnement structurant qui aurait permit de situer la prolifération des autoroutes dans le County de Los Angeles (LA)—il y en a 24—et dans la ville—il y en a 12 avec une présence significative—à l’intérieur d’une logique transparente et particulière à la métropole de la côte ouest américaine. Je ne pense pas que ce soit attribuable à une insuffisance ou un défaut de la part de l’auteur, Monsieur Paul Haddad, qu’à la fin des quelque 400 pages de cet ouvrage, on se trouve tout aussi incapable qu’au début d’en tirer un récit cohérent ou une explication convergente (1). On cherchera en vain ici l’histoire qui permet de se consoler qu’au bout de ce long processus, ayant laissé 12 cicatrices profondes (sans parler des interchanges) dans le tissu urbain de LA, la ville s’en sorte plus résiliente. L’investissement colossal en ressources, en argent, les dislocations engendrées (les autoroutes ont été percées à travers des quartiers déjà bien structurés) auront-ils été autre chose que l’imposition d’une sombre esthétique figée de béton afin d’accommoder un mode de transport privé, l’automobile ? Si au moins cette infrastructure avait servi à combler les ambitions qui s’y attachaient (facilité des déplacements, productivité, etc.)

Ainsi, du moment qu’un nouveau corridor autoroutier était ouvert, toujours dans l’espoir d’assurer une fluidité de circulation à la vitesse freeway, en symbiose avec la nouvelle idéologie automobile, aussitôt cette autoroute devenait, comme aimait à le répéter le comédien et emcee bien connus de l’époque, Bob Hope, le meilleur et le plus gros stationnement à ciel ouvert au monde (en parlant du Hollywood Freeway). Dès la fin des années 1950, la plupart de ceux qui utilisaient le système pouvaient constater que quelque chose était off, même si très peu de gens avaient les mots pour l’articuler et encore moins d’entre eux, s’ils les avaient entendus, auraient été prêts à y croire et surtout à en tirer les leçons appropriées.

C’est ainsi que d’illusion en illusion, ces routes aménagées sans arrêt, les «freeway», finiront par consumer, découper et définir tout le paysage urbain de LA.

Sur les traces de Freewaytopia

Le premier « vrai » tronçon de freeway, inauguré en 1938, l’Arroyo Seco Parkway, est construit dans le lit d’une rivière, qui accueillait jadis, au tournant du siècle, une piste cyclable payante sur pilotis (voir quatrième photo). Plus tard, un monorail aérien y circulera quelques années. Dans les années 1950, pour faire passer la pilule amère de l’ordinaire autoroutier, on fera miroiter un futurisme factice en proposant un système de monorail dans l’emprise centrale des autoroutes (voir dernière photo), comme une forme appauvrie et édulcorée de Wuppertaler Schwebebahn. Tandis qu’une ville allemande de taille moyenne comme Wuppertal dispose d’un système opérationnel depuis plus de 120 ans, LA doit encore se contenter d’un réseau de plus en plus étouffant d’autoroutes urbaines (2).

Monsieur Haddad n’accapare pas beaucoup de pages à nous exposer le pourquoi des 12 autoroutes qui forment le cœur de son ouvrage, mais le lecteur qui se satisfait d’une histoire culturelle doublée de portraits impressionnistes des personnages de la politique locale y trouvera son compte. Les rares figures d’oppositions étaient elles aussi d’envergure locale et ne s’opposaient généralement pas à la réalisation des autoroutes, mais plutôt au passage de certains segments dans leurs quartiers. Jusque dans les années 1970, l’opposition était isolée, fragmentée et facilement déjouée. Mais lentement, avec les nouvelles lois fédérales et de l’état californien sur la consultation populaire et de revues environnementales, ainsi que l’explosion des coûts en tout genre, la prépondérance des arguments en faveur des autoroutes s’est considérablement érodée, au point qu’aujourd’hui, l’auteur admet que la belle époque des autoroutes est révolue. En 2004, seuls 61 % du réseau prévu dans les années 1940 était complété, et on peut espérer que cela ne bouge plus.

On n’aura pas vraiment d’autre choix que de se tourner un peu vers l’art cinématographique et télévisuel, comme le fait l’auteur, pour sublimer une partie de notre émerveillement ou éponger notre boule de chagrin face aux entailles autoroutières de LA. Il y a plus de 40 ans, c’était la série CHiP’s qui introduisait jovialement le monde à ce réseau surréel. Mais pour se bercer du vibe contemporain d’LA, je recommande une soirée de rêve avec La La Land (3).



(1) Le hasard fait que cette semaine, Alon Levy sur son blogue Pedestrian Observations, donne un résumé assez crédible de la situation qui a engendré une domination sans partage de l’automobile à LA (The Origines of Los Angeles’s Car Culture and Weak Center). Cela dit, de l’un ne découle pas nécessairement la réponse « autoroutière » si massive et particulière à la ville des anges.

(2) Oui, le County de LA possède aussi un réseau de transport public (Metro), mais il est loin de définir la région et sa ville comme le font ses 12 autoroutes urbaines.

(3) Cette ouverture dansée sur le HOV flyover qui relie le Century et Harbor Freeways avec vue unique sur le Downtown… Only in LA!

