Ecology of Fear—Los Angeles and the Imagination of Disaster. Mike Davis, Verso—New Left Books, 1998-2022, 541 pages. [E-book lu sur plateforme Apple Books]
Une chose est garantie en entreprenant la lecture d’un livre de Mike Davis : on va en avoir beaucoup plus que le client en réclamait ou que le titre pouvait laisser entendre. Dans Ecology of Fear, on n’échappe pas à ce constat, puisqu’on nous conduit dans un écosystème riche et diversifié, tant sur le plan naturel qu’humain. On pourrait même ici faire un rapprochement entre l’abondance de ce qu’il est possible de voir émerger dans cet écosystème fabuleux de la Californie du Sud, où il faut presque se demander parfois ce qui ne pourra pas y croitre et se multiplier et les extrêmes de ce milieu, qui rend toute cette abondance possible. Ce climat, qui, en apparence, est d’une stabilité telle qu’il invite, chez les gens qui le vivent, des rêves fous d’éternité, contient, comme nous le révèle magistralement et de long en large Mike Davis, une part d’ombre apocalyptique. Celle-ci est presque, en parallèle et malgré la contradiction inhérente, un mécanisme d’autodestruction qui lui sert à la fois de purgation et de régénération. Et si cette stabilité climatique des dernières générations n’avait été qu’illusion, tel un songe d’une nuit d’été sur une plage de Malibu? Plusieurs signes laissent croire que la viabilité de maintenir une population aussi urbaine et étendue dans une cuve encerclée de montagnes, d’un océan et d’un désert juste au-delà ne pourra se faire qu’à un coût exorbitant. Davis écrivait cet ouvrage 25 ans avant notre époque des extrêmes, comme les feux poussés par des vents furieux, les Santa Anas [1], que Los Angeles a expérimenté cet automne et cet hiver. Mais ce qu’on doit savoir ici est que ce vent, tout comme la plupart des autres phénomènes naturels bien connus par les gens de LA, est récurrent. Il se produit chaque année et fait partie du cycle naturel qui permet l’existence climatique du bassin de Los Angeles, tel que les gens qui le vivent l’apprécient. Cet ensemble aux bénédictions mitigées se trouve aussi à être, ironiquement, un moteur de créativité pour ceux qui le recherchent. Mais c’est justement cette attractivité, son importance dans la balance des considérations pour la viabilité à long terme de l’économie de la ville et de la région, qui fait que les signes de détresse, sur le plan climatique et même géologique (sismique), ont pu si longtemps être ignorés ou étouffés.
SOYONS RASSURÉS, il ne s’agit pas d’une conspiration. Mais, comme l’argumente l’auteur, les élites locales et régionales impliquées dans la promotion (le boosterism) des activités économique et culturelle de la région ont eu beau jeu de baigner de soleil et d’envelopper d’une température idéale toute histoire qui pouvait contredire cette image idéalisée. On trouvait toujours moyen, jusqu’à récemment, de repousser plus loin le rêve, de vite-vite tourner le regarder vers un nouvel horizon à développer sous un ciel radieux. C’est de cette manière que les cycles naturels cataclysmiques pouvaient être balayés sous le tapis de la prospérité, généralisé, mais curieusement stratifié, selon le pedigree familial ou ethnique. Un corollaire de cette stratification se manifeste dans la façon d’occuper l’espace urbain. Plus spécifiquement, comment la règlementation sur l’occupation des bâtiments et les incendies est manipulée (ou simplement négligée) pour perpétuer un cycle de vétusté dans les zones abandonnées. En contrepartie, dans les zones envisagées comme potentiellement utiles au développement, comment cette même règlementation devient l’instrument pour faire table rase et repartir le développement dans le sens voulu par ces élites.
Personnellement, le chapitre que je ne pouvais lâcher portait plutôt sur les univers fictifs, pour la plupart dystopiques et futuristes, ayant comme point focal LA ou la Californie du Sud. Dans le chapitre The Literary Destruction of Los Angeles, Davis nous parle des plus de 138 romans et films qui, tous à leurs manières, voit Los Angeles comme une mégalopole mure pour un moment de righteous wrath. La capacité extraordinaire de Los Angeles d’attirée a elle ce mélange de gens de tous les horizons et de toutes les couches de la société, qui travail tous à leurs manières à la réalisation de leurs rêves, en fait un lieu de contraste. Ironiquement, cela semble inspirer les fantasmes les plus immondes, surtout chez qui le succès ne peut que se mesurer autrement que par l’aplanissement des différences. Mike Davis nous fait l’histoire de cette littérature et cinéma, à la fois dystopique, raciste, apocalyptique, écocatastrophique, néo-fasciste/nazi et survivaliste. Une anthologie, un witches brew de toxicités créatrices des fantasmes de l’homme blanc frustré devant un monde qu’il ne contrôle plus.
Le climat et les forces naturelles demeurent ce qu’elles sont en Californie du Sud. La lecture de cet ouvrage de Mike Davis nous donne abondamment de quoi réfléchir sur notre capacité à manipuler à notre avantage, et, pour encore longtemps, cet environnement urbain et naturel.
[1] Comme je l’avais indiqué aussi il y a quelques semaines (Approche et pratique — 2025-01-10), il y a ce court texte de Joan Didion sur les Santa Anas (1969), qui parle justement de leurs côtés irrépressibles.