The Reluctant Metropolis—The Politics of Urban Growth in Los Angeles, with a new afterword by the author. William Fulton, The Johns Hopkins University Press, 1997 (2001), 407 pages.
Cette chronique est la deuxième d’une série de quatre (4) sur la ville de Los Angeles [2/4]
Après avoir constaté, avec le premier ouvrage revu, que les quatre-vingts premières années (1850-1930) de Los Angeles sont marquées par la fragmentation, l’ouvrage de cette semaine nous raconte l’histoire plus contemporaine de la métropole de rêve. Pour une bonne partie du 20e siècle, Los Angeles est la métropole d’une croissance qui fait rêver, souvent idéalisée; pas une fiction ni une fantaisie, mais plutôt un réel cadré sous une lumière idyllique.
Il n’y avait plus de limites durant la décennie 1950, on profite des fruits de ce labeur durant la décennie 1960 (tout en commençant, en marges, à réaliser que tout n’est pas rose au pays de la croissance sans limite) et finalement les années 1970 sont celles où, dans plusieurs domaines, on est après tout forcés, presque malgré nous, d’appliquer les freins. Dans le contexte de Los Angeles, cela veut dire un début de questionnement et de résistance face aux « Growth Machines » (1) qui caractérisait le consensus métropolitain de cette immense région du sud de la Californie qu’elle nourrit avec cette croissance.
Mais quand on commence à remettre en question les vertus d’accélérateur et de lubrifiant universel de la machine de croissance urbaine, il faut s’attendre à constater de plus en plus de bris et ruptures d’engrenages. C’est pourquoi les années 1970, avec l’apparition du mouvement slow growth, qui fait des gains dans certaines municipalités phares de la région, comme Santa Monica, auront des répercussions profondes et contradictoires sur l’ensemble de la métropole. Le consensus autour de la croissance est certainement remis en cause, et surtout le consensus autour de qui profite, qui est laissé pour compte et qui est ignoré lorsque l’enveloppe poussée par la « growth machine » fait sa tournée. Cette réalité est éclatée une fois pour toutes, mais puisque rien ne vient remplacer ce qui est aussi une machine à bâtir des consensus, parfois de type « gagnant-gagnant », parfois de type « donnant-donnant », tous les intervenants sont abandonnés à leurs ambitions. Sans le couvert politique ou idéologique de l’intérêt commun, le stress sur le système devient intenable.
Comme le démontre Monsieur William Fulton dans cette histoire urbaine des forces politiques, idéologiques et économiques des trente dernières années à Los Angeles, la perte de consensus autour de la growth machine a le double effet d’en exposer les contradictions et de rendre l’ensemble toujours plus « reluctant » (hésitante, rébarbative) à travailler dans le sens d’un intérêt commun; d’autant plus qu’il devient difficile à identifier.
Sur les traces de Reluctant Metropolis
Un des éléments qui viendra introduire des distorsions massives dans un système déjà fragile est la victoire référendaire, en 1978, de la proposition 13, bien connu en Californie comme Prop 13 (2). C’est l’incarnation même de l’expression « be careful what you wish for ». En fixant le taux de taxation municipal (commercial et résidentiel) à la valeur de l’immeuble en 1976 (3), on venait couper drastiquement le financement des gouvernements locaux et des entités semi-régionales (L.A. County), qui doivent respecter la même règle. Plusieurs (la vaste majorité) des services sociaux de proximité sont administrés au niveau du county, qui englobe aussi plusieurs gouvernements municipaux. En plus des coupes et de la réduction engendrées dans les services, il s’ensuivit une course vers les sources nouvelles de revenus. Dans ce sillage, des distorsions horribles dans la manière de gérer et surtout de générer la croissance, seule source potentielle de nouveaux revenus. Le taux d’un immobilier existant étant figé, rapportant de moins en moins avec le passage de chaque année, il fallait constamment générer un nouveau parc immobilier, ce qui n’est pas toujours facile. C’est alors que les villes ont jeté leur dévolu sur un outil jusqu’alors peu utilisé : la taxe de vente locale. Mais idéalement, les gens que l’on voulait attirer pour payer cette taxe devaient provenir de l’extérieur de la ville, d’où l’explosion des mégacentres (« big-box retail ») régionaux, générateurs de « sellscape » et autres corridors autoroutiers de la vente. Pour renflouer la trésorerie locale, on allait inciter les gens à venir acheter en masse et ainsi contribuer à la taxe locale. Toute croissance devient parasitaire.
Depuis la mise en place de Prop 13 à la fin des années 1970, la métropole de Los Angeles et sa région, mais aussi tout l’état de Californie, est sans doute subtilement défigurée sur le plan urbain et social par ce régime de taxation. Mais c’est Los Angeles, en raison de sa taille et de sa population, qui de loin en subit les pires contrecoups. Les distorsions que cela engendre dans le paysage de la mégalopole sont malheureusement trop souvent interprétées comme les conséquences « naturelles » ou même désirables par les agglomérations souhaitant atteindre une telle échelle. En cherchant à émuler la croissance « à la Los Angeles », l’on se trouve à importer des déformations particulières au contexte de cette ville. Pour se donner la chance de réfléchir un peu à ces situations difficiles, Reluctant Metropolis est le meilleur des compagnons.
(1) Reprise ici de la notion des Growth Machines telle qu’exposée dans l’ouvrage de John R. Logan et Harvey L. Molotch, Urban Fortunes. Nous y reviendrons au cours des prochaines semaines;
(2) Pour un aperçu de la proposition « from the inside », lire cette page de la Howard Jarvis Taxpayers Association. Pour ma part, je crois enfin avoir trouvé l’ouvrage qui décortique ce mouvement et nous y reviendrons;
(3) L’évaluation municipale est remise à jour en cas de vente, de rénovation majeure sur le bâtiment ou de construction majeure sur le terrain du bâtiment existant;