Tags Freewaytopia, Paul Haddad, Autoroutes, California, Los Angeles

À trente minutes de tout

May 16, 2023 John Voisine
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The 30-Minute City—Designing for Access. David M. Levinson, Network Design Lab, 2020, 114 pages. [Lu en format PDF]

Cette chronique est un bonus dans notre série Trans&Transit

On peut faire et parcourir beaucoup de distance en trente minutes. C’est un peu le propos de Monsieur David M. Levinson dans cet ouvrage, qui élargit dans la sphère opérationnelle les arguments avancés par Jonathan Levine sur l’accessibilité. Très différent toutefois de ce dernier, qui était un plaidoyer en faveur de cette notion par rapport à celle de mobilité comme la mesure de la capacité à se rendre à des destinations en tout genre, The 30-Minute City est plutôt un guide pratique dans l’amélioration «opérationnelle» des modes de déplacement. L’auteur met ainsi en évidence les gains importants en accessibilité que ceux-ci peuvent générer.

Puisqu’au-delà des débats creux autour de la pertinence d’aménager des villes de 15 minutes, il y a la réalité de nos vies qui se déroule dans des environnements où même le mieux situé des ménages, sur une rue résidentielle au cœur des quartiers centraux revitalisés ou contemporains, aura rarement l’opportunité d’accéder à quelques services pertinents que ce soit sans une dépense de temps inférieur à 20-25 minutes. Et l’on ne parle même pas ici des usages qui requièrent souvent, par leurs natures et l’échelle de leurs rayonnements, un investissement beaucoup plus important en temps ou en équipements lourds de transport, comme se rendre au travail ou l’éducation supérieure. La réalité, soulignée par l’auteur, est que d’œuvrer pour augmenter l’accessibilité dans l’espace urbain est assimilable à un travail de fond sur le plan économique et social. De cette façon, le plus grand nombre et une grande diversité de la population profitent d’une satisfaction personnelle et d’opportunités accrue de création d’une richesse collective.

Une incapacité d’atteindre une destination en 15 minutes n’est pourtant en rien un échec. C’est plutôt un constat sur la dégradation des environnements urbain, dévitaliser par manque de densité et aux prises avec la déstructuration engendrées par une accessibilité centrée sur l’automobile entre la résidence et la destination désirée. Entre ces deux points, à l’heure de pointe du matin, un automobiliste prendra 24 minutes et un utilisateur des transports en commun, environ 33 minutes. Comme on le voit, il n’en faudrait pas beaucoup pour réduire l’écart.

Sur les traces de The 30-Minute City

Au lieu de se laisser paralyser par la nécessité de reconstruire notre urbanité de fond en comble, comme les villes à 15 minutes pourraient nous le laisser envisager, ou de se dire que seuls les ménages déjà inscrits dans une trame urbaine dense et diversifiée seront en mesure de bénéficier des fruits de cette proximité, pourquoi ne pas envisager la situation autrement? Comme en améliorant la manière et les priorités dans l’offre de transport en commun et actif? C’est un peu la proposition que fait Monsieur Levinson dans cet ouvrage, allant même jusqu’à suggérer la mise en place d’une nouvelle catégorie professionnelle, celle «d’opérateur urbain». À l’inverse du «planificateur urbain» ou du généraliste qu’est l’urbaniste, l’opérateur urbain (urban operator) concentrerait sa pratique sur l’amélioration continue des services, des équipements ou des aménagements dans le but d’en extraire une plus grande efficacité et une meilleure connectivité des différents modes de transport en commun et actif. Plus généralement encore, son mandat s’étend au territoire métropolitain afin de faire fonctionner le système en un ensemble orienté vers la facilitation de l’accessibilité aux destinations stratégiques à toutes les échelles de la métropole. Concrètement, cela pourrait vouloir dire d’assurer qu’une plateforme d’embarquement soit accessible d’un bout à l’autre, que les feux de signalisation le long d’un corridor soient synchronisés en fonction des piétons, des cyclistes et du transport en commun, que les circuits d’autobus, de tramway et de trains soient intimement coordonnés sur un horaire cadencé fréquent à l’échelle locale et métropolitaine, comme l’a fait la Suisse à l’échelle locale, régionale et nationale.

L’auteur donne plusieurs autres exemples d’amélioration dans le rodage, en se concentrant sur la façon d’opérer les services collectifs. On bonifie l’efficacité de ceux-ci de l’ordre de quelques minutes, on facilite les transferts et l’on augmente la fréquence; c’est ainsi que toute l’accessibilité du territoire métropolitain, régional et local desservie par le transport collectif et actif peut commencer à jouer son rôle structurant. La ville de 30 minutes offre des choix modaux et une liberté inégalée à ses citoyens parce qu’elle priorise stratégiquement, partout sur son territoire, l’accessibilité en modes collectif et actif.

Tags The 30-Minute City, David M. Levinson, Urban Transit, Accessibility, Urban Operations

Ne peut se résoudre qu'en voiture

May 4, 2023 John Voisine
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Le transport collectif à l’épreuve de la banlieue du grand Montréal. Gérard Beaudet, Presses de l’Université Laval, 2021, 216 pages.

