The Fragmented Metropolis—Los Angeles, 1850-1930. Foreword by Robert Fishman. Robert M. Fogelson, University of California Press, 1967 (1993), 361 pages.
Cette chronique est la première d’une série de quatre (4) sur la ville de Los Angeles [1/4]
Los Angeles ne pourra jamais réclamer pour elle-même la tradition fondatrice d’une ville comme Boston ou New York, ou plus proche, d’une ville comme San Francisco. Mais ce qui lui manque dans la durée, elle le rattrape facilement et haut la main en histoire unique et contrastante par rapport à ces villes sœurs, autant celles de la côté est que de sa propre côte. Et ainsi que le montre Monsieur Robert M. Fogelson dans cette grande biographie urbaine, qui était aussi sa thèse de doctorat, la ville de Los Angeles sera toujours en mode boosterism. C’est une posture contagieuse adoptée avec enthousiasme autant par les élites que par les gens qui font de L.A. leur agglomération d’adoption, qui est dès le début la vaste majorité de la population.
Puisque même si son développement finira par la placer dans une catégorie à part, rien de ses origines n’allait favoriser cette croissance explosive qui entrainera son classement en première position des villes du Sud-ouest et du continent américain. Il fallut beaucoup de temps et d’intrigue politico-financière pour faire de l’agglomération un nœud ferroviaire. San Francisco allait toujours être naturellement connecté par les lignes transcontinentales et régionales, mais chaque ligne reliant Los Angeles devait s’arracher au mérite. Sans accès facile vers un port naturel en eau profonde, contrairement à San Diego, plus au sud, il aura fallu une lutte acharnée avec cette dernière pour que Los Angeles triomphe de cette rivalité. Ceci à une époque où l’accès aux marchés continentaux était uniquement par voies océanique et ferroviaire.
La transformation de L.A. est quelque chose d’unique dans l’histoire de l’urbanité. De simple pueblo sans avantage géographique manifeste, à boomtown fait d’un curieux mélange d’exploitation agricole, pétrolière et pétrochimique, avec une place d’affaire et de commerce, une (faible) base manufacturière et industrielle et à cause de son climat, qui à vue naitre l’industrie cinématographique est suffisant pour garantir sa mention dans les histoires d’amalgame urbain sans pareil. Toutefois, ce qui vol vraiment la vedette est le vaste territoire occupé exclusivement de résidences unifamiliales. En plus, avant même le nouveau siècle, les gens venaient de partout sur le continent, mais surtout du Midwest et du Nord-ouest américain, afin de profiter de la douceur et de l’égalité paradisiaques du climat. La première ville tournée vers le mieux-être des gens de classe moyenne fortunés ou qui avait les moyens de profiter de leurs retraites fut Los Angeles.
Sur les traces de The Fragmented Metropolis
En fait, dès que Los Angeles atteint les caractéristiques politiques et l’envergure structurelle d’une ville, soit au courant des années 1880, les élites de ce qui est rapidement en train de devenir une métropole font la promotion de L.A. comme la place pour venir vivre l’idéal du « rêve américain ». Celui-ci est l’archétype de ce que nous pouvons imaginer aujourd’hui, soit la résidence unifamiliale sur un lot de terrain bien a soi dans un petit développement plus ou moins prestigieux en banlieue de… mais c’est ici que Los Angeles se distingue de toutes les autres grandes agglomérations, puisqu’ici la ville s’identifie et se caractérise par sa banlieue. Il y a un centre-ville, et ce dernier joue un rôle dominant dans les affaires et le commerce, mais contrairement aux villes comparables du Midwest et de la côte Est américaine, ce centre ne devient jamais le lieu de prestige et de concentration de la richesse matérielle et culturelle de la ville. Les gens de Los Angeles retirent le plus de fierté de l’abondance de leurs quartiers résidentiels. Loin d’être une source de prestige et de fierté civique, le centre-ville est le quartier des immigrants qui, ayant été bloqué des alternatives, doivent y élire domicile dans des conditions qui les isolent en les coupant d’une base dans la ville.
Ce qui distingue Los Angeles des autres grandes villes de l’époque est la domination politique et culturelle des « native Americans » (né en sol américain et assimilable culturellement à la majorité blanche du moment). Même l’immigration est dominée par des Américains, surtout des états du centre et de l’Ouest américain. Et contrairement aux autres villes américaines où l’immigration est composée de gens d’Europe du Sud, central et de l’Est, selon les périodes, et cherchant à se construire une nouvelle vie, l’immigration interne qui arrive à L.A. durant cette époque est souvent caractérisée par des gens en milieu ou en fin de carrière et attiré par un morceau « of the simple […] well-rounded life ». Cette population « native » particulière, combinée avec des sources internes d’immigration, une population d’origine mexicaine très marginalisée et une petite population d’origine asiatique, donnera en finale une période totalement dominée par les préoccupations et les priorités de la majorité « native ». Il n’y a aucun doute que si L.A. est toujours la ville qui est l’anti-ville ou la ville-banlieue qui est aussi la métropole du rêve américain, ces premières décennies de fragmentation en sont à la racine.