Cette chronique est la dernière de notre série Trans&Transit [9/9]

On ne sera pas surpris que ce dernier livre de Monsieur Gérard Beaudet* soit un incontournable pour comprendre l’histoire, le contexte et les contraintes des transports collectifs comme moyen d’accessibilité à l’échelle du grand Montréal. Plus spécifiquement, l’auteur visite et examine quelques-uns des projets « novateurs » TOD mis de l’avant par la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) comme milieu d’accueil du développement futur de la métropole. Les pôles proposés ont-ils la capacité et les moyens de croître en tant que noyaux urbains et pivots de mobilités en transport collectif et actif ? Le PMAD de la CMM vise à canaliser 60 % de la croissance des ménages dans les aires TOD et 35 % des déplacements en période de pointe du matin par transport collectif d’ici 2031. Il semble raisonnable de penser que le premier objectif sera atteint, mais le deuxième laisse dubitatif, surtout lorsque l’on sait qu’il est d’à peine 25,8 % maintenant (1).

Ainsi, il y a cette stratégie de canalisation de la croissance qui compte sur les vertus des TOD pour opérer une transformation fondamentale dans les modalités d’accessibilités à l’échelle de la CMM. Mais comme le démontre Gérard Beaudet, l’héritage de la structure métropolitaine, entièrement capturé par la logique automobile, se liguer contre cette possibilité. Ce n’est pas tellement que l’occupation du territoire métropolitain se soit étalée et dispersée au point d’être irréconciliable avec une desserte en transport collectif, même s’il y a beaucoup de cela. Plutôt, en regardant le modèle proposé avec Horizon 2000 en 1967, on remarque une structure métropolitaine très similaire à ce qui existe aujourd’hui. Mais cela devait être, en l’an 2000, pour une région de 7M d’habitants.

La différence, fondamentale, est dans l’absence de densité (on est loin du 7M) et de concentration urbaine des activités. La consommation en territoire est la même, mais pour un bassin de population presque 2x moindre. L’explication : le triomphe du tout à auto et son corollaire, l’autoroute. Le résultat est qu’en 2023, l’Indice d’accessibilité au transport collectif (2) démontre qu’une fois sorti de l’île de Montréal, le niveau « Très peu d’options de transport en commun » devient vite la norme.

Sur les traces de Le transport collectif à l’épreuve…

Pour réaliser un environnement TOD qui fonctionne, c’est à dire qui agit en tant que vecteur d’accessibilité des destinations désirées en transport collectif et actif, il faut que ces derniers soient de nature « structurant ». Et même si, comme le signale l’auteur, ce dernier qualificatif est approprié « comme une incantation » pour tout nouvel équipement de transport collectif ou extension de réseau, c’est une occurrence assez exceptionnelle lorsqu’une ligne de transport collectif est véritablement structurante pour son environnement urbain. Cela est attribuable au fait qu’il doit y avoir une imbrication assez intime entre les usages, la densité de population et la densité des activités pour que cet effet structurant se matérialise. On parlera aussi souvent des trois D des TOD : Density, Diversity, and Design. Mais, comme le demande l’auteur, qu’en est-il des autres 3D, comme l’accès aux destinations, la distance, réelle ou perçue, pour se rendre à destination (first/last mile problem) et la gestion de la demande (le TDM) ? Et que dire de l’offre phénoménale en stationnement, qui se fait presque plus abondante dans les TOD (sous prétexte de faciliter l’usage des transports collectifs, justement) ? La vérité est que ces développements constituent plutôt de l’Auto-Oriented transit (un « transit » qui dessert une population captive de l’automobile).

Monsieur Beaudet met à « l’épreuve du terrain » une vingtaine des cent cinquante-neuf (159) aires TOD de la CMM. Le mieux que l’on trouve à en dire est qu’elles sont « fortement contrastées » entre elles, mais ce contraste n’aura pas permis de dégager de formules gagnantes montréalaises. Bien au contraire, elles ne font que masquer par quelques victoires à la Pyrrhus les déficiences chroniques, morphologiques et structurelles des transports collectifs à cette échelle du territoire métropolitain.

Ce qu’il faut comprendre de cette lecture est que la tâche d’imbriquer de façon symbiotique une forme urbaine à une infrastructure de transport collectif demande un engagement actif de toutes les parties. De plus, c’est un engagement qui doit viser des objectifs et implanter un design urbain qui est presque « contre nature » par rapport à la morphologie habituellement de banlieue. Il n’y a malheureusement rien de « contre nature » dans les aires TOD de la CMM.


* Avec une préface bien cadrée d’un enseignant de qui je garde le meilleur des souvenirs, le professeur Paul Lewis, maintenant à la retraite.

(1) On trouve cette statistique sur la page Web de l’Observatoire du Grand Montréal (CMM), onglet Transport—> Modes de déplacement — Enquête OD—> Part modale du TC — pointe AM (%).

(2) On trouve cette information sur la page Web de l’Observatoire du Grand Montréal (CMM), onglet Transport—> Indice de la mobilité durable—> Indice d’accessibilité au transport collectif.

Tags Le transport collectif, Gérard Beaudet, Montréal, Banlieues, Transport collectif

Comment survivre au tunnel sous le fleuve à Quebec City

April 25, 2023 John Voisine
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Comment survivre aux controverses sur le transport à Québec? Jean Dubé, Jean Mercier et Emiliano Scanu, Septentrion, 2021, 220 pages. [Lu sur l’application Books d’Apple]

Cette chronique fait partie de notre série Trans&Transit [8/9]

Il est vrai que le débat (les controverses) sur le transport (en commun, actif ou autrement) dans l’enceinte de la ville de Québec a quelque chose d’à la fois très particulier et universel. Ce qui donne au débat son ton acrimonieux est sans nul doute la présence si unique de ce que l’on appelle communément les « radios poubelles », même si je ne crois pas qu’ils puissent être la cause première des controverses dont il est question ici. En plus d’être de nature assez banale, il est parfaitement légitime de « controverser » autour d’une question comme le transport urbain (des marchandises et humains). Mais regardons un peu pourquoi ces questions semblent se poser de façon aussi toxique à Québec.

La ville de Québec, en tant que capitale provinciale, a toujours été à la fois béni et maudite d’être le centre des priorités de l’appareil d’état québécois. Cela est particulièrement transparent avec le réseau routier supérieur. Une fois que la classe politique des décennies 1960-70 avait pris la mesure du « retard » de la province dans le domaine (et bien d’autres), rien ne fut ménager pour doter Québec d’une couverture exhaustive en autoroutes. On assistera donc, jusque dans les années 1990, à la mise en place, au frais du trésor public, d’un réseau autoroutier dédié exclusivement à l’accessibilité en véhicules privés dans la capitale et surtout en appui au développement des villes de banlieue (fusionnées à Québec en 2002). Ces chantiers ont entraîné, entre autres, la destruction de vaste pan de la haute et de la basse ville de Québec, mais les choses auraient été bien pires si l’on avait intégré la vision du rapport Vandry-Jobin (1968). Cette illustration (avec un troisième lien à l’est!) donne une image du cauchemar urbain et routier que cela aurait représenté.

Il en fallu de peu pour que cette perspective se réalise

Avec ces perpétuels chantiers autoroutiers, qui se poursuivent avec l’ajout de voies ou de tronçons et jusque récemment, avec le projet de troisième lien, comment ne pas imaginer que cette logique autoroutière ne serait pas toujours la structure fondamentale du transport dans la capitale? C’est de penser qu’il pourrait en être autrement qui relève presque de la folie.

Sur les traces de Comment survivre aux controverses…

Ce livre de Jean Dubé, Jean Mercier et Emiliano Scanu fait un retour salutaire sur les quatorze dernières années de controverses autour des questions de transport à Québec. En plus de la mise en contexte historique, politique* et économique/sociologique sur les vertus (ou plutôt les absurdités) d’un troisième lien entre Lévis et Québec, les auteurs font un travail essentiel à retracer la genèse de cette idée de lien autoroutier supplémentaire. Pour comprendre la perspective des gens de la capitale, mais surtout ceux de sa Rive-Sud (Lévis et la vaste région de Chaudière-Appalaches), il faut savoir que d’un point de vue géographique et de la logique économique, Québec est le cœur et l’aboutissement de l’Est québécois et même des Maritimes (et probablement d’une certaine partie du Nord-est américain). De ce point de vue, une facilitation des liens de transport avec le territoire de la ville de Québec, sur la Rive-Nord du fleuve, n’est pas en soi insensée, surtout pour la modique somme de cinq cents millions $ qui étaient estimés par la Chambre de commerce de Lévis lors de la première présentation du projet en 2014.

Évidement, nous sommes bien loin de cette innocence de la décennie 2010 et évidement, pour toutes les raisons bien exposées dans l’ouvrage, il n’y a jamais eu un temps où ce projet pouvait être autre chose qu’un gaspillage et un instrument de dévitalisation de la région de la capitale provinciale. La nouvelle mouture du troisième lien, annoncée la semaine dernière, entièrement consacrée au transport en commun, n’est pas plus bénéfique et sensée. Cette fois, c’est surtout pour des raisons de logique urbaine (pas assez de densité ou d’activités, aux terminaisons du tunnel, ni de plan pour l’intensifier). Lévis et Québec sont déjà reliés et traversés par un réseau autoroutier d’une ampleur disproportionnée par rapport aux activités économiques de la région. Dans le futur, les solutions ne manqueront pas pour s’adapter aux exigences d’accessibilité et de transport des marchandises sans troisième lien. Mais pour cela, il va falloir que le politique suive, malgré les controverses sur le transport à Québec et l’amertume persistante après cet épisode.



*Ce livre nous rappel aussi les faux-fuyants et les tergiversations du maire de Québec de l’époque, Monsieur Régis Labeaume, sur les questions de transport en commun, et surtout des hésitations en ce qui concerne une ligne « structurante » (tramway/SRB) avec Lévis, grâce à un réaménagement des ponts existants. Cette partie du livre fait vraiment mal; toutes ces occasions manquées!

Tags Comment survivre, Urban Transit, Urban Planning, Média, Troisième lien, Quebec City

La nouveauté confrontée à la réalité

April 19, 2023 John Voisine
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New Mobilities—Smart Planning for Emerging Transportation Technologies. Todd Litman, Island Press, 2021, 208 pages. [Lu sur plateforme Adobe Digital Edition]

Cette chronique fait partie de notre série Trans&Transit [7/9]

La solution en transport urbain, comme nous l’avons évoqué au cours de cette série, est toujours à une ou deux technologies près. Même, si l’on en croit les propagandistes commerciaux et leurs belles images d’horizons radieux et de routes dégagées, dans les prochains modèles d’automobiles aux capacités toujours plus extraordinaires. Mais dans ce prochain livre de Monsieur Todd Litman, fondateur de la bien connue et respectée Victoria Transport Policy Institute (VTPI), on prend la peine de soumettre ces nouvelles mobilités (micromobilités, microtransit, ridesharing, MaaS, aéronef personnel, véhicule électrique et autonome, etc.) au tamis d’une évaluation structurée, comme celles que produit sur une base régulière cette institution de recherche unique de l’Ouest canadien. Je ne gâche rien ici en révélant que la plupart de ces « New Mobilities » analysés ne s’en sortent pas glorieusement.

Mais avant d’en arriver à cette étape, ce qui importe est que l’auteur prend la peine de faire un portrait des avancées fulgurantes, en termes d’accessibilité et de vitesse, apportée par ces nouvelles technologies. Le comportement des ménages en fut transformé et nos sociétés en sont changés sur tous les plans. On est passé de sociétés où la définition de l’accessibilité se calculait par ce que pouvait franchir un être humain sur ses deux jambes (ou pour les plus fortunés, en carriole) à des corridors desservis par tramway, pour finalement intégrer au quotidien les distances et la capacité de transport décuplé par la mécanique automobile. La période de transition, où nos rues ont accommodé plusieurs modes de transport, fait foi de la polyvalence inhérente à l’espace urbain, comme le montre ces films : à San Francisco (1906) et ici, à Barcelone (1908).

Mais pour vraiment profiter d’une nouvelle technologie, dans ce cas l’automobile et ses dérivés à moteur, il y a un coût à payer. Malheureusement, une fois implantée, cette domination du tout à l’auto subordonne tous les autres. Il devient alors difficile, sauf dans les quartiers qui trouvent leurs logiques dans l’avant Deuxième-Guerre, de retrouver une pluralité dans les modes et les schémas d’accessibilité à l’échelle urbaine.

Sur les traces de New Mobilities

L’évaluation des nouvelles mobilités proposées dans l’ouvrage se base sur une grille d’analyse qui intègre une compréhension holistique des avantages et des désavantages de ceux-ci. L’auteur tient compte, par exemple, des externalités (de la fabrication à l’utilisation à la fin de vie), des impacts sur la santé, des risques de contagion (le livre ayant été écrit en pleine pandémie), des implications sur l’équité sociale, sur la sécurité (des passagers et des gens hors véhicules) et finalement, de la capacité d’un mode de transport à répondre (en lui-même ou en cocktail) à des objectifs de planification stratégique à l’échelle urbaine, comme la réduction des GES ou tout autre objectif qui augmentent l’équité générale de la population. On comprendra alors que, dans les circonstances, plusieurs nouvelles formes de mobilités de type gee-whiz n’arrivent pas à coter très haut dans cette échelle. Au début de l’ère motorisé, la vitesse était la mesure des performances en transport. L’expérience, le temps et une compréhension plus nuancée des enjeux ayant fait leurs œuvres, une vision plus affirmée de ce que peut être l’accessibilité en milieu urbain permet enfin de mieux balancer la place de chaque mode, au-delà de l’émerveillement technologique.

La méthodologie d’évaluation des nouvelles mobilités offerte dans cet ouvrage et les conclusions qui en découle est, comme la plupart des travaux de la VTPI, d’une utilité extrême. Mais un des rappels contenus dans le livre est celui de l’importance d’une planification métropolitaine (et urbaine) qui prend le parti d’un aménagement anti-étalement et pro-diversité des milieux de vie urbains. Sans ce préjudice favorable pour des environnements pluriels, polyvalents et multi-usages, il devient particulièrement difficile de gérer autrement qu’autour de schémas qui place l’accessibilité automobile au centre des déplacements.

Puisque nous sommes très loin d’une logique où l’accessibilité urbaine se tient sans l’automobile, une des propositions phares (mais souvent négligées) de l’ouvrage passe justement par une meilleure gestion de la demande (Transportation Demand Management—TDM). Une application sérieuse de ces méthodes permettrait un déploiement plus équilibré et durable des mobilités existantes (et à venir). Le transport et l’accessibilité urbaine peuvent certainement en bénéficier.

Tags New Mobilities, Todd Litman, Technology, TDM, Urban Transit

Laver plus vert avec la technologie

March 28, 2023 John Voisine
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Road to Nowhere—What Silicon Valley Gets Wrong about the Future of Transportation. Paris Marx, Verso Books, 2022, 302 pages. [E-book lu sur application Kindle]

Cette chronique fait partie de notre série Trans&Transit [6/9]

Voici un autre ouvrage qui vient montrer, à sa façon, que le miracle des solutions technologiques (fait de transactions sans friction, d’algorithme intelligent et de services autonomes de mobilité) qui accaparent autant de nos énergies (recherche, financement, investissement, subvention) et de nos discours sur des lendemains plus durable et écoresponsable dans le domaine des transports, est exactement comme on devrait le soupçonner, une chimère. Notre dernier livre portait justement sur ce pouvoir presque magique des manufacturiers automobiles et de tout le consortium industriel et politique qui s’y agglomère de nous faire miroiter un horizon idyllique, avec bien sûr une voiture toujours plus sophistiquée et performante en avant-plan de cette expérience de mobilité privée, fluide et rapide. Comment contrer ce discours assourdissant qui accapare tout l’espace médiatique, mais que nous savons bien être ceux de sirènes nous entrainant encore plus vers un modèle basé sur l’auto solo? Faut-il rappeler que d’un point de vue urbain, une voiture, même électrique et autonome, est toujours une voiture, qui vient presque avec une licence à détruire la ville?

Il n’y a pas de solution facile, d’autant plus que les propositions qui nous proviennent autant des gouvernements que du secteur privé se résument le plus souvent à la même plateforme (l’automobile) avec une nouvelle source d’énergie (l’électricité) et pour faire durer le rêve, dans cinq-dix-quinze-vingt ans, des véhicules autonomes de niveau 5. Bien entendu, cela n’atténue en rien le problème à la racine de tous les autres, soit celui de l’incompatibilité entre la fonction d’une rue, qui est à la base de la création de la richesse urbaine et celle de la voiture, qui est de vider l’espace de tout environnement productif. Que le véhicule automobile soit mu par un moteur à combustion interne ou électrique n’y change rien; sa présence et son volume engendrent des distorsions et des vides tels que cela finit par anéantir la forme urbaine.

L’auteur, Paris Marx, prend le temps d’identifier les constituantes de ce discours qui sert maintenant le plus souvent à masquer les périls d’un enfoncement toujours plus profond dans une mobilité élitiste, foncièrement hostile à la vie urbaine.

Sur les traces de Road to Nowhere

Jarret Walker parlait de «Elite projection» en mentionnant sur son blogue cette tendance de certains groupes fortunés et privilégiés de penser que ce qui est bon pour eux l’est aussi pour tous. Ce qui donne naissance à des idées de tunnel sous la ville (The Boring Company) ou de transport interurbain en tube (Hyperloop). Rien de tout cela n’améliore l’accessibilité dans l’espace urbain, mais en offrant de tels écrans de fumée technologiques, ces élites cherchent à désamorcer les propositions et éventuellement la planification de systèmes possibles, comme un système de métro, de trains, de tramways ou un SRB, qui pourraient s’avérer de puissants moyens d’aménager la ville pour tous.

La perspective de ce livre n’en est pas une de luddite, comme on pourrait le penser pour une personne qui s’attarde à décortiquer les périls des nouvelles technologies, mais bien plutôt une de qui utilise une grille qui sera familière à toute personne au courant des critiques musclés de la gauche envers une certaine fantaisie solutionniste basée sur de nouvelles technologies. Sous couvert de services flexibles pour tous, on assiste plutôt à la création d’une nouvelle classe d’exploitation humaine facilitée par ces nouveaux services à la personne (livraison, transport, soin personnel, etc.) Les conséquences de cette nouvelle économie d’exploitation sont identifiées dans la Californian Ideology et la genèse assez improbable de cette utopie digitale est racontée dans un livre de Fred Turner. Malheureusement, un de mes héros culturels, Stewart Brand (surtout à mes yeux pour son ouvrage How Buildings Learn), ne sort pas indemne de cette histoire. Une autre analyse inscrite dans son temps (la France de la décennie 1970) et que l’auteur utilise habilement pour éclaircir son propos est l’essai L’idéologie sociale de la bagnole du philosophe et théoricien de l’écologie politique, André Gorz.

Comme l’auteur le démontre de façon convaincante dans cet ouvrage, une discussion qui centre l’accessibilité sur l’automobile, surtout celle qui présente cette dernière dans un nouvel emballage technologique pour mieux masquer ses pathologies fondamentales (gaspillage de ressources, occupation démesurée de l’espace, etc.) est condamnée à perpétuer et accentuer ces formes urbaines si délétères au dynamisme humain.

Tags Road to Nowhere, Paris Marx, Technology, Automobile, Aménagements urbain

Du perpétuel mirage technologique automobile

March 3, 2023 John Voisine
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Autonorama—The Illusory Promise of High-Tech Driving. Peter Norton, Island Press, 2021, 310 pages [e-book lu sur plateforme Kindle]

Cette chronique fait partie de notre série Trans&Transit [5/9]

Charles F. Kettering est un personnage dont un parle peu de nos jours, mais qui a eu une influence majeure sur nos vies de «consommateur». Si l’on reconnait le nom, c’est souvent, comme dans mon cas, pour l’avoir entendu comme une des fondations commanditaires à la télévision publique américaine (PBS). En plus d’être à l’origine de plusieurs inventions qui sont à la base de nos environnements physiques, Charles F. Kettering a mise en œuvre une vision de la production industrielle qui aura permis la pérennisation d’une économie basée sur une consommation cyclique qui, par sa nature même, ne connaitra jamais de fin. Ainsi, loin de chercher à combler chez le citoyen des besoins sur le long terme, Kettering avait compris que la clé du profit pour une entreprise à la quête de nouveaux marchés était, au contraire, de nourrir une forme d’insatisfaction perpétuelle, en d’autres termes, «Keep the consumer dissatisfied». C’est d’ailleurs le titre d’un article publié par lui dans la revue de la chambre de commerce en 1929, lorsqu’il était à la tête du département de la recherche chez General Motors (GM). Comme le souligne l’auteur de notre livre cette semaine, Monsieur Peter Norton, GM n’est pas ici une entreprise désintéressée, proposant des solutions (neutres) en transport, mais plutôt une entreprise cherchant à engendrer un consumérisme de transport (avec GM comme fournisseur de «solutions» intégrées).

En perpétuant cette insatisfaction lancinante chez le consommateur, en reportant toujours le ciel bleu du jour où l’automobile sera la réponse à tous nos besoins d’accessibilité, il devient possible de faire la promotion du dernier modèle de véhicule automobile qui, à sa façon, approche un peu plus, sans jamais atteindre cet horizon radieux fait d’autoroutes dégagées et de circulation fluide.

Cet effort pour nous faire croire en ce futur invraisemblable deviendra la base de toute la démarche de promotion de l’axe manufacturier automobiles/constructeurs autoroutiers/entrepreneurs en construction (d’unifamiliales), qui est en quelque sorte le pendant civil du complexe militaro-industriel. Ce que l’historien Peter Norton accomplit magistralement dans son dernier* ouvrage est justement de nous faire la genèse de cet effort concerté et persistant.

Sur les traces de Autonorama

Malheureusement pour nous, cette alliance pour faire de l’automobile le choix modal par défaut est presque partout une totale réussite. Cette vision d’un futur meilleur au volant d’une voiture est la clé pour comprendre comment nous en sommes rendus à ce moment, où malgré un discours de diversification des modes, on se retrouve encore avec l’automobile comme seul mode indiscutable et indélogeable d’accessibilité. Au-delà des avantages légaux et structurels qui se sont accumulés au fil des décennies, il a fallu nourrir et promouvoir de façon constante une vision qui allait dans le sens du confort et des avantages supérieurs à être derrière le volant d’une voiture. Mais la question demeure, si dès le début des années 1950 il était évident que la solution du tout à l’auto allait engendrer un paysage urbain déjanté et déstructuré, fait de pollution, de disjonctions sécuritaires et de congestion perpétuelle, pourquoi avoir persisté dans cette direction? Ce film promotionnel d’anticipation, un des nombreux produits par General Motors, permet de se faire une idée de cette stratégie.

En fixant dans un horizon lointain et infalsifiable (typiquement 20 ans) toutes les avancées techniques et technologiques facilitant l’acquisition, la possession, l’utilisation et surtout la conduite automobile, il devient possible de faire des propositions toujours plus fantaisistes sur les bénéfices des investissements présents (public) nécessaires à la réalisation de ces rêves (de profits privés). GM s’est en quelque sorte fait une spécialité de ces productions promotionnelles, en commençant par Futurama—To New Horizons (NYC World’s Fair 1939-40), en passant le jaw dropping Design for Dreaming (1956). Un autre Futurama au World’s Fair de 1964, mais cette fois, même Ford y allait de sa proposition. Quelques années avant, en 1958, Walt Disney** participait activement à la discussion.

Quel est le prix pour nos sociétés de toutes ces fantaisies? Essentiellement, celui d’être passé à côté d’une vraie vision inclusive et génératrice de richesse collective de l’accessibilité, qui traite l’automobile pour ce qu’elle devrait être (un outil utile, mais minoritaire dans les options d’accessibilité) et non ce qu’elle est devenue : la seule option envisageable et la mesure minimale de tout aménagement urbain.


* Il avait auparavant publié Fighting Traffic, que nous avions commenté.

** À sa décharge, il semble bien que Walt Disney ne partageait pas vraiment cette vision du « tout à l’auto » et aurait aimé que son parc d’attraction de Floride (Walt Disney World) serve d’exemple pour ce qui était possible en transport en commun. Tout ce qui reste maintenant de ses efforts sont les « Main Street » de certains parcs. Nous y reviendrons.

Tags Autonorama, Peter Norton, Autonomous vehicle, Electronic Highways, Mobilité

Autant que faire se peut

February 16, 2023 John Voisine
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Driving the Green Book—A Road Trip Through the Living History of Black Resistance. Alvin Hall, Harper Collins Canada, 2023, 273 pages [e-book lu sur plateforme Kindle].

[Hors série]

Nous allons faire un léger détour cette semaine dans notre série Trans&Transit pour souligner le mois de l’histoire des noirs avec ce tout nouveau livre de Monsieur Alvin Hall. Je l’ai découvert grâce à cette entrevue donnée par l’auteur et comme plusieurs, j’ai pris conscience de l’existence du Green Book avec le film du même nom qui raconte l’aventure de la tournée dans le Sud des États-Unis, en 1962, du pianiste Don Shirley et de son chauffeur/garde du corps, Frank Vallelonga. Il y a environ deux ans, dans une autre chronique, c’est avec le livre Driving While Black que j’ai pour la première fois abordé l’histoire autour de ce répertoire. Sa fonction était bien simple à l’époque, mais difficile maintenant à conjurer pour un public contemporain ; au bas mot, pouvoir voyager tout en espérant obtenir un minimum de services et à l’autre extrême, souhaiter retourner chez soi en vie.

L’auteur et son équipe ont choisi de suivre la piste de l’histoire orale (le livre est aussi un podcast), de rencontrer autant des gens qui ont eu une connaissance de première main du guide (plus un répertoire d’établissements ouverts à servir une clientèle afro-américaine) et qui ont quelque chose à raconter sur l’époque et les circonstances où l’utilisation du Green Book était souvent nécessaire (selon les localités traversées). Le contexte historique est celui des Black Codes et des lois Jim Crow dans le Sud et plus tard des Sundown Towns dans le Nord. La Great Migration (1910-70) entraine ensuite la relocalisation de millions d’Afro-Américains vers les villes du Nord (New York, Chicago, Detroit, etc.). Cette migration crée une classe moyenne relativement prospère qui désire retourner périodiquement voir la famille demeurée dans le Sud (ou en vacances dans une colonie accueillante, comme Sag Harbor ou Idlewild). C’est l’époque du développement des voyages en automobile, mais juste avant la mise en place du système autoroutier.

Une famille afro-américaine qui voyageait dans une voiture (style Oldsmobile 88) et qui traversait les états du Sud devenait vite une cible pour les pires aggravations de tout genre. Le Green Book visait l’atténuation de ces aggravations.

Sur les traces de Driving the Green Book

Un des chapitres qui retiendra l’attention de gens comme nous, avec un intérêt pour les espaces urbains et leurs vitalités, est celui où l’on va à la rencontre de tous ces «Little Harlems» que l’on retrouvait dans plusieurs des villes du Sud. Le livre mentionne Paradise Valley à Détroit, Walnut Street à Louisville (Ky), Farish Street, «The Black Mecca of Mississippi» et certains autres. C’était dans plusieurs cas des artères commerciales et même parfois des quartiers entiers qui avaient été construits, de longue haleine, par l’élite commerciale et culturelle afro-américaine locale autour et en fonction des besoins spécifiques à ces communautés. En plus de représenter une véritable richesse locale, elles représentaient aussi souvent une forme de sécurité (sociale, personnelle et matérielle) pour les résidents afro-américains qui y avaient élu domicile et qui y exerçait leurs professions, métiers ou ouvrages. Cela n’empêchera pas la destruction complète de ces quartiers lors d’épisodes de terrorisme inouï perpétré par la majorité blanche. On commence à documenter et à intégrer, de peine et de misère, ces épisodes à notre histoire (Wilmington Insurrection, Red Summer, Tulsa Race Massacre). Mais ce n’est vraiment pas de ce type de destruction spectaculaire dont je parle ici. Lors de leurs voyages à la rencontre des gens et des établissements mentionnés dans le Green Book, l’auteur et son équipe notent que la plupart de ces lieux n’existent plus. On doit plutôt cela aux opérations de rénovation urbaine (Urban Renewal) des années 1950-60, que l’on pourrait plus exactement qualifier, comme le disait même à l’époque James Baldwin, d’opérations de «Negro Removal». Cette dévastation, parfois sous le couvert de mettre en place des aménagements modernisés, mais qui dans les faits servaient à marquer l’espace urbain d’une idéologie ségrégationniste d’aménagement ou parfois, pour faire passer la nouvelle idéologie du tout à l’auto par la voie des nouvelles autoroutes urbaines, ont entrainé des saccages si massif et irréparable que plus de 60 ans après, nos villes en sont encore diminuées.

Ce livre donne au lecteur une telle abondance de matière qu’il est difficile d’en absorber l’ampleur en une seule séance. Une lecture essentielle pour qui veut vivre les yeux ouverts.


Note 1 : Deux documentaires sur le Green Book sont enfin disponibles au Canada (sur la plateforme Apple TV). Le premier, basé sur le livre de Madame Gretchen Sorin mentionné dans notre chronique, Driving While Black. Le second est une version de l’exposition itinérante du Smithsonian, The Green Book : Guide to Freedom.

Note 2 : Du côté de la culture populaire, je recommande deux séries simplement incontournables afin de s’absorber de cette histoire : les inoubliables, fantastiques et presque traumatisants (dans le bon sens du terme) Watchmen et Lovecraft Country. Difficile de passer de meilleures heures devant un téléviseur. (Disponible au Canada sur la plateforme Crave).

Tags Driving the Green Book, Alvin Hall, Green Book, Civil Rights, Black History
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